La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°59  septembre 1997

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Bon, C'est Difficile mais, on va essayer ... 


    Je n'ai pas voulu m'embarquer seule, sans quelques références pour ma cogitation sur les BCD. J'ai consulté quelques articles, il m'a semblé qu'il y régnait un certain embarras. Visiblement la réflexion sur les BCD prend rapidement l'aspect d'une dégustation de chewing-gum ; au début, ça donne un petit coup de jeune, très vite ça manque de goût, et À la fin, ça colle tellement que l'on ne sait plus comment s'en débarrasser...

Essayons... 

Un point semble faire l'unanimité ; la généralisation officielle des BCD en 84 et la relance d'un vaste plan en 93 - opération 100 livres - semblent À tous une bonne chose. En effet, le principe d'amener lA où sont tous les enfants une certaine diversité de types de lectures, est unanimement saluée. Il est certain que l'espoir était énorme et légitime : enfin un lieu convivial rompant l'isolement pédagogique, permettant d'aider les enfants À se repérer dans les différents types d'écrits. Avec en prime le secret espoir de les voir accéder au fameux plaisir de lire, nirvana obligé au bout de la longue route du déchiffrement. Mais la gêne se lit vite entre les lignes : on sent une difficulté certaine À évaluer les résultats côté soif de lectures... Les embûches - financières et de formation - sont, quant À elles, timidement évoquées. En revanche je n'ai rien lu sur ce que pourrait penser les enfants et les jeunes de ces 5 000 lieux de lecture tapis dans les 40 000 écoles françaises !

Pour travailler depuis un certain temps avec des enseignants, j'ai l'impression que l'existence de la BCD est le plus souvent vécue de façon honteuse. Une sorte de fardeau qui ne dirait pas son nom, même si aucun enseignant ne vous le dira en face. Fait significatif, bien peu font visiter leur BCD À l'intervenant de passage. Quand, légèrement impolie vous insistez, il n'est pas rare que vous appreniez que les livres sont en cartons pour cause d'ouverture d'une classe supplémentaire dans ce qui fut le local BCD, ou tout autre raison. Plus désagréable encore est la demande sur ce qui existe dans les fonds et comment se déroulent les acquisitions. J'ai compris depuis longtemps que la création et le maintien d'une BCD, ce qui bêtement signifie pour moi acheter des livres, n'ont pas de volant budgétaire. Les fameux Pae (Plus d'Argent Etvite) seraient lA pour assurer un hypothétique carburant. Curieuse priorité pédagogique...

Last but not least, la formation des maîtres À la production éditoriale de jeunesse ne s'inscrit pas comme une évidence : aux dernières nouvelles il existe quelques options facultatives dans les IUFM et uniquement du côté de la fiction, jamais (j'espère des exceptions) en relation avec l'apprentissage des savoirs autres que le français.

À l'occasion de divers contacts dans des stages, j'ai constaté que cette absence de formation initiale plaçait les enseignants dans un réel embarras face aux 2 000 nouveautés annuelles. Et elle les insécurise quant À validité de leur choix. Proies faciles et culpabilisées pour des soldeurs sans scrupule qui n'hésitent pas À fourquer aux écoles, par exemple, des séries documentaires certes neuves mais obsolètes.

Un autre point n'est jamais abordé : la relation que les enseignants entretiennent eux-mêmes avec l'écrit, la lecture en général et la littérature en particulier. Apprendre À être des lecteurs demande un vrai travail ! Cela ne relève pas d'une recette ou de technique mais d'une réflexion et d'un accompagnement (atelier d'écriture, de lecture...) pour entrer dans la confrontation avec les mots.

Cette absence d'aide sur les enjeux de la littérature et de la lecture n'est pas favorable À l'établissement d'une relation exigeante sur ce que doivent être des livres figurant dans une BCD. Certes ça et lA, j'entends gamme étendue des thèmes, multiplicités des styles, parfois diversité des maisons d'éditions mais quasi jamais qualité littéraire, créativité esthétique. En effet, le rôle éducatif d'une BCD (mais on pourrait étendre l'idée aux bibliothèques publiques) doit permettre que chaque livre proposé soit suffisamment consistant pour être une aventure potentielle avec ses joies et ses risques. Si la proposition est fade, quel intérêt À se dépasser ?

En effet quels sont les objectifs d'un lieu avec des livres dans une école ? Est-ce lire pour lire ou se doter de compagnons susceptibles d'aider vraiment À se construire et comprendre le monde ?

Tous les lieux avec des livres n'ont pas les mêmes obligations. Le salon du livre de jeunesse À Montreuil affiche une double volonté très claire : proposer toute la production et ouvrir des portes sur ce qui se fait de plus créatif. Parmi les 150 exposants les enfants constatent qu'il existe une multitude de livres, donc quelque part un livre pour eux. Un choc pour beaucoup d'entre qui, par exemple en Seine-Saint-Denis, n'ont au quotidien - en dehors des bibliothèques - que les rayons des supermarchés pour découvrir la production. Dans ce même lieu, les expositions, les rencontres permettent qu'ils découvrent des univers singuliers, insolites et beaux.

De façon complémentaire, dans les bibliothèques publiques, le travail des prescripteurs doit avoir pour axe principal d'aider les jeunes À se frayer un chemin dans la masse des livres grâce À des repères forts : si un livre est acheté en de nombreux exemplaires, si une table de présentation revendique des coups de cœur, si quelques livres soulevant questions font l'objet de petits débats ce sont autant de points d'appui pour bâtir sa propre culture.

En ce qui concerne particulièrement les BCD, il semble déterminant qu'il y ait appropriation du fonds par le groupe des enseignants pour que ce rôle éducatif de passeur prenne son sens. Et il ne serait pas mauvais qu'une transmission soit effectuée lorsqu'il y a changement d équipe, les enfants peuvent y être largement associés !

Pour alimenter le fonds, une collaboration doit pouvoir s'envisager avec les bibliothécaires de lecture publique très souvent enthousiastes À partager leurs connaissances des nouveautés.

Autour des acquisitions documentaires dans le cadre de projets pédagogiques thématiques, certains livres pour les adultes auraient toutes les raisons d'être présents sur les rayons de la BCD, comme c'est le cas de plus en plus souvent dans les malles de livres organisées par différents organismes. Pendant la classe, la formation des maîtres continue... Enfin, en ce qui concerne la littérature contemporaine, et donc la langue qui s'invente aujourd'hui, un partage entre enseignants et bibliothécaires serait À la fois agréable et profitable pour affiner encore et toujours ces fameux critères d'exigence.

Je souhaite que cette contribution au débat issue de quelques observations ait une suite chez les lecteurs de la revue. Si la bibliothécaire que je suis a évité de parler méthodes de classement et titres incontournables c'est que ce qui m'importait, lA, c'est de tenter d'ouvrir le débat sur le sens que pourrait avoir, pour de vrai, des lieux livres dans les écoles.
Je serais donc très heureuse de vous lire...

(Deux articles m'ont aidé : Michel Eymard, Une BCD pour quoi faire ? Revue Argos n°14 et l'article d'Emmanuel Fraisse L'Ecole, lieu de lecture extrait de Lectures, livres et bibliothèques pour enfant sous la direction de Claude-Anne Parmegiani (Éditions du Cercle de la Librairie, 1993). 

Florence SCHREIBER