La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°59  septembre 1997

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Echirolles : 7 ans de vacances pour la lecture

Ville

Vacances

Réussite scolaire

 

En 1990, la ville d’Echirolles amorce dans le cadre de la Politique de Ville et du Contrat de Ville une action de lutte contre la délinquance. L’élu, enseignante et ayant travaillé avec des jeunes illettrés, convaincue que la marginalisation scolaire et la délinquance juvénile sont liées et sont en relation avec un sentiment ou une réalité d’exclusion qu’on peut vivre À l’école, cherchera À définir les cadres d’une action préventive. La place que tient l’écrit dans cette "marginalisation scolaire" conduit l’équipe À intégrer comme une nécessité, une action de développement du rapport ordinaire qu’on peut entretenir avec l’écrit : il ne s’agit clairement pas pour la ville de refaire une action de remédiation scolaire ou de soutien.

Partant d’un état des lieux des actions conduites sur la ville et considérant les champs d’intervention municipale, la ville s’appuiera sur les bibliothèques, les centres de loisirs, les centres de vacances et travaillera en relation étroite avec les familles. Cette action entend affirmer la nécessaire cohérence et continuité des actions conduites dans une même ville en direction des enfants et de leur famille ; d’emblée, elle entend affaiblir le caractère sectoriel des actions qui s’accompagneront de la transformation de certaines modalités de travail chez les professionnels concernés. Tous ces efforts concourent À améliorer les relations enfants/famille/école et apprentissage.

Aujourd’hui, 7 ans plus tard : les bilans et les perspectives s’imposent.Ces 7 années de travail ont fait émerger des problématiques qui appartiennent À 2 domaines principalement :
- d’une part, les questions liées À l’intervention des collectivités locales dans l’action éducative
- d’autre part, les questions liées aux modalités de travail générées par des projets À caractère global, c’est-À-dire qui dépassent d’emblée une intervention conduite par un secteur ou une direction municipale.

 

1. Au cœur du dispositif, les vacances lecture :

Des séjours lecture ont lieu pendant les petites vacances (Toussaint, février et Pâques) en direction d’enfants en difficulté par rapport À l’écrit et en voie de marginalisation scolaire. Ils s’adressent aux enfants des cycles 2 et 3.
Au cours du séjour, un journal interne quotidien est produit, des présentations de livres ont lieu et des temps de lecture individuelle sont organisés.
L’encadrement de ce programme est mis en œuvre et coordonné par le coordonnateur de l’Action Lecture qui assume la responsabilité éducative et matérielle du séjour. L’équipe pédagogique est composée de personnes complémentaires qui encadrent les séjours. Tous les membres de l’équipe participent aux moments spécifiques réservés au travail sur le journal (lecture et écriture) Les animateurs sont plus particulièrement responsables des moments de vie quotidienne et sont attentifs aux difficultés relationnelles des enfants entre eux. C’est souvent lA que le groupe se constitue et élabore ses règles de vie.

Les bibliothécaires apportent À l’équipe leur compétence dans la connaissance de la littérature jeunesse. Les relations futures des enfants avec les livres dépendront en grande partie du rôle de médiation des bibliothécaires. Il s’agit de familiariser les enfants avec cet objet culturel qu’est le livre. Montrer aux enfants que les livres peuvent les concerner parce qu’ils parlent de sujets qui les touchent est un des enjeux importants du séjour. Les ateliers lecture sont souvent animés par les bibliothécaires.

L’éducatrice de jeunes enfants en difficultés (DISS) noue des relations privilégiées avec les familles dès la présentation du séjour. Elle fait connaissance avec les enfants les premiers jours du séjour. De retour À Echirolles, elle coordonne la visite des familles pendant une demi-journée.
Le séjour est construit autour d’un projet dont les enfants sont acteurs et producteurs. Il est complété par des activités de production d’un journal interne quotidien et d’activités autour de la littérature jeunesse.

Le journal interne quotidien est l’outil essentiel d’analyse et de réflexion sur le fonctionnement du séjour. Le journal est une image du séjour : il est le reflet de la vie du groupe, de ses réactions, de ses questionnements et de ses points de vue. Il ne se veut pas neutre mais au contraire aide À réfléchir sur le rôle et sur le statut de chacun. La lecture du journal a besoin d’être accompagnée car il s’agit bien de réfléchir ensemble sur le rôle que joue l’écrit pour comprendre ce que chacun vit. C’est un outil qui aide À prendre du recul. C’est avec cette conception qu’il s’agit d’aider les enfants À produire des textes qui ne sont pas des comptes-rendus mais des textes personnels qui donnent un point de vue. Ces textes pourront être confrontés À d’autres textes abordant le même sujet.

Les présentations de livres. La littérature jeunesse a beaucoup évolué ces vingt dernières années. Il est souvent difficile de choisir le livre qui convient À chaque lecteur. Chaque jour, 5 livres sont présentés pour que ceux-ci soient mis en relation tant en ce qui concerne le thème, l’argument que la manière dont ils sont écrits. Une cinquantaine de livres est présentée À chaque séjour pour permettre aux enfants d’élargir leur connaissance de la production existante et de mieux y effectuer leurs choix.

Les familles sont des partenaires privilégiés qu’il s’agit d’associer dès le départ. La présentation du projet aux familles est un moment capital. Elles doivent être partie prenante. Elles ont quelquefois des difficultés À mesurer les enjeux et comprendre les objectifs du projet. Les rencontres individuelles aident partiellement À dépasser ces difficultés.
Au cours du séjour, les parents sont accueillis au centre pendant une demi-journée. Elles participent À des activités en relation avec l’écrit : présentation de livres sur un thème qui les concerne - la séparation - pour amorcer un échange sur le thème, le choix des livres, les impressions, etc. Il leur est ensuite proposé de produire des textes qui alimenteront le journal quotidien du lendemain. Ces activités sont destinées À les sensibiliser À la nature et aux enjeux du développement de la lecture.

Ces actions initiées lors du séjour sont prolongées tout au long de l’année. C’est dans cette articulation entre une action ponctuelle et des interventions régulières que se joue le caractère global du plan et c’est À cette condition que le séjour sera vécu, non comme une parenthèse, mais comme un temps qui peut être réinvesti dans le champ scolaire.
L’ensemble du plan concerne donc les enfants des cycles 2 et 3, les enfants du centre aéré, les enseignants, les familles et les moniteurs de centre aéré.

 

La lecture n’est pourtant pas une forme de loisirs parmi d’autres, c’est une action transversale À tous les engagements. " (Montpellier)

 

 

 

2. En articulation avec les vacances lecture, des actions d’accompagnement et de suivi des enfants, des familles et des professionnels de la ville :

Pour décrire l’action…

- en direction des enfants : pendant le séjour, les enfants ont pu, hors de leur cadre de vie habituel, mobiliser par rapport À l’écrit des compétences dont ils pouvaient douter ou se les réapproprier dans un climat de confiance. Cette revalorisation ou cette remise en mouvement ne saurait suffire. Il est donc proposé aux enfants de participer après le séjour À des ateliers se tenant le mercredi dans les bibliothèques de la ville. Pendant deux heures, ils y retrouvent certains des adultes qui les ont accompagnés pendant le séjour et continuent avec eux, À un autre rythme, un travail de réappropriation de l’écrit, en tant qu’outil d’échange et de communication ainsi qu’en tant qu’outil de construction de sa pensée.
Concrètement, ces ateliers ont été l’occasion de faire participer les enfants À la préparation de deux manifestations autour du livre, "Fête ton livre" et "Salut les bouquins" pour qu’ils y jouent un rôle de conseils en lecture pour les enfants et les adultes qui y viennent. Ces actions autour de l’écrit qui ponctuent la vie culturelle de la ville (exposition vente de livres, rencontre avec des auteurs, participation À des journaux, À des expositions, etc.) permettent aux enfants d’être acteurs et de transformer leur statut de lecteur.

- en direction des familles : associés À la préparation du séjour de leur enfant en séjour-lecture, les parents doivent l’être aussi À leur retour. Loin de rejoindre les discours simplistes sur le désintérêt ou la démobilisation des parents, il faut constater que les parents sont, au contraire, en attente d’une deuxième chance pour leur enfant et surtout en attente d’une place qui les reconnaît comme co-éducateurs. Ce travail est un axe principal de l’Action lecture et entre en synergie avec l’un des axes du projet ZEP sur la ville.
Ce travail a donné lieu À des échanges autour de la lecture et d l’écrit, À des ateliers au cours desquels les parents ont pu prendre, sans culpabilité, la mesure de leurs propres difficultés mais aussi des liens insoupçonnés que ces difficultés, et la manière de les vivre, pouvaient entretenir avec celles de leurs enfants.

- en direction des professionnels, notamment les enseignants : il s’agit d’instaurer une pratique concrète de médiation entre familles et écoles. Pour tirer parti des séjours lecture, il est important qu’un réinvestissement ait lieu dans le temps scolaire tant sur le plan des contenus du séjour que de ce que chaque enfant y a mobilisé en termes de savoirs et de savoir-faire. Ces retours passent nécessairement par la mise en place d’un travail commun entre équipes pédagogiques et l’agent de développement lecture qui intègre dans ce travail l’évaluation et la mise en commun des observations. Ces informations écrites peuvent ensuite servir de référence et constituer des occasions d’échanges entre les familles et les acteurs, entre les enfants et les familles.

 

Des éléments pour l’évaluation…

- en relation avec l’éducation nationale, en amont de l’action les enseignants sont associés au repérage des élèves et assurent un suivi des résultats scolaires dans l’apprentissage de la langue : " Les enseignants jouent un rôle partenarial essentiel par la connaissance qu’ils ont des enfants dans le groupe classe et hors de celui-ci. c’est donc À eux qu’il revient naturellement d’être À l’initiative de la participation des enfants aux séjours. Ce sont ses indications initiales qui permettent aux partenaires ADATE DISS et Ville d’établir rapidement le contact avec les familles. " ; ils assurent un suivi de la participation familiale aux réunions enseignants/familles.Le partenariat avec les enseignants s’améliore de séjour en séjour ce qui se traduit par une cohérence plus forte entre les différentes actions autour de l’écrit.

- en relation avec les bibliothèques de la ville, un suivi des emprunts des enfants et de leur famille est effectué.

Cette démarche globale vise À créer de manière la plus continue possible le triangle " école/enfant/famille " en articulant autour de lui les partenaires qui pourront À un moment ou À un autre le soutenir, le conforter.

 

À Échirolles comme ailleurs…

La question de la généralisation des opérations ponctuelles, décidées au titre d’une politique de prévention. Lorsqu’une collectivité introduit dans la vie locale une action, on en explique souvent la faisabilité (et les possibilités de financement) par un caractère ponctuel, provisoire. C’est une action de prévention ou expérimentale. Dans le premier cas, on suppose que le pouvoir de transformation de l’action conduite portera non pas seulement sur ses bénéficiaires mais aussi sur l’ensemble des conditions (socio-culturelles, politiques et économiques) qui génèrent l’échec scolaire en l’occurrence (mais la logique est la même pour les politiques d’accès À la culture, d’insertion, d’action sociale, etc.). Pour autant la pérennité d’une action de prévention signe-t-elle son échec ? Si son objectif est la transformation des conditions globales, ne lui faut-il pas la durée ?

Dans le second cas, on pose des échéances, un terme, des indicateurs d’évaluation. Au terme de cette échéance, il s’agira pour la communauté politique de poursuivre, d’infléchir ou de généraliser l’action. D’expérimentale, elle pourra devenir générale, faisant partie du lot commun des actions ordinaires financées et conduites par la collectivité. Mais l’on sait bien qu’il ne s’agit en aucun cas de dupliquer À grande échelle ce qui s’est fait en milieu restreint. Le changement de statut opère sur les acteurs, le public et les institutions un effet qui suppose un travail particulier de transfert, de passation des acteurs expérimentaux aux acteurs de la deuxième génération, une prise en compte de la diversité des conditions de déroulement de l’action, etc. Aussi À Echirolles aujourd’hui, peut-on s’interroger : y aurait-il un intérêt, une possibilité À développer l’action lecture À la ZEP ? Faudrait-il faire évoluer le séjour lecture en l’élargissant aux familles ce qui transformerait fondamentalement la nature du projet.

 

La recherche en paternité : de l’appropriation ou du partage de projet

Lorsqu’un projet est élaboré dans une perspective globale, différents secteurs autonomes de la vie locale (différentes directions de la Ville, associations, institutions centrales, entreprises, etc.) se retrouvent ensemble pour travailler À la conduite d’un projet. Une manière nouvelle de travailler est À construire pour que les partenaires ne travaillent ni dans la fusion, ni dans la confusion.

Une logique de pilotage est À trouver : il arrivait précédemment À différents secteurs ou partenaires extérieurs de venir enrichir le projet d’une direction, comme un prestataire de service. Sans transformer le projet de l’autre qui reste À la barre, convoque aux réunions, prend les orientations, décide et passe des commandes. Peut-on échapper À l’appropriation et À centration du projet par l’un des partenaires ? Celui par qui tout passe, tout doit passer, par qui les autres se déresponsabilisent et progressivement abandonnent leur participation vraie pour une présence-alibi. Ce que l’on recherche dans le cas de projets inclus dans des politiques globales relève d’une autre logique : accepter pendant le temps de conception commune du projet d’être "seulement " associé À une réflexion et attribuer collectivement le co-pilotage À l’un des acteurs, non pas par rapport À sa position institutionnelle mais par rapport À la pertinence de conduite du projet qui vient de se penser ensemble, par rapport aux compétences et aux champs d’intervention requis.

Nicole Bolcato, élue
Ernest Bois, agent de développement lecture