La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°55  septembre 1996

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LES CLASSES LECTURE...
ou comment évaluer leurs apports

 
Un outil de formation à l'action par l'action. 

Les classes-lecture ont été, dans l'esprit de leurs promoteurs et dès leur début, des tentatives pour réunir et mettre en oeuvre de manière cohérente et intensive à destination d'enfants du cycle 3 la panoplie des structures, des pratiques et des instruments pédagogiques les plus aptes à favoriser des rapports à l'écrit fructueux et efficaces. Les classes-lecture sont donc d'excellentes illustrations de la manière dont l'AFL s'efforce d'insérer chaque action qu'elle préconise dans ce qu'elle a coutume d'appeler une politique générale de lecture.

En outre, les classes-lecture sont devenues au cours de leur expérimentation l'élément principal d'un dispositif destiné à favoriser la réalisation d'un autre projet, celui des villes-lecture. En cela, elles sont une démonstration du rôle primordial que l'école peut et doit jouer dans un nécessaire partenariat de toutes les instances éducatives. Au total, dans leur esprit, leur fonctionnement et leurs activités, elles offrent, transposable dans d'autres lieux et pour d'autres publics, un exemple élaboré de pédagogie de la lecture.

En février 1988, l'AFL fait fonctionner à Asnelles dans le Calvados, sur le modèle des classes transplantées, la première classe-lecture. À la rentrée scolaire suivante, elle ouvre à Bessèges dans le Gard le Centre National de Classes-Lecture. De quoi s'agissait-il ? 

Initialement, nous l'avons dit, de regrouper en un même lieu toutes les conditions qui permettent à un enfant du cycle 3 de devenir lecteur. Très rapidement, Bessèges accueille des stages de trois semaines offerts à des groupes hétérogènes composés d'enfants (mais aussi, très rapidement, de collégiens, de jeunes en insertion ou même d'adultes en formation) et de co-éducateurs (enseignants, formateurs, animateurs, bibliothécaires, parents, travailleurs sociaux...), issus d'une commune ou d'un quartier et prenant appui sur une école, un collège ou une instance de formation.

Le Centre National de Classes-Lecture devient, et nous y reviendons, un dispositif de formation de formateurs à l'occasion d'une formation directe et un lieu d'expérimentation et d'évaluation des effets d'une telle entreprise auprès des stagiaires et des instances concernées. 
 
 

Une formation directe.

Elle s'adresse aux élèves d'une ou de plusieurs classes d'une commune qui, avec l'aide des adultes, seront producteurs et destinataires d'actions multiples impliquant le recours à l'écrit. C'est dire que le centre d'accueil doit réunir les conditions (internes et liées à son environnement) nécessaires à la conduite d'une politique de lecture et l'ensemble des fonctionnalités contribuant à une meilleure maîtrise des rapports de chacun à l'écrit. Les activités proposées portent sur les aspects suivants : 

- l'acquisition et le perfectionnement des techniques de lecture par un entraînement systématique et son accompagnement théorique, - des pratiques d'écriture à travers la production de journaux (interne et à destination de l'environnement) et d'écrits liés aux actions et en prise directe avec ce qui se vit,

- une appropriation des techniques de documentation et de gestion de la BCD et une observation, en liaison avec les autres dispositifs de lecture publique proches, de la littérature et de la presse de jeunesse et des réseaux qui les portent,

- des actions de promotion de la lecture.

Ce qui est visé, c'est de faire du centre de classes-lecture le support (et particulièrement la BCD) des actions les plus diverses en faveur de la lecture qui permettent aux enfants de connaître toutes les situations obligeant à utiliser l'écrit et à en intégrer tous les usages, qu'on en soit destinataire ou producteur.
 
 
 

Une formation de formateurs

En collaboration avec l'équipe pédagogique du Centre, les co-éducateurs participent à l'élaboration et au déroulement des activités internes et des actions à destination du milieu proche, acquérant ainsi une formation à (et par) l'action, que renforcent en permanence une information théorique et une réflexion collective. Ils se donnent ainsi les moyens de poursuivre dans leur classe, leur quartier ou leur commune d'origine ce que le séjour leur a permis de découvrir et d'exercer. Un élément d'un dispositif important.

Dès la première année de leur expérimentation, les classes-lecture ont évolué de telle sorte qu'elles pouvaient être considérées : . pour un groupe de co-éducateurs comme un moment exceptionnel destiné, à l'occasion d'un stage intensif d'individus en formation directe, à les aider à devenir les acteurs d'une politique de lecture au sein d'une collectivité. . pour une collectivité locale, comme une étape dans la mise en oeuvre de sa politique de lecture (1).

Des besoins de formation, d'outils, d'expertises et de conseils, naîtront de ces politiques communales nécessairement novatrices auxquels les villes-lectures, même fédérées (2), ne pourront répondre. Des Centres de Classes-Lecture Départementaux, sur le modèle de celui de Bessèges, équipés de moyens modernes, animés par des équipes permanentes et "coiffés" par des Instituts Régionaux de la lecture qui répondraient aux autres demandes, pourraient être les instances de formation des agents de ces politiques en même temps qu'ils accueilleraient des stages pour des formations directes.

Tel est, succinctement résumé, le projet de Fédération des Villes-Lecture imaginé par l'AFL, projet dans lequel s'inscrivent les classes-lecture.

Après avoir rempli son office, le Centre National de Classes-Lecture a fermé, le département du Gard refusant de se substituer à l'AFL, dont ce n'est pas la vocation, pour sa gestion. L'expérimentation qui y a été menée a permis d'en explorer toutes les possibilités et d'en réunir les enseignements dans un "Cahier des charges" (2) sous forme de propositions à destination des personnes et des instances intéressées et prêtes à tenter l'aventure. En outre, la qualité des résultats obtenus a conduit le Recteur Migeon à en reprendre le principe dans ses propositions au Ministre de l'Education Nationale, contribuant ainsi à sa relative publicité. À notre connaissance, 9 Centres ont été créés depuis, certains associatifs, d'autres municipaux, départementaux ou encore régionaux. Beaucoup accueillent des groupes d'origine proche sans séjours en internat... certains sur le modèle de Bessèges et avec l'aide de l'AFL... d'autres en s'en inspirant plus ou moins... quelques-uns en usurpant l'appellation dans la mesure où toutes les fonctionnalités d'une véritable classe-lecture ne sont pas assurées pour ce qui concerne même ce que nous avons appelé la formation directe (3). Quelques centres participent actuellement à une recherche-action menée conjointement par l'INRP, l'IUFM d'Antony et l'AFL. 

Le fait que cette innovation, adaptée à chaque situation particulière, soit transposable dans une école élémentaire ou un collège a conduit des maîtres ou des équipes enseignantes convaincus du caractère prioritaire et incontournable de la lecture à s'engager dans des projets inspirés de l'exemple de Bessèges. Pour un temps défini, exclusivité est donnée à la lecture dans une classe (un CM, par exemple) ou un groupe de classes (les 6èmes) qui peuvent alors être considérés comme en stage lecture. La totalité des activités proposées lors d'un stage dans un Centre peuvent être pratiquées et l'ensemble de l'école ou du collège ainsi que leur milieu proche sont alors destinataires des actions de promotion de la lecture dont le journal fait évidemment partie. (4) Autres avatars qui, eux permettent d'inclure dans leur processus une formation de co-éducateurs : les classes-lecture "sur site". L'équipe pédagogique d'un Centre de Lecture se rend dans un établissement pour mettre en oeuvre, sur place, sur site donc, une classe-lecture... (5)

Ce texte n'avait d'autre prétention que de rappeler la finalité des classes-lecture à travers leur histoire, des intentions initiales aux perspectives actuelles, afin d'en prévenir toutes les réductions et toutes les dérives. Personne n'imagine qu'un stage, fût-il particulièrement intense et efficace, puisse remédier aux difficultés de lecture qu'une scolarité entière n'arrive quelquefois pas à résoudre ! Leur raison d'être est autre. Moments exceptionnels, elles ont pour fonction de favoriser l'instauration durable dans les écoles et les quartiers de conditions nouvelles et de pratiques innovantes qu'elles donnent à connaître et à exercer. 
 

Michel VIOLET
 
 
 
 
 
 

(1) Pour ce qui concerne les Villes-Lecture, lire :

. Vers une charte des villes-lecture. Jean FOUCAMBERT. A.L. n°25, mars 89, p.14.

. Les dossiers des Actes de lecture n°26 de juin 1989 et n°29 de mars 90. 

. Brioude, Ville-Lecture. Pierre BADIOU. A.L. n°32, déc.90.

. les Actes des 2èmes Assises Nationales de la Lecture. A.L. n°54, mars 96.

(2) Lire à ce sujet :
. Les classes-lecture. Origine et intentions du projet. Yvanne CHENOUF. A.L. n°24, déc.88.
. Les Centres de Classes-lecture. Le cahier des charges. Dossier du n°32, déc.90, des A.L.
. Un Centre de classes-lecture à Grenoble. Michel EYMARD, Marc MOREAU. A.L. n°26, juin 89. 

(3) Que sont les classes-lecture devenues ? Enquête sur les Centres de lecture parue dans A.L. n°44 (déc.93), n°46 (juin 94), n°47, sept.94 et n°49 (mars 95). 

(4) Lire à ce propos : La lecture au collège : l'expérience de St Ambroix. Dossier des A.L. n°32, sept.90.

(5) Du difficile à l'impossible : une classe-lecture sur site. Robert CARON. A.L. n°43, déc.93.