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La revue de l'AFL
Les actes de lecture n°58 juin 1997 ___________________
Les BCD : quelles réalités dans les Hauts de Seine Les toutes premières implantations de BCD
dans le département des Hauts de Seine datent de la fin des
années 70. C'est dire que dans ce département, l'effet
"mobilisation" a joué très tôt. Non seulement
plusieurs écoles (la Croix Bosset est l'une d'elles) ont
tracé spontanément la voie d'une appropriation de
l'idée, mais les instances d'animation, de documentation et de
formation ont accompagné le mouvement et se sont
rapprochées les unes des autres au point de donner naissance
à un véritable réseau. L'idée n'a jamais été de se constituer en lieu de contrôle de l'innovation mais de capitaliser les acquis pour les mettre à disposition, à la fois, des équipes de terrain et des équipes de formateurs. Sans que jamais il ait été question de constituer une équipe fermée, des collectifs à géométrie variable ont vu le jour autour de projets différents. Ceux-ci avaient en commun le souci de soutenir une innovation (l'implantation des BCD) jugée décisive pour l'évolution de l'école primaire. Promouvoir les BCD, ce n'était pas, pour eux, ajouter une activité à beaucoup d'autres, c'était interroger l'ensemble des pratiques pour les inscrire dans une perspective de transformation de l'école et pas seulement de son aménagement. On trouvera donc ci-après quatre contributions. Le choix des thèmes ainsi explorés a été fait ensemble. Et si ces textes sont sous la responsabilité de leurs signataires respectifs, leur contenu a été analysé ensemble. De ce point de vue, il s'agit d'une mise au point qui vient s'ajouter aux travaux conduits antérieurement et viennent les éclairer.
I. La BCD : lieu d'enseignement L'innovation "BCD" est née dans la mouvance des mouvements pédagogiques. Ce rappel n'est pas inutile : ceux qui ont voulu cette innovation ont fait le constat que la gestion "au centre de l'école" des ressources documentaires était de nature à rendre l'enfant "acteur de ses apprentissages". Comme de son côté, la loi d'orientation de 1989 place l'élève "au cœur du système" il est doublement légitime de se demander comment l'institution BCD a permis d'avancer dans le dépassement de l'alternative : Enseigner ou Apprendre ? De ce point de vue, la question devient : quel rôle peut jouer une BCD par rapport aux apprentissages ? La BCD apparaît-elle comme un outil pour transformer le rapport au savoir, pour faire évoluer le statut de l'élève en terme d'apprenant et le statut du maître qui enseigne pour accompagner l'élève dans la construction de ses apprentissages ou comme "une ruse" pour mieux enseigner ? La BCD est-elle seulement un "lieu ressource" destiné à illustrer un programme qui s'impose à tous, non seulement dans ses contenus mais dans ses démarches ? De la somme des entretiens
conduits auprès des responsables de nombreuses BCD du
département, il ressort que plusieurs modes de fonctionnement
sont en présence. Ces modes de fonctionnement varient, on le
sait, en fonction des indicateurs suivants : Deux modèles cohabitent. À titre d'exemple, je décris ci-après ces deux modèles pris dans deux lieux différents. ils aideront à comprendre quels en sont les enjeux en termes d'apprentissage. 1. Une bibliothécaire municipale est responsable Elle seule anime la BCD. Les enseignants lui font entièrement confiance, reconnaissent son professionnalisme et "envoient" leurs élèves en BCD, par demi-classe, selon un planning immuable. Un prêt est organisé pendant les récréations. Des élèves de CM2 aident les plus jeunes à gérer leur prêt. Toutes les activités menées en BCD sont ancrées sur les actions fortes du projet d'école concernant la maîtrise de la langue. La bibliothécaire propose une autre façon de répondre au projet d'école, elle se constitue comme "un grain de sable", selon son propos. Les activités qu'elle propose sont alors complémentaires des activités scolaires. Elles visent à former des lecteurs polyvalents, à réaffirmer la dimension culturelle de la littérature de jeunesse. Ce qui vient d'elle constitue un plus par rapport au travail des maîtres qui se situent à un autre niveau de responsabilité. Par exemple, elle apprend aux élèves des techniques de présentation de livres et les met en situation d'organiser des débats autour de leurs lectures dans le cadre d'animations qu'elle nomme "bouillon de lecture". À cette occasion, et en multipliant les échanges à propos de leurs lectures, les enfants font valoir leur point de vue, conquièrent un statut de lecteur. Tout se passe alors dans un partage des rôles. À chacun le sien. L'école gère le programme, la bibliothèque favorise l'accès à la culture. C'est à ce prix que l'élève conduirait ses apprentissages. Selon ce schéma, les enseignants se désengagent de la gestion de la BCD et certains d'entre d'eux "ignorent" son existence ou font comme si elle n'existait pas ! Craignent-ils que la BCD fasse évoluer leurs pratiques pédagogiques, que les élèves apprennent en dehors des manuels scolaires (garants à leurs yeux de la conformité des programmes), sans leur médiation, avec des "livres" ? Bref, redoutent-ils que la BCD modifie le statut de l'élève au point de renverser le schéma classique d'une transmission des savoirs selon l'axe qui va du maître vers les élèves ? 2. L'équipe pédagogique assure la gestion de la BCD. Dans cette école, tout commence par la désignation d'un responsable de la BCD choisi parmi les maîtres, et alors déchargé de classe (la moyenne du nombre d'élèves par classe est alors plus élevée). Le risque d'un désengagement des autres enseignants étant réel, la solution adoptée est celle qui consiste à placer la BCD sous le contrôle de tous quitte à "faire tourner" le bibliothécaire. Il s'agit toujours de répondre à cette question : Comment gérer la BCD, pour répondre aux objectifs prioritaires fixés par les enseignants ? (Développer des conduites d'autonomie et le goût de la lecture, placer les enfants dans des situations qui leur permettent de construire leur savoir). Les constats : Afin de développer
"le goût de lire" et de rendre les élèves acteurs
de la BCD, un comité de lecture a été
créé : les classes deviennent à tour de rôle
"comité de lecture", apprécient les livres, proposent et
gèrent les achats selon des règles
déterminées. Par ailleurs des ateliers sont organisés en BCD pour apprendre à traiter l'information. Pour les enseignants de cette école, pionnière des BCD sur le 92, il n'existe pas de modèle de fonctionnement. La BCD doit demeurer un outil pour les maîtres et les élèves, outil de construction du savoir à partager avec les parents, ce qui devrait favoriser l'intégration sociale de tous. Anne-Marie MOSSANT
II. Le triomphe de la marguerite Deux enquêtes ont été menées sur le département en 1989 et en 1996. Elles révèlent schématiquement les faits suivants : Les BCD sont de plus en plus nombreuses.
Au nombre d'ouvrages par élève, on voit que les fonds de littérature s'enrichissent.
La littérature jeunesse est une réalité dans les BCD. Les enseignants sont plus
nombreux à prendre conseil auprès des BM, des libraires
et à consulter les sélections pour leur choix de livres.
Ils restent cependant peu à prendre le temps de lire la
littérature jeunesse. Les BCD sont plus organisées et plus fonctionnelles.
III. Transformer l'école< ou l'aménager autrement ? Répondre à la question, c'est faire écho au projet initial, celui qui a donné naissance à l'innovation. On se souvient (Cf. l'article intitulé Le tout premier bilan p. de ce même numéro) que l'ambition était haute et visait à dégager les conditions d'une re-fondation de l'école autour de quatre ou cinq idées simples que les mots-clés suivants suffisent à rappeler : équipe (éducative), ouverture (sur l'environnement), lecture (interactive), hétérogénéité (des groupes), statut (de l'enfant ).... Alors
qu'indéniablement, le phénomène BCD est devenu une
réalité dans les écoles du département des
Hauts-de-Seine, on éprouve des difficultés à se
prononcer sur le sens profond des effets induits par ce changement.
Pour dire les choses différemment et en reprenant
l'interrogation d'Ardoino (un changement pour faire pareil ou un
changement pour faire autrement ?) on se demande de quelles
transformations il s'agit. Les modifications de forme ont-elles ouvert
sur des modifications de fond au point qu'on serait en présence
d'une autre manière de vivre l'école ou s'en est-on tenu
à l'apparence du changement ?
Le degré d'ouverture de la BCD Le tableau statistique
établi au niveau national par la Direction des Ecoles (Cf. A.L.
nø57, mars 97, p.74) nous donne de très utiles
indications. Il nous apprend, par exemple, Deux exemples-type nous sont fournis qui en témoignent : Ainsi, outre le travail du
maître qui n'est guère modifié dans ses
équilibres internes (la gestion du temps reste sensiblement la
même), des tiers apportent des compléments.Ils
enrichissent le travail des maîtres sans le modifier vraiment. des habitants comme si on
doutait de la légitimité de l'école à
abandonner son rôle (assurer la diffusion des savoirs scolaires).
Le maintien des coins-lecture. L'enquête nationale recoupe les indications recueillies dans le département : 86,63% des écoles qui ont répondu disent " avoir maintenu un coin-lecture dans les classes ". L'enquête du ministère est accompagnée du commentaire suivant : La présence d'une bibliothèque ne concurrence pas les coins-lecture dans les classes. Il serait donc dangereux de dire que l'installation d'une BCD nécessite la suppression de ces coins, car alors bien peu de bibliothèques pourraient être considérées comme des BCD. Ainsi le texte pose la cohabitation BCD/coin lecture comme allant de soi. Pour nous, elle fait problème. Elle est même au centre de notre questionnement. Le regroupement, dans un même lieu, de l'ensemble des ressources documentaires avait justement pour objet de créer les conditions d'un travail en commun générateur d'autres pratiques. Certes, l'existence d'un lieu central n'exclut pas la présence de livres en nombre relativement important dans l'espace-classe. Il nous semble juste toutefois de considérer que la relation entre la BCD et la classe n'est pas inductrice de changement si la BCD joue à l'égard de la classe le rôle de fournisseur en livres que joue classiquement la bibliothèque municipale. En d'autres termes, l'innovation BCD ne se limite pas, à nos yeux, à une introduction dans l'école de livres qui jusque-là en étaient absents (les livres qui appartiennent au genre "littérature de jeunesse") mais à une ré-interprétation du mode de vie de l'école. Quelle est à cet égard la situation observable, dans ce département ? Probablement comme dans
d'autres, c'est majoritairement un même schéma qui
prévaut. À des variations de détail près, partout,
des lots de livres sont rassemblés dans l'un des coins de la
classe en parallèle à un autre espace appelé BCD.
Mais, ici, le maître ne fréquente jamais cet espace,
là, au contraire, il alimente son coin-lecture par des emprunts
plus ou moins renouvelés auprès de la BCD, voire
auprès de la BM. Ainsi que, l'on fréquente exclusivement
la BCD ou la BM, c'est toujours dans la perspective d'y effectuer les
emprunts dont on estime avoir besoin pour "donner le goût de
lire" aux enfants. L'objectif du maître, est bien là :
faire qu'ils lisent, pour s'informer ou pour se divertir. Si 4
maîtres sur 5 en viennent à créer un coin-lecture
dans leurs classes, c'est bien que majoritairement, ils traduisent
l'innovation BCD en termes de ressources et non en termes de
"conditions". passé en faisant alterner leçons et exercices. témoignages
convergent dans ce sens. Pour autant, des écoles en nombre non
négligeable ont su faire de leurs BCD des lieux centraux
d'animation de l'école au point que les coins-lecture ont
disparu au profit d'une prise en compte communautaire des
problèmes qui se posent à l'école. Quelles en sont
les caractéristiques et à quels types de problèmes
sont-elles confrontées ? Prioritairement, ces écoles ont
fait le choix d'une utilisation de la BCD comme d'un service
général. Trois axes sont alors présents : Quand ces conditions sont
remplies, le coin-lecture perd toute utilité. Si des livres sont
présents dans les classes, cela ne prend alors jamais la forme
décrite plus haut.
L'idée qu'on se fait de l'acte de lire L'enquête nationale ne fait allusion à cet aspect de la question qu'indirectement. Une question était formulée ainsi : que vont faire les enfants à la bibliothèque ? Les réponses ont été regroupées en 6 catégories : L'idée que la BCD pourrait être le lieu d'acquisition d'une expertise de lecteur est absente des préoccupations comme le montre le résultat de ce travail. Au contraire, en BCD on utilise un savoir déjà installé, et on ne construit pas d'outils (massivement, on y lit, on s'apprête à y lire des livres qu'on emprunte, on y conduit des recherches, bref, on consomme des biens culturels et, à la marge, pour 6% des activités, on prend en charge d'autres enfants...) On en vient à constater que "l'offre de lecture" est dominante. Les fonctions "entraînement" ou même "activité réflexive sur l'acte de lire" sont totalement absentes... de ces statistiques. Fort heureusement, dans la réalité de la vie des BCD du département, elles font souvent l'objet d'un traitement. Malheureusement, la carte des BCD qui ont un usage de l'ordinateur aux fins d'entraînement n'a jamais été faite. On sait, en se référant au parc des logiciels qui ont été acquis par les écoles, que le nombre d'enfants qui bénéficient d'un tel entraînement est loin d'être négligeable. Ce qui reste insuffisant, c'est un travail approfondi sur la nature et les enjeux de la lecture. Tout le monde souligne
l'importance de la lecture à la fois pour mener sa vie d'enfant
et pour réaliser ses tâches d'élève mais on
s'en tient à l'incantation : peu d'indications nous sont
fournies sur les dispositifs mis en place pour enraciner le besoin de
lire dans un effort patiemment conduit, selon une méthodologie
éprouvée. Le plaisir d'apprendre peut naître tout autant de lectures de fiction que de documentation et les rencontres singulières qui font qu'un enfant se retrouve avec bonheur dans un texte sont rarement programmables. On aura observé la référence au plaisir. En revanche, rien de ce qui pourrait aider chacun à mieux comprendre les mécanismes qu'il met en œuvre quand il lit ou ce qui pourrait l'éclairer sur la place qu'occupe cet acte dans la vie sociale, rien de tout cela n'est valorisé dans les écrits officiels. On veut bien programmer le plaisir, pas le travail d'amélioration des compétences du lecteur.
L'hétérogénéité des groupes. Les maîtres sont
très attachés à l'idée que la
réussite de leur action n'est possible que si le groupe qui leur
est confié est véritablement homogène. Aussi toute
proposition d'organiser l'école sur le mode des groupes
multi-âges est souvent vécue comme une provocation.
Pourtant, le concept de pédagogie différenciée est
unanimement repris. De fait, ces deux précautions ont pour
objectif d'empêcher le travail en transversalité (du point
de vue des contenus) et de limiter le travail en commun (du point de
vue des modalités). Le modèle qui est ainsi
préservé est celui d'une classe s'organisant autour d'un
programme posé comme incontournable même si on le juge
contestable (le discours, majoritaire, sur la lourdeur des programmes
en témoigne) Ainsi, l'engagement en faveur du programme est
exclusif du recours à la notion de projet. Et au fond, les
quatre caractéristiques principales qui sont au principe du
fonctionnement de cette BCD sont significatives des orientations
pédagogiques de l'école (redisons ici qu'au-delà
de la caricature, cet emploi du temps est beaucoup plus fréquent
qu'on le voudrait) : - les CP vont en BCD en fin de journée (quand l'essentiel est fait ?) - deux classes co-habitent en BCD seulement pendant quatre des 18 plages possibles - toutes les classes de l'école sont des classes homogènes La lecture de ce tableau d'occupation de la BCD dispense, me semble-t-il, de la lecture du projet d'école qui l'accompagne.Fort heureusement, beaucoup d'autres modalités d'occupation des BCD pourraient être décrites ici. On notera que chacune a son histoire et que chaque fois, ou presque, la phase la plus féconde est celle "des pionniers". C'est, en effet, au moment où le mouvement s'impulse que l'école se constitue en collectif et que se prennent les décisions les plus riches de signification. L'une d'elles porte sur l'hétérogénéité. Soit qu'on fasse le pari fort, celui de la classe multi-âges, soit qu'on fasse celui des ateliers à thèmes soit encore qu'on organise les classes de même niveau sur la base d'échanges à certains moments pour des tâches précises ou pour des projets clairement identifiés, la bibliothèque devient le lieu privilégié de l'échange. Dans la grande généralité des cas, c'est autour de la notion d'animation que s'opère la majorité des regroupements. Ainsi, le comité de gestion de la BCD ou plus simplement son animateur principal (un maître libéré en totalité ou partiellement de classe, le directeur déchargé, un parent à certains moments, un bibliothécaire rémunéré par la Ville...) une instance en tout cas parlant au nom de la BCD, fait une offre d'animation ouverte à un public ciblé : les petits, les CP, les cycles 3, etc.. à partir de là, la structure classe est provisoirement démantelée au profit d'autres manières d'organiser les groupes. Sans vouloir entrer dans le détail de ces animations ni dans l`analyse de leurs effets, signalons simplement que les plus fécondes sont celles qui s'inscrivent naturellement dans le cadre d'une offre et d'une demande inscrites dans des projets d'action qui entrent dans le jeu de commandes sociales. Pour le coup, la pression du destinataire est souvent suffisante pour garantir la régulation du fonctionnement du groupe et la qualité de la production. Chaque année, le CDDP, l'IUFM, des équipes de circonscription multiplient les efforts pour soutenir l'action des terrains. Aujourd'hui, une étape est franchie : les BCD sont devenues la réalité de beaucoup d'écoles, majoritairement sur le mode du centre de ressources et d'animation. Pour échapper à ces pesanteurs, les écoles qui le souhaitent devront travailler le rapport à leur environnement. Pas seulement, pour en faire les auxiliaires d'un projet stable mais pour en faire l'instrument de régulation de la vie du groupe. La ligne d'évolution des BCD passe par la prise en compte de la dimension politique de la mission de l'école. Jean-Pierre BENICHOU
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