edito27

L'auteur d'un roman qu'on lit dans le train fait dire à un de ses personnages, « terroriste » du Moyen Orient partant pour l'Europe, qu'il se rend dans des pays où les intellectuels de gauche se procurent des états d'âme avec les imperfections de leurs systèmes scolaires... VoilA, alors qu'on ne lisait pas un tel livre pour en arriver là, qui relativise les préoccupations ! Passent dans la tête des images du Bengladesh et du Sahel alors qu'on pensait à l'amélioration du savoir-lire des gosses de la banlieue parisienne. On songe à la majorité silencieuse de la misère, de la faim, du complet dénuement. Car les pauvres sont les plus nombreux sur la planète, et silencieux puisqu'on les massacre dès qu'ils bronchent. Au Brésil, en Colombie, aux Philippines, ailleurs.

« Ce monde a perde la raison. »* Les mouvements de libération éliminés, les idéologies tuées, le néo-libéralisme imposé par les riches fait rage et crée des ravages partout, y compris dans ce « continent économique » qui se crée sous nos yeux, y compris dans le pays du dollar, où sont apparues des poches de pauvreté et de marginalisation. Mais les nations nanties proposent pourtant leur sanguinaire loi du marché et leur modèle de développement meurtrier comme solutions à ceux qui regardent leur opulence et leurs surplus. Comme si cette abondance ne provenait pas du pillage et ne se nourrissait pas du sous-développement. Nous brandissons bien haut les droits de l'homme car leur universalité nous tient à cœur, comme si beaucoup, les trouvant décidément trop pervertis par la loi du profit, n'en exprimaient pas un rejet violent en se réfugiant dans des intégristes archaïques. Alors, la lecture...

En 1791, Robespierre se bat pour le suffrage universel contre les « honnêtes gens » pour qui la révolution est arrivée à ses fins : la France est gouvernée par le Roi et les propriétaires. La Convention, élue par tous**, sera composée des mêmes ! Combat prématuré, pour un peuple analphabète et soumis aux puissants depuis des siècles ? En 1989, les démocraties parlementaires du Nord qui mettent des terres en jachère dictent de plus en plus insolemment leur loi au Sud qui souffre tragiquement de pénurie alimentaire. Au nom de leurs habitants. Avec les dirigeants qu'ils ont choisis... Certes, il y a les égoïstes, les difficultés de chacun, mais on peut penser que les gens ne « savent » pas, sont trompés, car le système est complexe, ses rouages camouflés, ses effets lointains. Il faut penser qu'une majorité avertie ne serait pas d'accord.. .

Si la lecture est le meilleur moyen pour savoir, pour démasquer le discours dominant, pour « dégager l'essence de l'apparence », pour secouer une torpeur entretenue par la distraction médiatique... il faut croire que la lutte contre les imperfections de nos systèmes éducatifs vaut la peine. Il faut.

* Claude JULIEN, après un tour d'horizon sans concession dans « Le Monde diplomatique » Juillet 1989.