La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°58  juin 1997

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Les BCD : quelles réalités dans les Hauts de Seine

Les toutes premières implantations de BCD dans le département des Hauts de Seine datent de la fin des années 70. C'est dire que dans ce département, l'effet "mobilisation" a joué très tôt. Non seulement plusieurs écoles (la Croix Bosset est l'une d'elles) ont tracé spontanément la voie d'une appropriation de l'idée, mais les instances d'animation, de documentation et de formation ont accompagné le mouvement et se sont rapprochées les unes des autres au point de donner naissance à un véritable réseau.
Aujourd'hui, la situation est celle d'un partenariat réel où l'on voit l'IUFM, le CDDP, des responsables d'équipes de circonscription, des bibliothécaires municipaux, des auteurs, des éditeurs, des associations, d'autres organismes encore, travailler ensemble à l'accompagnement des BCD.

L'idée n'a jamais été de se constituer en lieu de contrôle de l'innovation mais de capitaliser les acquis pour les mettre à disposition, à la fois, des équipes de terrain et des équipes de formateurs. Sans que jamais il ait été question de constituer une équipe fermée, des collectifs à géométrie variable ont vu le jour autour de projets différents. Ceux-ci avaient en commun le souci de soutenir une innovation (l'implantation des BCD) jugée décisive pour l'évolution de l'école primaire. Promouvoir les BCD, ce n'était pas, pour eux, ajouter une activité à beaucoup d'autres, c'était interroger l'ensemble des pratiques pour les inscrire dans une perspective de transformation de l'école et pas seulement de son aménagement.

On trouvera donc ci-après quatre contributions. Le choix des thèmes ainsi explorés a été fait ensemble. Et si ces textes sont sous la responsabilité de leurs signataires respectifs, leur contenu a été analysé ensemble. De ce point de vue, il s'agit d'une mise au point qui vient s'ajouter aux travaux conduits antérieurement et viennent les éclairer.

 

I. La BCD : lieu d'enseignement
ou lieu d'apprentissage ?

L'innovation "BCD" est née dans la mouvance des mouvements pédagogiques. Ce rappel n'est pas inutile : ceux qui ont voulu cette innovation ont fait le constat que la gestion "au centre de l'école" des ressources documentaires était de nature à rendre l'enfant "acteur de ses apprentissages". Comme de son côté, la loi d'orientation de 1989 place l'élève "au cœur du système" il est doublement légitime de se demander comment l'institution BCD a permis d'avancer dans le dépassement de l'alternative : Enseigner ou Apprendre ? De ce point de vue, la question devient : quel rôle peut jouer une BCD par rapport aux apprentissages ?

La BCD apparaît-elle comme un outil pour transformer le rapport au savoir, pour faire évoluer le statut de l'élève en terme d'apprenant et le statut du maître qui enseigne pour accompagner l'élève dans la construction de ses apprentissages ou comme "une ruse" pour mieux enseigner ? La BCD est-elle seulement un "lieu ressource" destiné à illustrer un programme qui s'impose à tous, non seulement dans ses contenus mais dans ses démarches ?

De la somme des entretiens conduits auprès des responsables de nombreuses BCD du département, il ressort que plusieurs modes de fonctionnement sont en présence. Ces modes de fonctionnement varient, on le sait, en fonction des indicateurs suivants :
- Qui assume la responsabilité de la BCD ?
- L'accès en est-il libre ?
- La BCD est-elle ouverte en dehors des heures de classe ?
- Existe-t-il un comité de gestion ?
- Qui gère le prêt ?
- Quelles animations sont mises en place ? ....

Deux modèles cohabitent. À titre d'exemple, je décris ci-après ces deux modèles pris dans deux lieux différents. ils aideront à comprendre quels en sont les enjeux en termes d'apprentissage.

1. Une bibliothécaire municipale est responsable
de la BCD à temps complet.

Elle seule anime la BCD. Les enseignants lui font entièrement confiance, reconnaissent son professionnalisme et "envoient" leurs élèves en BCD, par demi-classe, selon un planning immuable.

Un prêt est organisé pendant les récréations. Des élèves de CM2 aident les plus jeunes à gérer leur prêt. Toutes les activités menées en BCD sont ancrées sur les actions fortes du projet d'école concernant la maîtrise de la langue. La bibliothécaire propose une autre façon de répondre au projet d'école, elle se constitue comme "un grain de sable", selon son propos. Les activités qu'elle propose sont alors complémentaires des activités scolaires. Elles visent à former des lecteurs polyvalents, à réaffirmer la dimension culturelle de la littérature de jeunesse. Ce qui vient d'elle constitue un plus par rapport au travail des maîtres qui se situent à un autre niveau de responsabilité.

Par exemple, elle apprend aux élèves des techniques de présentation de livres et les met en situation d'organiser des débats autour de leurs lectures dans le cadre d'animations qu'elle nomme "bouillon de lecture". À cette occasion, et en multipliant les échanges à propos de leurs lectures, les enfants font valoir leur point de vue, conquièrent un statut de lecteur. Tout se passe alors dans un partage des rôles. À chacun le sien. L'école gère le programme, la bibliothèque favorise l'accès à la culture. C'est à ce prix que l'élève conduirait ses apprentissages. Selon ce schéma, les enseignants se désengagent de la gestion de la BCD et certains d'entre d'eux "ignorent" son existence ou font comme si elle n'existait pas ! Craignent-ils que la BCD fasse évoluer leurs pratiques pédagogiques, que les élèves apprennent en dehors des manuels scolaires (garants à leurs yeux de la conformité des programmes), sans leur médiation, avec des "livres" ? Bref, redoutent-ils que la BCD modifie le statut de l'élève au point de renverser le schéma classique d'une transmission des savoirs selon l'axe qui va du maître vers les élèves ?

2. L'équipe pédagogique assure la gestion de la BCD.

Dans cette école, tout commence par la désignation d'un responsable de la BCD choisi parmi les maîtres, et alors déchargé de classe (la moyenne du nombre d'élèves par classe est alors plus élevée). Le risque d'un désengagement des autres enseignants étant réel, la solution adoptée est celle qui consiste à placer la BCD sous le contrôle de tous quitte à "faire tourner" le bibliothécaire. Il s'agit toujours de répondre à cette question : Comment gérer la BCD, pour répondre aux objectifs prioritaires fixés par les enseignants ? (Développer des conduites d'autonomie et le goût de la lecture, placer les enfants dans des situations qui leur permettent de construire leur savoir).

Les constats :
Les parents sont associés à la gestion de la BCD et font partie avec des enfants du conseil de bibliothèque.
La BCD est ouverte pendant le temps scolaire et un midi par semaine hors temps scolaire, elle est utilisée par le PAL (le Plan d'Aide à la Lecture du département).
Des échanges quelquefois conflictuels entre les maîtres, concernant la libre circulation des élèves, la responsabilité des maîtres, permettent de poser les vraies questions quant au rôle de la BCD et au statut de l'élève et finalement celle-ci : l'élève peut-il apprendre en dehors de la classe, sans la présence du maître ?
Pour répondre à l'objectif concernant l'autonomie de l'enfant, les enseignants ont été amenés à construire un outil qui puisse évoluer tout au long de la scolarité : un brevet de bibliothécaire. Les enfants titulaires de ce brevet peuvent faire de l'accueil en BCD (tutorat) et gérer le prêt.

Afin de développer "le goût de lire" et de rendre les élèves acteurs de la BCD, un comité de lecture a été créé : les classes deviennent à tour de rôle "comité de lecture", apprécient les livres, proposent et gèrent les achats selon des règles déterminées.
Dans cette école, tous les élèves et leurs maîtres sont impliqués dans la gestion de la BCD.
La BCD est utilisée par les maîtres comme un lieu ressource au service des apprentissages. Elle génère des effets de conception de projet dans la classe, elle n'est pas directement liée aux apprentissages mais ancrée sur des projets qui eux sont associés aux apprentissages. Les classes développent leur propres projets à partir des orientations de la BCD ou à l'inverse les projets de la classe alimentent la BCD.

Par ailleurs des ateliers sont organisés en BCD pour apprendre à traiter l'information.
L'école a travaillé sur le projet de construction du thésaurus Thelem, les élèves se chargeaient de l'indexation des ouvrages. Il s'agissait là d'un projet collectif qui a généré des activités pédagogiques dans les classes et l'acquisition de compétences précises.

Pour les enseignants de cette école, pionnière des BCD sur le 92, il n'existe pas de modèle de fonctionnement. La BCD doit demeurer un outil pour les maîtres et les élèves, outil de construction du savoir à partager avec les parents, ce qui devrait favoriser l'intégration sociale de tous.

Anne-Marie MOSSANT
(Conseillère pédagogique de circonscription qui exerce une
responsabilité départementale dans le cadre de l'animation des BCD.
À ce titre, a participé aux travaux de la cellule nationale intitulée
"Création et extension des BCD")

 

 

II. Le triomphe de la marguerite
ou comment la bibliothéconomie
fait son entrée à l'école

Deux enquêtes ont été menées sur le département en 1989 et en 1996. Elles révèlent schématiquement les faits suivants :

Les BCD sont de plus en plus nombreuses.
En 1996, 50% des écoles ont répondu au questionnaire envoyé. Toutes ces écoles ont déclaré disposer d'une BCD. En 1989, 30% des écoles avaient répondu au questionnaire et 70% d'entre elles déclaraient avoir une BCD. Cet accroissement sensible du nombre de BCD s'accompagne d'une augmentation des actions de formation et d'animation au niveau départemental (stages BCD, Salon de l'Ecole, animations pédagogiques...)

Au nombre d'ouvrages par élève, on voit que les fonds de littérature s'enrichissent.
+ de 20 documents : 8% des BCD des écoles élémentaires, 2% des écoles maternelles,
de 10 à 20 documents : 27% des BCD des écoles élémentaires, 8% des écoles maternelles,
de 5 à 10 documents : 40% des BCD des écoles élémentaires, 32% des écoles maternelles,
- de 5 documents : 25% des BCD des écoles élémentaires, 58% des écoles maternelles.

La littérature jeunesse est une réalité dans les BCD.
Les fonds sont plus diversifiés et mieux équilibrés (fiction/documentaire).
Pour l'école élémentaire, les documentaires constituent désormais près de 50% du fonds (25% en 1989) et 30% en maternelle (15% en 1989).

Les enseignants sont plus nombreux à prendre conseil auprès des BM, des libraires et à consulter les sélections pour leur choix de livres. Ils restent cependant peu à prendre le temps de lire la littérature jeunesse.
Dès la maternelle de nombreuses activités sont menées autour et à partir de la littérature jeunesse : présentation de livres en réseau, expositions, défis-lecture, prix littéraires, rencontres avec des écrivains ou des illustrateurs, organisation de comités de lecture...
Il s'agira, au travers de ces activités de mieux connaître la littérature jeunesse, de multiplier les occasions de rencontres heureuses et utiles avec l'écrit (avec parfois une dérive possible de scolarisation de la littérature jeunesse), de développer l'esprit critique de l'enfant.

Les BCD sont plus organisées et plus fonctionnelles.
80% des BCD ont adopté une réelle classification, la plus utilisée étant une adaptation de la classification Dewey, avec un indice couleur pour chaque grande classe, telle que l'a proposé en 1984 le CRDP de Grenoble : quelle BCD n'a pas sa marguerite !
La pertinence des activités de recherche documentaire s'est vérifiée avec l'élaboration de Thélem, le thésaurus pour les BCD réalisé avec des équipes du terrain et intégré dans le logiciel BCDéclic.
Les logiciels de BCD en facilitant la recherche documentaire, qui était jusqu'alors quasi inexistante, faute de fichiers organisés a aussi permis une fréquentation autonome des enfants.
Lors des stages de formation continue, les enseignants expriment plus fortement le besoin d'acquérir des compétences en techniques documentaires.
Un constat pour terminer (provisoirement) :
La volonté affirmée de gestion plus rigoureuse, plus "professionnelle", traduit aussi une inquiétude face à la maîtrise des objectifs initiaux : les tâches de gestion ont tendance à l'emporter sur les enjeux pédagogiques.

Marie Noëlle ROLLAND,
Alain SEDBON

(M.Noëlle Rolland est maître-formateur à l'IUFM de Versailles coordonnant l'équipe du centre ressources documentaire du centre Val de Bièvre et co-anime le Salon annuel de l'Ecole.
A.Sedbon est professeur des écoles. Il gère au sein du CDDP la cellule d'action pédagogique du 1er degré et co-anime le Salon annuel de l'Ecole).

 

 

III. Transformer l'école< ou l'aménager autrement ?

Répondre à la question, c'est faire écho au projet initial, celui qui a donné naissance à l'innovation. On se souvient (Cf. l'article intitulé Le tout premier bilan p. de ce même numéro) que l'ambition était haute et visait à dégager les conditions d'une re-fondation de l'école autour de quatre ou cinq idées simples que les mots-clés suivants suffisent à rappeler : équipe (éducative), ouverture (sur l'environnement), lecture (interactive), hétérogénéité (des groupes), statut (de l'enfant )....

Alors qu'indéniablement, le phénomène BCD est devenu une réalité dans les écoles du département des Hauts-de-Seine, on éprouve des difficultés à se prononcer sur le sens profond des effets induits par ce changement. Pour dire les choses différemment et en reprenant l'interrogation d'Ardoino (un changement pour faire pareil ou un changement pour faire autrement ?) on se demande de quelles transformations il s'agit. Les modifications de forme ont-elles ouvert sur des modifications de fond au point qu'on serait en présence d'une autre manière de vivre l'école ou s'en est-on tenu à l'apparence du changement ?
Pour essayer de répondre à cette question, j'ai choisi d'examiner quatre indicateurs pris parmi beaucoup d'autres possibles.

Le degré d'ouverture de la BCD

Le tableau statistique établi au niveau national par la Direction des Ecoles (Cf. A.L. nø57, mars 97, p.74) nous donne de très utiles indications. Il nous apprend, par exemple,
que la BCD est largement ouverte "hors temps scolaire" :
- 47% des écoles qui ont répondu à l'enquête précisent "À l'heure du repas"
- 38% "après la classe"
- 15% "en dehors des jours de classe".
Certes plusieurs réponses étaient possibles, ce qui relativise le résultat d'ensemble. Il reste que les écoles qui ont répondu se disent, majoritairement, "ouvertes". Mieux et même si le taux "une école sur six" semble réduit, la réponse mérite attention puisque, pour le coup, l'ouverture porte sur le temps autre que celui de la classe. Est-ce là le signe que dans un nombre important de quartiers, la BCD joue le rôle d'un pôle social véritablement ouvert sur l'environnement humain ? Hélas ! dans les Hauts-de-Seine, nous n'avons trouvé aucune trace d'une BCD fonctionnant ainsi. Certes des écoles ont une politique d'ouverture de prêt aux habitants du quartier, certes, des BCD d'école font, ici, cause commune avec le Pal (le Programme d'Aide à la Lecture financé par le Conseil Général), là, avec des structures du même type. Toutefois, on ne connaît pas d'exemple d'un journal de quartier qui serait produit par une BCD pour l'école ou réciproquement via la BCD. L'illusion de l'ouverture vient de ce que le nombre des intervenants extérieurs s'est multiplié du fait notamment de la mise à disposition des écoles de crédits divers héritiers des PAE (projets d'action éducative). Un examen attentif des pratiques réalisées dans ce cadre montre qu'elles sont inspirées par le modèle "clé en mains".

Deux exemples-type nous sont fournis qui en témoignent :
- dans les petites classes, on voit se multiplier les interventions de "conteurs",
- dans les plus grandes, il n'est pas rare de faire appel à "un écrivain en résidence".

Ainsi, outre le travail du maître qui n'est guère modifié dans ses équilibres internes (la gestion du temps reste sensiblement la même), des tiers apportent des compléments.Ils enrichissent le travail des maîtres sans le modifier vraiment.
Certes, des tentatives d'ouverture véritable sur le quartier nous ont été rapportées. Mais elles sont peu nombreuses et, chaque fois, se heurtent à une sorte de scepticisme de la part

des habitants comme si on doutait de la légitimité de l'école à abandonner son rôle (assurer la diffusion des savoirs scolaires).
Dès lors que la BCD propose de sortir des sentiers battus, (la kermesse, le défi lecture ou la fête du livre...) pour entrer dans l'exploration de l'échange véritable (éditer un journal d'opinion, mener des enquêtes sur des faits sociaux comme le chômage ou la violence), les obstacles se multiplient au point que les essais restent isolés et ne se renouvellent pas.

 

Le maintien des coins-lecture.

L'enquête nationale recoupe les indications recueillies dans le département : 86,63% des écoles qui ont répondu disent " avoir maintenu un coin-lecture dans les classes ". L'enquête du ministère est accompagnée du commentaire suivant :

La présence d'une bibliothèque ne concurrence pas les coins-lecture dans les classes. Il serait donc dangereux de dire que l'installation d'une BCD nécessite la suppression de ces coins, car alors bien peu de bibliothèques pourraient être considérées comme des BCD.

Ainsi le texte pose la cohabitation BCD/coin lecture comme allant de soi. Pour nous, elle fait problème. Elle est même au centre de notre questionnement. Le regroupement, dans un même lieu, de l'ensemble des ressources documentaires avait justement pour objet de créer les conditions d'un travail en commun générateur d'autres pratiques. Certes, l'existence d'un lieu central n'exclut pas la présence de livres en nombre relativement important dans l'espace-classe. Il nous semble juste toutefois de considérer que la relation entre la BCD et la classe n'est pas inductrice de changement si la BCD joue à l'égard de la classe le rôle de fournisseur en livres que joue classiquement la bibliothèque municipale. En d'autres termes, l'innovation BCD ne se limite pas, à nos yeux, à une introduction dans l'école de livres qui jusque-là en étaient absents (les livres qui appartiennent au genre "littérature de jeunesse") mais à une ré-interprétation du mode de vie de l'école. Quelle est à cet égard la situation observable, dans ce département ?

Probablement comme dans d'autres, c'est majoritairement un même schéma qui prévaut. À des variations de détail près, partout, des lots de livres sont rassemblés dans l'un des coins de la classe en parallèle à un autre espace appelé BCD. Mais, ici, le maître ne fréquente jamais cet espace, là, au contraire, il alimente son coin-lecture par des emprunts plus ou moins renouvelés auprès de la BCD, voire auprès de la BM. Ainsi que, l'on fréquente exclusivement la BCD ou la BM, c'est toujours dans la perspective d'y effectuer les emprunts dont on estime avoir besoin pour "donner le goût de lire" aux enfants. L'objectif du maître, est bien là : faire qu'ils lisent, pour s'informer ou pour se divertir. Si 4 maîtres sur 5 en viennent à créer un coin-lecture dans leurs classes, c'est bien que majoritairement, ils traduisent l'innovation BCD en termes de ressources et non en termes de "conditions".
La nouveauté, pour eux, est de consacrer du temps aux livres autres que les manuels scolaires. Alors, l'essentiel est préservé : le maître organise sa classe comme par par le

passé en faisant alterner leçons et exercices.
Les enfants ne sont guère autorisés, en effet, à circuler librement ni pour nourrir un projet personnel de lecture ni pour recueillir l'information rendue nécessaire par une étude conduite individuellement ou en petit groupe.
Pour l'essentiel, tout le monde fait en même temps la même chose. Dans le meilleur des cas, la BCD est exploitée pour mener les études liées au programme. C'est l'ensemble de la classe qui l'explore et, au mieux, des élèves sont chargés par petits groupes de retrouver une partie des documents nécessaires à l'étude du sujet exploré. La logique d'une BCD influant fortement sur l'organisation de l'école au point d'en modifier les équilibres habituels (en termes de gestion du temps, par exemple) est largement minoritaire dans le département. Renforçant les données statistiques, tous les

témoignages convergent dans ce sens. Pour autant, des écoles en nombre non négligeable ont su faire de leurs BCD des lieux centraux d'animation de l'école au point que les coins-lecture ont disparu au profit d'une prise en compte communautaire des problèmes qui se posent à l'école. Quelles en sont les caractéristiques et à quels types de problèmes sont-elles confrontées ? Prioritairement, ces écoles ont fait le choix d'une utilisation de la BCD comme d'un service général. Trois axes sont alors présents :
- celui de la gestion (on se donne les moyens de l'efficacité pour enrichir le fonds, l'organiser, l'animer, etc.)
- celui de l'information (la BCD prend en charge la communication au sein du grand groupe et pour le coup, elle est confrontée à la somme des problèmes qui se posent dans ce domaine à l'école tout entière, problèmes qui ont un retentissement considérable sur chacun de ses acteurs)
- celui de la production (la BCD n'est pas seulement un lieu de consommation d'animations, ou d'objets-livres, elle est aussi le lieu de réalisations multiples qui caractérisent son existence).

Quand ces conditions sont remplies, le coin-lecture perd toute utilité. Si des livres sont présents dans les classes, cela ne prend alors jamais la forme décrite plus haut.
Décidément, le coin-lecture ne peut cohabiter avec une BCD sans lui faire perdre l'essentiel de sa vocation.

 

L'idée qu'on se fait de l'acte de lire

L'enquête nationale ne fait allusion à cet aspect de la question qu'indirectement. Une question était formulée ainsi : que vont faire les enfants à la bibliothèque ?

Les réponses ont été regroupées en 6 catégories :
- effectuer des recherches : 25,3%
- lire : 25,2%
- emprunter : 23,8%
participer à des animations : 12,6%
visiter des expos : 7,1%
prendre en charge d'autres enfants : 6%.

L'idée que la BCD pourrait être le lieu d'acquisition d'une expertise de lecteur est absente des préoccupations comme le montre le résultat de ce travail. Au contraire, en BCD on utilise un savoir déjà installé, et on ne construit pas d'outils (massivement, on y lit, on s'apprête à y lire des livres qu'on emprunte, on y conduit des recherches, bref, on consomme des biens culturels et, à la marge, pour 6% des activités, on prend en charge d'autres enfants...)

On en vient à constater que "l'offre de lecture" est dominante. Les fonctions "entraînement" ou même "activité

réflexive sur l'acte de lire" sont totalement absentes... de ces statistiques. Fort heureusement, dans la réalité de la vie des BCD du département, elles font souvent l'objet d'un traitement. Malheureusement, la carte des BCD qui ont un usage de l'ordinateur aux fins d'entraînement n'a jamais été faite. On sait, en se référant au parc des logiciels qui ont été acquis par les écoles, que le nombre d'enfants qui bénéficient d'un tel entraînement est loin d'être négligeable. Ce qui reste insuffisant, c'est un travail approfondi sur la nature et les enjeux de la lecture.

Tout le monde souligne l'importance de la lecture à la fois pour mener sa vie d'enfant et pour réaliser ses tâches d'élève mais on s'en tient à l'incantation : peu d'indications nous sont fournies sur les dispositifs mis en place pour enraciner le besoin de lire dans un effort patiemment conduit, selon une méthodologie éprouvée.
Tous ceux qui ont participé au développement des BCD ont accueilli favorablement la publication du décret de 1990 organisant la scolarité primaire en cycles. Ils y ont vu la marque d'une heureuse évolution. Pourtant, ils auraient dû être davantage attentifs à la manière qu'avait ce décret de poser le problème. Citons ici un extrait de ce texte qui montre combien on était loin alors de se centrer sur une question et combien on préférait le ton péremptoire de la réponse :

Le plaisir d'apprendre peut naître tout autant de lectures de fiction que de documentation et les rencontres singulières qui font qu'un enfant se retrouve avec bonheur dans un texte sont rarement programmables.

On aura observé la référence au plaisir. En revanche, rien de ce qui pourrait aider chacun à mieux comprendre les mécanismes qu'il met en œuvre quand il lit ou ce qui pourrait l'éclairer sur la place qu'occupe cet acte dans la vie sociale, rien de tout cela n'est valorisé dans les écrits officiels. On veut bien programmer le plaisir, pas le travail d'amélioration des compétences du lecteur.

 

L'hétérogénéité des groupes.

Les maîtres sont très attachés à l'idée que la réussite de leur action n'est possible que si le groupe qui leur est confié est véritablement homogène. Aussi toute proposition d'organiser l'école sur le mode des groupes multi-âges est souvent vécue comme une provocation. Pourtant, le concept de pédagogie différenciée est unanimement repris.
Contradiction ? Pas vraiment. Ce qui est accepté comme différent, c'est le rythme d'acquisition, pas les modalités du travail d'où l'attachement aux groupes de niveau.
Le fac similé du tableau de fréquentation d'une BCD illustre mieux que ne pourrait le faire un long discours ce qui est au fond de la conviction de la plupart des usagers des BCD. La bibliothèque est un lieu certes central mais qui doit être utilisé en groupe (la classe) et à des moments précis (l'emploi du temps).

De fait, ces deux précautions ont pour objectif d'empêcher le travail en transversalité (du point de vue des contenus) et de limiter le travail en commun (du point de vue des modalités). Le modèle qui est ainsi préservé est celui d'une classe s'organisant autour d'un programme posé comme incontournable même si on le juge contestable (le discours, majoritaire, sur la lourdeur des programmes en témoigne) Ainsi, l'engagement en faveur du programme est exclusif du recours à la notion de projet. Et au fond, les quatre caractéristiques principales qui sont au principe du fonctionnement de cette BCD sont significatives des orientations pédagogiques de l'école (redisons ici qu'au-delà de la caricature, cet emploi du temps est beaucoup plus fréquent qu'on le voudrait) :
- aucune classe de l'école n'utilise la BCD lors de la première plage de chaque journée (à l'exception de celle du samedi, mais le samedi est-il resté un jour de classe ?)


- les CP vont en BCD en fin de journée (quand l'essentiel est fait ?)


- deux classes co-habitent en BCD seulement pendant quatre des 18 plages possibles


- toutes les classes de l'école sont des classes homogènes

La lecture de ce tableau d'occupation de la BCD dispense, me semble-t-il, de la lecture du projet d'école qui l'accompagne.Fort heureusement, beaucoup d'autres modalités d'occupation des BCD pourraient être décrites ici. On notera que chacune a son histoire et que chaque fois, ou presque, la phase la plus féconde est celle "des pionniers". C'est, en effet, au moment où le mouvement s'impulse que l'école se constitue en collectif et que se prennent les décisions les plus riches de signification. L'une d'elles porte sur l'hétérogénéité. Soit qu'on fasse le pari fort, celui de la classe multi-âges, soit qu'on fasse celui des ateliers à thèmes soit encore qu'on organise les classes de même niveau sur la base d'échanges à certains moments pour des tâches précises ou pour des projets clairement identifiés, la bibliothèque devient le lieu privilégié de l'échange. Dans la grande généralité des cas, c'est autour de la notion d'animation que s'opère la majorité des regroupements. Ainsi, le comité de gestion de la BCD ou plus simplement son animateur principal (un maître libéré en totalité ou partiellement de classe, le directeur déchargé, un parent à certains moments, un bibliothécaire rémunéré par la Ville...) une instance en tout cas parlant au nom de la BCD, fait une offre d'animation ouverte à un public ciblé : les petits, les CP, les cycles 3, etc.. à partir de là, la structure classe est provisoirement démantelée au profit d'autres manières d'organiser les groupes. Sans vouloir entrer dans le détail de ces animations ni dans l`analyse de leurs effets, signalons simplement que les plus fécondes sont celles qui s'inscrivent naturellement dans le cadre d'une offre et d'une demande inscrites dans des projets d'action qui entrent dans le jeu de commandes sociales. Pour le coup, la pression du destinataire est souvent suffisante pour garantir la régulation du fonctionnement du groupe et la qualité de la production.

Chaque année, le CDDP, l'IUFM, des équipes de circonscription multiplient les efforts pour soutenir l'action des terrains. Aujourd'hui, une étape est franchie : les BCD sont devenues la réalité de beaucoup d'écoles, majoritairement sur le mode du centre de ressources et d'animation. Pour échapper à ces pesanteurs, les écoles qui le souhaitent devront travailler le rapport à leur environnement. Pas seulement, pour en faire les auxiliaires d'un projet stable mais pour en faire l'instrument de régulation de la vie du groupe. La ligne d'évolution des BCD passe par la prise en compte de la dimension politique de la mission de l'école.

Jean-Pierre BENICHOU