Les actes de lecture n°55 septembre 1996
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L'Expérience Saint-Ambroix
Beaucoup de nos lecteurs connaissent l'expérience originale et de grande ampleur - véritable politique de lecture au sein d'un collège - entreprise par le collège de St Ambroix (1) au niveau des classes de 6ème et son prolongement sous la forme d'une politique d'écriture menée au niveau des classes de 4ème (Cf. L'écrit dans tous ses états. J.Paul Ferrier. A.L. n°45, mars 93, p.76).
Nous poursuivons la publication d'extraits du rapport final de la recherche sur l'apprentissage de l'écriture et l'usage du logiciel Genèse du texte (2) par un article de Geneviève Dautry (3) dans lequel elle montre l'usage qui est fait de Genèse au collège de St Ambroix dans le cadre des ateliers d'écriture.
(1) A.L. n°31, sept.90,
pp. 42 à 116 - n°32, mars 91, p.32 et n°44, déc.93,
p.35)
(2) A.L. n°52, déc.95,
p.45 et n°54, juin 96, p.33.
(3) ce texte est publié
en annexe du tome 2 du rapport. Rappelons qu'on peut consulter ce rapport
à l'AFL ou se le procurer au prix de 100F le tome.
L'expérience Saint-Ambroix. Depuis Septembre 1989, le Collège Armand
Coussens de Saint-Ambroix a mis en oeuvre une politique de lecture/écriture
dont le deuxième volet a été mis en place en 1993.
Dans un premier temps cette expérimentation "stages-lecture" concernait
plus particulièrement les élèves de 6ème et
avait été conçue à une époque où
l'accent était mis sur les actions en faveur de la lecture.
Cette expérience concerne tout le collège : d'une part par la continuité de fait et de principe qui lie cette action à celle qui a été menée (et se poursuit) en 6ème ; d'autre part parce que les fruits du travail des stages sont diffusés à tous à travers un magazine mensuel. Tout comme la politique de lecture menée depuis 6 ans, cette politique d'écriture se veut lourde et globale. Le type d'organisation du temps adopté est similaire à celui qui, présidant aux stages-lecture, a fait ses preuves
Deux professeurs encadrent chaque atelier : un professeur de la discipline concernée et deux coordonnateurs : un professeur de Lettres et le principal-adjoint. Evidemment il y a beaucoup d'écriture dans "la politique de lecture", il y a aussi beaucoup de lecture dans les stages d'écriture. Aussi est-il préférable de parler d'une politique de lecture/écriture rendue enfin cohérente par la mise en oeuvre des deux actions qui la constituent. D'autre part, une fois par semaine un Atelier d'écriture a été animé conjointement par un écrivain et par le professeur de Lettres coordonnateur du projet. Cet atelier était ouvert aux volontaires de tous les niveaux mais on y a vu surtout des élèves de 4ème sans doute sensibilisés par le travail qu'ils faisaient déjà pendant les stages. Cette nouvelle facette du projet devait permettre
aux élèves d'être en situation d'écriture sur
la durée, en confrontant leur expérience avec celle d'un
professionnel de l'écriture.
1. L'utilisation du Logiciel Genèse a été envisagée dès la mise en place du projet. En effet, ce projet se propose de poursuivre le développement des capacités d'autodidaxie en travaillant de façon plus spécifique sur : - l'approfondissement de la réflexion sur les divers types d'écrits, leurs points communs et leurs particularités, les caractéristiques qui en permettront une meilleure utilisation, leur lecture méthodique et les capacités de les produire. L'élaboration des représentations de ce que signifie améliorer ou évaluer un texte. - La prise de conscience de la façon dont s'élabore un écrit - selon sa nature et selon les buts qu'il se fixe - et l'appropriation des capacités qui sont alors mises en jeu. La réflexion menée autour de la réécriture des textes de 6èmes destinés à être publiés dans le quotidien ont conduit les coordonnateurs à accueillir très favorablement cet outil qui, espéraient-ils, leur permettrait d'avancer dans la théorisation de leurs pratiques. Dans l'Atelier de pratique artistique/écriture, en accord avec l'écrivain, il avait été prévu que ce dernier utiliserait le logiciel dans son propre travail d'écriture. Se mettant ainsi "en situation" en même temps que les élèves, il avait envisagé de se "mettre en danger" (sic) d'une part en se confrontant à l'écriture d'un scénario - genre qu'il n'avait jamais pratiqué -, d'autre part en utilisant un logiciel qu'il ne connaissait pas et qui le mettait en situation de fragilité. Un revisionnement du processus d'écriture des élèves et de l'écrivain se prêtant à l'expérience aurait dû permettre la comparaison et l'étude du fonctionnement de l'écrit dans sa genèse même. 2. Modalités d'utilisation du logiciel Le logiciel Genèse a été installé
sur huit postes dans une petite salle d'informatique. L'exiguïté
des lieux et le fait que d'autres enseignants pouvaient avoir besoin des
ordinateurs pendant les heures du stage écriture n'ont pas facilité
l'utilisation "massive" du logiciel. Mais cet état de fait correspondant
à ce qui se passe dans de nombreux collèges et lycées,
on peut assurer que l'expérience pourrait être menée
dans n'importe quel établissement scolaire !
Les élèves travaillent pendant des séquences de trois heures encadrés par deux enseignants. Après les séances d'analyse des textes supports (ou pré-textes) à l'écriture, les élèves sont invités à fabriquer à leur tour un texte, huit d'entre eux quittent la salle où travaillent les autres pour écrire sur Genèse. Ce sont toujours des volontaires. Même s'ils
sont nombreux au point qu'un "tour" a dû être institué,
certains élèves par contre ont préféré
se servir de leur stylo et on ne les a pas obligés à changer
d'outil.
Une période déterminée a été
choisie, en synchronisme avec le programme étudié en histoire.
Il s'agit d'étudier différents types d'écrits pour
en dégager les spécificités, puis de les transposer
en utilisant dans des écrits originaux, les connaissances historiques
et linguistiques acquises.
- Première étape : Mise à
la disposition des élèves des documents, propositions de
types de textes. Les élèves choisissent le thème particulier
qu'ils traiteront. Ce choix va se modifier après les premières
tentatives d'écriture.
- La deuxième séance (3h) est consacrée essentiellement à l'écriture du premier jet : il s'agit d'inventer un texte, fantaisiste sans doute, mais vraisemblable, c'est-à-dire prenant en compte les réalités ou événements de l'époque. Il s'agit d'autre part de définir la forme qui correspond au thème choisi. Cela nécessite un perpétuel va et vient entre le texte que l'on écrit et les documents disponibles qui s'enrichissent au fur et à mesure que les projets se précisent. Aussi les élèves qui sortent de la salle de travail pour rejoindre la salle d'informatique sont-ils ceux qui estiment n'avoir besoin que de peu de documents. Il s'agit de ceux qui ont choisi d'écrire une discussion entre marins du port, et des missives aux souverains d'Espagne.. À la fin de la séance, les résultats sont très divers : Collés aux textes de référence, les élèves ne se sont pas encore lancés dans l'écriture. Ceux qui travaillent sur Genèse se satisfont d'une discussion qui reste fort banale et brève pour l'instant : " Salut Diego !
Le texte a été écrit sans
"ratures" et paraît être la transcription du dialogue qui eut
lieu entre les deux élèves. Seul le mot "borracho" a été
remplacé par sâoul.
" Majestés,
Le texte le plus avancé, le seul aux yeux de son auteur qui paraisse "terminé", est l'interview de Colomb avant son départ par un journaliste non encore déterminé. Dès le début de la troisième séance (2h), un des professeurs demande à l'élève dans quel journal et pour quel lectorat a été écrite cette interview. L'élève répond "Le Monde" et très vite un autre élève propose "Le Nouveau Monde". Le professeur propose de donner un titre en espagnol et on arrive rapidement à "El Mondo Nuevo". Et puis compte-tenu du standing attribué implicitement au journal par le choix de son nom, le journaliste choisit d'être une "signature" connue. Les élèves s'amusent alors à utiliser la propension des noms espagnols à la longueur pour citer ceux dont on entend parler. L'intervieweur deviendra donc : Julio Puabro Darvor Y Masuro Y Ocrentes y Sincler. Reste à retoucher le texte pour l'adapter à son support présumé, à imaginer la mise en page, police du titre et dessin de Plantu compris. Ces discussions et recherches n'ont pas échappé aux deux élèves qui travaillaient sans succès depuis 3 heures sur leur matériel de navigation. Pourquoi ne pas imaginer une page d'un catalogue d'outillage comme il en traîne souvent dans les boîtes aux lettres ? Les deux élèves ont aussitôt l'idée astucieuse de transformer "Catavana" en "Cata-Nava". Reste à trouver un exemplaire du dit-catalogue pour en copier l'allure. Ces deux exemples, proposés à l'ensemble de l'atelier par les enseignants, vont provoquer un changement radical dans le déroulement des autres réécritures : chacun va désormais tenter de déterminer dans quel support supposé le texte est sensé paraître. Aucun élève ne sera retourné sur Genèse pendant ces 2 heures. Ils sont tous pris par l'effervescence et le tour ludique pris par l'atelier où l'on se préoccupe de nouveaux "couplages" :
Seules les lettres aux souverains, malgré les suggestions des professeurs, ne parviendront pas à trouver place dans ce mouvement. Au début de la dernière séance (3h), de nouveaux documents ont été apportés (journaux et magazines) dont le style, la mise en page et le type de lectorat qu'ils visent vont dominer la réécriture. Les élèves qui travaillaient sur ordinateur ont la possibilité de discuter avec un professeur à propos du déroulement de la genèse de leur texte. On leur demande pourquoi ils ont enlevé "borracho" ? Les élèves trouvent le terme trop familier - parce qu'employé dans la région - mais n'avaient pas réfléchi au fait que c'était un mot espagnol ! C'est de ce mot espagnol effacé que va naître la réécriture : les deux marins de Palos parleront avec les fautes de syntaxe et de vocabulaire caractéristiques des grands-parents ou des voisins d'origine espagnole installés dans la région ! Les deux élèves travailleront 2h45 sur leur texte en insérant des mots espagnols appris en classe de langue et des incorrections qu'ils eurent quelquefois des difficultés à pointer comme telles ! Sul Libre
Le texte était considéré comme terminé par les élèves. Le professeur, après avoir étudié leur genèse propose de retravailler le début, la conclusion et d'ajouter un ou deux éléments faisant référence à "l'esprit de l'époque". Sur ces conseils l'élève rajoute en introduction : <La ville estv en effervescence depuis que
> le senor Colon......
Quelques remarques à propos de l'utilisation de Genèse dans cet atelier : L'utilisation des nombreux documents d'appui et la nécessaire mise en commun des idées obligent à maintenir les élèves dans une même salle, assez grande de surcroît pour qu'ils puissent échanger les écrits sans difficultés. Cependant, même si c'est la discussion dans
le groupe qui a induit certaines réécritures, celle de la
discussion de marins a été possible grâce à
Genèse. C'est le mot abandonné qui a conduit à reconsidérer
le travail sous un autre angle.
Atelier des écrits mathématiques. Genèse d'un énoncé et de sa
solution.
Plusieurs élèves ont travaillé sur Genèse au cours de cette séance. Le professeur de français "transdisciplinaire" a pu mettre à profit la trace des tâtonnements de chacun pour faire faire une analyse de ce qui caractérise un texte narratif. La reconstruction des genèses fait apparaître une volonté de "gonfler" l'énoncé mathématique par des éléments qui lui sont étrangers (noms de personnages, description de lieux...) ; mais les élèves n'ont travaillé sur le temps des verbes ou les types de phrases qu'après relecture de leur genèse. - 3ème séance : Narration de recherche.
L'intérêt, c'est la recherche de l'élève et sa façon de rédiger, la mise en évidence de manques ne permettant pas la compréhension de la démarche ou la validation. Le professeur de mathématique avait projeté de travailler sur la genèse de ces narrations de recherche, ce qui lui aurait permis d'aller encore plus loin dans ses investigations. Aussi, la majorité des élèves ont-ils travaillé leur narration de recherche sur Genèse. Mais le professeur de mathématique, par manque de temps, ou parce qu'il préférait sortir du cadre du collège pour poursuivre son travail, a demandé à sa collègue des impressions sur papier des textes définitifs et n'a pu mettre à profit le Logiciel. Dans les autres ateliers, les élèves ont aussi écrit sur Genèse Parallèlement, le coordonnateur de l'expérience étant aussi impliqué dans les "stages-lecture" 6ème, il a été également possible d'UTILISER le logiciel Genèse avec les élèves de 6ème. L'expérience concernant les élèves de 6ème privilégie la réflexion autour de la question suivante : À quoi sert-il de savoir lire\ écrire dans le contexte de l'école ? À travers les articles du journal quotidien, l'écrit\lecture satisfait un besoin social, c'est un outil de communication entre pairs. Du côté des écrits en "circuits courts" les élèves prennent conscience du pouvoir de l'écrit et de l'importance du destinataire dans des textes plutôt "fonctionnels". Le logiciel Genèse a été utilisé
de façon à ce que des élèves plus âgés
réécrivent des textes de camarades plus jeunes.
Dans une classe de 6ème entamant sa troisième semaine de stage, la commande était de rédiger un mode d'emploi du logiciel ELMO pour les élèves de la classe de 6ème qui allaient prendre la relève en stage. À 1h22, les élèves de 6ème ont écrit ceci : "Elmo, c'est trop !
Relecture <votre prénom, votre classe et enfin votre date de naissance. Ensuite, vous allez au menu 2 pour faire des exercices d'entraînement puis des [textes] des tests qui résumeront votre efficacité et vos performances. Relecture. Les élèves, bien que peu satisfaits de leur texte ("les 6èmes 4 ne comprendront pas comment ça fonctionne !") veulent s'arrêter là. Le professeur, sollicitée, leur dit que ce n'est pas suffisant en effet. Ils reprennent donc : Dans certains textes il y aura des trous qu'il faudra compléter
par des mots.
Les élèves démobilisés par la sonnerie relisent mais ne sont toujours pas satisfaits, il leur semble qu'ils n'ont pas "honoré le contrat". Le professeur leur explique qu'effectivement leur texte ne peut être édité en l'état et leur propose de le faire réécrire par un camarade d'une autre classe. Une élève de 5ème se porte volontaire lorsque le professeur demande aux élèves qui sont en permanence si l'un d'entre eux veut réécrire un texte à propos d'ELMO. L'élève a naturellement fait le stage-lecture l'année précédente. Elle ne rencontre pas les 6èmes qui ont écrit le "pré-texte". Elle travaille surtout sur la structure du texte, délimite des paragraphes, rajoute les mots charnières qui font de son texte un texte argumenté (Mais, aussi, d'ailleurs, premièrement, deuxièmement, ainsi...) ; d'autre part elle insiste sur l'aspect dialogique par un emploi insistant des pronoms "nous" et "vous" (7 fois la 1ère pers. plur. ; 23 fois la 2ème pers. plur.) Voici son texte : les modifications notées ici sont celles qui ont été faites après confrontation de l'élève de 5ème avec la genèse de son propre texte. " Elmo, c'est pas fait pour les rigolos !
<Pourtant il n'est pas fait seulement pour
que vous puissiez vous amuser en "tapotant" sur les touches du clavier
!>
Seule l'utilisation de Genèse a permis à l'élève de réécrire entre - par dessus - ce qui avait été écrit par ses camarades. Elle-même a repris son texte deux fois et la prise de conscience des transformations de la production écrite lui a permis d'aller plus loin dans son projet d'argumentation. Cette réécriture a fait l'objet d'une étude dans le cadre plus "traditionnel" d'une classe de 6ème dont le professeur coordonnateur avait aussi la responsabilité. Dans sa classe, le professeur a travaillé sur l'emploi des pronoms dans la réécriture de Lucie. Dans cette même classe, le professeur a travaillé avec tous les élèves à partir de consignes précises et d'une feuille de critères élaborés par tous. Six élèves écrivaient sur Genèse, les autres faisaient leur texte sur papier. Ce qui a permis des séquences d'analyse autour de points précis : l'introduction d'un texte, l'utilisation des temps... Mais la distribution horaire traditionnelle d'une
classe de sixième ne permettant pas aux élèves de
revenir aussi longtemps et aussi souvent qu'ils le désireraient
sur leur texte, on peut s'interroger sur le statut des productions ainsi
obtenues.
- Dans les stages-lecture 6ème : L'utilisation du logiciel a, comme nous l'avons vu, facilité la réécriture des textes destinés à des élèves moins expérimentés par des camarades de classes supérieures. - Dans les stages écriture 4ème ; la demande a été complexifiée, les élèves étant invités à écrire des textes qui se prennent eux-mêmes comme objet d'étude. Ce qui permet aux élèves en difficulté de rentrer dans la lecture de textes plus complexes en jouant eux-mêmes sur les matériaux. Ce maniement de la langue doit les conduire à une lecture plus vigilante des écrits quels qu'ils soient. Au-delà d'un usage instrumentalisé de la langue, les élèves doivent réinvestir ce qu'ils ont appris sur l'implicite, la verticalité du texte, la polysémie. Cet apprentissage ne peut se faire que grâce à une aide individualisée, qui prend en compte les difficultés de l'enfant, dont les déficits langagiers ne sont quelquefois que les symptômes. Aussi le travail d'observation de la reconstruction se conduit-il individuellement avec chaque scripteur (à l'inverse de ce qui a pu se faire dans le cadre plus traditionnel de la classe). La souplesse de la structure et la présence de deux enseignants ont rendu possibles ces modalités d'intervention. D'autre part, les longues plages horaires mises à la disposition des élèves les mettaient dans une situation favorable au travail d'écriture. En Atelier de pratique artistique\écriture par exemple, même si le projet de l'écrivain n'a pu être expérimenté, seuls les élèves ont écrit sur Genèse et cette situation particulière d'écriture\relecture\réécriture les a amenés à passer un très long temps sur leur texte. (Jusqu'à 7 heures par sessions de 20 minutes à 1h 3O pour un texte final de 50 lignes) Ainsi, même s'il est possible d'imaginer des séquences de travail qui tiennent compte d'une structure traditionnelle de la classe, il est évident que l'introduction d'un nouvel outil comme Genèse s'inscrit tout à fait dans une organisation différente de la classe. Réciproquement, une organisation différente, comme l'expérience lecture\écriture de Saint-Ambroix, permet aux utilisateurs de découvrir toutes les possibilités du logiciel. Geneviève DAUTRY. |