La revue de l'AFL Les actes de lecture n°27 septembre 1989 ___________________ POUR
UNE LECTURE DISTANCIÉE Il s'agit d'une action expérimentale de lutte contre l'illettrisme à l'ASSOFAC de la Garenne-Colombes. Les stagiaires relèvent, pour la plupart, du RMI. L'enjeu est de déclencher une lecture distanciée qui questionne les personnes dans leur trajet personnel et les place dans un statut de lecteur. Pour finaliser l'apprentissage, le Centre passe commande d'un journal « organe » de communication interne au Centre mais aussi entre les Centres de l'Association. Il est destiné également au GDLI et au « groupe de pilotage ». Cette commande est reçue sans réticence par le groupe. Dans un premier temps, elle est comprise comme devant fournir des informations de type descriptif et anecdotique : le fonctionnel immédiat. L'effort va donc porter sur la théorisation de leur itinéraire d'exclusion de l'écrit a travers des extraits de « Confessions d'un immigré » de Kassa HOUARI paru en 1988, aux Éditions Lieu Commun. On va entrer dans le processus où la pensée de l'un, saisie par la lecture, aide à clarifier le « vécu » des autres. Se forger un point de vue à partir du point de vue de l'auteur. Les enjeux du journal sont là : se confronter à des points de vue à partir desquels on va rebondir individuellement et collectivement. Un extrait de Kassa HOUARI donne lieu à des réactions intéressantes. L'auteur fait le point sur sa situation de néo-lecteur. Il
fait partager ce qu'a été pour lui la lecture et
comment elle a changé sa vie. En effet, a travers les livres,
il a pris de la distance par rapport à toutes les
« certitudes » reçues de son milieu et
intériorisées. Il a découvert - plus tard il s'y
essaiera dans l'action - que de nouveaux « possibles »,
hier encore impensables, pouvaient faire irruption dans son
existence. Les stagiaires y voient leurs propres aspirations. « Je
suis comme lui. » « Moi aussi, j'en suis là. » Suit,
quelques jours plus tard, un montage : un texte de quelques lignes
informe sur le livre de Kassa HOUARI avec des faits bruts, suivi de
quelques extraits proches de celui dont on vient de parler, L'un
d'eux surtout va retenir l'attention : ou bien l'auteur reste au
foyer où habitent collectivement ses compatriotes, ou bien il
doit partir s'il veut être en accord avec ce qu'il veut
devenir. Ceci exprimé d'une manière très
dramatisée par l'auteur. Après une lecture silencieuse,
un mot de commentaires pour créer la distance et généraliser
: tout le monde un jour ou l'autre est devant ce choix. La qualité
du silence, les regards, les apartés brefs chuchotés au
voisin manifestent qu'il se passe quelque chose. On n'est plus dans
l'écrit informatif ; chacun, intérieurement, accroche à
ce texte « ses propres wagons ». La lecture,
rencontre de la pensée de l'autre, aide à voir plus
clair dans la sienne. Suit un moment de théorisation sur la
façon dont on reçoit les écrits informatifs et
les autres « qui nous parlent ». On s'interroge
sur la différence entre les deux textes : le contenu, la place
de l'auteur, la façon de recevoir le texte, l'utilisation
qu'on peut en faire, les réactions que l'on a en face de ces
différents écrits, comment s'y prend l'auteur quand il
informe, quand il nous parle. à
la séance suivante, un compte rendu est fourni qui reprend
l'essentiel de tout cela. L'objectif n'est pas de restituer les
contenus, il est de saisir derrière ceux-ci l'intention du
formateur qui l'a écrit. L'échange est donc de ce type
: oui « ça parle de Kassa HOUARI »
oui « ça parle de ce qui a été
dit » mais tout cela est présent à nos
mémoires. Qu'est-ce qu'on veut dire, à travers cela,
sur les écrits informatifs et les écrits « qui
nous parlent » en particulier s'agissant du journal. Il faut donc regarder les indices : mots clefs, importance accordée à chaque type d'écrit, connotation valorisante ou dépréciative, etc. Très peu d'écrits avaient été produits jusque-là. En quelques jours, une lettre à un stagiaire absent avec la participation de presque tous, les préparations d'interviews pour le journal, les messages à faire circuler dans le Centre, toujours à propos du journal, sont devenus exigences internes au groupe et aux personnes. Henri RETAILLEAU (ASSOFAC) |