La revue de l'AFL Les actes de lecture n°27 septembre 1989 ___________________ CHELI BETI STORY
Krystyna CHLEBOWSKA, spécialiste des programmes d’éducation prioritaire dans les zones rurales à l’UNESCO, rend compte ci-dessous d’un programme pour le développement rural au Népal. Il a semblé intéressant de publier ce texte fort détaillé dans sa quasi-totalité, non par souci d’insolite ni par goût de l’exotisme, mais parce qu’il présente un type d’action en général connu des seuls spécialistes et pour que soient perçues dans leur intégralité les conditions dans lesquelles sont mis en œuvre certains projets d’alphabétisation dans les pays dits du tiers-monde. Conditions qui, assurément, relativisent nos difficultés quotidiennes...
LA ZONE DE SETI Dans la région de Seti, à l'extrême ouest du Népal, depuis longtemps le temps s'est arrêté. Entourés au nord par la frontière chinoise et au sud par celle de l'lnde, loin des itinéraires touristiques, les districts de Doti, de Bajhang et de Bajura constituent le cadre géographique d'une expérience originale initiée par l'Unesco en 1979. Les habitants de la région vivent principalement de la terre sur un sol péniblement conquis, qui pourtant n'est qu'à demi dompté, toujours à la merci des intempéries, des inondations, des tremblements de terre. Sur des lopins de terre tracés en terrasses grands comme des mouchoirs de poche, les paysans cultivent leurs rizières et leurs champs en famille avec l'aide d'outils très simples et parfois d'un bœuf décharné. Sur les flancs des montagnes et des collines s'étendent les formes dégradées de la forêt qu'ont laissées derrière eux les brûleurs et les coureurs de bois. Dans cette zone essentiellement montagneuse, les chemins sont si étroits et si dangereux, la traversée des rivières tumultueuses si aventureuse, les ponts et les passerelles si périlleux que même une mule ne s'y aventure guère. La marche à pied est le moyen de locomotion par excellence et les habitants du pays sont imbattables en la matière. Habitués depuis toujours à marcher et à grimper dans leurs montagnes natales, ils se déplacent avec aisance et à une vitesse record, un fardeau de dimension impressionnante suspendu à l'aide d'une courroie sur le front. Si le temps s'est arrêté à SETI pour le bonheur des yeux, il s'est également immobilisé dans la vie quotidienne des paysans. Sur 12 600 km2 représentant 9 % de la superficie du Népal, avec une population de 700 000 habitants dont 95 % vivent de l'agriculture, seulement 8 % de la superficie totale des sols sont arables. Les paysans, pauvres de père en fils, luttent depuis des siècles avec acharnement contre les éléments naturels particulièrement dévastateurs dans cette région, où la sécheresse, les tremblements de terre, la grêle, les inondations font des ravages. La terre y est très précieuse et chaque pouce de terrain est exploité au maximum pour y cultiver principalement le riz, le millet ou le froment. Si d'aventure vous êtes à la recherche de l'école, ne vous attendez pas à la trouver dans le village, vous ferez fausse route. Il vous faudra aller loin des agglomérations, dans un endroit désertique où vous la découvrirez tout en haut d'une montagne. Arrivé au sommet, après avoir grimpé pendant des heures, essoufflé et le cœur battant, vous y trouverez, sur un fond grandiose de montagnes, une jolie petite école en terre battue, au magnifique toit d'ardoises du pays. Dans la cour de l'école, assis sur le sol en demi-cercle autour d'un tableau noir sur lequel le maître pointe un long bâton, des enfants vous accueilleront les yeux tout ronds d'étonnement, car ici, l'étranger est rare. Vous les verrez tous, assis sur des nattes dans une minuscule salle de classe en terre battue, se lever avec empressement à votre vue et vous saluer en chœur d'un « Namaste » amical, accompagné du traditionnel geste de bienvenue des deux mains jointes comme pour la prière. Ce n'est certes pas le magnifique panorama au sommet de la montagne qui a guidé les paysans bâtisseurs à choisir le lieu de l'école dans cet endroit désert et éloigné du village, les obligeant à transporter à dos d'homme tout là-haut les matériaux nécessaires à sa construction. Le besoin d'exploiter au maximum toutes les terres propices à l'agriculture contraint les habitants des communautés à construire l'école à un endroit où la terre n'est pas cultivable, même si elle se trouve au sommet d'une montagne balayée par les vents et la neige. Dans cette même école où, accroupis en tailleur sur des nattes, une ardoise sur les genoux, les enfants écoutent avec un respect mêlé de crainte leur maître leur apprendre à répéter par cœur des textes qui ne leur rappellent en rien leur vie quotidienne, celle de leur famille ou de leur village, vous ne verrez pratiquement que des garçons. Les filles y sont quasiment absentes. Dans la zone de Seti, la nourriture manque. Même pendant les années fastes, les moyens de subsistance des habitants n'atteignent pas le minimum requis et la quantité de calories de leur alimentation est beaucoup moins élevée que celle de la moyenne nationale. Les fruits et légumes y sont rares, non qu'ils ne poussent pas dans cette région, mais du fait que les coutumes et les habitudes alimentaires privilégient le riz, culture ancestrale et sacrée. Sacrées sont aussi les vaches, qui ne donnent en général que peu de lait, que l'on ne consomme pas toujours d'ailleurs, pour raisons culturelles. Les versants des montagnes sont couverts de forêts à l'espace clairsemé. Le paysan népalais a depuis toujours puisé dans la forêt les ressources en bois dont il avait besoin, sans se soucier de remplacer les arbres abattus, et il a lui-même contribué à la dégradation lente mais sûre des sols. Actuellement les dégâts provoqués par la destruction des forêts sont tels que des milliers d'hectares de terrains déboisés sont rongés par l'érosion. La modalité infantile est exceptionnellement élevée dans cette région et atteint en certains endroits jusqu'à 50 %. L'espérance de vie est très limitée, non seulement en raison de la malnutrition, mais aussi à cause des maladies qui y sévissent comme la tuberculose, les parasites intestinaux ou la dysenterie amibienne à l'état endémique. Face à ces fléaux, les paysans sont démunis non seulement des moyens de les combattre, mais également des connaissances nécessaires pour le faire. Les parasites intestinaux, par exemple, sont si fréquents chez la plupart des habitants des villages et, en particulier, chez les enfants qu'ils sont considérés, au même titre que les poux ou la gale, comme l'état naturel du corps humain. De plus, pendant la saison chaude la région est envahie par des millions de mouches et à l'époque de la mousson elle est infestée de sangsues. L'eau propre des sources qui s'écoule dans les multiples canaux et rigoles traversant les villages pour descendre vers la rivière est vite polluée par ses utilisateurs. Peu de villages bénéficient de conduites d'eau et d'eau potable. Les terres cultivables étant rares et la production agricole trop faible, les paysans doivent chercher ailleurs les ressources supplémentaires nécessaires à la survie de leur famille. En hiver, ils s'exilent comme travailleurs saisonniers, soit dans une autre région, généralement dans la plaine, soit en Inde, où ils émigrent souvent pour des périodes plus longues.
LES FEMMES DANS LA RÉGION DE SETI En l'absence de leurs maris, les femmes prennent la relève. Aux tâches déjA lourdes qui sont habituellement les leurs, viennent s'ajouter celles des hommes. Sur leurs épaules pèse la responsabilité de la maison, des enfants, des travaux des champs. À leurs côtés leurs filles, petites ou plus grandes. Alors que leurs frères sont à l'école, elles restent à la maison pour aider la mère à s'occuper des tout petits, du bétail, à couper l'herbe, à ramasser le bois sec, à puiser l'eau, à faire le ménage, la cuisine, même quand les autres sœurs sont là et partagent la besogne, même si les parents peuvent se passer d'elles, les petites filles ne vont pas à l'école et restent avec leur mère à la maison. Elles restent à la maison tout simplement parce qu'ainsi en ont décidé le père et la mère, parce qu'elles sont des filles et que, dans l'esprit des parents, l'école est un endroit pour les garçons, parce que donner à une fille une éducation ne représente pour la famille aucun intérêt économique et social. La préoccupation essentielle des parents en ce qui concerne l'avenir de leurs filles de 12 à 15 ans, est de leur trouver un mari. Une fois leur fille mariée, les parents n'ont plus aucune obligation envers elle. Elle tombe alors sous la loi maritale de l'époux et de la belle-mère, dont elle devient pratiquement la servante. Certaines mères craignent que l'école ne gâche le caractère de leurs filles, qui se doivent d'être obéissantes et soumises. Il n'est pas d'usage dans cette région de considérer l'éducation des filles comme nécessaire, celles-ci étant prédestinées au mariage. Elles ne constituent pas un support économique futur pour la famille. C'est pour- quoi ici, la plupart des femmes sont analphabètes, aussi bien les mères que les filles. Il est communément reconnu que dans les zones rurales et en particulier dans cette région du Népal, les femmes travaillent plus que les hommes. On dit que, si les hommes sont occupés du lever au coucher du soleil, le travail des femmes n'a pas de fin. Levées à 4 ou 5 heures du matin elles pilent le riz ou le mil, puisent l'eau à la source ou à la rivière, nettoient le four, préparent le repas du matin et le servent à la famille, lavent la vaisselle, donnent à manger aux animaux domestiques, s'occupent des enfants. En fin de matinée et en début d'après- midi, elles coupent l'herbe pour le bétail, ramassent le bois sec, emmènent paître les animaux, transportent le terreau ou le fumier dans les champs, préparent la nourriture pour les animaux, s'en vont aider le mari dans les travaux saisonniers aux champs, font la lessive et finalement prennent un bain. En fin d'après-midi et le soir, elles font le ménage dans la maison, ramènent le bétail dans l'étable, traient les vaches, nettoient l'étable, pilent ou broient le grain, puisent l'eau, préparent le repas du soir et le servent à la famille, mangent elles-mêmes, nettoient l'endroit où la nourriture a été préparée et font la vaisselle. La nuit tombée, les paysannes de la région de Seti pilent à nouveau le grain pour le lendemain, préparent à nouveau la nourriture pour les animaux et recommencent le lendemain.
UNE EXPÉRIENCE PILOTE Face à une vie aussi pénible, il est légitime de se poser la question : comment améliorer la vie des femmes rurales surchargées de travail, comment les aider à s'ouvrir vers l'extérieur et leur donner une chance d'améliorer leur condition, à elles et à leurs filles ? L'Unesco a tenté de trouver une réponse a cette question en acceptant la demande du gouvernement du Népal de mettre sur pied un programme expérimental de développement rural mis en œuvre en 1981 dans la zone de Seti par l'Unesco, en coopération avec l'Unicef et avec une assistance financière du programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et des fonds des États arabes du Golfe pour le programme des Nations Unies pour le développement (AGFUN). Parmi les activités multiples de ce projet où l'éducation est l'élément catalyseur de développement, l'éducation des jeunes filles et des femmes occupe une place importante. Les besoins en la matière étant considérables. En effet les données statistiques du Ministère de l'Éducation du Népal datant de 1980 montrent que, dans les trois districts couverts par le projet (Doti, Bajhand et Bajura) où l'on compte 278 écoles primaires (1-3 degrés), 128 écoles secondaires du premier cycle (4-7 degrés), le pourcentage moyen des effectifs des filles est de 7 % dans le primaire et 2 % dans le secondaire, alors qu'au niveau national il est respectivement de 28 % dans les écoles primaires et 21 % dans les écoles secondaires. Il n'est pas rare de ne rencontrer dans la zone de Seti aucune fille dans la classe et parfois même dans l'école. Quand elles sont présentes, elles n'y restent générale- ment qu'un ou deux ans puis retournent chez leurs parents et se marient peu après entre 13 et 15 ans. Une fois mariées, elles suivent leur mari dans la maison des beaux-parents où elles restent complètement à la merci d'une belle-mère toute-puissante et redoutable qui les traite en servantes. Toute chance de poursuivre une éducation est perdue pour elles, leur avenir étant lié au bon vouloir du mari et de la belle-mère. Afin de donner une chance à ces jeunes filles et ces fillettes particulièrement défavorisées et discriminées, non seulement en raison de leur sexe, de leur existence dans une zone rurale sous-développée, mais aussi du fait de la caste inférieure à laquelle elles appartiennent souvent, afin de les aider à sortir de leur misère, de leur ignorance et de leur état d'infériorité, afin de les sensibiliser, elles et les habitants du village, sur l'importance de l'éducation en général et celle des femmes et des jeunes filles en particulier, le projet « Éducation pour le développement rural » a développé un programme éducatif spécialement destiné aux fillettes qui ne fréquentent pas l'école et n'ont aucune chance d'y aller : les classes des Cheli BETI*. Ce programme original et fait sur mesure se devait de prouver que l'éducation constitue une force vive de progrès et une condition essentielle à l'amélioration de la condition des femmes rurales et de leurs filles. Les objectifs du programme cheli-beti destiné aux trois districts de la zone de Seti : Doti, Bajhand et Bajura ont été définis de la manière suivante : - améliorer le statut des jeunes filles et des femmes dans les villages, - développer chez elles le sens de l'identité en leur apprenant à lire, écrire et compter, - améliorer les conditions d'hygiène, de santé, d'habitat et de vie en général dans les familles et les communautés, - promouvoir la participation des femmes dans les activités diverses de développement, - augmenter les effectifs féminins dans les écoles. Après plusieurs visites dans les villages et suite à des études approfondies sur les conditions de vie des habitants dans les villages et les besoins réels en matière d’éducation, l'équipe du projet élabora un programme de formation à l'intention des petites filles. Pendant 160 jours, des centaines de fillettes des différents villages de la région allaient dorénavant se réunir soit dans une case destinée à cet effet, soit dehors. Assises sur des nattes, un tableau noir devant elles, avec l'aide d'une institutrice spécialement formée pour cela, elles allaient apprendre deux heures par jour à lire, à écrire, compter, jouer et chanter et faire toutes sortes de choses qui allaient rendre leur vie quotidienne plus agréable et plus facile. Une classe de cheli-beti peut être organisée dans chaque village, à condition qu'une enseignante qualifiée accepte de l'encadrer et que 20 à 25 fillettes âgées de 6 à 12 ans, qui ne fréquentent pas l'école, y participent. Les classes ouvrent leurs portes en novembre ou décembre pour une durée de 160 jours. Chaque leçon dure deux heures et peut avoir lieu le matin ou dans la journée à la meilleure convenance des participantes. Le programme d'enseignement est centré autour d'un « rôle- modèle » que joue, dans le manuel dont disposent les fillettes, Kamali, une petite villageoise qui vaque à ses occupations quotidiennes. Bien que semblable à ses petites camarades du village. Kamali se comporte d'une façon exemplaire, suffisamment toutefois pour permettre aux cheli-beti une identification positive à leur héroïne. Quand les conditions requises pour ouvrir une classe de cheli-beti sont remplies, la communauté villageoise fournit un local approprié, des nattes et du mobilier. Le projet garantit le matériel et les services rémunérés d'une enseignante spécialement formée.
L'HISTOIRE DE KAMALI Kamali est une petite fille rurale, issue de la caste inférieure. Accompagnée d'images, sa vie quotidienne est racontée dans un manuel dont se servent les élèves. Elle vit avec ses parents entourée de voisins et d'amis. Tous les mots utilisés pour raconter ses diverses occupations sont familiers et couramment utilisés par les fillettes. L'histoire de Kamali commence dans la maison de ses parents, puis successivement Kamali nous emmène en dehors de sa maison, chez des voisins, dans le village, de district puis dans le pays qui est le sien, le Népal. Kamali a un père, une mère et un petit frère. Son père est un paysan et fait vivre la famille de son travail d'agriculteur. Il était analphabète mais s'est inscrit à un cours d'alphabétisation fonctionnelle pour adultes. C'est pourquoi il encourage sa propre fille à fréquenter régulièrement les classes de cheli-beti. Kamali a des petites amies : Sita, Meena, Mira, Rita, Radha, Rama, Gita. Certaines d'entre elles participent à la classe de cheli-beti. Kamali apprend beaucoup de choses utiles dans la classe, Elle s'efforce d'utiliser ses nouvelles connaissances dans sa vie quotidienne. Elle apprend à être propre, à se laver les mains, le visage, les dents et les cheveux. Tout cela lui est inculqué pendant la classe, avec les autres élèves du groupe. Puis elle fait la même chose à la maison et apprend à le faire à ses petites voisines. Ses amies veulent bien l'imiter, sauf Rita qui ne veut pas l'écouter. Kamali apprend comment embellir la maison et la rendre propre et agréable. Elle aide sa mère à bien nettoyer la cour et les murs de la maison. Elle participe aussi à la construction de la fosse à déchets et des latrines. Mais elle n'arrive toujours pas à convaincre Rita que tout cela est utile et nécessaire. Comme toutes les autres fillettes du village, Kamali garde les vaches et les chèvres. Elle ramasse et appose le bois sec à la maison, elle puise l'eau de la rivière, aide ses parents dans les travaux des champs. Elle aide beaucoup sa mère dans les travaux ménagers : pile le grain prépare les repas, s'occupe du jardin, plante des arbres fruitiers et des légumes. Rita l’observe et petit à petit se met à l'imiter. Kamali l'aide alors très volontiers. Le père de Kamali aide sa femme dans la préparation de l'huile, dans les travaux des champs et même ceux de la maison, ce qui n'est pas très commun dans le village. Mais bientôt les voisins, voyant la mère de Kamali si contente et moins surchargée de travail, commencent eux aussi à aider leurs femmes. Alors la mère de Kamali ainsi que les autres femmes peuvent aller, elles aussi, au cours de formation pour adultes. Quand le petit frère de Kamali a eu la diarrhée, la famille a demandé l'avis de l'agent sanitaire et utilisé des médicaments. Alors que souvent, les petits enfants du village en mouraient, le petit frère de Kamali survécut. Depuis, tous les voisins vont, eux aussi, au centre sanitaire demander des conseils. Le père de Rita ainsi que d'autres villageois, cultivent du tabac dans leurs jardins. Le père de Kamali, lui, cultive des légumes. C'est pourquoi la famille peut manger le riz avec des légumes et, s'il en reste, ils sont vendus au marché. Il est d'usage dans ces villages de vendre les jeunes filles à la future belle-famille et de les marier très jeunes. Quand Kamali a terminé l'année de classe cheli-beti, ses parents l'ont envoyée à l'école. Quelques années plus tard, elle fera elle-même la classe cheli-beti dans son village. Elle s'efforcera alors d'expliquer aux parents que leurs filles ne sont pas à vendre comme une marchandise et qu'ils doivent leur laisser le choix de leurs époux et ne pas les obliger à se marier trop jeunes. Elle dénoncera aussi les injustices que subissent les habitants du village appartenant à la caste inférieure et les encouragera à les combattre. Kamali s'efforcera aussi de faire comprendre aux villageois la raison de l'érosion des sols et, avec l'aide de ses parents, des voisins, elle organisera une action communautaire de reboisement des forêts. Elle réussira plus tard à persuader ses amies d'envoyer leurs filles à l'école. Depuis lors, beaucoup de mères acceptent que, tout comme leurs fils, leurs filles fréquentent l'école. Kamali, la petite fille villageoise de la caste la plus défavorisée, est devenue une femme adulte, consciente de sa valeur en tant qu'individu et en tant que femme, ouverte aux problèmes de la communauté et du pays. Pendant 160 leçons, les cheli-beti suivent les péripéties de la vie de Kamali avec le plus grand intérêt en s'attachant de plus en plus à leur héroïne. Elles ne découvrent qu'à la fin de l'histoire que Kamali est issue de la caste inférieure. Cette découverte en bouleverse plus d'une, mais le processus d'identification est si avancé que, même intouchable Kamali reste une petite sœur modèle dont elles continueront a suivre l’exemple,
LA MÉTHODOLOGIE Sur un total de 160 leçons, le programme d'enseignement comprend 132 leçons de lecture et d'écriture, 19 leçons de calcul, 22 activités pratiques, 16 chansons éducatives et 28 jeux. Il est connu de telle manière que, pendant 75 leçons, tous les mots-clé y sont introduits, chaque ensemble de mots- clé étant accompagné d'activités pratiques. Par exemple :
À partir de la 76ème leçon, le programme introduit des slogans, toujours accompagnés d'activités pratiques. Par exemple :
Les dernières leçons sont basées sur des sujets plus généraux, sortant du contexte familial et ayant une relation directe avec l'amélioration de la vie des habitants du village et, en particulier, celle des jeunes filles et des femmes. Par exemple :
Chaque leçon dure deux heures, avec au moins deux interruptions. Pendant la première récréation, les fillettes chantent une des six chansons prévues au programme et spécialement écrites pour elles. La seconde pause est consacrée aux jeux. La maîtresse dispose à cet effet d'un guide élaboré spécialement pour les classes de cheli-beti. Certaines des activités pratiques prévues dans le programme nécessitent le temps d'une leçon entière ou plus. D'autres, plus simples et plus coudes (laver les vêtements, se laver les dents, nettoyer la cour, etc.), ne prennent qu'une partie de la leçon. Sur l'ensemble des 160 leçons, une sur quatre inclut tes travaux pratiques. Chaque maîtresse de classe est équipée d'une fiche d'un guide pédagogique avec des instructions générales et d'un plan de la leçon. Elle dispose également d'un guide spécial pour les activités pratiques et pour les jeux. Les classes de cheli-beti sont toutes encadrées par des femmes, condition sine qua non du succès de l'expérience.
LES ENSEIGNANTES La formation des maîtresses de cheli-beti se fait au moyen d'une formation initiale de 35 jours. De plus, un recyclage de deux jours est organisé pendant la période d'enseignement. Celles qui se décident à enseigner une seconde année bénéficient d'un recyclage supplémentaire de 7 jours la seconde année. Les participantes aux cours de formation sont aussi bien des femmes mariées que des jeunes filles. Certaines viennent avec leurs petits enfants, pour lesquels une garderie est organisée pendant toute la durée du cours. L'âge des participantes varie de 14 à 40 ans. Leur niveau d'éducation, de culture générale et d'hygiène varie considérablement d'une personne à l'autre. De plus, elles représentent des castes différentes. C'est pourquoi la tâche la plus difficile pour les organisateurs et les professeurs est de créer dans le groupe un esprit de corps, de convivialité et de solidarité.
Pendant les 25 jours de formation initiale, les participantes reçoivent un maximum de connaissances en méthodologie de l'enseignement. Le micro-enseignement y est appliqué dans tous les domaines, aussi bien pour l'alphabétisation, le calcul, les activités pratiques que pour l'apprentissage des chansons. Les activités pratiques font partie intégrante du programme et le formateur utilise à cet effet les modèles de démonstration les plus appropriés. Le programme de formation initiale est conçu de manière à initier ou développer chez les futures enseignantes des classes de cheli-beti les attitudes et les connaissances nécessaires et, en particulier : - prise de conscience de leur statut économique, social et culturel ; - le besoin de veiller à leur hygiène personnelle ; - des connaissances de base en planification familiale ; - des aptitudes à organiser des activités productives ; - des notions de santé et d'hygiène, de nutrition, d'agriculture, d'utilisation des ressources en eau, de l'exploitation des forets, etc. ; - la conscience de l'importance de l'éducation pour les femmes et les petites filles et des activités tendant à améliorer leur condition et la vie des habitants du village ; - la connaissance des conditions socio-économiques, politiques et culturelles dans lesquelles elles vivent. ; - les moyens de s'exprimer librement ; - la compréhension de la philosophie et des objectifs du projet Unesco d'éducation pour le développement rural dans la zone de Seti ; - la maîtrise nécessaire pour mettre en pratique dans les classes de cheli-beti les connaissances acquises, y compris la méthodologie de l'enseignement, les activités pratiques, les jeux, etc. ; -
la capacité d'écrire des articles dans la presse
locale
;
- l'ouverture nécessaire pour créer dans leurs communautés respectives des attitudes positives à l'égard de l'éducation des femmes et des filles et du progrès en général.
LES PROBLÈMES ET LES PERSPECTIVES Du fait qu'il constitue une innovation, le programme cheli-beti rencontre certaines difficultés dans son déroulement. Tout au début les problèmes auxquels étaient confrontés les organisateurs étaient tels qu'il a fallu fermer quelques classes. En effet, le nombre de fillettes dans le groupe prévu pour 20 personnes diminuait considérablement, souvent de la moitié. En outre la régularité de la fréquentation aux cours laissait à désirer. Les fillettes s'absentaient trop souvent et se trouvaient dans l'impossibilité de suivre le programme avec l'efficacité voulue. Le niveau de connaissance des élèves devenait trop disparate. Souvent les maîtresses cessaient d'appliquer la méthodologie d'enseignement spécifiquement élaborée pour les cheli-beti dans laquelle elles avaient été formées et revenaient à l'enseignement formel qu'elles avaient connu à l'école. Afin de redresser la situation en 1984, des modifications furent apportées à l'expérience. Le programme de formation des enseignantes et celui des classes de cheli-beti furent simplifiés, leur contenu et leur présentation améliorés. Il fut fait plus souvent usage des méthodes de micro-enseignement. On demanda aux maîtresses de ne pas accepter dans les classes des filles trop jeunes ou trop âgées et de s'en tenir à la moyenne d'âge entre 6 et 12 ans. On élabora des guides pédagogiques plus maniables et plus simples et le programme d'enseignement a prévu davantage d'activités pratiques et de jeux. Depuis lors, la situation dans les classes de cheli-beti s'est améliorée tant en ce qui concerne la participation que le niveau des connaissances. Une des difficultés majeures qui entrave le développement de l'expérience est le manque flagrant de femmes qualifiées capables d'assumer la responsabilité de la mise en ouvre du programme et disposées à le faire. Quand elles sont suffisamment qualifiées et qu'elles pourraient faire partie de l'équipe féminine du projet, elles ne sont pas toujours disposées à partir, même à plusieurs, pour les visites dans les villages. Ce travail qui exige une bonne connaissance du terrain et un contrôle permanent des classes de cheli-beti demande du temps dont les femmes ne disposent pas toujours. D'autre part, il est difficile de recruter des maîtresses pour les classes de cheli-beti en nombre suffisant étant donne la participation limitée de filles dans les écoles. En dépit de toutes ces difficultés, plus de deux mille fillettes ont pu bénéficier du programme cheli-beti depuis le début de l'expérience et, pour la seule année 1986, 160 enseignantes ont été formées. Actuellement la participation des élèves aux classes est d'environ 65 %. Ce pourcentage est difficile à améliorer étant donné les réticences encore très fortes des mères à leur envoyer leurs filles dans les classes et aussi en raison des occupations diverses qui obligent les fillettes à rester à la maison. En ce qui concerne le niveau des connaissances acquises par les fillettes, il est évalué à environ 50 % des résultats escomptés, le calcul s'étant avéré le plus difficile à assimiler par les élèves. Le résultat, considéré comme le plus important de cette expérience éducative de fillettes villageoises et difficile- ment quantifiable, est d'avoir initié et développé chez les petites filles un sentiment de fierté et de respect pour elles- mêmes en tant qu'individus, une prise de conscience de leur propre valeur en tant que filles et la conviction que les limitations qui leur sont imposées ne sont pas immuables. Les classes sont devenues une partie si visible de la vie du village qu'il est dorénavant impassible aux habitants de les ignorer. Elles constituent en même temps un défi formidable au conservatisme condamnant les femmes à l'ignorance et à l'isolement. Il était possible d'espérer que les classes de cheli-beti inciteraient les parents à envoyer par la suite leurs filles à l'école afin de leur permettre de poursuivre leur éducation. Malgré l'immense intérêt des parents jour cette nouvelle formule d'enseignement, Il a été constaté que relativement peu de fillettes, l'année de classe cheli-beti terminée, se retrouvent sur les bancs de l'école. Par contre les demandes pour l'organisation d'une seconde année de classe affluent. C'est pourquoi, à partir de l'année 1986/87, le développement du programme cheli-beti a été envisagé comme partie intégrante d'une campagne plus vaste, visant à améliorer l'accès des filles à l'éducation et à encourager leur participation à l'éducation formelle.
Dans le cadre des activités de sa seconde phase, le projet Unesco organisera et mettra en ouvre un programme scolaire spécial pour les cheli-beti. Des cours faisant suite à la classe cheli-beti, basés sur les curricula des 1e, 2e et 3e années de l'enseignement primaire, seront mis en place, Ces cours intensifiés couvriront en 12 mois les programmes de la première à la troisième année. Ils auront lieu dans l'enceinte de l'école, mais en dehors des horaires scolaires et seront encadrés par des enseignantes spécialement formées. Après avoir terminé ce cours d'enseignement intensifié, les cheli-beti pourront entrer directement en quatrième année d'école primaire et poursuivre une scolarité normale. Dans cet effort d'augmentation des effectifs féminins dans les écoles de SETI, les directeurs, les maîtres, les comités de gestion des écoles et les responsables locaux auront un rôle très important à jouer. De leur engagement et de leur soutien dépendra largement le succès de l'entreprise. Le contact sera maintenu avec les enseignantes spécialisées pour les classes de cheli-beti et leur expérience et qualifications continueront d'être utilisées. Les comités de gestion des écoles seront fortement encouragés à les employer comme maîtresses d'écoles. Les meilleures auront la priorité dans la sélection pour des stages de formation des maîtres qui dureront dix mois. Elles seront également utilisées pour l'encadrement des cours d'alphabétisation fonctionnelle pour adultes, là où la participation des femmes est particulièrement élevée. Finalement,
pour que le programme d’éducation des cheli-beti,
si bien
ancré dans les réalités locales, ne
reste pas au
stade d’une simple expérience pilote, il est
prévu de
l’améliorer encore, de multiplier le nombre de
classes dans
les districts du projet et d’intensifier les efforts pour
étendre
l’expérience dans d’autres parties du
Népal, et en
faire si possible, un vrai programme national
d’accès à
l’éducation des jeunes filles et des femmes des
zones
rurales. Krystyna CHLEBOWSKA * Cheli Beti : petite fille en népalais.
RÉFÉRENCES 1. Document du projet Éducation pour le développement rural dans la zone de Seti, Phase I(1981) 2. Rapport final du projet Education for rural Development in Seti zone –Projet findings and recommendations, 1985 3. Rapport d’évaluation interne du projet Éducation pour le développement rural dans la zone de Seti (Evaluation study report by rhe research center for Educational innovations and development) (CERID, Kathmandu) 1986 4. Document du projet Éducation pour le développement rural dans la zone de Seti,Phase II 5. Rapport de l’atelier sur Comment l’éducatuon peut-elle amékiorer le statut des femmes à Dot, Gajhang et Bajura ? Népal, 1983. Dr Shashi Maya Shrestha, spécialmiste de l’éducation des femmes , projet de Seti, Népal. 6. « Le programme de Cheli-beti-un pont », par R.C. Deevkota, consultant, Projet de Seti, Népal. |