Les actes de lecture n°55 septembre 1996
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Éditorial
OÙ S'ARRÊTE LA MISSION DE L'ÉCOLE ?
Le succès de cette thématique en masque les risques. À force de le répéter, on a fini par considérer comme établi que le matin était le moment le plus favorable aux apprentissages et donc qu'il convenait de scander le temps en deux (voire en trois) parties : cela a donné naissance au mi-temps pédagogique et à ses variantes : le meilleur moment pour l'enseignement, l'autre pour le loisir ou la culture. Parallèlement, on a acquis la conviction que les enfants favorisés l'étaient parce que leurs parents les aidaient dans leurs travaux d'écoliers, évacuant le rôle infiniment plus souterrain du milieu dans le processus d'acculturation. Ce qui est choquant dans cette approche d'une hypothétique
réorganisation de l'école sur ces bases, c'est le double
parti sur lequel repose la construction :
D'un côté l'école-pour-instruire,
de l'autre de nouveaux espaces sociaux-pour-divertir. Au milieu l'accompagnement
scolaire.
L'enjeu est simple. Ou bien, le temps de l'enfant sera scandé en moments étanches parce que juxtaposés : le temps de l'école, le temps des loisirs, le temps du sommeil... et chaque famille aura à élaborer sa stratégie d'éducation au plus près de l'intérêt de son enfant... et des offres d'un marché déjà aux aguets : c'est la version consumériste de l'éducation, dont on pressent les effets (renforcement de l'individualisme, retour du tribal...) Ou bien des projets globaux d'éducation s'élaboreront sous la responsabilité de l'école et avec la contribution de la collectivité territoriale représentant naturel du corps social : c'est la version citoyenne de l'éducation, dont on imagine les effets possibles (gestion démocratique des espaces sociaux, refus d'une division poussée à l'extrême du travail, prise en compte des besoins de tous, ouverture sur l'autodidaxie, production communautaire du savoir...).
Jean Pierre BENICHOU
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