La revue de l'AFL
Les
actes de lecture n°57
mars 1997
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CLASSES-LECTURE SUR SITE
HISTORIQUE
Sur le modèle des classes transplantées, l'I.E.N. de Cagnes-sur-Mer,
et un groupe d'enseignants adhérents à l'AFL ayant participé
à la formation adultes à Bessèges ont décidé,
en collaboration avec la Mairie de faire fonctionner des séjours
de Classes-Lecture à Andon dans les Alpes-Maritimes. Le travail
conduit a été présenté en conseil d'I.E.N.
et la proposition de faire bénéficier tout le département
d'une telle structure a été acceptée par l'Inspecteur
d'Académie qui a, la première année, dégagé
un poste d'enseignant pour conduire l'expérience.
Mais, afin d'être au plus près des lieux de vie des
enfants et des adultes, de pouvoir mobiliser le plus grand nombre de
partenaires de l'école autour de projets globaux, de toucher un
maximum de parents, les classes-lecture ont pris comme orientation de
se déplacer dans les écoles où travaillaient les
enseignants demandeurs : les classes-lecture sur site étaient
nées dans le département..
OBJECTIFS ET MISE EN PLACE
Un séjour classe-lecture favorise une réflexion sur l'essentiel
des conditions qui permettent à l'enfant de devenir lecteur. Il
semble primordial :
- de développer avec les partenaires de l'école (enseignants,
parents, municipalités, animateurs, bibliothécaires,...)
et le milieu de vie de l'enfant, des relations d'informations et d'aide
pour que l'écrit accompagne tout besoin d'agir, de comprendre, de
ressentir, de communiquer.
- d'inscrire les enfants et les adultes dans des projets qui leur permettent
d'être producteurs d'actions impliquant le recours à l'écrit.
Les activités portent sur les aspects suivants :
- une appropriation des techniques de documentation et de gestion
d'une Bibliothèque Centre Documentaire
- une découverte de la littérature jeunesse
- un perfectionnement des techniques de lecture et d'écriture
avec un accompagnement théorique et en utilisant en particulier
les ressources de l'informatique
- des actions de promotion de l'écrit à destination de
l'environnement.
Pour le bon fonctionnement d'une classe-lecture, les conditions suivantes
sont à remplir :
- toute demande de classe-lecture devra faire l'objet d'une
présentation en conseil des maîtres et recevoir l'agrément
de ce dernier du moins en ce qui concerne l'occupation de certains locaux
communs ;
- en règle générale, deux enseignants dans des
classes d'un même cycle doivent se porter volontaires, mais il peut
être envisagé d'autres solutions pour des classes uniques,
des demandes liées à un projet d'école...
- la formation dure trois semaines, avec, pour les enseignants, une
contrainte horaire importante, chaque journée de stage se termine
à 18 heures
- pour la totalité du séjour, et s'ajoutant aux salles
des collègues participants, deux salles seront nécessaires
(des aménagements peuvent cependant être envisagés)
: une salle dans laquelle seront installés les ordinateurs, le photocopieur
et où sera dispensée la formation adultes, la deuxième
accueillera un groupe d'enfants
- tous les matins la BCD, si elle existe, devra pouvoir être
utilisée
- il est préférable de louer un photocopieur pour la
durée du stage, le prix de cette location étant compris dans
le budget photocopies.
Les différents séjours effectués :
- en 90-91 : 2 séjours sur le mode des classes transplantées
- en 91-92 : 6 classes-lecture sur site, 5 en cycle II, 1 en cycle
III
- depuis 92, 32 classes-lecture ont été organisées,
majoritairement en cycle II, mais aussi en collège (1 semaine) et
17 classes sont en attente pour les années à venir.
CLASSES-LECTURE ET INSTITUTIONS.
Les instances de l'Education Nationale.
L'Inspection Académique a très vite accepté de
cautionner ce nouveau dispositif de formation. Elle a, dès la deuxième
année, consacré un deuxième poste d'enseignant pour
l'animation des classes-lecture et doté l'équipe d'un site
informatique comprenant 10 ordinateurs, 1 P.A.O. et un fonds de livres
financé par des crédits affectés au plan d'équipement
des BCD. Si l'accord immédiat de l'Inspecteur d'Académique
et du Rectorat peuvent s'expliquer par souci de répondre à
la demande ministérielle qui incitait à proposer des actions
innovantes dans le domaine de la maîtrise de la langue, l'adhésion
de l'IUFM semblait plus problématique.
Une présentation des classes-lecture sur site a été
faite aux professeurs de français par l'IEN chargée du projet
et n'a provoqué que peu d'intérêt dans un premier temps.
Au fil des années et des relations personnelles qui se sont nouées
entre les formateurs des classes-lecture et certains professeurs de l'IUFM,
mais aussi entre les professeurs d'école stagiaires et les enseignants
qui avaient participé aux classes-lecture, des contacts se sont
établis et une ébauche de collaboration se dessine : les
formateurs des classes-Lecture sont invités à l'IUFM soit
pour présenter les classes-lecture, soit pour animer des ateliers
lecture/écriture. Des professeurs d'école stagiaires demandent
à suivre la formation sur leur temps personnel et si les classes-lecture
ne sont pas encore assimilées à des lieux de stage reconnus
et validés par l'IUFM leurs animateurs ont fait une timide entrée
dans le monde de la formation initiale.
Durant trois années de suite, un stage national intitulé
Aide à la création de Classes-Lecture sur site s'est tenu
dans les Alpes-Maritimes. Cette reconnaissance au niveau national de l'action
conduite au plan départemental témoigne d'une volonté
de faire connaître les initiatives entreprises dans l'hexagone en
faveur de la lecture/écriture et peut-être aussi de privilégier
des propositions nouvelles alliant théorie et pratique au cours
d'un même stage.
Comme on le voit, les instances les plus hautes de l'Education Nationale
ont bien accueilli le projet et l'ont aidé à essaimer dans
d'autres départements. Il n'en n'a pas été toujours
de même pour ce qui concerne des instances de proximité. Un
certain nombre d'IEN ont adhéré à la création
des classes-lecture et les ont soutenues. D'autres s'y sont opposés
pour des raisons variées. Tantôt il s'agissait de refus liés
à la lourdeur du dispositif de formation, tantôt les rejets
étaient plus ouvertement idéologiques, sans même savoir
ce qui se faisait dans les stages. On s'opposait à la diffusion
de l'information au seul motif que c'était l'AFL qui orchestrait
les classes-lecture !
Les instances municipales
Il est clair que sans l'aide de la municipalité de Cagnes-sur-Mer
et de son adjointe à l'éducation, le projet n'aurait pu voir
le jour. Il a d'abord fallu prouver que l'équipe pressentie pour
animer ces actions de formation était capable de les réaliser.
Alors la confiance des partenaires municipaux a été totale
et s'est poursuivie depuis. Mais la ville avait son propre projet de développement
de la lecture et cette idée de classes-lecture venait conforter
un ensemble d'actions qu'elle conduisait déjà auprès
de publics divers en âge et appartenance sociale.
Cet accueil favorable est le fait de toutes les communes qui sont déjà
engagées ou qui s'engagent dans "la bataille de la lecture". Deux
villes du département, Grasses et Carros, sont des villes-lecture
le partenariat avec ces communes, parfaitement sensibilisées à
l'idée de politique globale de lecture, aurait dû être
grandement facilité. Ce fut le cas de Carros.
Si la composition de la population et en particulier la présence
importante de conditions socio-professionnelles défavorisées,
oblige les municipalités à prendre des mesures particulières
en faveur de ce public démuni face au monde de l'écrit, il
ne faut pas sous-estimer le rôle essentiel joué par les réseaux
associatifs ou amicaux qui se nouent dans les cités. Les discours
alarmistes diffusés par les médias produisent des effets
qui ne sont pas que pervers puisqu'ils incitent les collectivités
territoriales à prendre aussi leur part dans la lutte contre l'illettrisme.
Dans cet environnement institutionnel plutôt consensuel et facilitant,
il importe d'évaluer les effets attendus de ce type de formation,
à savoir, la transformation des pratiques pédagogiques des
enseignants ou tout du moins l'intégration d'un certain nombre d'éléments
importants du dispositif global proposé au cours des classes-lecture.
C'est pour répondre à ces questions qu'une recherche
est en cours diligentée conjointement par l'INRP et l'IUFM de Versailles.
Il ne s'agit donc pas de donner en avant première les résultats
de cette enquête mais de rapporter ce qui s'observe dans les classes
qui ont vécu cette expérience en essayant de distinguer les
activités ou pratiques qui sont adoptées facilement et celles
qui rencontrent opposition et refus.
Généralement on adopte les outils et le matériel
suivants présentés au cours du stage :
- exploration de textes (entrée dans un texte long et lecture
feuilleton pour le cycle 2)
- fichier Atel ou ELMO/ELMO International
- entraînement B.C.D.
* on privilégie résolument la recherche active du sens
par l'enfant qui explore les écrits fonctionnels mais aussi fictionnels
* on s'attache à promouvoir une culture de l'écrit et
on s'efforce de faire connaître la littérature jeunesse par
des présentations de livres à fréquence généralement
bimensuelle
* on essaie de maintenir, avec des réussites diverses, le circuit-court
de communications.
Quelques écoles publient depuis la classe-lecture un véritable
hebdomadaire à usage restreint qui fait le point des projets en
cours, de ce qui se vit, de ce qui se fait dans l'école, qui défend
des points de vue et aide à mieux réfléchir sur ce
qui se joue dans les classes.
* on participe, en général, aux projets de promotion
de la lecture qui sont proposés soit par le département,
soit par la circonscription, soit par la commune
* une vraie sensibilité au monde de l'écrit se développe
qui touche souvent d'autres collègues de l'école. La production
d'écrits semble plus abondante et plus régulière mais
il faudra y regarder de plus près avant de l'affirmer
* si l'équipe éducative a bien accepté la participation
des deux classes à la classe-lecture, le fonctionnement de l'équipe
éducative est facilité
* enfin, un dernier point peut être retenu en positif : la plupart
des classes qui ont bénéficié de la formation s'attachent
à finaliser et souvent socialiser leurs actions.
LES RETICENCES, LES REFUS, LES QUESTIONS
Alors que rien dans les textes ne s'oppose à l'adoption d'autres
comportements ou d'autres pratiques personnelles, les enseignants ont du
mal à intégrer à leur pédagogie l'idée
de projet comme commande sociale ou comme outil de transformation de l'environnement
proche.
Ils éprouvent beaucoup de difficultés à accepter
la réécriture des textes des enfants tant le discours dominant
sur le respect de la production enfantine les a rendus incapables de faire
la différence entre respect de l'individu et évaluation objective
des compétences scripturales d'un enfant en apprentissage.
Lorsque les formateurs de la classe-lecture se retirent, ils emportent
avec eux le nouveau statut que l'enfant venait de conquérir ; il
redevient l'élève qui a plus de devoirs que de droits, il
n'est plus acteur au sein d'une équipe où chacun connaît
son rôle et le joue le mieux possible pour faire réussir l'entreprise
commune ; il devient souvent spectateur plus ou moins actif d'une pièce
dont il ne comprend pas toujours le sens.
Rares sont les parents qui continuent à travailler avec les enseignants
à la fin de la classe-lecture. Pourtant la plupart du temps cette
collaboration se passe bien et chaque partie l'apprécie.
Enfin le partenariat avec les collectivités territoriales pourrait
être plus productif qu'il ne l'est habituellement.
On le voit, les problèmes portent sur des points essentiels qui
sont plus liés à la personnalité de l'enseignant qu'à
de supposées contraintes administratives. Certes, le maître
est nourri d'une culture professionnelle qui n'a pas toujours valorisé
ces conceptions de l'enseignement mais ces idées nouvelles traversent
les Instructions Officielles, il y est question d'enfant citoyen, d'enfant
acteur de ses apprentissages, d'enfant au centre d'un système éducatif.
Comment passer de ces incantations à des réalisations
pratiques ? Un séjour en classe-lecture n'apporte pas la réponse
à cette question, il propose des orientations, des accompagnements,
des réflexions. Il faudrait soutenir les initiatives, aider les
enseignants à échanger, continuer à réfléchir
ensemble et à avancer sur un chemin qui doit, certes être
parcouru de façon singulière, mais qui doit offrir, à
intervalles réguliers des points de rencontres et de réassurance.
Les moyens en personnels mis à la disposition du département
ne permettent pas à la fois d'organiser un suivi, d'assurer un lien
avec les communes qui manifestent de réels besoins de formation
pour des intervenants divers (accompagnement scolaire, alphabétisation,
formation de leurs propres employés) de répondre à
toutes les demandes formulées par les enseignants, de s'interroger
sur l'action conduite, d'expérimenter d'autres actions.
La nécessité se fait sentir d'une démultiplication
des actions, d'une instance de coordination au niveau départemental,
d'une liaison plus grande entre collectivité et Education Nationale.
Quelles réponses donner à ce besoin ? Par quelles actions
pourrait-on contribuer à mobiliser toutes les parties concernées
autour d'un projet départemental ? Comment l'AFL pourrait-elle soutenir
ce projet ?
Gabrielle ORIGONI