Les actes de lecture n°58 juin 1997
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Avril 1980 :
le tout premier bilan
Les Bibliothèques Centres Documentaires ont vingt ans et
à l'occasion de cet anniversaire, nous continuons la publication
de textes restituant leur histoire ou faisant le point sur leurs
avancées et leurs difficultés (Voir A.L. nø55,
sept.96, p.44 - nø56, déc.96, p.50 - nø57, mars
97, p.66).
Leur histoire : Jean Pierre Bénichou rend compte ici d'un
rapport de recherche INRP de 1980 qui fut sans doute le premier bilan
établi à leur sujet.
Le point actuellement : en un ensemble de textes, des
représentants de l'IUFM, du CDDP et des acteurs de terrain du
département des Hauts de Seine se sont efforcés de
répondre en partenariat à la question : " Comment ce
département, plutôt situé du côté des
plus engagés dans ce domaine des BCD, se situe-t-il en terme de
bilan ? "
Sous le titre Les bibliothèques Centres Documentaires, compte rendu d'expérimentation, l'INRP avait publié voici 17 ans un court rapport de synthèse (*). Il s'agissait d'inventorier les pratiques induites par la présence d'une BCD au sein des écoles dites "expérimentales" qui fonctionnaient alors en réseau. Deux modes de relation étaient privilégiés : échanges de maîtres entre écoles et rencontres périodiques à l'Ecole Normale de Chartres à partir de la fin 78. Il nous a semblé utile de rappeler ici les principaux éléments contenus dans ce compte-rendu, en trois parties, d'une expérimentation alors "vieille" de quelques années seulement.
I. L'aménagement des BCD dans les écoles maternelles et les écoles élémentaires Le rapport d'expérimentation débutait par une longue première partie ainsi intitulée et qui avait pour objet, à la fois, de rappeler les intentions des promoteurs de l'expérimentation et de témoigner des premiers travaux réalisés.
Le parti-pris initial était organisationnel : comment faire de la BCD, le "centre" de l'école ? Mais derrière cette volonté, une ambition forte : Dès l'origine, ces écoles ont choisi de chercher les moyens de faire de leurs bibliothèques des lieux de vie : de travail et de détente, de rencontre et d'échange, de production et d'exploitation, le carrefour et le cœur de l'école en quelque sorte. Un lieu que les enfants, tous les enfants pourraient s'approprier progressivement et gérer avec les adultes : un lieu de rencontre pour tous ceux qui fréquentent l'école. L'explicitation de l'expression lieu de vie
précise l'angle pédagogique retenu et aide à
comprendre combien l'entreprise s'est située, dès
l'origine, du côté de la transformation de l'école.
Rien à voir avec une démarche de type spontanéiste
qui aurait limité l'action pédagogique à
n'exploiter que ce qui serait venu des enfants. Au contraire, et de
manière résolue, le choix qui s'est imposé a
été celui de la complexité : la formulation de
type binaire est là pour l'évoquer : lieu de détente et de travail, de rencontre et d'échange, de production et d'exposition ... Une école disposant d'une bibliothèque ne devrait pasÿrester la même école enrichie de ressources supplémentaires mais une autre école. Plutôt que s'en tenir à améliorer le fonctionnement de la bibliothèque, c'est à la " transformation des conditions de vie et d'apprentissage des enfants " que s'engageaient ces écoles. Ce thème est central : les BCD ont été voulues pour modifier le rapport au savoir en agissant sur les conditions de fonctionnement de l'école dont l'indicateur majeur est la libre circulation des enfants. Les réalisations : ce qu'on faisait alors dans les Bibliothèques Centres Documentaires. Le simple énoncé des pratiques décrites
par les auteurs suffit à montrer à quel point, dès
l'origine, les pionniers avaient fait le tour des principales
innovations possibles :
Une remarque s'impose : dès la phase de l'expérimentation, l'essentiel des activités est en place. On assistera, certes, au fil des années à des variations qui témoignent de la flexibilité du modèle inventé mais pas à de véritables ruptures dans la manière de faire vivre l'outil. Premières observations à propos du fonctionnement interne des BCD. Le rapport fait un premier constat : À l'énoncé des différentes activités proposées aux enfants dans les bibliothèques, (on voit) que la plupart s'apparente à celles qui ont lieu dans les "sections enfance" des bibliothèques municipales et que d'autres qui visent à associer les enfants à la gestion et au fonctionnement de la bibliothèque ainsi qu'à des projets de production tiennent une position plus originale. Deux points sont soulevés ici :
D'une manière générale, la tonalité du rapport est positive. On salue le travail effectué et on y voit la marque de la réussite : ... l'école a su les (les animations) intégrer dans son fonctionnement (...) elle a su utiliser des apports d'une richesse considérable (...) ils (les enfants) participent avec plaisir et souvent intensément aux animations produites par les adultes... Mais en même temps, les rapporteurs adoptent un ton critique avec d'autant plus d'aisance qu'ils sont eux-mêmes impliqués dans l'action : ce dont il est rendu compte dans ce document relève davantage de la promotion collective que de l'invention par des individus avisés de pratiques supposées révolutionner le milieu. Les rapporteurs se situent dans une perspective de recherche-action et non avec la "neutralité" qui serait celle du chercheur-fondamentaliste. Aussi ne manquent-ils pas l'occasion de souligner l'importance de deux types de préoccupations. L'une relative à la nécessité d'approfondir et d'enrichir certaines activités traditionnellement proposées en bibliothèque (la présentation de livres...) et l'autre beaucoup plus générale et qui porte sur les styles de relations qui s'établissent entre les enfants et les activités réalisées à la bibliothèque. Après avoir observé que ces animations peuvent être regroupées sous deux grandes familles (celles qui enrichissent l'école sans la changer et celles qui tendent à modifier le rapport des enfants à ce qu'ils font), le document met en évidence le critère décisif entre ces deux modalités : les enfants sont-ils en situation de faire des choix importants entre ce qui a lieu en bibliothèque et ce qui a lieu en classe ? La ligne de partage est bien celle qui sépare les écoles en voie de transformation, des écoles à la recherche d'un simple aménagement par accumulation de ressources. Et les rapporteurs formulent sans ambigu‹té le parti pris qui est au principe de l'expérimentation : prendre appui sur l'existence d'un centre commun de ressources pour induire l'organisation nouvelle dont ils pensent (avec les acteurs de terrain) qu'elle rendra possible les transformations jugées nécessaires. Un paragraphe décrit dans le détail les conséquences à en tirer : L'existence dune bibliothèque tend à rendre caduque l'unité-classe et à rendre difficile la pratique des leçons collectives. elle oriente les efforts vers la prise en compte collective de multiples problèmes au sein de l'école et vers les moyens d'organiser les activités des enfants sous des formes plus souples et plus variées et les interventions d'enseignement de façons plus ponctuelles, plus personnalisées et mieux différenciées.
Analyse Le rapport se poursuit par un approfondissement des orientations possibles, des enjeux et des dérives. Les premières pratiques ainsi décrites clarifient la problématique : Quant aux orientations : Les maîtres qui cherchent à faire fonctionner une bibliothèque auront (désormais) à se demander s'ils veulent enrichir leur école d'une ressource supplémentaire ou s'ils cherchent à créer une autre école. Quant aux enjeux : Le projet est mobilisateur puisqu'il porte sur la vie des enfants à l'école et dans les classes et qu'il interroge par conséquent les conditions d'apprentissage et les fonctions de l'enseignement. Quant aux dérives : Elles sont de trois types. " Une ressource que l'école intègre assez facilement à son fonctionnement " (Cf. les remarques à propos de l'emploi du temps des classes comportant en plus des autres activités, une activité nouvelle : la BCD) " une tendance à dissocier ce qui est vécu à la bibliothèque de ce qui a lieu en classe ", " le retour à la bibliothèque-classe. " Le rapport se poursuit par l'évocation des projets actuels et des voies explorées. L'axe consommation-production est considéré comme le plus fécond pour " interroger directement le fonctionnement de l'école ". Il constitue un bon indicateur de la nature et de la portée des innovations liées au fonctionnement d'une bibliothèque. Divers exemples sont cités qui vont tous dans le même sens : l'affirmation qu'il est possible de " ne pas isoler artificiellement des activités et de proposer aux individus et à des petits groupes des tâches visant la production de ce qui pourrait être utile à tous ". En voici un : " raconter une histoire est une fin en soi mais cela peut également être pour certains enfants l'amorce d'un travail à réaliser pour faciliter les recherches et les choix des autres lecteurs potentiels ". Autre indicateur : comment conçoit-on l'enseignement de la lecture ? À ce propos le rapport cite un certain nombre d'acquis en ce domaine que l'extrait suivant résume bien : L'existence d'une bibliothèque est susceptible de renverser l'opinion pédagogique dominante qui fait de l'apprentissage de la lecture une sorte d'initiation générale, fondée sur l'acquisition d'outils universels, rendant possibles toutes les pratiques ultérieures. Elle permet, en effet, à chaque enfant de faire l'expérience active des différentes formes d'écrits, en associant dès l'abord les pratiques de lecture et la réflexion sur leurs objets et sur elles-mêmes ...
II. Fiches techniques. Nous ne développerons pas cette partie. Nous nous contenterons de donner une idée de son contenu en évoquant sa composition et ferons de brefs commentaires Le contenu En cinq paragraphes denses, émaillés d'exemples
concrets facilement reproductibles, le rapport fait le point sur les
pratiques alors en cours quant au rôle et au fonctionnement d'une
BCD d'un point de vue technique. D'une part, l'informatisation n'était pas à
l'ordre du jour et d'autre part, surtout, le monde de l'école
tenait pour négligeables les impératifs
bibliothéconomiques. Commentaires. Ces fiches techniques ont quatre caractéristiques. Si
l'une d'entre elles date (celle qui donne de l'importance aux
fichiers-papier) les trois autres en font aujourd'hui encore l'attrait.
III. Perspectives pour l'animation pédagogique et la recherche. L'idée qui prévalait en 1980 (et qui
prévaut toujours ?) est qu'une innovation n'a de chance de se
développer que si deux conditions sont remplies :
Dans sa toute dernière partie, le compte rendu opère, une fois encore, par renforcement. Le sous-titre est, on ne peut plus, explicite : il pose la question qui traverse l'ensemble de l'expérimentation. Va-t-on " vers le modèle d'une autre école ? "1980, c'est la fin d'une période : les années 70 s'achèvent. Elles auront été celles de "la rénovation pédagogique" pensée depuis le centre du système (le ministère) au profit de sa périphérie (les écoles). Il était donc naturel que l'expérimentation se termine par ce rappel des devoirs de l'Institution à l'égard de tous ceux qui ont relayé (sinon anticipé) cette exigence. Comment les pouvoirs publics doivent-ils marquer leur intérêt ? De trois façons au moins : En intégrant les acquis actuels de la recherche dans le discours officiel, en particulier au niveau de la formation,
La suggestion s'accompagne d'une véritable mise en garde : Si des efforts ne sont pas réalisés pour faire porter le débat sur l'essentiel (le changement de mode de fonctionnement de l'école, le statut de l'enfant, ses rapports au savoir, les conditions d'apprentissage), l'évolution présente conduira à la marginalisation des pratiques réellement novatrices ainsi qu'à la multiplication des transformations formelles sans portée réelle et par là mystificatrices. On pouvait difficilement être plus précis pour caractériser le risque majeur de l'apparence d'un changement. En conclusion N'oublions pas le genre de l'exercice : des fonctionnaires font rapport, au nom de l'Institut National de la Recherche Pédagogique, à l'institution de tutelle de l'état d'avancement d'une expérimentation qu'elle soutient. Il est donc important de citer le principal extrait de la recommandation par laquelle se clôt le texte : La bibliothèque d'école ne présente d'intérêt - mais alors l'intérêt est considérable - que si elle ne reproduit pas le modèle en usage dans les Centres de Documentation et d'Information des collèges. C'est à dire si elle devient réellement un lieu de vie auquel les enfants ont facilement accès et qu'ils apprennent progressivement à gérer : un lieu de vie qui, de proche en proche, questionne le fonctionnement de l'école et le conduit à se transformer ; et non seulement un centre de ressources supplémentaires qui s'intègrerait, plus ou moins facilement, à un ensemble qui ne se tranformerait que formellement. Jean Pierre BENICHOU
(*) Les Bibliothèques Centres Documentaires : compte-rendu d'expérimentation. J.P. Bénichou, J. Foucambert, Rolande Millot, Y. Parent, M. Violet. Document ronéoté. INRP - Organisation de l'école élémentaire. 1980.
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J.P Bénichou
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