La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°56  décembre 1996

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Vers une nouvelle école élémentaire ?   

Les Bibliothèques Centres Documentaires ont 20 ans. Plutôt qu'un numéro spécial, annoncé précédemment, une série de textes à paraître à partir de ce présent numéro feront le point sur cette innovation en même temps qu'ils s'efforceront d'en restituer l'histoire depuis son "invention". 
On lira donc ci-après une analyse par Thierry Opillard du premier document paru à propos des BCD et le portrait en 1996 d'une "BCD en internat" par Fabienne Tisserand, sa responsable.

   

Fin 1976, l'ADACES (1) avec le concours de l'INRDP (2), faisait paraître une brochure intitulée : La bibliothèque Centre Documentaire, vers une nouvelle école élémentaire. 
 

Lecteurs de 1996, nous pourrions penser : tout est dit dans ce titre et ce sous-titre. Nous y reviendrons à la lumière des éléments qui définissent justement ce concept de BCD à l'heure actuelle. 

D'une cinquantaine de pages, ce document accompagne, soutient, analyse l'implantation des six premières BCD expérimentales (3)

La première partie, après une introduction sur l'origine, le développement, les perspectives de cette expérience et les fonctions de la BCD, en présente l'aménagement et l'organisation ; renseignements matériels, titres d'ouvrages de références, listes de livres et d'albums (dont certains font sourire et par là mesurer 

 l'évolution de la production écrite depuis 20 ans), etc. : tout y est et l'on peut considérer que les ouvrages qui suivront ne feront que compléter dans le détail cet aspect aménagement et organisation. 

La deuxième partie s'intitule : Un nouvel environnement. Des approches nouvelles. 
À s'appesantir un peu sur les mots, les sous-titres eux-mêmes pouvaient sonner (sonnent ?) comme de vraies provocations : 

1) Socialisation et auto-formation. La bibliothèque, domaine des enfants. 

2) Lire, communiquer, s'exprimer. Les différentes formes d'animation de la bibliothèque. 

3) Les parents à l'école. 

4) Vers une nouvelle pédagogie : lecture et bibliothèque. 

5) Un changement culturel et pédagogique. 

La conclusion, Vers une généralisation, s'étend sur les conditions de fonctionnement et insiste sur la place de la BCD dans une logique de transformation de l'école. 

Le document laisse apparaître que les BCD se sont développées à partir de deux optiques différentes : augmenter l'offre de lecture et transformer l'école. Elles y sont juxtaposées et s'interpénètrent parfois sans que soit clairement affirmé que la première n'est que la conséquence nécessaire et heureuse de la deuxième. Ce sont les tenants de la seconde qui ont eu le plus d'influence dans la rédaction des parties générales et théoriques. La BCD est un outil auquel il sera affecté quatre objectifs : 

- favoriser le travail en équipe, 

- transformer le statut de l'enfant, 

- ouvrir l'école sur la vie, 

- modifier les termes de l'apprentissage de la lecture. 
 

On sait que c'est la logique de la pastorale (4) qui a présidé à la généralisation des BCD par le Ministère à partir de 1984. Et des quatre objectifs que l'ADACES et les chercheurs de l'INRDP assignaient aux BCD, seul le quatrième a pu être une source d'avancées, toujours trop timides, pour les enseignants. 
Devant la difficulté de faire passer ce quadruple message (5), l'AFL s'est également davantage concentrée sur ce quatrième point : une manière de ne pas laisser les BCD devenir seulement un lieu concurrentiel des autres offres institutionnelles de lecture et de leur donner encore la chance d'être un levier pour "autre chose". 

À donc été développée et théorisée toute une gamme d'activités dont notamment : 

- la production écrite : citée dans la brochure de l'ADACES mais restant scolaire (c'est-à-dire non en prise avec le social) et quelque peu occupationniste, cette activité a pris une importance grandissante (6) pour faire émerger les concepts novateurs de circuit court et d'écrit de proximité (7)

- la présentation de livres. À l'époque "présentation de livre" destinée à promouvoir le fonds, l'ajout de ce discret pluriel en a totalement changé l'acception pour faire émerger la dimension réseau et acte culturel de la lecture . (8)  
- l'observatoire des écrits : absente de la brochure, cette notion (9) dont Yvanne Chenouf n'hésite pas à écrire qu'elle est la fonction principale de la BCD, ancre définitivement la BCD dans autre chose que la bibliothèque. La BCD comme instrument d'apprentissage de la lecture, de la seule, celle que nous avons dû appeler savante, les tenants de l'alphabétisation s'étant improprement emparés du vocable. 

Ce détour par des activités en BCD "modifiant les termes de l'apprentissage", qu'on aurait pu croire un recentrage ou une concession à l'air du temps qui voulait n'en faire qu'un équipement supplémentaire de l'école, n'était autre qu'un moyen d'affirmer de façon encore plus opérationnelle que la BCD est un outil au service d'un projet qui veut former des lecteurs. Pas des producteurs de sons ou des décripteurs de mots, mais des pisteurs des sens multiples, des amateurs de la complexité des textes et du monde, des renifleurs des diktats écrits alentour. 

Les BCD, 20 ans après : cohérence et persévérance... 

                           Thierry OPILLARD 
 

(1) Association pour le Développement des Activités Culturelles dans les Etablissements Scolaires. 

(2) INRP de l'époque. 

(3) Auxerre, Evry, Longvic, Poitiers, Rouen, Saint-Quentin. 

(4) dossier n°3 des actes de lecture : Les BCD - p.147 (J.C. Passeron) et p.152 (J.Foucambert). 

(5) malgré le livre d'Yves Parent : Les BCD, pour quelle école ? pour quelle lecture ? AFL (épuisé). 

(6) dossier n°3 des A.L. : Un lieu de production d'écrits. Yves Parent p.86. 

(7) sans oublier les outils informatiques d'analyse comme Analyse de textes et Genèse du texte. 

(8) dossier n°3 des A.L. : p. 147 (J.C. Passeron) p.65 (Y.Chenouf et R.Millot). 

(9) dossier n°3 des A.L. : p.89 (Y. Parent) p.116 et 120 (Y. Chenouf).