La revue de l'AFL
Les actes de lecture n°57 mars 1997 ___________________ LE TEMPS D'APPRENDRE
Nos lecteurs connaissent la BCD de
l'école maternelle Edouard Vaillant de Bobigny. Sa
présentation, ses activités et son évolution ont
fait l'objet d'articles dans nos colonnes et d'une publication dans la
collection Théo'Prat (*). Jean Louis Briand, un de ses
responsables, montre précisément en quoi ces moments
d'écriture et donc d'analyse et de réflexion sont une
aide pour une équipe éducative à la toujours
nécessaire obligation d'évoluer, d'améliorer les
pratiques en œuvre, de faire de la BCD l'instrument de nouveaux
objectifs. (*) Naissance d'une BCD en maternelle. A.L. n°18, juin
87. Evaluation BCD 88/89. Nov. 1989 (épuisé). Petite BCD
deviendra grande ? A.L. n°43, sept.93 ou Dossier n°3 des A.L.
sur les BCD. Une BCD au cycle 1. Théo'Prat n°1, AFL, nov.95
L'exigence d'une continuité pédagogique et éducative entre 2 et 12 ans, pour l'apprentissage de la langue écrite comme pour le reste, est une évidence désormais partagée par beaucoup. Pour la lecture et la production écrite, la BCD semble constituer une réponse particulièrement bien adaptée à un tel objectif de continuité. Mais nous savons tous que les réalités du terrain contraignent
souvent à convertir provisoirement "nos" évidences en espérances,
d'autant qu'il s'agit presque toujours d'un provisoire... qui dure ! À
vingt ans de distance, immanquablement, une grande variété
de rapports se sont tissés entre la BCD et ses usagers, la BCD et
ses concepteurs, la BCD et ses partenaires, la BCD et les formateurs...
Le nuancier des discours témoigne de cette hétérogénéité,
allant du désenchantement au désabusement, en passant par
le détournement (conscient ou non), sans oublier la poignée
d'enthousiastes têtus de la première heure et, tout de même,
quelques nouveaux venus. Si bien qu'inviter aujourd'hui toutes ces sensibilités
à se réunir pour exprimer leur point de vue sur les BCD provoquerait
sans doute une formidable cacophonie qui ferait désordre dans le
climat tempéré du pédagogiquement correct de cette
fin de siècle. Du reste, personne ne se risque à prendre
une telle initiative, pas même le Ministère, pourtant à
l'origine de la généralisation en 1984. À l'heure où
toute bibliothèque d'école, quels qu'en soient les objectifs
ou les modalités de fonctionnement, est "innocemment" et presque
systématiquement baptisée "BCD" (alors qu'il ne viendrait
à l'esprit de personne d'affubler une bibliothèque municipale
de l'appellation "BCD de ville" par exemple !), il convient de montrer,
à l'occasion du vingtième anniversaire de cette innovation
majeure, que le concept et les objectifs originaux ont parfois trouvé,
bon an, mal an, leur traduction dans les faits malgré l'utopie apparente
et l'ambition certaine du projet initial (1). Aussi,
voudrions-nous illustrer les effets dynamiques qu'un tel projet peut provoquer
auprès d'enfants et d'adultes, mais également dessiner les
limites auxquelles ces mêmes enfants et adultes peuvent être
confrontés à travers un exemple, celui de la BCD de l'école
maternelle E. Vaillant à Bobigny.
L'AVANT THEO'PRAT. L'histoire de cette BCD est ponctuée d'écrits qui, sur
dix ans, ont tenté régulièrement de faire le point
(Cf. la liste en tête de cet article). Faire référence
à ces moments où l'énergie, jusque-là mobilisée
dans l'action, se concentre sur l'analyse et la mise à distance,
est une manière d'inviter le lecteur curieux à véritablement
mesurer le chemin parcouru. C'est aussi une façon de dire, à
qui veut bien l'entendre, que la mise en place d'une authentique BCD ne
consiste évidemment pas à appliquer aveuglément un
concept théorique et des principes dogmatiques puisqu'il s'agit
essentiellement d'une aventure pédagogique et d'une recherche-action
jamais achevées, vécues par une communauté d'enfants
et d'adultes. C'est donc, sinon à une révolution, du moins
à une évolution permanente que sont invités à
participer tous ceux qui souhaitent faire avancer un tel projet.
1 - au niveau de la fréquentation en libre accès, par
une réduction de la consommation au profit de l'implication des
enfants.
L'APRES THEO'PRAT. À l'issue de l'année scolaire 1995/96, le bilan proposé par les deux collègues alors permanents, montre que les propositions 1 et 2 ont trouvé une traduction, au moins partielle, dans les faits. 1 - L'articulation BCD/classes : moins de consommation, plus d'implication.
Des enfants acteurs et responsables.
2 - Un affinement de certaines fonctions de la BCD.
Les conditions de production d'écrit sur l'ordinateur, proches de ce qu'on entend généralement par l'expression "dictée à l'adulte", avait retenu l'attention de nos deux observateurs ; ça fonctionnait plutôt bien mais comment pouvait-on aller plus loin, avec des enfants si jeunes, en différenciant plus encore l'énoncé oral d'une vraie production écrite ? Tout d'abord, améliorer la qualité du stock d'images que les enfants consultent et à partir desquelles ils proposent un énoncé. Puis, après avoir enrichi l'environnement informatique d'un espace mémorisant toutes les phrases produites par les enfants, il fut convenu que la BCD proposerait des séances d'écriture pendant lesquelles un petit groupe de volontaires, aidés par l'adulte, retravaillerait certaines phrases pour en faire un texte véritablement écrit. Trois ou quatre séances ont ainsi eu lieu dans l'année. 3 - Faire évoluer le rapport à l'écrit.
Mais c'est au début de cette année scolaire 96/97 que le projet, baptisé, faute de mieux pour l'instant, Monographies, a été initié et a trouvé une forme plus précise. Il s'agit, avec l'aide de divers partenaires (profs et élèves de collèges, bibliothécaires, écrivains en résidence...), de faire de la vie de ces parents, en les associant à l'écriture, un écrit particulier qui raconte leur histoire et s'adresse aux enfants de l'école. Une sorte d'écrit nouveau qui viendrait enrichir le fonds de la BCD. Six familles immigrées sont d'ores et déjà impliquées. Des entretiens enregistrés ont eu lieu ; des professeurs de collège ont été contactés et souhaiteraient impliquer leurs élèves dans le travail d'écriture... Nous pressentons tous qu'il est important de réussir, même si cela paraît difficile et ambitieux. Car au-delà de la production écrite, il y a un manque à combler, une forme d'exclusion à combattre, une injustice à réparer : pourquoi ces jeunes enfants de banlieue populaire, fils et filles de migrants, n'auraient-ils pas la possibilité de retrouver leurs parents ou leurs grands-parents dans des livres ? des personnages, des héros, auxquels ils pourraient s'identifier, comme tout un chacun ? "L'exception culturelle", c'est peut-être le parc Astérix contre Disneyland, mais ça doit pouvoir être aussi le droit à toutes les exceptions... sans exception ! Et puis, du côté des adultes, certains détails suggèrent que cette démarche nous projette hors des sentiers battus ; comme cette rencontre avec une famille antillaise (eh oui ! ils se sentent immigrés, déracinés, eux aussi...) que nous avons quittée, nous les enseignants, militants de la lecture, avec deux livres à lire... 4 - La continuité pédagogique.
Ainsi, certaines évolutions se sont opérées ces
deux dernières années, sur le plan pédagogique et
relationnel, à la suite d'un important renouvellement des collègues
enseignant sur la ZEP. À la faveur de ce renouveau donc, d'une douce mais
ferme incitation à collaborer, formulée par l'équipe
de circonscription (IEN, CPAIEN), d'une meilleure perception du travail
effectué au cycle 1 grâce à la parution de la brochure
Théo'Prat déjà citée, d'une proposition d'aide
à la remise en route d'une bibliothèque de prêt, faite
par notre demi-permanent supplémentaire, quelques actions ont vu
le jour cette année : un atelier de production de textes sur ordinateur
pour des enfants de CP, un atelier Lecture de Presse avec des CP et des
CE1, un tutorat entre une classe de CE2 et les enfants d'une classe multi-âges...
Le point de vue développé dans cet article ne peut conduire
qu'à une conclusion définitivement... provisoire. D'autres
évolutions sont à venir (dans l'usage que nous faisons de
l'informatique par exemple), d'autres écrits en témoigneront,
nous en sommes certains.
Or, ce facteur Temps est au cœur du concept BCD : le travail en équipe, la transformation des statuts, l'ouverture sur la vie, des cycles pour rythmer les apprentissages. Une BCD dans l'école, c'est se donner le temps d'apprendre. Soyons les "maîtres du Temps" ! Jean Louis BRIAND (1) Vers une nouvelle école élémentaire. T. Opillard. A.L. n°56, déc.96 |