La revue de l'AFL
Les Actes de Lecture n°61 mars 1998 ___________________ novembre 1997 3èmes Assises nationales de la Lecture Table ronde : Les villes-Lecture, avancées et résistances Cette table ronde animée par Suzy Garnier, élue municipale ayant eu en charge de 1989 à 1995 la politique de lecture de la ville de Nantes, était consacrée à l'expérience de la région PACA (Provence Alpes Côte d'Azur) qui mène depuis plus de 7 ans une politique active du livre et de la lecture en s'appuyant sur les communes. Claire Castan, chargée de mission villes-lecture, en a rappelé l'historique et présenté le dispositif, J.J. Boin conseiller pour le livre à la DRAC en a fait une analyse. Gérard Sarrazin, inspecteur général des Affaires sociales, a lancé le débat en faisant part des réflexions que lui inspirait cette expérience. Du fait de mon expérience, on m'a demandé d'animer cette table ronde. Claire Castan : Historique et dispositif C'est par son institutionnalisation au niveau de la région Provence Alpes Côte d'Azur, que la démarche Villes-Lecture, créée par l'AFL et Jean Foucambert, trouve son originalité. Au départ (1990), c'est la rencontre de plusieurs administrations de l'État en Région : les ministères de la Culture, de la Jeunesse et des Sports, de la Justice, des Affaires Sociales, des Droits des Femmes, de la Formation Professionnelle, du Fonds d'Action Sociale et de l'Education Nationale. Toutes ces administrations qui ont, dans la définition de leur mission au sein de la politique de la ville, la lutte contre l'illettrisme, se sont interrogées sur la possibilité de travailler de façon transversale. Un Comité de travail s'est alors créé autour de ce thème et a décidé de faire un état des lieux à propos de la lecture et de la lutte contre l'illettrisme dans la région. Cette démarche s'est faite en trois temps : - le lancement d'une enquête régionale - la tenue d'Assises régionales sur l'illettrisme - le lancement d'un appel à projet pour des Villes-Lecture (*) 1 – l'enquête Un questionnaire intitulé Politique du livre et de la lecture dans les villes, rédigé en concertation avec les partenaires institutionnels susnommés, a été envoyé à 119 communes de la région. Accompagné d'une lettre du préfet, adressé aux maires, il portait sur tous les champs d'intervention (école, bibliothèque, entreprise, association, formation professionnelle etc.) et toutes les formes d'action en faveur de la lecture et de l'écriture. Grâce sans doute à cet appui direct du Préfet, le taux de réponses a été de 61 %. La chargée de mission en poste à l'époque a su retirer quelques éléments intéressants de cette enquête concernant les bibliothèques : - 86 % des communes avaient une BM - 63 % faisaient payer un droit d'inscription - un quart des personnels déclarait être formé - 60 % des communes avaient des bibliothèques associatives et 31 % des bibliothèques de CE. 2- Les Assises régionales Intitulées Illettrisme, parlons-en. Un enjeu pour la ville : la lecture, elles se sont déroulées à Marseille en octobre 1990 en présence de deux Directeurs du Livre et de la Lecture (Evelyne Pisier et Jean Gattegno) et ont rassemblé plus de 500 personnes (élus, fonctionnaires et représentants des mouvements associatifs). Les résultats de l'enquête ont été présentés, 40 personnes sont intervenues et décision a été prise de lancer un appel à projet de candidature de ville-lecture. 3- Le concept de «Ville-lecture» L'appel à projets, lancé par une lettre incitative du Préfet de Région, a été adressé à 140 communes de plus de 5 000 habitants (plus de 3 000 pour les départements alpins), une première fois en 1991, puis en 92 et 93. Le groupe de travail composé des administrations à l'origine du projet s'est alors transformé en Comité régional d'examen, de suivi et d'évaluation des villes-lecture. Une Chargée de mission à plein temps a été chargée de la coordination entre les villes et les administrations (je suis la troisième chargée de mission et je suis sur le dossier depuis janvier 1992). Un jury national a examiné les dossiers et le Préfet annonçait le palmarès (précisons qu'il s'agissait moins de récompenser ces villes par un label, que d'engager avec elles des collaborations actives). Par une délibération de leur conseil municipal, les communes désirant devenir villes-lecture» prennent l'engagement d'œuvrer à l'élaboration d'une politique globale de lecture. Une commission extra-municipale (ou un comité de pilotage) regroupant l'ensemble des partenaires sera mise en place et un coordonnateur sera recruté. L'Etat s'engageait à financer sur trois ans et à hauteur de 50%, l'augmentation des dépenses (de formation, d'animation, d'étude et de recherche) inscrites au budget des communes dont les projets étaient retenus. Les crédits affectés ont été prélevés sur le FSU : fonds interministériel destiné à la politique de la ville (fonds qui n'était pas contractualisé dans le Contrat de Plan, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui). La mission (salaire de la chargée de mission et fonctionnement) a été prise en charge à parité par la Préfecture de région sur des crédits FIAT et par la DRAC sur ses crédits déconcentrés. D'autres financements sont venus abonder ponctuellement ces enveloppes (60 000 F de la Jeunesse et des Sports à l'attention des communes et 50 000 F de la Direction du Travail pour la réalisation de la Plaquette «Regards sur les Villes-Lecture». Le total des sommes allouées (entre 1992 et 1995 pour les derniers paiements) se monte à 2 911 800 F. L'opération a été inscrite au XIe plan État-Région avec une attribution de 2 millions de F sur 5 ans soit 40 000 F par an sur les crédits de droit commun de la DRAC mais sans participation du Conseil Régional. Cela dit, une enveloppe de 400 000 F est réservée sur les crédits déconcentrés de la DRAC, Service du Livre. Depuis 95, c'est dans ce cadre que les projets présentés par les villes-lecture trouvent un financement. Jean-Jacques Boin : Bilan 1- Aspects négatifs À ce stade de l'évolution, les villes lauréates ressentent négativement l'impossibilité d'un financement FSU par l'État : ces crédits qui étaient affectés aux actions spécifiques Villes-Lecture trouvent aujourd'hui au mieux un relais dans des financements «politique de la ville» pour des communes sous contrat, comme Avignon. Jusqu'en 1995, l'attribution, même tardive, de ces crédits concrétisait clairement l'aspect interministériel de la procédure. On a assisté simultanément depuis trois ans à une démobilisation des bonnes volontés au sein des administrations, aggravée cette année par le départ à la retraite de J.P. Pfister. Si la responsable qui lui succède a trouvé la possibilité d'un co-financement 1997 de la mission de Claire Castan le problème de ce financement reste entier pour 1998. Les villes travaillent moins en réseau et chacune pour elle-même. La même critique est adressée par les villes aux responsables des services de l'État dont l'action commune s'est distendue. Sauf à nommer un chargé de mission volontaire auprès de chaque Préfet de région, l'opération telle qu'elle a été conçue en PACA n'est pas reproductible. La récente volonté ministérielle de lancer en 98 une démarche de contractualisation des Villes-Lecture, toutes régions confondues, s'adresse désormais aux seules DRAC. D'autre part, l'expérience a montré que si la coopération entre les services extérieurs des différents ministères a été possible un temps, elle se heurte indéfiniment à des résistances à la fois structurelles et personnelles. Du côté des Villes-Lectures, certaines comme Avignon ou Grasse ont été touchées de plein fouet par des problèmes budgétaires, aboutissant à des réductions des budgets de fonctionnement (achats d'ouvrages réduits de moitié, réduction d'effectifs et d'heures d'ouverture de la BM pour Avignon). Une ville lauréate - La Garde - s'est retirée très tôt de l'opération. Une autre - Gardanne - dont le coordonnateur est le Directeur des services culturels - n'a produit rien d'autre depuis quatre ans (si l'on peut dire) que la préparation et la mise en service d'une Médiathèque normative. Celle-ci affichant aujourd'hui 50 % d'inscrits, on peut parler d'une «dérive» très positive, l'établissement constituant désormais le lieu privilégié des actions vers les publics en difficulté. 2- Aspects positifs Cette liste de symptômes négatifs est à confronter à celles des effets et des suites positifs. Aussi artisanal et imparfait qu'il ait été pour toutes ces raisons accumulées, le dispositif mis en place a joué un rôle de référence institutionnelle très important. Au sein même de la mission de Claire Castan, un «tiroir» nouveau a été ouvert dès la rentrée 1995 : une étude/action auprès des établissements pénitentiaires de PACA et de Corse sur les pratiques de lecture et d'écriture en prison. Le rapport de Claire, très loin de la langue de bois administrative, a permis une prise de conscience et le début de nombreuses coopérations contractuelles BM/Etablissements pénitentiaires dont elle suit actuellement l'évolution. Du côté des villes sélectionnées, et pour la majorité d'entre elles, outre la décision de créer des postes de coordonnateurs, l'opération a permis un approfondissement des réflexions sur la place de la lecture et de l'écrit et sa prise en compte par les services municipaux et les partenaires (DISS, EN, organismes de formation, associations...) : créations de BCD, projets lecture/écriture dans les collèges et lycées avec des écrivains, stages pour le personnel territorial, animations dans tous les lieux de la Petite Enfance et stages de formation pour les personnels de ces lieux, etc. Toutes ces actions, orientées en priorité vers le jeune public mais aussi vers les publics en difficulté, sont coordonnées par des commissions extra-municipales composées d'élus, de fonctionnaires municipaux, de nombreux représentants d'associations. Elles ont rendu aux BM leur rôle de partenaires à part entière non seulement dans la démarche Ville-Lecture mais aussi dans des domaines comme la prévention de la délinquance ou la Mission locale pour l'emploi. L'opération a, par ailleurs, permis la naissance de projets d'équipements normatifs là où ils n'existaient pas : médiathèque de centre ville de Grasse, médiathèques de Garros, de Fos et de Gardanne. Là où préexistaient des équipements strictement normatifs, la démarche a contribué à les saturer en les positionnant comme des espaces polyvalents. Les résidences d'écrivains et la micro-édition contribuent un peu partout à faire mieux connaître tous les éléments de cette politique. Au-delà des villes labélisées, l'impact a porté sur de nombreuses villes candidates à une nouvelle formule de palmarès. Des villes comme Manosque, Hyères ou Mouan-Sartoux ont mis au point des actions identiques à celles des villes-lecture. Le total des activités inspirées par l'opération Villes-Lecture et menées cette année en PACA (avec ou sans l'aide de l'État), dont l'énumération que je viens de faire ne fournit qu'un bref aperçu, me donne à penser, pour conclure, que si l'action engagée par nos services en 1991 a fait long feu depuis au moins trois ans, elle a provoqué un mouvement dont les retombées restent bien vivantes. Les signatures de la Charte par le Préfet de région et les maires des nouvelles villes candidates ouvrent la voie à des contractualisations avec l'État (Ministère de la Culture) qui seront notre champ d'action pour l'avenir. Gérard Sarrazin : Plutôt que de chercher des réponses mieux vaut chercher les questions à se poser. Après quelques réactions à chaud concernant les deux précédents exposés, Gérard Sarrazin a tenté plusieurs approches pour mieux analyser les avancées et les résistances des villes-lecture. 1- Approche «administrativo-comptable» • Quelle est la nature juridique d'une ville-lecture ? • Quels crédits ou subventions ont été affectés à l'opération ? 2- Approche d'enquête plus sociologique • Quelles sont les conditions qui permettent au dispositif de jouer son rôle de «conception, décision, mise en œuvre d'une politique cohérente promouvant les conditions de la rencontre pour tous de l'écrit». Le dispositif a-t-il produit de nouveaux rapports ? Lesquels ? • On peut s'interroger sur les critères qui permettront de porter un jugement sur : - l'efficacité pour le public - la territorialisation (réalité de la décentralisation) - la démocratisation (conscience de la citoyenneté) - l'innovation sociale - l'évolution de la charte 3- Approche fonctionnelle • Qui fait quoi et pourquoi ? Qui est responsable ? La question vaut pour le groupe de pilotage, le pilote, les élus, les techniciens... • Y a-t-il des gens qui sont responsables de la même chose devant une autre instance ? • Comment sont prises les décisions financières ? • Quelles sont les tâches de chaque personne concernée par le dispositif. À quels moments rencontre-t-elle des difficultés ? comment les affronte-t-elle ? • Pourquoi les différents acteurs agissent-ils ? Quelles sont les hypothèses qui les orientent ? Déscolariser, débibliothécariser, déstagifier, faire bouger les institutions, faire participer la population, écrire (quoi, où, comment...) • Ensuite mais ensuite seulement et avec ceux qui se seront posés les questions précédentes, peut être examiné le montage ville-lecture. Comment le discours ville-lecture est interpellé et interpelle les groupes de pression ? Quels sont les enjeux qui sont freinés, facilités ? Quels sont les sources de conflits les modalités de leur régulation ? Quels sont les contrôles qui s'exercent ? En conclusion |
Suzy GARNIER
|