Les actes de lecture n°55 septembre 1996
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Note de lecture
Le propos de Pierre Boutan ne se situe pas dans l'ordre de la technicité
; la question qu'il débat est historique et politique : il traite
de la naissance du français comme discipline scolaire, au sens où
les choix liés à l'enseignement du français comme
matière à l'école primaire sont par leur histoire
et encore au présent liés à une lutte politique. Il
s'agit donc d'une analyse des enjeux véhiculés par l'entreprise
d'enseignement de la langue dominante. L'analyse porte sur la deuxième
moitié du dix neuvième siècle, mais elle éclaire
une grande partie de la problématique contemporaine concernant les
"classes difficiles" des écoles et des collèges : les "migrants",
beaucoup de ceux des ZEP, de l'AIS.
Le début pose de façon matérialiste les éléments du problème : on y lira la multiplicité des clivages qui ont fait que l'école, avant comme après Jules Ferry, n'a jamais été une : clivage entre l'urbain et le rural, décalages selon la ligne Maggiolo (Nord-Est/Sud-Ouest), ruptures des enseignements réservés aux garçons et aux filles, et bien sûr, circulant à travers tous ceux-ci, le conflit entre les deux profils : celui de l'élève, qui est destiné au lycée, et l'écolier de la primaire, qui la quittera pour retourner tôt ou tard au travail. Le texte chemine entre les luttes : celle de l'usage de la langue maternelle contre l'exclusivité du français imposé ; celle de la pédagogie de la rédaction contre l'usage stéréotypé de la dictée... On y sent poindre deux principes : le premier est l'attention portée à la langue parlée des enfants, tels qu'ils sont avant de devenir des écoliers, c'est-à-dire le souci de "partir des acquis des enfants" ; le deuxième est le souci de la présence pédagogique du maître comme acteur du savoir et non comme simple distributeur des tâches occupationnelles ou seule garantie de la discipline physique des enfants. Questions qui, légèrement transposées seulement, se posent bien aujourd'hui aussi. La langue en effet n'est pas le véhicule neutre de la transmission des idées, elle en est le creuset, parce qu'elle est une pratique parmi les autres. De ce point de vue, lorsque l'école se réfugie dans les technicités propres au goût présent, elle se tient à distance de cet élément essentiel, qui est la question du sens d'une véritable démocratie à l'école ou par elle ; plus l'enseignement se formalise, plus il s'éloigne du réel des enfants - comme des adultes -, plus il devient sélectif, en dépit des affirmations de façade. La réflexion sur la langue est un lieu exemplaire où se jouent les rapports de force sociaux. Françoise KALTEMBACK |