retour

 

La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°27  septembre 1989

___________________

PAS SI SIMPLE ! (notes)

Nous joignons à ce texte de Monique MAQUAIRE les notes qu’elle a rédigées à l’issue d’une rencontre organisée dans le cadre d’une rencontre sur l’écriture et la lecture. Au cours de cette rencontre, Christian BRUEL, auteur et éditeur, a évoqué l’intervention d’écrivains auprès d’adultes et d’enfants dans les centres de loisirs et de vacances de la caisse Centrale d’Activités Sociales (CCAS) de l’EDF (voir, dans ce présent numéro, l’article consacré à l’expérience commune AFL-CCAS de BESSÈGES et Henriette ZOUGHEBI, responsable du Salon du Livre de Jeunesse de Montreuil a parlé de l’accueil d’écrivains en résidence par la municipalité de cette commune.

Des municipalités, des associations tentent de mettre en place des politiques d'écriture.

L'ÉCRIVAIN PUBLIC auprès d'adultes :

Un écrivain, Dominique LEMAIRE (publié chez Gallimard) propose un spectacle inducteur où il joue le camelot littéraire avant de remplir un rôle d' écrivain public : il recueille des données auprès des gens, opinions, anecdotes, à partir desquelles il écrit publiquement une nouvelle sur son traitement de textes avant d'en faire un spectacle. Les gens regardent, commentent, critiquent, prennent la mesure des transformations que le texte a fait subir à leur expérience : quel statut accorde-t-il à la parole de l'autre ? Comment son regard, son projet ont transformé l'expérience ? Est-ce écrire au nom de ? à la place de ? Avec ?

On quitte l'utilitaire, la survie immédiate pour découvrir le travail de création littéraire d'un artisan. Quels effets ? Curiosité immédiate, la bibliothèque est un peu plus sollicitée ; mais les spectateurs de cette écriture qui a mis leurs mots en texte modifient-ils leurs pratiques d'écriture? Mystère...

Et des ATELIERS D'ÉCRITURE avec des enfants en centre de vacances, pendant des sessions de trois semaines. Un peu comme en classe, les projets sont proposés par les adultes : projet d'écriture, projet production.

La production a pu s'appuyer sur la mythologie : comment les grandes figures mythologiques d'Oedipe, d'Hercule sont-elles réinvesties ? Écrire le « non-guide » d'une « non-ville » pour solliciter l'imaginaire en travaillant sur, en s'appropriant par la parodie la forme des guides.

La formule n'est pas sans difficulté ni ambiguïté, ici comme à l'école. L'enfant a deux modes d'expression, un social, licite qui accepte et tolère le regard ; un autre intime, clandestin qui se refuse aux censeurs. Dans tout acte d'écriture le social traverse l’individuel la question de l’investissement intime, du symbolique est toujours posé. La présence du professionnel de l'écrit, son intervention changent quelque chose : il n'est ni l'enseignant ni l'animateur, représente autre chose et permet autre chose. Mais les enfants sont dépossédés de cette pratique et l'écriture reste pour eux sans importance si le projet est celui des adultes. Il ne peut y avoir d'écriture s'il n'y a pas projet d'un écrit pour un destinataire et une intention à son égard, Le problème du temps, comme à l'école, est difficile : dans ces projets, il y a toujours échéance, la fin du séjour ou de l'année scolaire, les contraintes de la publication et de la diffusion. Et l'écriture demande du temps.

... Et nous, donnons-nous le temps d'écrire ? « Nos » projets et / ou ceux des enfants et des adultes ? Quel rôle jouent les écrivains que nous invitons ? Quels rapports à l'écriture ? Quels textes sont induits par ces pratiques ?

... Quand une municipalité accueille des ÉCRIVAINS EN RÉSIDENCE. Cette pratique est partie d'une analyse de la situation de la création littéraire, sans mise en cause du système éditorial, pour soutenir des écrivains qui ont un projet et répondent à une attente de la collectivité (possibilités matérielles pour écrire) ; réciproquement la collectivité se bat pour faire lire l'œuvre de l'écrivain, Ce qui se partage, ce ne sont pas des pratiques d'écriture mais des enjeux et l'écrivain n'intervient pas ou pas directement, sinon par l'œuvre écrite, dans les pratiques d'écriture des gens. Il s'agit d'établir un lien entre une production et une classe sociale. Par exemple, à partir d'interviews, l'écrivain construit une œuvre, des mots, des gens; il peut faire une écriture, Des œuvres ont été écrites par des écrivains en résidence comme « Portrait du monde » de Bernard NOËL.

Que change la pratique de l'écrivain en résidence ? Cela change la situation de l'écrivain dans la société et cela permet la production d'œuvres nouvelles, une forme littéraire nouvelle, Cela ne modifie pas les pratiques d'écriture des gens, mais a peut-être des effets sur leurs choix de lecture... qu'on n'a pas évalués. Si les prises de conscience, de pouvoir, se font dans les luttes, pourquoi se limiteraient-elles aux conditions de vie (logement...), pourquoi pas des luttes sur les enjeux de l'écrit dans un processus de désagrégation ? Une difficulté : le mouvement révolutionnaire n'est plus engagé comme partenaire et inventeur culturel, comme il le fut par exemple en 1926 (production de la « Marseillaise » de RENOIR) ; cela se reconstruit à travers des pratiques de ce genre. Autres pratiques : les expériences de GATTI : dans des stages d'insertion: en prison, Il s'agit de faire sortir une parole, celle d'exclus ; il écrit parallèlement.

Quels écrivains accueillir ? Mécénat municipal, sur quels critères " esthétiques ? idéologiques ? Une voie vers de nouveaux écrits ? nouveaux parce que jamais publiés ? nouveaux parce qu'explorant des chemins d'écriture non encore balisés ? Quel contrat passer avec lui : exploitation à ses propres fins de la parole des autres ? Intervention dans les pratiques d'écriture ? Comment construit-il ses lecteurs de la commune qui l'accueille ? Et les non-lecteurs qui n'attendent rien de l'écrit ? Quelles relations avec eux ?

Vers la construction de RÉSEAUX COURTS dont on pressent bien l'intérêt ! Moins pesants que les circuits longs traditionnels, ils peuvent être interactifs : la proximité, spatiale, sociale favorise les échanges. Les destinataires peuvent être clairement identifiés et ils peuvent intervenir dans le processus de production. De quelle place? Dans quel rapport sont les scripteurs et leurs destinataires ?

Ces réseaux peuvent-ils être mis en place de manière volontariste ? Ou bien les groupes sociaux qui en ont besoin vont-ils inventer ? Quels écrits cherche-t-on à promouvoir ? La littérature ? L’introduction de nouveaux sujets, nouveaux personnages dans des formes éprouvées ? Des écrits simplifiés à l'usage du peuple ? D'autres écrits que la littérature ? Lesquels ? Historiquement, la bourgeoisie cherchant à s'imposer s'est inventé ses réseaux, s'est emparé des types d'écrits existants pour les transformer à son usage...

... Écriture ? Écritures ?... Majuscules : danger ! Pastorales ?

Monique MAQUAIRE