La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°54  juin 1996

___________________

DEPECHE-MOMES

Ecrire dans l'école, le quartier, une manifestation publique ou entre associations, etc. Diffuser ces écrits de proximité régulièrement, c'est favoriser l'échange de points de vue entre des gens qu'un même sujet rapproche ou qui partagent la même vie. " était-il écrit en introduction des comptes-rendus faisant le point sur la pratique du journal dans notre numéro de mars (Le stage précédant les 2èmes Assises Nationales de la lecture. A.L. n°53, pp. 7 à 44). 

Aux nombreux témoignages déjà publiés dans nos colonnes, Anne Simon et André Virengue ajoutent le leur, concernant cette fois "un centre de loisirs à thème journalistique" à la Villeneuve d'Ascq.  

 
Tous les étés, même scénario pour des milliers de jeunes qui terminent une année scolaire. On oublie tout, l'école, les maîtres et les profs, les réussites et les échecs, les nombreux problèmes rencontrés et souvent non résolus, les difficultés éprouvées et souvent mal vécues dans les domaines de la lecture et de l'écriture. Alors, pour les deux mois d'été, on tourne la page, on marque la rupture et un grand nombre d'enfants vont fréquenter les centres de loisirs organisés pour tenter de leur faire vivre d'autres moments, d'autres activités plus ludiques. On quitte donc une institution pour en subir une autre, on évacue toutes les activités liées au domaine scolaire. En effet, la lecture et l'écriture sont du domaine de l'école et des enseignants, les animateurs des centres de loisirs ne sont là que pour amuser, distraire... chacun son territoire ! 

Et pourtant, depuis quelques années, on assiste à une évolution dans les pratiques de l'animation. De plus en plus de centres de vacances à thèmes sont proposés aux jeunes au détriment des centres de loisirs sans hébergement qui voient alors leurs taux de fréquentation diminuer. Ces mêmes structures tentent de répondre aux besoins des enfants mais, malgré de nombreux aménagements, éprouvent la sensation de répéter sans cesse les mêmes activités avec des enfants déjà lassés par l'année scolaire qui vient de s'écouler. 

C'est ici que prend toute la signification d'un centre de loisirs à thème journalistique. En effet, pourquoi ne pas tenter de créer un centre qui proposerait des activités différentes à un public de jeunes qui rencontreraient alors l'opportunité de découvrir des activités liées à l'écriture et à la lecture dans un contexte différent du milieu scolaire. Pourquoi ne pas oser le pari audacieux de faire écrire des enfants pendant le temps des vacances sans contraintes, sans évaluation, mais uniquement pour le plaisir d'écrire, le plaisir de lire ! 
Ce pari a été tenu, et depuis trois étés, le centre de loisirs Dépêches Mômes existe à Villeneuve d'Ascq dans les locaux de l'école Jacques Prévert. Les résultats de cette opération sont plus que positifs et le nombre d'inscriptions se fait chaque année de plus en plus important. 

Le projet a été déposé à la Mairie de Villeneuve d'Ascq en 1993. Il fallait penser à une organisation qui proposerait aux jeunes des situations vraies d'écriture et de lecture tout en veillant à ce que l'aspect loisirs soit privilégié avant tout. L'idée de créer un journal a été retenue. Un journal serait édité tous les jours et diffusé dans le centre à l'ensemble des enfants. Un autre journal consacré à des reportages sur la commune serait distribué dans l'ensemble des structures d'accueil et de loisirs de Villeneuve d'Ascq à la fin du mois de juillet. 

Très vite, une équipe d'animateurs volontaires, engagés et partisans du projet s'est constituée. La municipalité a passé une convention avec l'AEPL (Ecole Prévert Pour la Lecture) pour obtenir la mise à disposition du site informatique. 

L'équipe d'animation comportait 6 animateurs chargés d'encadrer les enfants plus deux personnes responsables du journal qui ne quittaient pas la salle informatique. À cette équipe, il faut ajouter une directrice, du personnel de service. 50 enfants de 10 à 13 ans étaient accueillis tous les jours de 8h30 à 17h00. L'inscription de ces enfants s'est faite sur la base du volontariat après qu'une information ait été diffusée dans un journal local. 

Les enfants étaient répartis dans trois groupes qu'ils choisissaient tous les trois jours, selon le programme d'activités proposées. Sur trois jours, les enfants avaient la possibilité de réaliser le journal quotidien, de faire un reportage écrit pour le mensuel et des activités sportives. Un programme chargé, qui se renouvelait tous les trois jours avec des enfants différents. 
 
 
Animateurs 
Jours
A B C
mercredi journal interne 
grand jeu
Javelot 
Base-ball
Reportage externe
jeudi Reportage externe Journal interne 
Piscine
Journée pêche
lundi Squash 
Expo photos
Reportage externe Journal interne 
Vidéo
 

           Le journal était distribué tous les soirs à 17h. C'était le temps fort de la journée, les échanges, les débats, les points de vue, autant de moments intenses qui ne peuvent se raconter et s'écrire, mais tout simplement se vivre, se sentir et s'écouter. Encore bravo les Mômes ! 

Anne SIMON 


. 13 journaux parus soit 104 articles 
. 1 recueil de poésies soit 11 poèmes 
. 1 mensuel soit 27 articles 
. 1 hebdomadaire pour un autre centre soit 15 articles 
. 1 roman photos (scénario, légendes...) 

tel est le bilan du "centre journalistique". Comment cela fonctionnait-il ? 

Pour le journal, les adolescents chargés de sa parution se regroupent le matin pour une "conférence de presse" portant sur la répartition des articles (chronique sur sujet de fond... reportages sur la vie du centre... trombinoscope humoristique et agenda). 
La répartition effectuée une confrontation d'idées portant sur chacun des sujets a lieu avec l'aide des animateurs. 
Le maximum d'idées engrangées, les enfants se rendent dans la salle informatique et commencent à rédiger leur premier jet.  
Les animateurs journal interviennent lors de cette rédaction (incitation à développer l'écrit en construction par adjonction de connecteurs suivis de blancs à compléter... réorganisation des idées en déplaçant des blocs... extension des idées...). 
Les responsables du journal, en dehors de toute censure, entreprennent avec les auteurs un travail approfondi sur les premiers jets réalisés (quel destinataire ? quelle dominante du texte ? intention de l'auteur à l'égard du lecteur potentiel : amuser, informer, faire réfléchir, faire réagir ? etc...) 
Réécriture par l'auteur et toilettage orthographique. 
 

Les chroniques sont écrites par deux auteurs, chacun rédigeant au départ un article. Les deux textes imprimés, seront fondus en un seul lors d'une discussion entre les auteurs et le responsable de la salle informatique. En fonction des remarques, un travail de réécriture est alors entrepris sur ordinateur (déplacement de blocs afin d'ordonner les idées... cohérence du texte... suppression des répétitions) afin d'obtenir un seul texte. 
L'utilisation du logiciel  genèse du texte a été très ponctuelle pour la réalisation du journal car le temps de rédaction était très court (2h à 2h1/2 maximum). 
La mise en page, avec illustrations photographiques grâce à un appareil photographique numérique est effectuée par les responsables de la salle informatique. 
La rédaction des poésies a lieu avec des enfants volontaires pendant le temps de production des articles du journal et selon une démarche contraignante. 
L'auteur choisit un thème et relève les connotations lui venant à l'esprit. Avec les mots obtenus, il effectue une recherche de rimes et de quelques anagrammes. C'est alors avec une vingtaine de mots qu'il écrit une histoire dont le logiciel Analyse de texte signale les sonorités (fréquence et regroupements de phonèmes). L'auteur est ensuite aidé dans la "mise en vers" de son histoire et dans son travail d'élagage (connecteurs inutiles, parties narratives, etc.) et de remodelage avec les dictionnaires de rimes et de synonymes. le but est de faire naître des "images" ou des "pensées" dans l'esprit du lecteur. Un travail de trois heures sur chacun des "poèmes" est nécessaire pour mener à bien cette tâche. 
Les articles de l'hebdomadaire sont des reportages menés sur le terrain le matin (prise de notes et photographies) et rédigés l'après-midi. L'échéance étant plus lointaine, il est possible d'améliorer certains textes en utilisant le logiciel Genèse du texte et en menant une réflexion sur l'écrit en train de se faire. 

Que ces démarches a priori contraignantes pour des vacances n'ait supprimé ni la joie de produire, ni l'attente du journal tous les soirs (afin de le lire entre camarades ou avec les parents) ni, d'une manière générale, l'attrait pour l'écriture et la lecture a fortement étonné tous les observateurs et notamment les parents des enfants. 

Opération à reconduire car ce sont des vacances que tous ont passées,  

mais... 

l'écrit vivait aussi en vacances !  

André VIRENGUE