La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°60  décembre 1997

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"Les jeunes lectures durent toujours..."
Les enjeux pédagogiques de la littérature jeunesse
Comment aider des parents non-lecteurs À faciliter l'accès de leurs enfants À la littérature jeunesse ?



Ce n'est malheureusement pas le compte-rendu d'une action de formation de parents non-lecteurs À la littérature jeunesse que je vais proposer ici. Je vais essayer, par contre, de tracer quelques pistes À partir d'une expérience de formation de mamans d'origine étrangère et - pour la plupart - ne possédant pas la nationalité française, maîtrisant peu la langue et peu ou pas scolarisées que ce soit en France ou dans leur pays d'origine (Espagne, Algérie ou Turquie). La conduite de cette formation, son objet et quelques rencontres qu'elle a permises peuvent, en effet, être mis À profit, pour une réflexion répondant À la question. ?

Une commande
À la demande du Centre Social Nelson Mandela de Port de Bouc (Bouches-du-Rhône), j'ai été amené À conduire, au cours de l'année 1995-1996, pour les Centres d'Entraînement aux Méthodes d'Education Active (C.E.M.E.À.) de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, un stage de quarante heures destiné À une dizaine de mères de famille étrangères appartenant, pour la plupart, À un groupe d'alphabétisation. À l'origine, le directeur du Centre Social souhaitait une formation commune À son équipe d'une dizaine d'animateurs d'aide aux devoirs et À ces mères de jeunes fréquentant, eux-mêmes, les séances d'aide organisées par le Centre. Il pensait que la réussite scolaire étant souvent liée À l'intérêt manifesté par les parents pour les activités scolaires, il fallait donner aux parents qui le désiraient une information sur « ce qu'on fait À l'école, comment et pourquoi ». Il pensait également que, si ces parents participaient ensuite, dans la mesure de leurs possibilités, À l'encadrement de l'aide aux devoirs, en doublettes avec les animateurs, on atteindrait un double objectif : une plus grande implication des parents (essentiellement des mamans, aucun père ne s'étant manifesté…) et une amélioration de la qualité de leur image vis-À-vis de leurs propres enfants.

Un contre-projet
En réponse À ce projet, nous n'avons pas souhaité proposer une formation commune aux animateurs et aux mamans que trop de préalables séparaient. Les uns avaient réussi leurs études secondaires et plusieurs d'entre eux étaient étudiants, les autres - nous l'avons vu - ignoraient pratiquement l'école. Aux uns, il fallait proposer une analyse de leur propre expérience scolaire, une réflexion sur les objectifs de l'école, ses programmes, ses méthodes et une formation À l'action (À la technique ?) d'aide. Aux autres, il fallait expliquer ce qu'était l'école, ce qu'on y faisait ; ce qui constituait le «métier d'élève» et la place que pouvait tenir, par rapport À l'apprentissage et l'exercice de ce «métier», chaque adulte que l'enfant était appelé À fréquenter : parent, aîné, enseignant, animateur d'aide aux devoirs, animateur du Centre de loisirs, entraîneur du club de sport, personnel de la médiathèque, animateur de la B.C.D., etc..

Nous avons donc construit un stage de huit journées de six heures, espacées de deux ou trois semaines les unes des autres. Une journée a été consacrée aux seuls animateurs (en milieu de stage), À la fois pour répondre À leurs propres questions et pour les informer du contenu de la formation donnée aux mères de famille (pour qu'ils sachent ce qu'ils pouvaient attendre d'elles dans le cadre des «doublettes» qu'ils ont formées avec elles immédiatement après cette journée). Les sept autres ont réuni les dix mamans et c'est de celles-ci qu'il semble utile de rendre compte brièvement. Mais il convient de préciser tout d'abord que le comité de pilotage (qui s'est réuni quatre fois pendant le stage) comprenait, outre les formateurs et le directeur du centre social, le directeur de l'école élémentaire, le coordinateur Z.E.P., la directrice de la médiathèque et deux stagiaires. L'action était donc bien ancrée dans son environnement. Et, dès le départ, il a été convenu qu'une journée (qui s'est finalement réduite À deux heures…) se tiendrait À l'école et une autre (qui fut, malheureusement la dernière) À la médiathèque.

Le début du stage
Les premières séances de formation des mamans ont évidemment tourné autour de questions très simples sur les difficultés rencontrées au quotidien : manque de disponibilité (alibi ?) des mères pour aider leurs enfants (fatigue, tâches ménagères, etc.), incompréhension des consignes de l'école (que devons-nous faire et ne pas faire ?), jugement négatif sur les enseignants (ils punissent trop, ils donnent mal les énoncés des devoirs, ils disent qu'on ne va pas les voir mais ils ne peuvent pas nous recevoir quand on le leur demande ou alors ils nous reçoivent et ne nous disent rien…, quand on leur demande de changer notre enfant de place parce que leur voisin le distrait, ils refusent…), cartable trop lourd… Puis, les «déballages» rassurant les protagonistes en leur montrant que toutes avaient les mêmes problèmes (sauf celles qui, ayant des difficultés de compréhension et d'expression, préféraient assurer qu'elles n'en rencontraient aucun…), nous avons réussi assez rapidement À recenser quelques objets d'étude : punitions et récompenses - le contenu du cartable - l'emploi du temps - le matériel (l'indispensable, l'utile, le superflu, le nuisible) - le cahier de textes - l'apprentissage des leçons - les consignes écrites et orales - le carnet de correspondance - les réunions de parents.

La procédure
Pour traiter chacune de ces questions (et bien d'autres), nous avons toujours essayé de procéder de la même façon : point de vue initial de chaque participante - synthèse et énumération de questions en découlant - débat sur les questions susceptibles d'en faire l'objet et réponse institutionnelle (réglementaire ou pédagogique) aux autres - décisions (liste d'observations À conduire, de questions À poser À l'enfant ou au maître, d'attitudes À avoir) et, À la séance suivante, retour et mise en commun conduisant souvent À l'élaboration d'un nouveau questionnement. Cette procédure justifie À elle seule la décision initiale d'espacer les journées de formation. La difficulté provient de l'inévitable coupure qui se produit pour une stagiaire absente À l'une des séances, même si on a toujours essayé de profiter de cette absence en mettant en demeure les présentes de raconter À leurs collègues ce qui s'était passé lors de la journée précédente et qui avait conduit À prendre certaines décisions. Mais quiconque a conduit des formations en alternance connaît ce problème.

Pour ce qui est de la lecture, nous n'avons pas hésité À l'aborder, le cinquième jour, À partir des diapositives de l'AFL dont je peux ainsi affirmer qu'elles conviennent même À ce public dont le moins qu'on puisse dire est qu'il est peu familier de la fréquentation de l'écrit. Notre dernière journée À la Médiathèque Boris Vian a permis aux mamans qui n'en connaissaient pas encore toutes les prestations d'assister À l'heure du conte, de visiter les différents lieux, de s'initier À la consultation des fichiers. Ici, comme pour toutes les autres activités du stage, il ne s'est pas agi de donner aux stagiaires une quelconque maîtrise, une quelconque connaissance À transmettre, le cas échéant, À leurs enfants. Dans toute cette formation, nous avons toujours réfléchi avec elles À la manière dont elles pourraient conduire leurs enfants vers les bons outils, les bons acteurs, les bonnes méthodes, sans qu'elles soient nécessairement, elles-mêmes, utilisatrices confirmées des outils ou des méthodes.

Nous avons essentiellement cherché À conforter chez elles une saine attitude de «mamans d'élèves» en les familiarisant avec tout ce qui pouvait être utile À cette composante de leur situation de mamans. Elles savent maintenant comment s'adresser aux enseignants. Elles savent ce que l'école leur demande et ce qu'elles sont en droit d'en attendre en contrepartie. Si elles ne savent pas bien lire, elles savent ce qui, dans leur attitude, est de nature À renforcer des habitudes de lecture chez leurs enfants (chercher ensemble, par exemple, dans quel document et comment trouver la réponse À une question bien cernée, ce qui implique, évidemment, d'avoir incité préalablement l'enfant À cerner la dite question…).

Et pour la littérature jeunesse ?
Alors, dans le cadre précis qui nous préoccupe dans ce dossier, se pose la question de la littérature jeunesse. Si nous sommes parvenus (je l'espère…) À convaincre ces mamans qu'on trouve dans les livres les expériences qu'on ne peut pas vivre, les sensations qu'on ne peut pas avoir directement, les interrogations auxquelles on ne pense pas, en bref, des raisons de vivre plus et de savoir plus pour vivre plus… nous n'avons pas été en mesure de leur dire quelles attitudes avoir pour que leurs enfants fréquentent la littérature jeunesse et quelles attitudes éviter qui les en dissuaderaient. Madame Sabatier, directrice de la Médiathèque, pense que la présence affective, attentive des mamans, la «proximité» de leurs enfants est capitale. Dans les actions qu'elle conduit, que ce soit son groupe Paroles de femmes qui réunit, autour d'un noyau d'une vingtaine de fidèles, les femmes intéressées par des questions sociales ou familiales, l'opération Graines de lecteurs, comportant expositions, spectacles, contes, présentations de livres, les incitations À lire et À faire sont bien présentes. Mais comment savoir ce qui va avoir un réel impact sur les jeunes lecteurs ? Certes, elle dispose d'un premier effet de contrôle : l'inscription À la médiathèque. Mais quel en est l'impact dans les chaumières ?

Une proposition
Ne faudrait-il pas, À la Médiathèque de Port-de-bouc et en d'autres lieux présentant des actions similaires, organiser, par exemple, des mini-satges sur le thème « Comment lisent vos enfants ? » ou « Que lisent vos enfants ? ». Ces stages seraient conduits en alternance (deux ou trois heures toutes les trois semaines, par exemple) selon la procédure mise en œuvre avec les mamans du Centre Social Nelson Mandela. D'une séance À l'autre, les stagiaires décideraient de certaines interventions dont on mettrait en commun les résultats pour en évaluer l'impact. Pourquoi ce qui a si bien réussi pour l'aide À la scolarité ne réussirait-il pas pour l'aide À la fréquentation de la littérature jeunesse ? À


Gérard À. Castellani