Les actes de lecture n°56 décembre 1996
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note
de lecture
Ensemble à la découverte de l'écrit
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Le discours actuel laisse entendre qu'on ne peut plus aujourd'hui envisager l'avenir sans prendre en compte la dimension européenne. Le champ de la pédagogie s'ouvre aussi à cette tendance, pour preuve ce livre, premier d'une nouvelle collection "L'Europe et l'innovation pédagogique", fruit de la collaboration d'un éditeur (Retz) et de l'IEDPE (Institut Européen pour de Développement des Potentialités de Tous les Enfants) fondé par Rachel Cohen, Mira Stambak et Gérard Vergnaud. Sur le principe, une telle initiative ne peut laisser indifférents les enseignants français : elle est pour eux l'occasion de comprendre en quels termes les problèmes éducatifs se posent dans les autres pays de la communauté et de découvrir des réponses pédagogiques originales. Ce livre rassemble, autour du thème des prémisses de l'apprentissage de l'écrit, un ensemble d'analyses, de comptes-rendus, d'expériences issus essentiellement de Grande Bretagne, mais aussi d'Espagne et de Grèce. La question est posée essentiellement ici sous l'aspect du partenariat famille/école, position intéressante à une époque où, de son côté, l'école française est invitée à se refermer, à se "sanctuariser". Si l'intention était bonne, le livre tombe malheureusement dans une compilation de propos aux formes et contenus fort disparates. On trouve côte à côte des récits pédagogiques produits par des enseignants de bonne volonté, des comptes-rendus de recherche assez creux, des théorisations peu poussées. Quatre contributions tournent autour des modalités d'échange et de rencontre entre les parents et l'école (visites d'enseignants à la maison, invitations de parents dans l'école, constitution d'un dossier scolaire individualisé... ) Deux autres (inspirées essentiellement par les travaux d'E. Ferreiro et de R. Cohen) montrent l'intérêt d'une entrée précoce dans l'écrit. Le seul chapitre qui mérite à mes yeux une attention particulière est le second. À travers deux études de cas, un couple de chercheurs (J. Biarnès et E. Grégory) montrent comment les méprises et incompréhensions culturelles entre la famille et l'école peuvent engendrer des problèmes scolaires. Ils expliquent avec beaucoup de clarté qu'à l'inverse de ce que l'on croit généralement, ce ne sont pas tant les différences culturelles qui génèrent l'échec scolaire, mais l'absence d'explicitation des différentes logiques éducatives. Ils affirment que toute action de scolarisation présuppose nécessairement une connaissance des spécificités culturelles, ce que résume parfaitement la phrase de Basil Bernstgein : " Si la culture de l'enseignant doit devenir une partie de la conscience de l'enfant, alors la culture de l'enfant doit d'abord être dans la conscience de l'enseignant. " Par ailleurs, ce livre a le mérite de rappeler que l'apprentissage de l'écrit ne peut se résumer à la transmission d'un code du maître vers l'élève, mais doit prioritairement se poser en tant que pratique sociale et/ou culturelle. Mais là encore, le réseau de partenaires présenté reste fort malheureusement limité à la seule relation parents/école. On peut regretter que rien ne soit mentionné ici sur la place que peuvent jouer les professionnels du livre (bibliothécaires, libraires, mais aussi auteurs de littérature de jeunesse) tout comme on peut déplorer qu'aucune expérience n'ait quelque peu théorisé les enjeux liés à la production d'écrits par les enfants eux-mêmes (correspondance scolaire, confection de livres, journaux...) Le second problème que pose ce livre est l'approche elle-même, centrée exclusivement sur les rapports parents/enseignants. Une lecture rapide du livre pourrait laisser entendre que la seule mise en place de relations entre la famille et l'école est susceptible de résoudre les difficultés liées à l'entrée dans l'écrit. Dans l'avant-propos, H. Dombey et M. Meek Spencer, coordonnatrices des sept contributions, déclarent ainsi : " Pour les enseignants, le problème n'est pas de savoir comment mettre en oeuvre les techniques d'apprentissage de la lecture, mais comment comprendre les présupposés culturels présents derrière ce que font les enfants et les questions qu'ils posent. " Cette position qui vise à séparer le contexte socio-culturel et les conditions d'enseignement me semble préjudiciable ê la cohérence éducative d'une part parce que les préoccupations culturelles ou morales ne sont jamais totalement absentes du didactique, d'autre part parce que la lecture ne peut se résumer à son aspect technique, étant toujours un acte destiné à mieux comprendre le monde et les relations humaines. Sur le fond, ce qui manque à ce livre, c'est une unité paradigmatique. On a parfois l'impression d'aborder les problèmes sous un angle sociologique, mais le plus souvent, on reste dans du récit pédagogique, au sens de Philippe Meirieu quand il explique que ce qui caractérise la pédagogie, c'est d'abord d'être un genre littéraire où des acteurs dévoués et militants cherchent d'abord à communiquer un enthousiasme. Mais l'exercice de style n'en reste pas moins, pour nous Français, un peu vain, car les propos tenus ne contribuent que de très loin à alimenter le débat national, extrêmement vif sur la question. Il aurait peut-être été plus judicieux d'aborder le problème avec les outils de l'Education Comparée qui impose aux chercheurs une décentration de leur point de vue national et permet souvent de lever "l'implicite pédagogique" en reconstituant les logiques qui sous-tendent les pratiques professionnelles. Pourtant, ce livre a le mérite de placer le problème de l'apprentissage de la langue écrite sous son aspect de pratique communautaire. Lire et écrire représentent, avant d'être objets d'enseignement scolaire, des actes profondément culturels. C'est d'abord sous cet aspect qu'il faut les aborder afin de permettre au jeune enfant d'acquérir des comportements qui l'engagent à vivre l'écrit d'abord comme une pratique sociale. C'est dans cette perspective que la démarche de l'école vers la famille - telle qu'elle est décrite ici - prend tout son sens. Alors, lire devient vraiment simple.
P.L. MEDARD
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