La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°60  décembre 1997

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note de lecture

La rature n'est pas un raté
Plaidoyer pour le brouillon
Académie de Rouen. Coll. MAFPEN.


Ce qu'écrivait C. Oriol Boyer en 1990 : « Si l'on admet qu'apprendre À écrire c'est avant tout apprendre À réécrire, c'est-À-dire À améliorer une première version, l'observation d'un brouillon devient une étape importante » commence À être entendu par les enseignants. Les recherches sur la génétique des textes et plus spécifiquement les travaux de Claudine Fabre sur les brouillons d'écoliers portent doublement leurs fruits, d'une part en attirant l'attention des pédagogues sur l'intérêt que peut présenter l'observation des processus de production de l'écrit, en montrant d'autre part les limites des aides qu'on apporte aux apprentis en se limitant À des remarques sur leurs textes achevés.

La brochure publiée par la MAFPEN de Rouen et présentant la réflexion et les travaux d'un collectif de professeurs de collège et de lycée et d'universitaires sur les vertus du brouillon et son intégration dans la pédagogie de l'écriture en est une manifestation. Mais il y a encore beaucoup À faire dans ce domaine et on en veut pour preuve les résultats de l'enquête menée par ce collectif et figurant au début de leur ouvrage. Si 90% des enseignants de français interrogés incitent leurs élèves À faire un brouillon et si la même proportion d'élèves confirme y avoir recours, tous, enseignants comme enseignés, lui attribuent un tel statut qu'il est exclu qu'il puisse être le support d'une aide quelconque. Traces des difficultés et des efforts de l'apprenti, il appartient au domaine de l'intime qu'on ne saurait montrer sans se dévaloriser quand on est élève, qu'on ne saurait «violer» quand on est prof. ! Et, gageure, « si le brouillon est susceptible d'être «ramassé», il ne sera pas un vrai brouillon ». Comme le notent en une heureuse formule les auteurs de la brochure, « le potentiel qu'offre le brouillon (est) paralysé par le dogme de l'immaculée conception » !

Alors ? Les auteurs s'attachent dans les premiers chapitres (véritable «plaidoyer pour le brouillon» selon leurs propres termes) À démontrer la pertinence de leur proposition d'intégrer le brouillon dans une démarche d'apprentissage en rappelant les spécificités de l'écrit par rapport À l'oral, les conditions et les modalités de sa production, les opérations de «réécriture» au fil de la plume ou en relecture (qu'ils qualifient de variantes immédiates et non immédiates) et ce, qu'on soit débutant ou expert.

La démarche exposée ensuite est inspirée des propositions de Cl. Oriol-Boyer et des recherches de l'AFEF. Elle a consisté d'abord À soumettre À des élèves de collège un questionnaire sur leur usage du brouillon et les fonctions qu'ils lui attribuent et d'engager avec eux une discussion sur leurs réponses afin de faire évoluer leurs représentations... et du brouillon et du «beau texte» et de leur faire prendre conscience que « toute production langagière est reformulation en même temps qu'adresse À l'autre ». Pour illustrer et renforcer cette réflexion, il est proposé ensuite À ces mêmes élèves des citations d'écrivains sur leur manière d'écrire et l'observation des manuscrits et des textes achevés d'auteurs tels que Flaubert, Proust ou encore Zola. Enfin, divers états de brouillons et de textes finis d'élèves eux-mêmes sont soumis aux mêmes observations et permettent de découvrir « le répertoire des principaux gestes correcteurs », la rareté de certains, la fréquence d'autres et en quoi ils peuvent permettre de progresser.

On le voit, l'objectif reste modeste (bien qu'indispensable) qui consiste À « permettre À l'enfant de passer de corrections parfois inconscientes À des corrections pensées et réfléchies. » Premiers pas sans doute dans une pédagogie de l'écriture qui se cherche, qui doit se fonder sur l'existence d'un observable jusque-lA ignoré, sur une activité réflexive sur la manière dont chacun s'y prend pour écrire afin d'imaginer d'abord et d'apporter ensuite les aides nécessaires.

Auteurs du logiciel Genèse du texte, engagés depuis quelques années dans une réflexion sur la «naissance du texte» et la réécriture et dans une recherche AFL/INRP maintenant achevée sur les possibilités offertes en classe par l'observation des paramètres de la production de textes dont notre revue a abondamment rendu compte, nous ne pouvons, À l'AFL, que nous féliciter de cette publication de la MAFPEN de Rouen dans laquelle une page est d'ailleurs consacrée À la présentation de ce logiciel. À

Michel Violet