La revue de l'AFL
Les actes de lecture n°58 juin 1997 ___________________ Autour du processus
Le texte qui suit est le troisième extrait que nous présentons du tome 2 (*) du rapport final de la recherche action INRP/AFL sur la Genèse du texte dont le principe général a consisté à mettre en relation les informations recueillies sur plus de 550 textes écrits majoritairement en classe par des élèves. Informations sur les conditions de production de ces textes, informations sur les processus de leur écriture grâce au logiciel Genèse, informations sur leurs caractères linguistiques telles qu'en rend automatiquement compte le logiciel Analyse de textes. Le premier extrait (A.L. nø56, déc.96, p.36) répertoriait la liste des domaines d'informations réunies sur les 550 textes et analysait les 31 variables décrivant les processus d'écriture. Le second (A.L. nø 57, mars 97, p.42) présentait les indices linguistiques des textes témoignant de la part de leurs auteurs d'un rapport spécifique avec la langue écrite pour les confronter ensuite avec ce qu'on connaissait des conditions de leur production. Ce troisième extrait témoigne de la même préoccupation que le second. Quelles indications d'ordre pédagogique peut-on déduire de la mise en relation de ce qui caractérise le processus de production des textes avec ce que l'on connaît de la situation dans laquelle ils ont été produits ou de leurs auteurs ? (*) La première partie (tome 1) du rapport est consacrée aux interventions didactiques provoquées dans le cadre de l'enseignement de l'écriture par la création d'un "observable" (Cf. A.L. nø52, déc.95, p.45 et nø54, juin 96, p.24). L'ensemble du rapport est consultable à l'AFL où l'on peut aussi se le procurer à raison de 80F chaque tome.
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Soit les 31 variables que nous avons utilisées pour décrire le processus de production, celles que nous appelons les variables GENESE. Est-il possible d'observer leur variation en fonction de données caractérisant la situation de production des textes et leurs auteurs ? Nous retiendrons de la situation de production les caractéristiques suivantes : ainsi que 2 éléments empruntés à Bronckart : enfin 4 caractéristiques de l'auteur : Nous utiliserons un modèle d'analyse de covariance pour évaluer la contribution de chacune de ces 10 variables au processus de production lorsque les 9 autres sont contrôlées.
I. Rapport au référent et prise en compte du destinataire Nous adopterons (ici et pour la suite) une présentation sous forme de tableau avec, en ligne, les aspects observés au cours du processus d'écriture par le logiciel Genèse et, en colonne, les variables externes dont nous cherchons à cerner l'influence. On marquera par le signe + la présence d'une contribution significative dans un sens positif et par le signe - une contribution significative mais dans un sens négatif. Il est hors de question de pouvoir interpréter ces liaisons, le fait de les recenser constituant déjà une donnée scientifique nouvelle qui ouvre des pistes dans l'étude du processus de production de textes. Tableau 1
Il est donc clair ici que, toutes choses étant égales par ailleurs, l'intention de produire un discours autonome conduit à un temps global plus long d'écriture et à un plus grand nombre de sessions. Il en va de même, en ce qui concerne la durée, pour l'intention de produire un discours disjoint. Tout se passe comme si l'intention d'autonomie, cette volonté de prendre de la distance avec le lieu de production, de faire que l'activité langagière de l'énonciateur ne s'inscrive pas dans une zone de coopération sociale à l'intérieur de laquelle des finalités sont poursuivies par les membres d'un groupe, engage dans une écriture plus longue. De même lorsque l'intention est de produire un texte disjoint, lorsque l'énonciateur possède une connaissance du référent qui n'est pas celle du destinataire. Il semble donc que, dans les deux cas (autonome, disjoint), l'auteur s'embarque dans une écriture plus longue, comme en témoignent ces données brutes : C'est moins la longueur du texte achevé qui est en cause que le temps pour le produire, donc ici la quantité relative de travail, supérieure pour produire un texte autonome et disjoint. Tableau 2
En revenant au premier tableau, on observe un autre effet de ces 2 paramètres de la situation de production : celui sur le moment où l'auteur procède massivement à des suppressions et remplacements. L'intention de produire un texte impliqué semble rendre cette activité nécessaire au cours du deuxième tiers du temps d'écriture, un peu comme une mise au point et un cadrage avant de poursuivre tandis que la production d'un texte disjoint fait appel à cette démarche dans le 3ème tiers, comme pour une ultime mise au point. Nous n'avons pas, à ce stade, d'hypothèse à formuler pour rendre compte de ces faits. Pour en terminer avec ces deux paramètres de la situation de production, nous observerons combien ils contribuent peu à la variation du processus de production alors qu'on imagine, et on en aura confirmation par la suite, que ces deux paramètres sont déterminants par rapport aux caractéristiques linguistiques des textes produits, comme l'ont déjà montré les travaux de Bronckart.
II. Nature de la commande Nous nous intéresserons aux 4 variables
indiquées plus haut qui précisent, presque au niveau du
vécu pédagogique dans la classe, la nature de la
commande, un peu comme le "sujet" de la rédaction. En clair,
qu'est-ce que ça change d'imposer un sujet ou d'en laisser le
choix, de fixer une contrainte formelle, de définir un objectif
au texte (imposer, exposer, proposer), de préciser l'origine du
contenu selon qu'il préexiste et qu'il faut le restituer ou
qu'il est à créer par l'écriture ? On constate d'abord que le projet de restituer ou celui de
créer n'introduit pas de variation importante dans le processus
d'écriture. On voit (tableau 4) que les différences provoquées par ces types de commande sont intenses. Nous n'entrerons pas dans leur commentaire détaillé car l'effet global est très significatif et se comprend aisément à la lecture de ces 2 tableaux dont le second ne fait qu'illustrer le premier. L'idée générale s'organise autour d'une exigence d'écriture provoquée par la liberté du sujet et l'imposition d'une contrainte formelle. Ces deux commandes sont évidemment indépendantes l'une de l'autre. Une contrainte formelle est d'ailleurs 2 fois plus souvent associée à un sujet imposé qu'à un sujet libre, même si globalement c'est l'absence de contrainte et l'imposition du sujet qui dominent comme on peut le constater sur le tableau suivant : tableau5
Pour autant, ces deux commandes (sujet libre, contrainte formelle) donnent des résultats semblables sur le geste d'écriture et leur association se renforce. Il est facile d'admettre que l'existence d'une contrainte formelle oblige à porter attention au matériau au-delà de ce qu'il permet d'exprimer. Ainsi s'expliquent l'abondance des suppressions, la proportion relativement faible des ajouts par rapport aux autres opérations, l'importance des opérations en lecture, suppressions et ajouts, qui témoignent d'un retour constant dans le texte pour le réexaminer, le transformer, d'où l'importance également des temps d'attente, donc de réflexion et de choix avant suppressions en lecture comme en écriture mais aussi avant les ajouts dans le corps du texte. Enfin, les attentes en milieu de phrase plutôt qu'au début souligne la nécessité d'observer ce qui est écrit pour en mesurer l'adéquation non seulement avec ce qui doit être dit mais avec la contrainte qui pèse sur la forme elle-même. En bref, on admettra volontiers que l'existence d'une contrainte provoque une écriture beaucoup plus concertée, beaucoup plus attentive, avec beaucoup plus de retours, de repentirs, de retouches, une écriture qui prend en compte l'écrit. Il faut simplement se demander pourquoi cette contrainte n'est pas plus souvent posée à l'école alors qu'on sait le rôle qu'elle tenait autrefois et qu'elle tient encore aujourd'hui dans l'écriture littéraire, poétique et même dans les ateliers d'écriture. On peut s'étonner davantage des effets du sujet libre. Globalement, ils sont les mêmes que ceux provoqués par l'imposition d'une contrainte formelle. Sauf qu'ils proviennent, en apparence, du contraire : l'offre de liberté pour ce qui concerne, à coup sûr, le sujet du texte et, vraisemblablement, la décision de le produire. On est dans la situation qui correspond assez bien à l'idée que la majorité des enseignants se fait du texte libre. Or cette liberté est le plus souvent préconisée pour des raisons qui ont à voir avec l'affectivité, l'expression personnelle, voire un déblocage psychanalysant, la motivation, le respect des préoccupations et du point de vue de l'enfant, bref quelque chose qui concerne le statut. Elle est souvent redoutée par la tradition pédagogique qui pense que si tout est laissé au bon vouloir et à l'appréciation de l'enfant, on aura peu de chance de le voir entreprendre de se dépasser. Les faits statistiques que nous établissons ici avec la plus grande certitude montrent le contraire : la liberté laissée à l'auteur provoque des gestes d'écriture qui vont dans le sens d'une grande attention au processus, d'une grande exigence dans le regard porté sur le matériau, d'un réel dédoublement de l'auteur qui est aussi et d'abord son premier lecteur et réintervient en permanence dans son texte au point que la réécriture devient l'outil privilégié de l'écriture. Nous nous garderons de tirer argument de ces faits pour préconiser telle conception pédagogique car l'important ici est d'expliquer la nature du lien, technique et non moral, entre liberté et exigence. On peut faire l'hypothèse que, lorsque le sujet est imposé, l'auteur construit mentalement le point d'arrivée ; il devient alors souhaitable que l'écriture soit le chemin le plus transparent pour atteindre, sans le dénaturer, cet objectif pré-entrevu, pré-défini par un sujet qui induit plus ou moins fortement but, trajet et moyens linguistiques. Lorsque le sujet n'est pas donné, l'auteur écrit non vers un point d'arrivée qu'il se représente mais en fonction d'un point de départ, l'état actuel et opaque de son émotion ou de sa réflexion. L'écriture devient alors le processus central d'une nécessaire élucidation, le moyen de sentir ou de penser plus "clair". Lorsque le sujet est imposé, le point d'arrivée est donné ; lorsque le sujet est 'libre', seul existe le point de départ et c'est l'écriture qui permet de construire un 'débouché'. C'est le travail d'écriture lui-même qui est outil de pensée, au sens d'exploration, de découverte, de mise en relation nouvelle, de construction inédite. En d'autres termes, le "texte libre", tel que Célestin Freinet l'a introduit, constitue essentiellement une innovation technique dans le domaine de la pédagogie de la langue écrite en ce qu'elle met le projecteur sur l'écriture comme moyen de découvrir le but alors que la forme traditionnelle, en donnant le terme, néglige cette dimension heuristique du travail d'écriture et le réduit à l'énonciation claire d'un déjà bien conçu pour lequel il importe que les mots viennent aisément. Le texte libre, au même titre que l'existence d'une contrainte formelle, mais par des cheminements différents, contraint à la réécriture. Pour en terminer avec l'étude de la contribution des paramètres définissant la nature de la commande sur la variation du processus d'écriture, il nous semble important de souligner l'intérêt scientifique et pédagogique de ces mises en évidence d'un rapport sans équivoque entre la commande d'écriture et le processus d'écriture.
III. Caractéristiques de l'auteur : les effets de l'âge... Nous abordons ici la contribution des 4 dernières variables que nous avons simultanément prises en compte avec les 6 précédentes pour décrire la variation du processus d'écriture. Il s'agit du sexe, du niveau scolaire (élémentaire, collège ou lycée), de l'âge et du degré de maîtrise de l'écriture appréciée par l'enseignant. Ce dernier point est décrit à travers l'affectation de chaque élève à un des quatre groupes virtuels dans la classe, de à à D, des meilleurs aux plus faibles ; il ne s'agit donc pas d'un classement dans l'absolu mais d'une affectation dans des groupes obligatoirement égaux en nombre, ce qui dégage comparativement, quel que soit le lieu, la même proportion de bons, plutôt bons, plutôt faibles et faibles. ( voir tableau 6) On enregistrera d'abord le fait qu'il ne semble pas exister de processus sexués d'écriture si ce n'est une propension des garçons à pratiquer davantage de remplacements, allez savoir pourquoi ! Le niveau de scolarité est une source de variation ambiguë car il est difficile de démêler ce qui est imposé par les programmes et les habitudes scolaires (par exemple, la préparation à la dissertation dans les années de lycée ou la pratique dominante du récit en primaire) et ce que l'âge interdit ou autorise d'aborder, encore que cette problématique ne soit pas aussi assurée qu'il y paraît. On peut néanmoins observer que le collège introduit peu de spécificité dans les gestes d'écriture, tout au plus une écriture plus lente, c'est-à-dire à la fois plus longue et plus coûteuse en temps par rapport à la longueur finale, durée sans doute due à des attentes avant les opérations en lecture plus importantes. Le primaire et le lycée s'opposent sur quelques points. Il semble qu'on supprime davantage au lycée mais plutôt dans un but de corriger et de mettre au point, tandis qu'au primaire les suppressions témoignent de la difficulté à démarrer dans le texte mais ensuite ce sont les ajouts qui forment l'essentiel des opérations. Donc pour résumer cet aspect sur lequel nous n'insisterons pas davantage, il semble que la variation des gestes d'écriture dépende intrinsèquement peu du niveau de la scolarité. Restent alors l'âge et le degré de maîtrise de l'écriture. Il se dégage une forte observation générale : lorsque l'âge et le degré de maîtrise contribuent simultanément à la variation du processus, ils le font massivement dans le même sens. Autrement dit, l'effet de l'âge semble de même nature que l'effet de la maîtrise : meilleur on est ou plus on est âgé, cela revient sensiblement au même. Nous étudierons donc le tableau précédent avec une curiosité génétique : lorsque toutes les autres variables sont contrôlées, trouve-t-on encore des effets spécifiques liés à la maturation ? Le diagnostic est assez aisé à établir autour de deux faits.
1. Temps d'attente En premier lieu, il semble qu'au fil des ans, les attentes au cours du processus d'écriture se transforment pour se concentrer dans des temps de relecture et avant les suppressions. L'attente assez systématique qu'on observe chez le débutant (comme si du temps était nécessaire entre 2 opérations successives) se localise progressivement avant des opérations qui nécessitent de consulter l'écrit et d'y réagir. D'où, comme on le voit sur le tableau suivant, un abaissement du temps moyen d'attente avec l'âge, de 13.4 à 10.4 sec, mais une augmentation relative de la dispersion de ces attentes, de 6.16 à 6.8 (l'indice de dispersion passe ainsi de 46 % à 68 %). Bref, l'auteur semble devenir, avec l'âge, meilleur lecteur de son texte. Mais il est bien évident que ces constats incontestables ne peuvent conduire à jeter les bases d'une quelconque approche génétique du geste d'écriture. Car nous n'avons pas les moyens de séparer l'âge de l'apprentissage, au double sens d'une accumulation d'expériences d'écriture au fil des ans et d'un conditionnement par des modalités d'enseignement qui convergent vers un modèle de scripteur. On en aura une illustration dans le tableau 7. En colonnes,
nous reprenons la variable qui oppose le sujet libre au sujet
imposé, ce dernier correspondant au paradigme scolaire qui
conduit à la dissertation pour les uns, au rapport de stage
d'insertion pour les autres ; en lignes, nous opposons les "vieux"
nés entre 1976 et 1981 aux "jeunes nés en 1984 et 1985,
donc, au moment de l'écriture, ceux qui ont entre 13 et 18 ans
à ceux qui ont 9 et 10 ans. Et nous comparons les temps moyen
d'attente entre 2 opérations :
. Pour les élèves de 9-10 ans, sujet libre ou imposé ne crée pas de différences du geste d'écriture en ce qui concerne les temps d'attente entre opérations . Pour les élèves de 13 à 18 ans, la nature de la commande est déterminante. Dans les écrits de type scolaire (sujet imposé), on observe avec l'âge une forte diminution des attentes, une sorte d'assurance, de compétence, d'automatisation qui permet de produire assez vite. En revanche, dans les écrits de type littéraire, ceux qui ne consistent pas à coucher sur le papier une manière de traiter un sujet mais fonctionnent davantage autour de l'idée d'une aventure de l'écriture allant à la découverte de ce qu'on ne sait pas encore, l'âge, loin de réduire cette attente, accroît considérablement la nécessité de ces temps de réflexion en cours d'écriture.
2. Suppressions En second lieu, l'écriture devient progressivement plus assurée, plus efficace dans la mesure où, semble-t-il, avec l'âge, diminuent ces tâtonnements que constituent suppressions et remplacements. Ainsi de la diminution du temps moyen par mot restant, de la réduction du % de suppressions, de l'augmentation de la localisation de celles-ci dans le début de l'écriture jusqu'à ce que soit trouvé le principe du texte, donc aussi l'augmentation de la proportion d'ajouts définitifs, etc. Ce gain d'efficacité avec l'âge est visible de manière très significative, entre autres, dans le temps moyen nécessaire pour produire un mot restant dans le texte final. tableau 8
Ainsi, on pourrait penser que l'âge contribue à l'évolution des gestes d'écriture et, ici, dans le sens d'une plus grande automatisation qui ferait que les mots viendraient plus facilement. Or cette interprétation heurte une partie des conclusions que nous avons tirées, dans le premier tome de ce rapport, sur l'écriture experte, celle des professionnels et notamment lorsqu'ils s'engagent dans une production littéraire. Voilà qui mérite d'y regarder de plus près. En effet, comme nous l'avons fait remarquer précédemment, cette maturation liée à l'âge ou au degré de maîtrise ne se développe pas dans le vide, elle n'est pas séparable des attentes et encore moins des investissements du système scolaire. . Pour y regarder de plus près, il importe de consulter le tableau 9, assez complexe, avouons-le. En ligne, l'opposition liée à l'âge. En colonnes, l'opposition entre sujet libre et sujet imposé, lequel, répétons-le, correspond beaucoup mieux au paradigme de l'écriture scolaire. Et toujours en colonnes, nous distinguons les meilleurs élèves (catégories A et B) des plus faibles (catégories C et D). Ainsi on voit mieux les interactions sur le temps moyen pour écrire un mot de l'âge et du niveau de maîtrise selon le type d'écriture attendue :
Nous ne revenons pas, au niveau global, sur l'effet de la maturation due à l'âge qui se traduit par une diminution du temps mis pour écrire un mot restant (de 34 à 25 secondes). Mais ce gain d'efficacité avec l'âge n'existe que pour une seule forme d'écriture (sujet imposé), plutôt de type scolaire (de 36 à 17 secondes), qui converge vers la dissertation, épreuve dans laquelle il est préférable d'écrire rapidement du définitif ; il est recommandé, le jour du bac, de ne pas rendre une copie qui ressemble à un manuscrit de Flaubert, même si celui-ci fait par ailleurs l'admiration des examinateurs. À l'inverse, dès qu'on est dans une écriture qui doit donner naissance à quelque chose qui n'est pas encore conçu (sujet libre), la maturation due à l'âge se traduit par une augmentation très importante du temps nécessaire pour produire un mot restant (de 30 à 57 secondes). Et cette variation " génétique " est encore renforcée si on tient compte des résultats des meilleurs et des plus faibles donc des effets de la maîtrise. On a là un bel exemple d'interaction entre 2 facteurs. L'âge et l'excellence vont dans le même sens mais ce sens commun est différent selon qu'on se trouve dans une écriture de type scolaire ou de type "littéraire". Dans l'écriture scolaire, les meilleurs matures sont aussi ceux qui mettent le moins de temps pour produire un mot définitif (16 secondes) et les jeunes les plus faibles mettent le plus de temps (42 secondes). C'est l'inverse dans l'écriture littéraire, les "meilleurs vieux" mettent le plus de temps à produire un mot définitif (61 secondes) et les jeunes, qu'ils soient bons ou faibles, un temps court (30 secondes). Ces résultats, incontestables, sont importants dans la mesure où ils tendent à prouver qu'il n'y a pas une évolution génétique absolue des gestes d'écriture qui permettrait d'observer des stades dans l'apprentissage ou des critères de développement. Il semble au contraire que cette évolution résulte d'une interaction de l'individu avec des situations d'écriture bien précises. S'il y a un sens à cette maturation, il faut alors le chercher dans la capacité à diversifier des gestes en fonction du projet d'écriture. Voilà qui renvoie la balle dans le camp du pédagogique : quelle idée de l'écrit, quelle idée de l'écriture président, chez l'enseignant, au paramétrage des situations de production à travers lesquelles se développe la compétence scripturale de ses élèves ? À l'intérieur de ce paramétrage, les gestes d'écriture évoluent et se perfectionnent différemment, ce qui tend d'ailleurs à conforter l'hypothèse selon laquelle il y aurait au moins 2 processus d'écriture, l'un où notamment les suppressions sont nombreuses et où chaque mot restant aura nécessité beaucoup de temps, processus qu'on rencontre chez l'expert, le meilleur ou le plus âgé au cours d'une activité où l'écriture invente le texte, l'autre, à l'inverse, lorsque l'écriture se propose de transcrire ce qui lui préexiste, où, chez les mêmes meilleurs, experts ou plus âgés, les suppressions sont rares et la productivité forte. Certes, on peut penser que l'école a pour fonction de donner la maîtrise de ces deux écritures. Il importerait de vérifier qu'elle s'en donne effectivement les moyens par la proposition de situations diversifiées. Il importerait aussi de s'interroger sur l'intérêt respectif de chaque compétence et si toutes deux donnent également accès à l'exercice de la raison graphique, c'est-à-dire à ce que l'écrit a de spécifique comme outil de pensée. Jean FOUCAMBERT |