La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°60  décembre 1997

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"Les jeunes lectures durent toujours..."
Les enjeux pédagogiques de la littérature jeunesse
Du côté des filles



Du côté des filles (*) est une association européenne de lutte contre le sexisme. Créée en 1994, elle s'est notamment fixé comme objectifs « d'élaborer un programme d'élimination du sexisme dans le matériel éducatif, de promouvoir des représentations anti-sexistes dans l'éducation, de produire et diffuser des outils de sensibilisation destinés aux créateurs(trices), maisons d'édition, producteurs(trices) de jeux et jouets, utilisateurs(trices), pouvoirs publics. »

Dans un document, cette association vient de communiquer les résultats d'une recherche intitulée Attention album ! établissant un état des lieux du sexisme dans la littérature-jeunesse. 537 albums illustrés de fiction, la quasi-totalité des nouveautés produites en France dans l'année 1994, ont été «interrogés».
Il s'agissait de savoir, À travers une grille d'observation destinée À l'analyse statistique, combien, et de quel sexe sont les personnages représentés, dans quelles fonctions, quels lieux, quelles actions, quelles relations aux autres. L'hypothèse de départ étant bien entendu que, « par le biais des images et/ou du texte, les albums véhiculent des stéréotypes sexistes, discriminant les filles et les femmes en leur accordant une place minoritaire et en leur attribuant des traits physiques et psychologiques, des capacités, des rôles et un statut social spécifiques. »

On jugera de ce qu'il en est par quelques chiffres édifiants puisés dans ce document qui en comporte bien d'autres et qui révèlent d'ailleurs que la littérature-jeunesse ne véhicule pas que des stéréotypes sexistes.

Ces 537 albums ont été majoritairement écrits par des femmes (53%) et illustrés par des hommes (51,4%). 236 sont ludiques, sans autre prétention que de distraire mais 301 développent une thématique ou une intention didactique À propos d'une qualité ou d'un défaut (effort, paresse, mensonge, égoïsme) d'une valeur (culture, savoir, liberté, justice, solidarité), des relations familiales, d'événements de la vie (adoption, vieillesse, mort), etc. « Le thème des rôles sexuels n'est évoqué que dans un seul album qui, d'un bout À l'autre, inculque aux filles l'obéissance au rôle sexuel féminin : après le départ du père pour son travail, la petite fille va, docilement, aider sa mère dans toutes les tâches ménagères. »

« Les albums montrent invariablement une image masculine du monde quel que soit le type de personnage mis en scène, les personnages masculins sont plus nombreux et occupent plus souvent le rôle de héros. » C'est ainsi que 77,7% des titres et des couvertures évoquent un personnage masculin contre 24,8% un personnage féminin. Sur 1 905 protagonistes, 60,33% sont des enfants masculins. Sur 657 animaux habillés, 70% sont des enfants masculins. On compte 544 adultes autres que les parents et les grands parents et 71,7% sont des hommes. « Les scènes de foules À dominance masculine sont 3 fois plus nombreuses (...) dans ces foules, les personnages féminins sont accompagnés d'enfants ou caractérisés par des symboles du travail ménager et des soins aux enfants (cabas, caddy, poussette, tablier). »

La famille est le cadre privilégié des histoires (234 albums). « La description de la famille la plus traditionnelle est souvent confiée aux animaux habillés. » Les pères sont peu nombreux (28,5%) mais ils sont les personnages principaux. Intelligents (avec des lunettes !), ils lisent le journal ou regardent la télévision dans leur fauteuil-trône et leurs charentaises ! Il arrive néanmoins - modernisme ? - que le père «aide». Il n'en reste pas moins que majoritairement, le père est absent. Les mères sont plus nombreuses (56,4%) mais elles n'accèdent aux rôles principaux que dans 16,7% des cas. On n'attribue une activité professionnelle qu'À 5% d'entre elles. « Les rôles sociaux ou politiques leur sont interdits » et on les confine dans des activités, on les voit dans des lieux, on les affuble de vêtements propres À perpétuer une image la plus caricaturale.

Cessons lA. Non sans ajouter deux constats des auteurs de cette étude qui montrent que la littérature pour les petits ne se limite pas À être la propagandiste d'une discrimination sexiste.
« Les histoires des albums se déroulent dans un no man's land géographique et temporel. On y évite soigneusement les connotations sociales et historiques, les références nationales et culturelles, coédition oblige. Lorsque le milieu social est marqué, il s'agit majoritairement d'une classe moyenne rurale À une époque qu'on peut dire contemporaine. » « La hiérarchie que les albums transmettent aux enfants est essentiellement celle du travail. Travail masculin économiquement productif et/ou prestigieux, travail féminin gratuit, ancillaire, voire humiliant. »

Si, sans nul doute, ces chiffres et ces considérations vont sans dire À qui est familier des albums pour les enfants, il a semblé que cela irait mieux en les disant dans un dossier sur les enjeux pédagogiques de la littérature-jeunesse dont le titre rappelle que « les lectures d'enfance durent toujours... » Dont acte. À


(*) Association Européenne Du Côté des Filles. 8 rue Baillou 75014 Paris.
Michel Violet