La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°52  décembre 1995

___________________

La réécriture 

On connaît Genèse du texte, ce traitement de texte qui mémorise les opérations d'écriture et en restitue la succession pour en permettre l'observation grâce à un module d'analyse (Cf. A.L. nø38, juin 92). On sait aussi qu'une recherche-action que nous avons longuement présentée (et notamment dans les "dossiers" consacrés aux recherches de l'AFL dans les 4 numéros parus en 1995) se proposait d'une part d'examiner quelles interventions didactiques nouvelles provoquait dans le cadre de l'enseignement de l'écriture la création d'un "observable" jusqu'alors impossible et d'autre part de conduire une étude sur la naissance et la génétique du texte. 
L'article de Geneviève Dautry, professeur au collège de Saint Ambroix, est présenté ici en "avant première" du rapport final de cette recherche.  

 

Dans sa présentation des actes du colloque de Cerisy sur la réécriture, Claudette Oriol-Boyer écrit que "tout texte est le résultat d'une série de transformations, et, en même temps, le point de départ d'une infinité d'autres." Pour reprendre la définition qu'elle cite elle-même : 
"Récrire, d'après Littré, c'est : 
1. écrire de nouveau ce qui est écrit. 
2. rédiger de nouveau. (Ce morceau n'est pas bien écrit, il faudra le récrire)". 
"Réécrire a été choisi plutôt que "récrire" "le signifiant se conformant davantage à ce qui est signifié". 
Réécrire, c'est copier et améliorer. "Apparaît en filigrane, la fondamentale duplicité de la réécriture qui, de la duplication, conduit sans rupture à la complication : car réinscrire le même ouvre un nouvel espace, oblige à toutes espèces de métamorphoses minuscules, bref, incite à mieux rédiger." C. Oriol-Boyer s'attache plus particulièrement aux transformations "qui sont mises en oeuvre au cours de la production d'un texte objet d'art scriptural", mais l'expérience montre que la réécriture est au centre de tout apprentissage de l'écriture. 
Et si enseigner l'écriture, c'est enseigner les règles d'amélioration d'un texte, on peut espérer que le logiciel Genèse, en permettant l'observation, puis la mise en oeuvre des gestes correcteurs est un outil précieux pour l'enseignant. 
L'utilisation de ce logiciel, en donnant accès au processus d'élaboration des textes d'élève oblige les enseignants à reconsidérer leurs manières d'intervenir sur des textes qui se construisent mot après mot sous leurs yeux et dévoilent une part de leur complexité. 
Leur attention ainsi sollicitée se porte sur le travail d'écriture qui se manifeste par des choix, des redites, des réécritures. Si "savoir écrire, c'est savoir changer ce qu'on vient d'écrire" (Ricardou) l'enseignant utilisateur de Genèse ne peut pas faire l'économie d'une réflexion sur la réécriture comme moyen d'appropriation de la langue. 
 
 

I. LA REECRITURE SUR PAPIER : 
résistances et difficultés de la mise en pratique. 

Pourtant, ces pratiques de réécriture ne se sont pas généralisées dans les cours de français. 
À quelles résistances se heurtent-elles ? En quoi transforment-elles les pratiques déjà mises en place et les représentations de l'écrit scolaire qui les ont générées ? 
De façon générale, l'école ignore les tâtonnements, les erreurs, les impasses, et enseigne des savoirs qui apparaissent comme des vérités absolues, éternelles et intangibles parce qu'elle n'en montre jamais les conditions d'émergence. 
Ceci se vérifie plus particulièrement dans les cours de français : souterraine, mais bien présente, l'idéologie suivant laquelle écrire n'est que le résultat d'un don rend impossible une véritable didactique de cet art sacré et secret qui reste l'apanage d'une minorité. 
Pourtant de plus en plus d'écrivains acceptent de discourir sur leurs pratiques ; d'autre part l'étude et la parution de manuscrits témoignent que la production d'un texte est le résultat d'un long travail plus que le fruit d'une capacité innée. Ces "avant-textes" révèlent comment avec de la langue on finit par fabriquer du texte. 
Une tendance à l'intégration d'outils théoriques (Ricardou, Perec...) renvoie à une conception de l'écriture comme travail "sur le matériau langage". 
Mais si la réécriture permet d'envisager une véritable didactique de l'écrit, encore faudrait-il analyser les diverses modalités de réécriture et avoir les moyens de la théoriser : comment passe-t-on de la correction à la réécriture ? Existe-t-il des modes d'intervention intermédiaires ? Qui réécrit ? Dans quel but ? Quels moyens donne-t-on à l'élève de réécrire son propre texte ou celui d'un pair ? L'enseignant peut-il être considéré comme un "expert" en réécriture ? 
Enfin, si réécrire c'est améliorer, il n'en reste pas moins vrai que la notion même d'amélioration serait à interroger. Elle suppose en effet que l'enseignant ait une idée claire de ce qu'est un "bon texte" vers lequel tendraient les stratégies de révision. Et s'il ne s'est jamais confronté lui-même à la pratique de l'écrit, comment éviterait-il de proposer un modèle de réécriture qui lui serait imposé non par sa pratique scripturale mais par sa pratique d'enseignant de Lettres ? Les réécritures produites par différents enseignants montreront qu'elles s'appuient sur les goûts, les lectures de chacun, mais surtout sur une conception d'un écrit à l'école. 

Comment enseigne-t-on l'écrit aux élèves ? Leur permet-on, à l'école, de construire leur savoir sur l'écrit ? 
L'école fait entrer les enfants dans l'écrit par un seul volet : la lecture. L'enseignant de Lettres, lui-même, a été formé à la lecture des textes, à leur commentaire, et non à leur production. L'art de lire est la préoccupation dominante. Pourtant, comme nous le verrons, certaines expériences "d'action-lecture" ont conduit les enseignants à infléchir leur politique, conscients de ce que la prise de risques de l'entrée par l'écriture rend les élèves plus actifs dans la constructions de leurs propres savoirs. Ecrire un texte, le travailler comme un objet, permet la lecture distanciée d'autres textes. Mais la question de l'apprentissage se pose ici d'une manière particulière puisque l'objet à connaître est aussi un objet pour connaître. Il est vrai aussi que l'école privilégie l'écrit comme moyen de communication et donne peu de place à une réflexion sur sa spécificité comme outil de pensée. 

Apprentissage de l'écrit du côté de l'élève. 
Il semblerait que les élèves soient plus souvent enseignés qu'apprenants et que "l'expression écrite" leur apparaisse comme un donné, et non comme un "construit en réponse à des questions". 
Ceux qui "réussissent" en français sont ceux qui ont su se plier à ce que l'école attendait d'eux. Ils produisent sans souffrance un texte correct du point de vue de l'orthographe et de la syntaxe, un texte enfin qui ne bouleverse pas les attentes du lecteur correcteur. Et c'est ce produit-là qui sera présenté comme référence, but à atteindre, à ceux qui ont quelques difficultés à se soumettre aux normes. 
Si on se réfère aux données recueillies par la recherche Articulation Ecole-Collège citées par H. Romian (Apprendre/enseigner à produire des textes écrits), " le travail en classe porte sur ce qui inspire ou organise la rédaction, pas sur ce qui en fait un exercice d'écriture ". Le travail de préparation de la rédaction le plus courant est la mise au point des plans, la recherche collective des idées et le travail sur les champs lexicaux qui doivent traverser le texte. Enseigner le français au collège doit permettre de résoudre ne priorité des problèmes de "correction de la langue" même si les critères les plus importants pour une bonne rédaction sont " la cohérence des idées et dans une moindre mesure, le respect du sujet. " 
La correction portera donc sur tout ce qui écarte le texte d'un modèle d'écrit proche du "français standard normalisé". Le scripteur de ce texte-là ne connaîtra ni les affres de la création, ni ses joies ! Mais aura-t-il appris à écrire, celui qui s'est contenté d'organiser - dans un ordre pré-"établi" - les séquences narratives ou les arguments qu'on avait programmés pour lui ? Et quel est ce texte qui, loin d'ébranler les attentes de son lecteur, s'applique au contraire à s'y conformer au plus près en gommant les effets de surprise et en s'interdisant tout interstice où le lecteur pourrait se glisser ! 
La rédaction ou l'expression écrite - mais qu'a-t-on changé à travers ce changement de dénomination ? - ne permet pas aux élèves de faire l'expérience de l'écriture. Tout au plus auront-ils appris les règles d'un rituel en usage uniquement dans la communauté scolaire. 

Du côté de l'enseignant. 
L'enseignant de son côté obéit aux règles tacites : il lit rarement les productions de ses élèves comme il a appris à lire d'autres textes. Devant son paquet de copies, le correcteur n'éprouve pas souvent cette jouissance du "bruissement de la langue" dont parle Barthes ! Il peste contre les poncifs égrainés dans les devoirs ; il s'ennuie et accumule les "plat", "lourd" ou "mal dit" dans la marge... loin de considérer ce produit comme une force nouant une écriture-lecture, " force activée par son entrée en jeu ", il reste en-deça d'une position de lecteur expert, et ne parvient qu'à émettre des suggestions de corrections superficielles. 
Mais - c'est bien le paradoxe - l'école ne génère-t-elle pas elle-même ce dont elle se plaint ? 
 
 

2. TENTATIVES DE REECRITURE
avant l'utilisation du logiciel Genèse 
Quelles vont être les conséquences d'une pratique de réécriture sur l'enseignant et sur sa représentation du texte scolaire ? 

S'il introduit la pratique de réécriture, l'enseignant, de correcteur deviendra lecteur. Chercher dans le texte des pistes de réécriture exige de se placer dans une position de lecture distanciée. Le regard porté sur les productions des élèves s'en trouvera changé. En retour, ces productions évolueront puisqu'elles seront considérées comme des textes destinés à être lus et non plus comme des devoirs destinés à être corrigés. Dans ce mouvement de va-et-vient pourrait être envisagée une didactique de l'écrit. De la norme linguistique on passerait à une autre représentation de l'écrit. 
Soit un élève de 6ème. Il s'agissait d'un article destiné à être publié dans le journal du collège. Il a été distribué à un groupe d'enseignants de français en formation. 
Dans un premier temps, on a demandé aux enseignants de corriger ce texte comme ils le font pour les textes de leurs propres élèves. 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

DOC.1A. Les observations portent sur " l'expression des sentiments et des impressions " de l'élève, mais rien n'est dit de ce que le lecteur en a compris. Les mots de conclusion " Le collège, c'est bien ! " ont été entourés et annotés. "Mot vide de sens" note le professeur. S'agit-il là d'un encouragement à trouver un synonyme moins rebattu ou bien a-t-il pointé - à son insu ? - la contradiction qui faisait que, derrière ce discours explicite ("le collège, c'est bien !") tout le texte laissait entendre implicitement le contraire ? 
L'élève lui-même a-t-il été conscient de ce qu'il donnait à voir derrière son argumentation si "bien menée" ? 
" Il faudrait retravailler le plan " conseille le professeur. Si l'élève retravaille son texte en réorganisant ses phrases, il aura répondu à ce qu'on attend de lui ; une description du collège en introduction, puis une discussion. Il connaît probablement ce plan canonique qui répond au sujet : Décrivez et donnez vos impressions... Son texte perdra alors ce balancement qui lui était propre, et l'élève, qu'aura-t-il gagné ? 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

DOC.1B. : La décomposition de la note en quatre critères d'appréciation participe d'une volonté d'échapper au flou qui caractérise l'évaluation d'une copie de français. Mais la mise au point d'une fiche de critères, même si elle est élaborée avec les élèves et renouvelée pour chaque devoir, élimine de fait la spécificité de l'écrit, le débordement du projet initial. 
Dans la correction citée ici, les critères eux-mêmes sont à la fois trop vagues et paralysants. Les présupposés dont ils témoignent obstruent toute possibilité de prise en compte du texte. Le fonctionnement bien particulier du texte, son côté "décousu" justement, est évalué ici à l'aune d'une composition modèle conçue en dehors de toute mise en mots. 
Dans un deuxième temps, il a été demandé à d'autres professeurs d'analyser ce même texte d'élève dans l'optique de réécritures possibles. 
Le fait d'avoir à proposer des possibilités de réécritures a incité les enseignants à faire de la production de l'élève une lecture analytique et à reconsidérer à la fois leur propre statut et celui du texte. De correcteurs, ils sont devenue lecteurs d'un texte porteur de multiples possibles. 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

DOC.1C : Ce qui était apparu comme effet d'une maladresse et d'une méconnaissance des règles de composition est cette fois reconnu comme "signant" le texte. L'enseignant est entré dans la logique de l'élève et c'est de ce lieu qu'il élabore une stratégie de remédiation. Jean Bellemin-Noël, dans Interlignes. Essais de Textanalyse (Ed. Presses Univers. de Lille) attire notre attention sur le fait que " les mots ont tendance à faire écran. Seule la syntaxe ne ment pas (...) Au lecteur d'entendre derrière la manoeuvre de séduction d'un texte ce qu'il "déparle" en l'écrivant ailleurs. " 
Naturellement il n'est pas question de demander aux enseignants de faire ce que Bellemin-Noël appelle de la "textanalyse". Avoir l'oeil en éveil suffit pour traquer ce qui transparaît d'une autre structure possible derrière le bel ordonnancement argumentatif du texte d'élève présenté ici. Alors que dans la première partie le "nous" était sujet ("nous étions", "nous avons", "nous savons"...), "nous" devient objet dans la deuxième partie du texte, et c'est le collège, "ses fenêtres", "ses carrelages", "ses couloirs" qui devient sujet. Si, guidé par l'enseignant, l'élève relit son texte, conscient de cette disparition, il comprendra que l'utilisation ou non d'un pronom personnel donne du sens à son texte et lui permet même d'aller plus loin dans sa réflexion. 
Sur un mode ludique, d'autres professeurs ont proposé des réécritures possibles en s'inspirant de titres de films faisant autant que possible référence à la culture des élèves : 
- A la recherche du "nous" perdu 
- J'ai rétréci les gosses 
- Le grand Bleu 
- Y a-t-il un pilote dans l'avion ? 
- Sauvés par le gong 
- La piscine 
- Un monde fou, fou, fou 
Chaque titre, chaque réécriture possible, a été motivé par ce qui était en germe dans le texte devenu pré-texte. Plusieurs élèves pourraient travailler à la rédaction de ces articles qui, chacun à sa manière, exploiterait un aspect du texte. Certaines de ces pistes seraient peut-être des impasses, mais qu'importe, si d'autres permettaient d'avancer encore plus loin dans la maîtrise de la langue et dans la connaissance de soi et du monde, puisque, n'ayons pas peur des mots, c'est aussi de cela qu'il s'agit ! 
L'enseignant ne se contenterait pas d'imposer un titre à chaque réécriture. Il proposerait pour chaque réécriture un travail de recherche ou apporterait son aide dans l'élaboration des reprises thématiques ou des reprises de structures : Emploi métaphorique de "nager" ou de "poissons dans l'eau" ; exemples volontairement absurdes d'articulations cause/conséquence induites par le texte lui-même (" Nous avons grandi donc nous sommes plus petits... comme le collège est très grand, on se bouscule dans les couloirs étroits... "). 
Le choix des enseignants a été dicté par la volonté d'obtenir des textes qui retiennent l'attention des lecteurs potentiels en leur dévoilant des aspects surprenants de cette rentrée en sixième, chaque année recommencée, chaque année différente. 
La pratique de la lecture en vue d'une réécriture conduit donc l'enseignant à repenser son rapport au texte. Dans cet acte, il accepte de reconstruire ses attentes. Cela lui permet de mettre en question ses présupposés et de faire apparaître la complexité de ce qui lui paraissait univoque et simple, voire simpliste. Les propositions de réécriture renforcent les réseaux qui sont en germe dans le texte. C'est sur ce texte, objet d'un fonctionnement interne qu'il travaille et non plus sur ce que le scripteur a voulu dire ou aurait dû vouloir dire. Cette recherche exige qu'il soit particulièrement attentif au matériau signifiant alors que des lectures du sens négligent ce matériau langagier au profit de l'"idée" bien ou maladroitement exprimée. 
Dans l'exemple que nous venons de développer, aucun professeur n'a proposé sa propre réécriture. On se heurte là à une très forte résistance de la part des professeurs de Lettres qui imaginent rarement devoir faire ce qu'ils enseignent à faire ! 
Il semble, en revanche, que l'entrée dans la pratique de la réécriture par la lecture est mieux tolérée par les enseignants parce qu'elle leur permet de renouer avec les pratiques de lecture analytique auxquelles ils ont été formés. 
 

Différentes conceptions de la réécriture par l'enseignant/formateur. 
Il existe pourtant des lieux où les adultes se livrent eux aussi à une activité d'écriture. Mais cette activité scripturale a donné lieu à des interventions divergentes sur les textes d'élèves. 

A) 
Il y a huit ans par exemple, une conception de la réécriture a été mise en oeuvre dans les Classes-Lecture de Bessèges. La pratique de la réécriture s'était imposée contre l'idée à la fois vague et répandue selon laquelle le texte écrit par l'enfant étant l'expression de sa subjectivité, il est interdit d'y toucher au risque de violer son intimité. Pourtant, en acceptant de publier dans un journal scolaire le moindre bredouillement on ne permet pas à son auteur de progresser ; on lui laisse croire que ce qu'il a produit peut être lu par d'autres. On ne lui donne pas les moyens de se désengluer de la relation fusionnelle et paralysante qu'il entretient avec sa production et qui l'empêche d'accéder à un véritable travail d'écriture. 
Pour contrevenir cet état de fait, dans les Classes-Lecture, les formateurs ont retravaillé à la mise au point d'une pratique de réécriture permettant un travail de théorisation et de systématisation. 
Jean Foucambert l'a présentée dans les Actes de Lecture nø24 : " Les adultes responsables du journal prennent le texte en l'état où il se trouve et le travaillent pour lui donner le maximum d'efficacité sans trahir l'intention qu'ils perçoivent que l'enfant a choisie ni les moyens qu'il a utilisés. Ce qui paraît, le lendemain, magnifié par une mise en page professionnelle, c'est bien le produit d'un groupe de compétences hétérogènes. Un travail systématique est alors entrepris pour comparer, entre les auteurs, l'état 1 et l'état 2 : les techniques se justifient quand l'enfant analyse le décalage entre l'endroit où il s'est arrêté et le chemin que l'adulte a encore parcouru. C'est dans cet espace que se trouve le sens des savoirs nouveaux à acquérir. " 
Beaucoup d'enseignants ont eu des difficultés à accepter cette conception de la réécriture, et ceux-là même qui étaient conscients des enjeux mis en oeuvre ont exprimé quelques réticences. 
Si le processus d'écriture engendre la réflexion, l'objet produit est porteur de projets différents de celui qui l'a engendré. En réécrivant un "état 1" 'et non un texte en devenir) l'enseignant est amené à modifier ce produit pour le faire entrer coûte que coûte dans ce qu'il imagine être le projet initial de l'élève afin de produire à son tour un "état 2". 
Cet "état 2" publié dans le journal quotidien n'admet pas de modification et l'auteur ne peut rien y changer, il se trouve devant le fait accompli : voilà comment son texte a été compris et réécrit. A lui de chercher, dans le texte primitif, ce qui a induit la réécriture. Outre que le texte réécrit n'a plus le même auteur - confusion accentuée par le fait qu'il est toujours co-signé (Laëtitia, réécrit par Nadine) - ces états 2 ont quelque chose des "corrigés-type" dont on connaît l'inefficacité sur le plan pédagogique. Celui qui réécrit est confronté à un paradoxe : parce qu'il ne " veut pas trahir l'intention qu'il perçoit que l'enfant a choisie ", il s'interdit toute dérive, résiste aux sollicitations des signifiants et produit un texte anodin à ses yeux, qu'il se refuse d'ailleursÿà assumer totalement ; d'autre part, on n'emploie pas indifféremment tel ou tel mot, chacun est porteur de ce que Michel Chaillou appelle "la mémoire de la langue" ; réécrire pour écrire mieux, c'est écrire autre chose. 
Certes cette confrontation auteur-état 2 revendiquée par les formateurs des Classes-Lecture permet à l'élève de mesurer l'écart entre ce qu'il voulait faire et ce qu'il a fait (ou peut-être davantage entre ce qu'on a cru qu'il voulait faire et ce qu'il a fait ?). Mais cette stratégie ne résout pas la difficulté manifestée par le scripteur à se décentrer de sa propre production pour l'évaluer afin de la modifier. Les séances de lecture du journal le matin ont pu montrer combien les enfants se désengageaient de ces textes dont ils étaient co-signataires, mais qu'ils n'avaient pas écrits, ni réécrits ! En revanche, étaient exacerbés leur sentiment d'avoir été trahis et leur repli sur leurs textes (état 1 ou non, c'était le leur !) Pourtant, les conditions de production (journal - discussion...) favorisaient naturellement l'accès à l'écrit. Les enfants qui se livraient par ailleurs à une réflexion sur leurs propres stratégies de lecteurs et sur les enjeux de l'écrit avaient la possibilité de s'emparer à leur tour de la plume pour écrire des textes qui fonctionnaient vraiment pour des lecteurs. Mais l'activité réflexive menée ne les conduisait pas à s'approprier des stratégies de scripteurs et les discussions houleuses qui opposaient les animateurs aux enfants - et quelquefois à leurs instituteurs - n'ont pas permis de faire avancer la problématique de la réécriture. 

B) 
Non loin de là, au Collège Armand Coussens, à Saint-Ambroix, une équipe expérimentait une politique globale de lecture largement influencée par les thèses de l'AFL et par le travail mené dans les Classes-Lecture. La publication d'un journal quotidien avait conduit les enseignants à s'interroger sur la réécriture, persuadée qu'ils étaient eux aussi de ne devoir publier les textes d'élèves que s'ils satisfaisaient à certaines exigences. Mais la pratique est différente qui fait participer l'enfant à la réécriture. Il faut y voir la volonté de montrer à l'élève que ce qu'il présente comme un article "fini" n'est qu'une étape qui demandera à être longtemps travaillée pour devenir du texte. Le fait de réécrire avec l'enfant - mais quelquefois aussi, devant lui - permet un échange qui s'enrichit des idées et des formulations de l'un comme de l'autre. Les enfants se montrent timorés : ils s'arrêtent à leurs premières idées alors que l'écriture est un outil pour en faire émerger d'autres. Lorsque les enseignants de Saint-Ambroix réécrivent avec les élèves, ils les interrogent, essaient de faire avancer leur réflexion en se servant de certains éléments du texte comme d'un ferment. Sans ce travail, les élèves se censurent eux-mêmes et, par crainte ou laisser-aller, sont tentés de n'exprimer que des banalités. Mais si, comme ce fut aussi le cas à Saint-Ambroix, la réécriture est le fait de l'enseignant cautionnée en quelque sorte par la présence de l'élève, elle a un statut ambiguë. Il est rare que le texte publié se présente clairement comme une réécriture par l'enseignant (ce qui correspondrait à l'état 2 de Bessèges) et le travail conduit avec les élèves, s'il permet un approfondissement de la réflexion, ne les amène pas à creuser l'écriture elle-même. 
 
 
 

3. La pratique de la réécriture 
après l'introduction du logiciel Genèse. 
Les présupposés théoriques issus de la Critique Génétique qui mettent l'accent sur la notion d'inachèvement et l'utilisation du logiciel Genèse qui montre le déroulement, la dynamique du texte en acte pourraient permettre d'avancer dans le questionnement autour de la réécriture. L'émergence des possibles et leur utilisation conduit à ne plus considérer le texte comme un état, mais comme une étape. Ce changement de statut du texte pose autrement le problème de la réécriture. La réflexion menée autour de Genèse, la prise en compte des théories de l'écriture, de la génétique des textes et de l'apprentissage permet d'envisager un apprentissage de l'écrit davantage centré sur le cheminement de l'élève, ses errances et ses erreurs dans son propre texte. 
Cependant l'utilisation de ce nouvel outil est différent suivant la structure pédagogique dans laquelle il s'inscrit. S'agit-il de faire un projet pour écrire ou s'agit-il d'écrire pour le projet ? Suivant les finalités de l'écrit, les réécritures induites et l'intervention de l'enseignement seront différentes. 

A) 
Dans une classe de sixième, à partir du logiciel Genèse, une séquence pédagogique a été construite, dont les objectifs étaient de développer l'activité réflexive par la confrontation et de rendre nécessaire la relecture et la réécriture des textes. - Les élèves ayant étudié un extrait de Poil de Carotte, il leur avait été demandé de faire le portrait d'Honorine, la bonne. - Le professeur avait, au préalable, proposé à la classe l'étude des procédés employés par trois auteurs pour faire le portrait d'un personnage. - Les élèves écrivent un premier jet. 
- Relecture individuelle avec grille de consignes formelles : images, utilisation du présent... 
- Réécriture du premier texte après discussion. - Aide technique : lecture et analyse d'un texte de J. Renard Histoires naturelles : les portraits caricaturaux d'animaux (étude de procédés de style : métaphores...) 
On reconnaît là cet enchaînement d'opérations que Claudine Oriol-Boyer a schématisé par une spirale et dont elle dit qu'il " s'accomplit depuis l'art du rapt jusqu'à celui de la rature. " 
Toutefois, la grille de consignes, même si elle n'est donnée qu'après le premier jet, présente les mêmes limites qu'une fiche de critères. Elle ne prend pas en compte la spécificité de chaque texte. Les textes de la "bibliothèque" choisis au préalable par le professeur, n'étant pas convoqués par des règles de fonctionnement latentes dans chaque texte mais plutôt par sa propre représentation d'un portrait bien écrit, s'ils fonctionnent comme "réservoirs" de la réécriture risquent bien d'en noyer les effets. 

Portrait d'Honorine. 1er jet - 11 janvier 

Honorine est assez vieille, simple. elle n'est pas méchante, son visage est plein de trous. ne parlont pas de son nez. et aussi de sa bouche. Elle est petite.Ces molais ne sont pas gros.on se demande si ele a déjà fait du sport. honorile a de très beaux yeux plissés un regare claire. quand elle vous regarde on voit la lumière qui reflète,comme quand vous vous regarder dans l'eau.Honorine est toujours habiller avec un tablier bleu.et des grosses lunettes rondes blanches et noire, ces cheveux blonds tombent sur son visage on ne voit plus ces yeux.Ces bras sont tous petits. 
- Le travail se poursuit par groupes de 3 élèves qui analysent la genèse du texte d'un de leur pair. Les élèves relèvent les 4 opérations effectuées par l'auteur lors de sa réécriture. - Ils parlent des améliorations portées ou non au portrait. 
Chaque groupe propose une réécriture de ce même texte. 
L'auteur reprend également le sien en tenant compte des remarques. 
 

Portrait d'Honorine. Texte final 

Honorine est assez vieille, simple, elle n'est pas mechante, son visage est plein de trous,ne parlont pas de son nez et aussi de sa bouche. Elle est petite. Honorine a de très beaux yeux plissés, un regare claire, quand elle vous regarde on voit la lumière qui reflète, comme quand vous vous regarder dans l'eau. 
Honorine est toujours habiller avec un tablier bleu, et des grosses lunettes rondes, blanches et noire. Ces cheveux blonds tombent sur son visage on nevoit plus ces yeux. Ces bras sont tous petits, elle adore courire dans les bois le Dimanche matin et l'après-midi. Les enfans sont son passe temps favorie, parce que Honorine adore aussi les enfants qui jouent dans le parc. Cédric 6ème 4 
Ce travail permet aux élèves de prendre conscience des gestes de remédiation d'un texte et de leur pertinence. Mais il ne semble pas que l'utilisation du logiciel Genèse ait apporté davantage que ne le feraient des brouillons sur papier. Là encore le travail d'observation se fait sur des états du texte et non sur une dynamique. Rien n'est analysé des attentes, des impasses abandonnées. La lecture, canalisée par les représentations "littéraires" induites par les textes de référence, rabote toute possibilité de dérive, et ne permet à la réécriture aucun dépassement du projet initial qui en ferait un texte. 

Texte réécrit pas l'enseignant. 

Honorine est une assez vieille servante. Ses cheveux encore un peu blonds commencent à blanchir et son visage parcouru de rides lui donne l'air d'une petire pomme reinette fripée. Quant à ses lèvres minces, elles s'étirent en un doux sourire. Ses yeux bleus reflètent aussi la bonté et la douceur. D'ailleurs, elle est simple et pas méchante pour un sou. Son regard est clair et quand elle vous regarde, on croit voir une lumière comme dans une mer calme. 
Honorine porte toujours un tablier bleu sur sa robe sombre. Elle aime l'égayer d'un peit col en dentelle. Elle n'est pas vraiment coquette, mais toujours soignée. 
Le dimanche après-midi, elle va marcher dans les bois, lorsque Madame Lepic lui accorde quelques heures de repos. Elle aime aussi par dessus tout les enfants car elle souffre encore de n'en avoir jamais eu. 
Honorine est une brave femme. 
La réécriture proposée par l'enseignant va dans le même sens, qui fait rentrer le texte de l'élève dans une écriture canonique. Les petites phrases courtes qui signaient le texte de Cédric ont été amplifiées, "balzacisées" par l'adulte. Comme pour les "états 2" des Classes-Lecture, nous nous retrouvons devant un produit qui semble généré par la situation pédagogique : cette écriture n'est plus celle de l'élève, mais n'est pas davantage celle de l'enseignante qui a signé le texte ; c'est l'écriture modélisée d'un professeur de français ! 
Les pratiques ont pourtant évolué puisque ce texte d'enseignant ne se présente plus comme un état final unique auquel les élèves devraient être confrontés. Il sera proposé à l'auteur du texte de départ au même titre (?) que les autres réécritures produites parallèlement par ses camarades. Et la réécriture se poursuivra, intégrant ce qui peut l'être des différents textes proposés. 
Il n'en demeure pas moins que, comme dans les "états 2" des Classes-Lecture, on chercherait en vain l'émergence d'un sujet dans le texte de l'adulte. Mais pourquoi l'adulte s'impliquerait-il dans une activité d'écriture qui a sa fin en elle-même ? A quoi sert-il d'écrire dans ce contexte ? 

B) 
La conception de la réécriture sera différence si l'écrit est rendu nécessaire, s'il est finalisé par un projet qui lui donne de véritables enjeux. 
Le texte était destiné au journal quotidien du collège lu et discuté tous les matins par l'ensemble des classes de sixième. Il s'agissait ici de faire découvrir un roman de Roald Dahl, mais aussi d'induire des discussions sur lesquelles auraient pu "rebondir" d'autres écrits. 
 

James et la grosse pêche. 

C'est un livre de Roald Dahl, de la collection Folio Junior Edition Spéciale. Il y est question d'un petit garçon, James Henry Trotter, qui se retrouve dans les mains de ses deux méchantes tantes Piquettes et Eponge, car ses parents sont mangés par deux énormes rhinocéros. Ce garçon habite dans une petite villa sur une colline au bord de la mer. Il est très triste parce que ses tantes ne veulent pas l'emmener sur la plage. Un jour, un magicien lui donne un sac plein de minuscules bestioles vertes. Il lui dit que s'il les mettait dans l'eau et qu'il les buvait il découvrirait le bonheur. Mais il s'entrave a une racine et fait tomber toutes les petites choses qui s'infiltrent dans le sol. Tante Piquette s'aperçoit qu'une pêche vient de pousser à la cime du pêcher qui n'avait jamais donné une seule pêche. Elle grossit à vue d'oeil ! Elle se dit qu'ils feraient fortune en la faisant voir à tout le pays. Ce livre est très original parce que les personnages sont des animaux. Il est très simple à lire et pleins d'aventures extraordinaires : James, le jeune garçon, qui est si seul et malheureux au début du livre, retrouve la joie de vivre grâce à la fantaisie de ces "bestioles vertes" qu'a données le magicien. A la fin du livre, il y a des tests, des questions et des jeux. Camus Noëlle 6.1 
Dans son texte, l'élève est au plus près de ce qu'elle se représente d'une bonne "présentation" de livre. Elle ne mobilise pas ses connaissances de lecteur et ne convoque pas celles de ses camarades. 
 

James et la grosse pêche. 

C'est un livre de Roald Dahl, de la collection Folio Junior Edition Spéciale. Ca parle d'un petit garçon, James Henry Trotter, qui se retrouve dans les mains de ses deux méchantes tantes Piquettes et Eponge, car ses parents sont mangés par deux énormes rhinocéros. Il habite dans une petite villa sur une colline au bord de la mer. Il est très triste parce que ses tantes ne veulent pas l'emmener sur la plage. Un jour, un magicien lui donne un sac plein de minuscules bestioles vertes. Il lui dit que s'il les mettait dans l'eau et qu'il les buvait, il decouvrirait le bonheur. mais il s'entrave à une racine et fait tomber toutes les petites choses qui s'infiltrent dans le sol. Tante Piquette s'apercoit qu'une pêche vient de pousser à la cime du pêcher qui n'avait jamais donné une seule pêche. Elle grossit à vue d'oeil ! Elles se sont dit qu'elles feraient fortune en la faisant voir par tout le pays. Ce livre est très original parce que les personnages sont des animaux. Il est très simple à lire et plein d'aventures extraordinaires : James, le jeune garçon, qui est si seul et malheureux au début du livre, retrouve la joie de vivre grâce à la fantaisie de ces "bestioles vertes" qu'a données le magicien. A la fin du livre, il y a des tests, des questions et des jeux. Camus Noëlle 61 
La première réécriture d'adulte accentue cette distance du texte avec le scripteur comme avec son lecteur. Il s'agit d'une correction qui témoigne surtout d'un souci de lisibilité et de "normalisation". Mais le statut de ce texte est ambigu, qui se présente comme réécriture et qui, de ce fait, s'interdit de poursuivre un "toilettage" trop méticuleux. Ainsi peut se justifier, parallèlement au remplacement de "ça parle" par "Il est question", le maintien de "il s'entrave" qui appartient au vocabulaire d'une élève de sixième vivant dans le Midi de la France ! 
De même le remplacement de "Elles se sont dit" par "Elle se dit" vise la cohésion textuelle, mais la lecture/écriture du texte de l'élève n'ayant pas été gérée dans sa globalité, le remplacement du pronom substitut est ici inopportun. 
Ce produit, qui n'est plus le texte de l'élève, qui n'est pas non plus le texte d'un adulte expert, révèle par son ambiguïté même, le fonctionnement équivoque de certaines réécritures, lorsqu'elle ne s'inscrivent pas dans un projet. 
 
 

James et la grosse pêche. 

Roald Dahl, vous le connaissez et vous aimez ses livres. Peut-être parce dans ses histoires tendres et farfelues, les enfants les plus faibles et les plus petits peuvent enfin prendre leur revanche sur les adultes impitoyables autant que méprisables. Nous avons déjà parlé de Mathilda, de Charlie, voici aujourd'hui James. James et la grosse pêche. Ca parle d'un petit garçon, James Henry Trotter, qui, devenu orphelin, se voit contraint de vivre avec ses deux méchantes tantes Piquettes et Eponge. Il habite dans une petite villa sur une colline au bord de la mer. Mais, de la mer, il ne peut en profiter, ses tantes lui interdisent de sortir du jardin. Alors, prisonnier et malheureux il rêve à d'autres horizons. Un jour, un magicien lui donne un sac plein de minuscules bestioles vertes. "Si tu les mets dans l'eau et que tu bois ce breuvage magique, tu découvriras le bonheur." Malheureusement le pauvre James trébuche et laisse tomber les petites choses qui s'infiltrent dans le sol. James ne connaîtra-t-il donc jamais le bonheur ? Allons, dans les romans de Roald Dahl on n'abandonne pas les pauvres enfants orphelins !... Et cette pêche, que Tante Piquette aperçoit à la cime du pêcher jusqu'à ce jour stérile, va permettre à James de vivre enfin l'amitié, la fantaisie, et de merveilleuses aventures. Ce livre est très original parce que les personnages sont des animaux. Et des animaux qu'on n'a pas l'habitude de rencontrer dans les contes : une chenille, un puceron, toute une population qui vit dans la pêche où James lui-même a trouvé asile. Il est très simple à lire et plein d'aventures extraordinaires. Alors, laissez-vous glisser à l'intérieur de la grosse pêche vous aussi ! A la fin du livre, il y a des tests, des questions et des jeux que vous pourrez trouver amusants. Camus Noëlle aidée de son professeur. 
La réécriture  est celle qui a été proposée par un professeur impliqué dans le projet de Lecture/Ecriture. Même si la structure du texte d'élève est respectée, ont été réinjectés tous les éléments qui le transforment en texte incitatif. 
Les traces d'énonciation ("vous le connaissez", "nous avons déjà parlé", "laissez-vous glisser"...) renvoient à une situation commune et impliquent à la fois le scripteur et les lecteurs, les phrases segmentées, les mises en relief, le renforcement de certains réseaux sémantiques provoquent les lecteurs. 
La réécriture a ici une fonction dans un projet de Lecture/Ecriture ; par son intervention, l'enseignant révèle sa volonté de renvoyer les élèves (lecteurs ou scripteurs) à leurs lectures, il les convoque dans un réseau de communication sociale qui donnera du sens à leurs propres écrits. 
Mais l'enseignant, dans sa volonté de se battre contre des textes neutres, et lui-même étant fortement engagé dans un projet d'écriture, peut aussi prendre un tel plaisir d'écrire qu'il en oubliera l'élève. Le texte qu'il produit, s'il flatte son narcissisme, dans la mesure où il excède largement les capacités d'un apprenti lecteur/scripteur, renforcera le préjugé selon lequel décidément écrire, c'est l'affaire des experts ! 
Entre la prise de pouvoir encombrante et paralysante du sujet ou son éviction totale, y a-t-il dans la pratique de réécriture des modalités qui permettraient à l'élève d'être au centre d'un dispositif l'apprentissage ? 
 
4. Apports du logiciel Genèse dans
une exploitation positive de "l'erreur". 
Car, enfin, du côté des élèves, comment "s'y apprennent-ils" ? 
Comment un apprenti-scripteur s'y prend-il pour s'apprendre à écrire ? Les seules traces perceptibles d'une construction d'un savoir écrire sont à chercher dans ce que l'enseignant considère comme des maladresses ou des erreurs. La rature manifeste la capacité de l'élève à percevoir une erreur et son désir d'améliorer son texte. C'est donc à partir des brouillons que peut s'élaborer une didactique de l'écrit. 
A quelles difficultés se heurte-t-on dans l'utilisation des brouillons de papier pour l'aide à la réécriture ? Quels sont les apports du logiciel Genèse ? 
Les évaluations en 6ème établissement que les élèves n'éprouvent pas le besoin de faire un brouillon. Ils se contentent de recopier une transcription de l'oral qu'ils ont jetée sur le papier. La représentation que l'élève se fait d'un "bon" écrit le conduit à soigner la graphie, à corriger la ponctuation et l'orthographe ; l'essentiel étant "la présentation". Ils ont rarement eu l'occasion de voir des manuscrits d'experts, les textes qu'ils ont eu sous les yeux se présentent à eux comme des produits finis auxquels on ne peut rien ajouter, rien retrancher. Les enseignants, par souci de clarté, ne raturent pas lorsqu'ils écrivent au tableau et, par souci de rentabilité, prennent rarement le risque d'écrire aux côtés de leurs élèves. Ceux-ci ont donc le même souci de clarté apparente et sacrifient le foisonnement de leur pensée à cette exigence qu'ils croient être celle du maître, et qui, nous l'avons vu, est celle de l'écrit "scolaire". 
De plus, en collège, les élèves ont du mal à gérer l'espace de la page, ne dominent pas leur graphie, ils écrivent lentement et il leur en coûte trop de raturer puis de reprendre un texte qu'ils ont mis du temps à copier. Claudine Fabre, dans les Brouillons d'écoliers, note que les opérations de correction les plus usitées sont d'abord les remplacements (qui permettent de marquer des interrogations portant sur l'orthographe et contribuent faiblement à la mise en discours), les ajouts, les suppressions. Plus rares sont les déplacements. En effet, " si les trois autres opérations sont incidentes à un seul point du discours, quelle que soit l'extension de ce point, le déplacement se caractérise par le survol d'étendues syntaxiques et discursives plus larges. " Ce survol n'est possible que si le scripteur parvient à sortir de sa position énonciative première pour devenir lecteur de son propre texte. Déplacement d'autant plus difficile que l'élève n'est pas un lecteur expert : en se relisant, il craint de perdre du temps et le fil de sa pensée. L'élève, habitué à faire propre, ne se risque que rarement à ces déplacements qui brouillent sa feuille en l'entachant de flèches ou de signes parasites. Toute son énergie est mobilisée par des corrections de proximité. Les ratures consenties par l'élève ne remettent pas en cause l'ensemble du texte. Selon Claudine Fabre " l'âge des écoliers nous engage à donner de l'importance aux modifications dites formelles sur des graphèmes ou des signaux de ponctuation comme indices potentiels de réflexion et comme marques de l'entrée dans le domaine du signifiant graphique. " 
Sans nier que des continuités peuvent exister entre les modifications "superficielles" et celles qui ne le sont pas, un travail régulier avec le logiciel Genèse nous a conduit à noter que l'utilisation du traitement de texte facilitait certaines opérations de correction sur des segments de texte plus longs. La fonction "couper-coller" permet de dupliquer, de déplacer, d'insérer des portions de textes sans nécessiter de douloureuses et laborieuses copies. Les élèves, séduits par la facilité de manipulation, osent ces opérations qui deviennent moins rares. 
Lors du déroulement de la genèse, s'il porte son attention sur ce type de corrections en les justifiant, le scripteur prend conscience de la nécessaire gestion des relatifs entre les phrases ou les paragraphes. L'étude de plusieurs genèses d'un même élève témoigne d'une évolution qui va vers une plus grande sensibilité à la cohérence de l'ensemble du texte. 
D'autre part, depuis trois ans l'introduction de Genèse sur certains sites a fait progresser les pratiques vers une plus grande autonomie de l'élève. En effet, la même tâche proposée à un groupe d'élèves peut correspondre, pour chacun d'eux, à des activités très différentes, en fonction des problèmes qu'ils rencontrent. 
Enfin, seul ce logiciel permet de réécrire un texte à partir des hypothèses abandonnées par un scripteur. Cette pratique de réécriture se révèle très féconde : en dévoilant ce qui est forclos, elle permet une mise à distance du texte, donc une plus grande maîtrise de la lecture/écriture. 
Propositions de réécritures à partir d'une lecture de la Genèse. Hadrien Ouhmani, élève de CM2, écrit à la demande du maître, un article de journal pour présenter une émission de télévision sur l'illettrisme visionnée en classe. (Cf. Place d'une série de séquences de Genèse dans une activité d'écriture au CM2. Gilbert Saby. A.L. nø45, mars 93, p.112). 
L'observation des pistes abandonnées permet de s'interroger sur le lecteur supposé de ce texte. Deux arguments sont inversés dès le début de l'écriture. " Cette émission permettait de s'exprimer " prend la place de " les personnes interrogées devaient se sentir énormément gênées. " Cette inversion des arguments donne une plus grande importance au deuxième argument ; ce choix semble avoir traversé tout le texte dont le lecteur, qui n'est pas pris en compte au début, paraît faire l'objet d'une leçon de morale. La suppression de "aidez-les" et son remplacement par "Dites-vous" va dans le même sens. De l'Agir on passe au Discours moralisateur. Ainsi se justifie l'inversion initiale des arguments. L'élève ne pouvait développer " Cela permettait aux illettrés de s'exprimer" puisqu'il abordait le problème sous l'angle du constat (même si c'est gênant et triste. Il n'y a rien à faire !). Les propositions de réécritures pourraient permettre à l'auteur du texte de prendre conscience de ses choix qui ne sont pas uniquement des choix d'ordre linguistique, mais qui sont révélateurs d'une prise de position - ou plutôt d'un désengagement de sa part. - Faire écrire un groupe à partir de la première remarque et un autre groupe à partir de la seconde permettrait de vérifier l'hypothèse suivant laquelle l'inversion des arguments induit une importance plus grande donnée à l'un ou à l'autre. 
- Un travail sur la ponctuation pourrait être envisagé à partir des hésitations du jeune scripteur à la fin de son texte. Points de suspension, point-virgule, point ou point d'exclamation devraient conduire à la poursuite de paragraphes différents. 
Ainsi, l'enseignant n'intervient-il plus sur le produit mais sur le processus pour pointer ce qui méritait une relecture et une réécriture du texte sous un autre angle. Il fait découvrir à l'auteur que son texte est gros de possibles et qu'il a fait un choix dans ce foisonnement. S'il aide l'apprenti-scripteur en apportant les états nécessaires à la construction du texte, il ne se substitue pas à lui. La mise en oeuvre d'une méthodologie d'apprentissage qui prenne en compte le cheminement expérimental de chaque élève pour lui permettre d'élaborer son propre texte, est rendue possible par la mémorisation de toutes les opérations d'écriture. 
L'observation de la reconstruction sur Genèse permet à l'enseignant de prendre en considération le travail à l'origine du texte le plus maladroit. 
Les élèves sont incités à réécrire le texte d'un camarade en exploitant les pistes ouvertes par certains signifiants à l'insu de l'auteur, ou même des pistes abandonnées qui se révèlent fertiles. Rendus plus habiles à "triturer" la manière même d'un texte pour en comprendre le fonctionnement, on peut espérer qu'ils sauront transférer ces compétences et retrouver une attitude distanciée pour relire/réécrire leurs productions et découvrir ce que leurs propres textes leur apprennent d'eux-mêmes. En pointant ce qui, dans le matériau langagier lui-même, ouvre au texte des directions imprévisibles, les enseignants permettent aux élèves de découvrir l'opacité des mots qui peuvent être autre chose que simples références d'une idée préexistante. On les introduit ainsi à la fois à la maîtrise du signifiant et à la conception du texte comme outil de pensée. 
 

Geneviève RECORS-DAUTRY.