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La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°27  septembre 1989

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VACANCES-LECTURE À BESSÈGES


Pendant les mois de juillet et d’août, l’AFL a accueilli à Bessèges, des agents d’EDF/GDF avec leurs familles pendant quatre séjours de deux semaines de « vacances-lecture », à la demande de la caisse Centrale des Activités Sociales (CCAS) du personnel des industries électriques et gazières. La CCAS accorde une grande importance à cette expérience, nouvelle pour tout le monde, puisqu’elle consacre environ 10% du budget total de l’opération à l’évaluation, par l’AFL, des effets de cette politique de lecture à Bessèges et dans trois de ses centres de vacances. Nous ne manquerons pas de publier dans un prochain numéro les résultats de cette évaluation. Pour Claire DOQUET, après l’interview d’un responsable de la CCAS qui précise les raisons de cette expérience et de ce que la CCAS en attend, rend compte de ce quelle a pu voir lors de l’un de ces séjours.


A.L. : Avant toute chose, pouvez-vous nous préciser ce qu'est la CCAS ?

CCAS : C'est l'équivalent, pour l'entreprise EDF/GDF, du Comité d'Entreprise. Pas tout à fait puisque nous n'exerçons pas toutes les attributions d'un C.E. Les responsabilités économiques et de gestion du personnel sont assurées par d'autres structures paritaires. La CCAS n'exerce que les prérogatives de ce qu'on appelle traditionnellement les activités sociales, c'est-à-dire, pour ce qui nous concerne, les vacances (familles et enfants), les séjours sous différentes formes pour les retraités, la restauration dans 315 « cantines », la gestion de maisons de convalescence, de retraite et de centres de santé (qu'on appelait auparavant des dispensaires) pour enfants handicapés. L'ensemble de ces activités, centralisées et décentralisées, étant financées par 1 % du chiffre d'affaires de l'entreprise.


A.L. : Ce qui représente un gros pactole ?

CCAS : Non. 6 327 F par agent en 1988. On nous présente souvent comme particulièrement favorisés alors que l'article du magazine « L'Expansion », paru dans le numéro 351 de juin dernier, permet de situer la CCAS au 17e rang dans le classement des C.E. selon leurs ressources par employé.


A.L. : Et vous avez aussi des activités de loisirs et culturelles ?

CCAS : Qui sont surtout intégrées aux séjours de vacances.

Notre volonté, en gérant les divers centres de vacances, n'est pas d'imiter le Club Méditerranée mais de donner aux vacances un contenu culturel au sens large. Que les vacances soit l'occasion de découvrir autre chose. C'est la découverte, entre autres, du milieu et des animations de qualité. C'est le livre, des spectacles, des conférences, mais c'est aussi le bal, la rencontre, la fête... Des vacances différentes parce qu'elles ont un contenu enrichissant.


A.L. : Venons-en à la lecture. Je crois que vous avez fait un gros effort d'implantation et d'animation de bibliothèques.

CCAS : La lecture a toujours été notre objectif prioritaire. Dans une brochure parue en 1982 dans laquelle nous faisions un bilan et définissions les perspectives de notre politique culturelle, nous affirmions la priorité du livre et de la lecture. Ce qui nous a amenés à équiper tous nos centres de vacances quels qu'ils soient, temporaires ou permanents, pour les familles ou pour les enfants, d'une bibliothèque d'un fonds minimum d'au moins 400 titres qu'on veille à renouveler. Même dans un camp de toile, il y a une bibliothèque.

Notre deuxième effort a porté sur l'animation de ces bibliothèques. Il est évident que quelqu'un qui n'a pas l'habitude de lire ne prendra pas seul cette habitude pendant les vacances et qu'il faut des animateurs spécialisés pour aller au-devant des vacanciers. C'est ainsi qu'on demande aux directeurs des centres pour enfants d'intégrer la lecture dans leurs projets éducatifs.

Dans la Maison Familiale de Trébeurden, par exemple, on propose chaque année une animation conçue pour les trois semaines du séjour et les gens s'inscrivent pour la durée de cette animation. PINGUILLY, Didier DAENINCKX y ont travaillé, L'année dernière, cette animation était intitulée « Les mets et les mots ». Dans d'autres centres, il y a des rencontres-débats avec des écrivains.


A.L. : Avez-vous aussi des activités d'écriture ?

CCAS : Oui, d'écriture et de diffusion de livres. En particulier, de livres en direction de la jeunesse. Je pense à celui qui décrivait les métiers de leurs parents intitulé, « L'aventure des hommes : l'énergie ».


A.L. : Alors, pourquoi l'AFL et les séjours à Bessèges ?

CCAS : Nous avons lancé l'année dernière, dans nos structures, une réflexion d'une durée de deux ans sur notre politique de promotion du livre et de la lecture. La première année, il s'agissait d'analyser ce que nous avions fait, de rencontrer des spécialistes, de faire des expériences afin d'améliorer nos démarches. Il était naturel de s'adresser à l'AFL. En direction des enfants, la première idée a été d'utiliser votre Centre de Bessèges pendant les vacances de Pâques. Puis il a paru intéressant d'aller au-delà et d'utiliser le même centre pour des vacances familiales durant l'été. Enfin, troisième demande : l'AFL ne pourrait-elle pas travailler avec nos animateurs lecture afin de leur apporter une formation supplémentaire ? Nous espérons ainsi introduire des choses nouvelles dans nos pratiques centrées sur la lecture et ne pas nous limiter à des animations autour des livres que nous mettons à la disposition de nos vacanciers.


A.L. : C'est donc que ce que vous faisiez vous paraissait insuffisant ?

CCAS : Tout à fait. Nous ne sortions pas du lecteur traditionnel et nos bibliothèques n'étaient pas assez fréquentées.

On a offert le livre aux gens mais c'est insuffisant. Nous nous sommes rendu compte qu'il était très difficile d'amener un non-lecteur à la lecture. D'ailleurs, peut-être est-ce une gageure en trois semaines ! Autre aspect, c'est l'apprentissage de la lecture. En tant que parents, nous savons les difficultés de beaucoup d’enfants. Nous savons le rôle que peuvent jouer les familles. Un de nos objectifs est donc de participer, dans la mesure de nos moyens, à résoudre se problème en intervenant en dehors du domaine scolaire.


A.L. : Quel public viendra à Bessèges ?
CCAS :
Très varié. Dans nos centres de vacances, pour vous donner une idée, 30 à 35% des agents appartiennent aux catégories d’exécution, 7 à 8% sont des cadres, les autres sont des agents de maîtrise.


Propos recueillis par 
Michel VIOLET

* * *

À Vacancèze, l'impression première est celle du foisonnement : partout, des gens s'affairent, qui à la préparation du journal interne « L’Étincelle », qui à la revue de presse précédant le journal radio, qui à l’entraînement sur ELMO... à côté de ces activités centrées sur la lecture sont prévues toutes celles que l'on pratique habituellement en séjour de vacances : canoë-kayak, spéléologie, randonnée, escalade, baignade, excursions... on peut tout faire à Vacancèze et pas seulement lire. Les personnes accueillies sont absolument libres de leurs mouvements : à la différence des élèves qui viennent en classes-lectures, les membres de la CCAS sont en vacances, les seules contraintes étant celles de la vie en groupe, Pourtant, des problèmes se sont posés dès le début du séjour : certains, mal informés lors de leur inscription, ne s'attendaient pas à ces « vacances-lecture ». D'autres n'ont pas eu d'autre choix que celui-là : « Le séjour à Bessèges est tout nouveau, donc très peu demandé » explique une animatrice CCAS en formation ici, « pour certains, c'était ça ou rien. » Tous ont été surpris du nombre d'animateurs présents : une quinzaine pour 71 vacanciers, alors que les autres séjours ne comportent parfois que 6 animateurs pour 400 personnes ! Pas étonnant donc que certains se soient sentis sur encadrés, ce sentiment s'exprimant soit directement, soit « par voie de presse ».


L'ÉTINCELLE

« L'Étincelle » est le journal du séjour. Bouclé chaque soir, il est mis en page et tiré illico, de sorte que les vacanciers le trouvent sur leur table au petit déjeuner du lendemain. Des règles ont été fixées au rebut du séjour : L'Étincelle est un journal d'opinion qui parle de lecture. Les premiers jours, tous les articles étaient écrits par les animateurs, AFL ou CCAS.

Puis, quelques vacanciers s'y sont mis : certains, se sentant incapables d'écrire, donnent des idées d'articles ; d'autres rédigent, aidés ou non par les animateurs. Le choix des articles s'effectue à 16h, lors du comité de rédaction auquel chacun peut assister. À ce moment, tous les articles sont lus et corrigés au besoin, selon l’avis de leur auteur. Le matin, si lieu aucune conférence n'a a lieu, le journal est lu et commenté par les vacanciers en présence des animateurs responsables. Les réactions émises lors de ces réunions ne sont que parcellement significatives : seuls les vacanciers lecteurs du journal s'y rendent, quand ils ne sont pas occupés par l'une des nombreuses activités proposées le matin (l'horaire semblant peu adapté, l'équipe a décidé, pour les séjours suivants, d'organiser les conférences en fin d'après-midi). Et quand les animateurs sont plus nombreux que les vacanciers, ceux-ci hésitent parfois à donner leur avis.

Toutefois, c'est lors d'une de ces « tribunes libres » que s' est manifestée avec le plus de virulence l'opposition antisyndicale, reportée sur les animateurs de l'AFL : L'Étincelle est accusée de dogmatisme, ses auteurs de terrorisme intellectuel. Une minorité résistante s'est fait jour, qui, refusai: la mainmise des syndicats sur la CCAS, étend son hostilité à ce séjour d'un nouveau type. Dans son article intitulé « Et pourtant, j'ai rien à dire », l'un des « résistants » aimerait « voir les Maîtres se remettre un peu en question », il se plaint de les entendre « se gargariser de leur science et étaler leurs statistiques ». Puis vient, en filigrane, la raison profonde de son animosité : « Bien sûr la lecture a son importance ! Bien sûr, il faut du syndicalisme! »... Ce vacancier est l'un des rares : avoir osé écrire pour L'Étincelle, lutté à armes égales contre les « Maîtres » ; d'autres, animés souvent de revendications similaires, ont usé d'autres moyens de déstabilisation : commentaires à voix basse ou batailles à coups de pichets d'eau. Ce type d'incident est lié aux dissensions internes à la CCAS.


Plus préoccupantes sont les réactions modérées de certains vacanciers, qui se plaignent de la difficulté du vocabulaire employé et même des thèmes abordés, qu'ils n'arrivent pas à rattacher au vécu du séjour. À ce titre, un article de Robert CARON sur une soirée jazz a été particulièrement apprécié, le sentiment exprimé rejoignant celui de la majorité des vacanciers.


UN DUO EXPLOSIF

« Et le plaisir de lire ? Qu'est-ce que vous en faites ? Les vacanciers déjA lecteurs ne le retrouvent guère dans les articles, et les non-lecteurs ne semblent malheureusement pas ouvrir le journal... » C'est Jean-Pierre OTTE qui parle. Il parle à Jean FOUCAMBERT. Une rencontre je choc a eu lieu à Bessèges : un écrivain défend ce qu'il espère procurer à ses lecteurs, un chercheur spécialiste de lecture répond en évoquant la « pastorale ».

Le premier voudrait une Étincelle plus ouverte, des articles directement accessibles par chacun, un vocabulaire et des tournures simples, des références constantes au réel, parce qu’un texte est une mosaïque que le lecteur construit dans sa tête, et dont lui seul peut trouver le fil. Le second trouve que les articles ne sont même pas assez théoriques, qu'il ne faut pas avoir peur du didactisme, parce qu'il est urgent que la nécessité de la lecture s'impose comme évidence.

Les mots déferlent : « Tu veux que les gens lisent, mais ton langage même leur est inaccessible. » « Ça veut dire quoi, « plaisir de lire » ? Tu es dans la pastorale ! » Le chercheur a déployé les pièges de la rhétorique qu'il maîtrise si bien ; l'écrivain, en lecteur avisé, analyse son discours et tente de déjouer ces pièges. Pour un beau duel, c'est un beau duel. Les militants de l'AFL n'en reviennent pas. Plaisir de lire ou pas, chacun est sûr d'une chose : le pouvoir des mots, lui, existe bien.


RADIO 16, RADIO VACANCÈZE

Bessèges possède une radio locale, où travaillent tes bénévoles. Radio 16 émet tous les jours, les émissions étant entrecoupées de bandes musicales. Elle est installée dans un petit local, au cœur de la ville. Son audience est bonne, et devrait s'étendre prochainement : un accord est sur le point d'être réalisé avec la 5e chaîne de télévision qui permettrait à Radio 16 de bénéficier de son antenne portant jusqu'à Alès.

La radio libre de Bessèges prête ses ondes à Vacancèze pour le journal de 18 h et quelques émissions ponctuelles. Une revue de presse est réalisée chaque matin à partir de quotidiens nationaux et régionaux. Elle débouche sur le texte des informations du soir, Parallèlement, les animateurs préparent avec les vacanciers des émissions sur la lecture comportant surtout des présentations de livres. Cette formule les incite à fréquenter la bibliothèque et permet de nombreuses discussions autour du livre.

Par son ouverture sur l'extérieur, la radio semble avoir intéressé les vacanciers, en particulier les enfants attirés par le côté technique de cette activité. Elle a suscité un témoignage de parents réjouis de voir leur fils se mettre à lire pour propager une émission : ils sont venus à la rédaction de L'Étincelle pour qu'un article en rende compte. Même s'ils ont été relativement peu nombreux à y participer, les vacanciers ont apprécié la diffusion des informations dans la cour du centre et la mise à disposition de cet outil inhabituel.


ET LES LIVRES, DANS TOUT ÇÀ ?

C'est la réaction de quelques vacanciers, qui ne saisissent pas le rapport entre la lecture, thème du semeur, et les multiples activités proposées. Ils auraient aimé plus de rencontres avec des écrivains (il y en a eu deux : Gilbert LÉAUTIER, auteur cévenol, et Jean-Pierre OTTE, qui a aussi animé un atelier d'écriture), plus de présentations de livres.

Lecteurs, ils n'ont pas toujours compris le point de vue de l'AFL sur ce qu'ils considèrent surtout comme un passe- temps : à la question « Envisagez-vous la lecture d'une autre façon à l'issue de ce séjour ? » une vacancière répond : « Non, j'ai toujours lu, et je continuerai à le faire, ni plus ni moins ! » Eux trouvent dans la bibliothèque, assez bien fréquentée (45 personnes y sont allées, 20 empruntent régulièrement des livres), les repères qui leur manquent. Ils sont venus en vacances-lecture, et ne comprennent pas qu'on leur propose des exercices d'entraînement sur ordinateur, qui font de la lecture un travail, ou des émissions je radio. S'ils demandent quoi lire, l'AFL répond que toute lecture est bonne à faire, Tout ça n'empêche pas qu'ils trouvent le séjour fort agréable, apprécient le cadre de vie et la multitude d'activités proposées, Et même, ils regretteraient presque qu'elles soient si nombreuses : entre le kayak, la spéléo et la randonnée, comment voulez-vous prendre le temps de lire ? En plus, avec le soleil qu'il fait ici, quand on voit la pluie toute l'année, ça fait deuil de rester enfermé ! Une animatrice CCAS renchérit : « L'année dernière, je m’occupais de la bibliothèque, j'ai eu tout le temps de ficher les livres jusqu'au jour où il a plu : alors là, l'affluence ! »... On devrait transporter Bessèges à Charleville-Mézières.

Ce séjour était le premier de ce type : aucun bilan ne peut être tiré pour l'instant quant à l'évolution qu'il produira dans les pratiques de lecture. Que restera-t-il aux vacanciers rentrés chez eux ? Au moins la conscience qu'il existe d'autres outils que le livre, même s'ils n'ont pas voulu, ou pas osé, les utiliser à Bessèges. Beaucoup ont perçu l'urgence de lire et de faire lire : les statistiques de réussite au bac en fonction des résultats obtenus au cours préparatoire en ont impressionné plus d'un, ainsi que la projection du film « Votre enfant m'intéresse », qui a suscité la lecture de « l'École de Jules Ferry ». Trois mots résonnent familièrement : Affaire De Tous.


Claire DOQUET