La revue de l'AFL Les actes de lecture n°57 mars 1997 ___________________ |
note de lecture
Un ange cornu aux ailes de tôle " Ouvrir un livre demeure l'un des gestes les plus jouissifs, les plus irremplaçables de la vie. ". Ce livre a une double richesse :
il est livre, on m'en avait dit le plus grand bien, j'avais très
envie de l'ouvrir, mais son titre n'aiguillait guère mes attentes.
Elément, voire événement inattendu, le héros-narrateur
est un lecteur parmi les plus experts.
L'auteur est écrivain québécois, dramaturge essentiellement, et il raconte ses pratiques de lecteur entre cinq et vingt ans. Sans aucun doute son regard d'adulte lettré nourrit sa façon de rapporter ses rencontres avec les livres. Et sans aucun doute notre conception de la lecture trouve-t-elle un miroir vivant dans cette expérience. Michel Tremblay offre l'image d'un enfant pris dans un réseau sous-jacent d'autres lecteurs (sa grand-mère, sa mère, ses frères, la bibliothécaire), un enfant qui ressentait fortement et n'a pas pu oublier les effets de ses lectures, effets physiques, intellectuels, sensuels - un enfant qui de lecture en lecture découvrait que ces effets positifs ou négatifs étaient liés à l'écriture de l'auteur et éprouvait le désir grandissant d'écrire à son tour. " Mais est-ce que la lecture ne mène pas obligatoirement au goût de l'écriture, au besoin de l'écriture ? " (p.106) Très vite le jeune Michel Tremblay apparaît comme un lecteur séduisant en ce qu'il réagit sans cesse et avec beaucoup de force. Il réfute la fin du conte Blanche-Neige et les sept nains, en lit toutes les versions de la bibliothèque et se résout à inventer une autre fin pour ses copains de jeu. " Je ne comprenais pas que le bec mouillé d'un prince charmant... " Je ne vous en dirai pas plus. Il s'enfièvre réellement en lisant Les enfants du capitaine Grant car il ne peut imaginer que l'auteur le laisse périr, lui le lecteur identifié à son héros. Dans une longue conversation, il oblige sa mère à reconnaître la non-vraisemblance de certains romans ( " Ca a pas grande allure, toute c't'histoire-là, moman... " Et il est heureux le jour où il découvre que " la vraie vie ", la condition sociale du " petit peuple perdu d'avance ", peut être exposée sans forcément s'appuyer sur des explications, sans que soient forcément trouvées des solutions et sans que soit systématiquement insufflée le sentiment chrétien de culpabilité. Il lit et relit Vol de nuit de Saint-Exupéry tant il apprécie l'audace et la personnalité du style que les frères de l'Instruction chrétienne s'évertuent à étouffer dans la copie de leurs élèves. " Je développai ainsi deux styles complètement différents : un jour l'école parce que je voulais que mes notes continuent à être hautes (...), l'autre, plus baroque, infiniment plus personnel, pour moi tout seul, comme un cadeau. " Il passe des heures sur les textes d'Eschyle afin de maîtriser la richesse implicite contenue en quelque lignes. " Moman, c'qu'on nous fait lire à l'école est plate pour mourir, j'veux me faire une éducation tu-seul ! " Ce livre autobiographique nous permet
de rencontrer un deuxième personnage, essentiel dans la vie de Michel
Tremblay : sa mère. Elle emplit le livre comme elle devait emplir
l'espace, elle suit de plus ou moins loin les lectures de son jeune fils,
elle en parle avec lui sur un ton de contrôle sans jamais pouvoir
le priver. " You can't say he reads too much... C'est toé qui l'encourage
à lire... - J'y dis de pas se casser le cou quand y lit, de pas
lire couché, de lire assis, le corps droit, de faire attention qu'y'aye
assez de lumière, que la lumière vienne de la gauche, de
l'éteindre avant de s'endormir... "
" On dit que désirer est plus jouissant que posséder. C'est faux pour les livres. " Annie JANICOT |