novembre 1997
3èmes Assises nationales de la Lecture
table ronde :
Les classes-lecture, un laboratoire pour la ville
Autour de J-P Bénichou, animateur de cette table ronde, ont été réunies :
. Gabrielle Origoni, Inspectrice de l'Éducation Nationale dans
les Alpes-Maritimes, pour rendre compte d'un dispositif qui a permis,
par le biais d'un programme départemental de classes-lecture sur
site, de faire évoluer les pratiques pédagogiques.
. Manuelle Damamme, coordinatrice de ZEP à Saint-Etienne du
Rouvray (76), pour témoigner du passage d'un projet
expérimental de classe lecture à un projet
inter-institutionnel de classes lecture au niveau régional
Haute-Normandie.
. Nathalie Bois, ayant participé à une recherche
IUFM/INRP sur les classes-lecture, pour faire état des
premières réflexions sur l'effet de la classe lecture sur
la formation des maîtres. Au-delà de la formation des
maîtres, que peut-on en déduire pour la formation des
acteurs sociaux ?
Les intentions :
En 1988 naissaient la première classe-lecture à Asnelles
puis Bessèges sur l'idée de s'approprier la logique des
classes de neige, classes vertes, etc. au profit de la conduite de
politiques de lecture dans un quartier, une ville. Depuis Asnelles et
Bessèges, deux exemples inscrits dans un contexte précis
et pilotés par l'AFL, d'autres essais ont été
réalisés dans d'autres conditions chaque fois
particulières. En 1989-90, le rapport Migeon reprend cette
idée et promeut la classe lecture en tant que dispositif d'aide
à la lecture pouvant se penser comme offre isolée de
remédiation. À ce titre, les préoccupations de
l'Éducation nationale et celles de l'AFL ne se pensent pas dans
la même logique.
Depuis, le concept de classe-lecture a été repris, il est
« tombé dans le domaine public » en quelque sorte,
avec une forte diversification des modalités de mises en
œuvre et de conception. Initialement pensées comme un lieu
où des acteurs de la ville se réunissent pour travailler
autour d'un projet commun et se former au travail partenarial, les
classes lecture se sont le plus souvent éloignées de la
dimension « Politique de Ville » pour tendre vers une
occasion intensive de se former à de nouvelles pratiques
pédagogiques. On perçoit nettement qu'elles sont
envisagées comme une source d'amélioration du
système éducatif plus que comme un lieu de recherche sur
la transformation sociale. Il est donc temps aujourd'hui de
s'interroger : Est-ce que les classes-lecture ont constitué ou
constituent encore un laboratoire pour la ville ?
Si la réponse est positive c'est que les classes-lecture se
situent dans l'innovation pédagogique et sociale sur le versant
de la formation en rompant radicalement avec les modèles
traditionnels encore en vigueur qui :
- proposent des formations aux professionnels d'un secteur donné,
- choisissent de faire de la formation un temps en suspension, hors des conditions réelles de travail,
- se pensent comme la délivrance d'un complément de savoir - de savoir-faire - qui manque.
C'est parce qu'elle pense la formation des acteurs de la ville dans
leur diversité et la transformation de leurs pratiques en
simultanéité avec celle du réel sur lequel ces
acteurs agissent que la classe-lecture peut être - ou peut
devenir - l'instance dans laquelle s'inventent des modalités
nouvelles de formation commune.
En quoi les classes lecture sur site des Alpes Maritimes participent d'un mouvement de transformation de la formation ? (Gabrielle Origoni).
1 - Pour contourner la difficulté des stages de formation sans effet au retour en classe :
Les classes lecture ont débuté en 89-90 à
l'initiative de l'inspectrice afin que les pratiques scolaires soient
moins des exercices qui se succèdent sans grand sens, et
davantage une aide à la construction de l'individu. Après
quelques formations qui ont posé le problème du transfert
des pratiques de stage dans la classe, un groupe s'est constitué
autour de l'expérience vécue à Bessèges et
de l'AFL départementale.
2 - Pour éviter une formation sans effet sur l'environnement, la mobilisation des partenaires locaux :
Après la conduite de classes transplantées en 89-90 et
l'analyse des effets, la formule des classes-lecture sur site est
inventée pour que le stage se déroulant dans
l'école même, on travaille dès la classe-lecture
aux transformations du quartier, dans le quartier et avec sa
participation. Depuis 90, 45 stages de 3 semaines ont été
réalisées, tout au long de l'année scolaire, dans
tous les cycles sur l'ensemble du département, en zones rurale
et urbaine.
L'Inspection Académique, qui dès 1990-91 a
détaché 2 personnes et réuni un site informatique
(10 ordinateurs, une station PAO) et un fonds de livres, y a-t-elle vu
un moyen de développer une politique départementale de la
lecture autour d'une structure spécifique ? Les villes qui
s'engagent à fournir des animateurs pour les activités de
l'après-midi et prennent en charge la réalisation du
journal (maquettiste, frais de photocopies,...) y voient-elles autre
chose qu'une mise à disposition de moyens pour accentuer leurs
actions en faveur de l'école ?
3 - Une formation Education nationale ?
Pendant 3 semaines, la formation concerne 3 enseignants : 2 issus du
même cycle et un 3ème qui, ayant déjà fait
une classe-lecture l'année antérieure devient formateur
et complète sa propre formation. Cet effet de chaînage se
double d'une ouverture aux parents d'élèves, aux
animateurs sociaux, aux bibliothécaires, à des
étudiants en IUFM en observation. Ce qui fait dire : C'est
largement ouvert... mais la faible participation des acteurs hors de
l'Education nationale montre qu'un travail complémentaire doit
être fait, que l'ouverture de principe ne suffira pas.
4 - Une diffusion partielle… « sous le manteau »
Au-delà du nombre de stages mis en place dans la circonscription
puis dans le département, force est de constater qu'une
dissémination de certaines idées et des textes s'est
produite. Depuis les enseignants ayant participé à une
classe lecture jusqu'aux enseignants curieux, intéressés
mais ne décidant pas objectivement de se former. Que se
transmet-il ?
Les fondamentaux ? peut-être…
a - L'idée que le livre est important. Les livres (les
albums) sont de plus en plus présents dans les écoles et
les écrits se multiplient dans les classes sous
différentes formes (photocopies, affichage sur les murs...).
L'entrée dans l'écrit ne se fait plus de la même
façon (les lectures feuilleton ont un gros succès)
b - L'utilisation des BCD se généralise dans la
circonscription en maternelle comme en élémentaire. Lui
est associée le développement
d'événements-lecture au fort succès
départemental (rallye lecture, rencontres autour du livre)
5 - Va-t-on vers une reconnaissance officielle du concept classe-lecture comme modalité de formation des maîtres ?
Les relations timides avec l'IUFM évoluent avec l'implantation
progressive des classes-lecture dans le département : les
professeurs d'école stagiaires (PE) ayant fait un stage dans ces
classes ont fait « remonter » l'information à l'IUFM
et des liaisons entre des professeurs d'IUFM, l'équipe
classe-Lecture et le groupe local AFL s'établissent. Pour
autant, même si les PE stagiaires viennent fréquemment,
restent, participent, font un stage "filé", l'IUFM ne confie pas
encore au centre de classe lecture une responsabilité dans la
formation.
La reconnaissance sur le registre de la formation continuée
s'est opérée plus vite par l'intérêt
manifesté par l'inspection académique et le rectorat :
les classes-lecture ont été inscrites au plan
académique de formation. Trois stages nationaux ont
été ouverts à des personnels municipaux et ont
permis des rencontres importantes avec d'autres personnels.
6 - Le positionnement des villes n'inclut pas nécessairement l'idée de politique de lecture
La position des collectivités territoriales est très
variée (de l'accueil et participation aux séjours
à la réticence voire au refus de participation
financière.) Une confiance réciproque s'est
établie dans les communes travaillant au plus près de la
circonscription ; il s'agit d'aider toutes les actions proposées
mais jamais d'élaborer une vraie politique de
lecture/écriture. On perçoit à quel point la ville
en général aurait besoin d'une sorte d'instance de
régulation, d'observation, d'analyse et peut-être de
conseil pour que la multiplicité des actions (en faveur des
enfants de la crèche, de l'accompagnement scolaire, du soutien
scolaire, des publics "défavorisés", des actions de
réinsertion…) prennent plus d'envergure, de
cohérence et de sens commun. Mais aujourd'hui, ce besoin n'est
pas identifié comme tel. Pourtant, il existe chez les parents un
vrai besoin de comprendre ce qui se fait en lecture/écriture,
chez les enseignants un vrai besoin d'expliquer ce qui se fait et quels
sont les problèmes qui se posent. Il s'agirait d'une instance de
co-éducation.
Comment conduire les institutions partenaires des classes- lecture à s'approprier le projet ? (Manuelle Damamme)
Il faut travailler tous ensemble à réunir les partenaires
sur l'idée de classe-lecture. Il ne faut pas entendre dans cette
formule l'idée d'un rassemblement "œcuménique" sur
un seul et même projet mais bien l'idée que chacun, dans
sa spécificité et son lieu d'exercice, ait des outils
pour mettre en œuvre des classes-lecture avec les obligations qui
sont les siennes dans le cadre de son institution et avec les objectifs
qui sont les siens réintroduits dans le cadre d'un politique
globale. Cette stratégie globale n'est en rien un projet
guidé c'est plutôt un projet qui se construit à
partir d'une logique d'expérimentations et d'appropriation.
1 - Premiers partenaires de la ville : les élus
On rencontre beaucoup d'élus en accord sur le fond avec les
propositions et les objectifs généraux des
classes-lecture mais la proposition ne suffit pas. Leur
préoccupation est souvent de s'assurer de l'accompagnement de
l'action ainsi que de l'engagement des autres partenaires. La notion de
suivi est donc essentielle, portée d'abord par les porteurs du
projet et progressivement partagée par la ville, associée
et responsabilisée. Ainsi elle n'en reste pas à un seul
engagement financier.
Les élus ont aussi un certain nombre de préoccupations
qu'il faut entendre. L'arrivée du métro dans notre
commune (St Etienne du Rouvray) a représenté un
événement fondamental dans le quartier que les parents
regardent avec intérêt et méfiance. Comment peut-on
s'associer à un certain nombre de préoccupations locales
? Est-on capable de les prendre en compte au niveau du programme de
classes-lecture ? Etre à l'écoute, transformer ces
préoccupations et répondre à des commandes fait
sans doute partie des compétences qu'ont à
développer les enseignants
2 - Aider l'Education Nationale à s'approprier le projet…
Dans la circonscription, le projet de classe-lecture a reçu une
large écoute mais comment faire pour que, l'Education Nationale
– localement, dans d'autres circonscriptions, à
l'échelle départementale ou régionale -
opère une réappropriation institutionnelle de ce projet
piloté par l'AFL.
En illustration, au niveau de notre circonscription, la progression a
été lente, la confiance était réelle sans
« chèque en blanc ». Cette confiance dans l'action
est essentielle (pourquoi aller demander à la Région un
équipement informatique, ou à la ville un
équipement BCD, ... sans engagement de notre part ?). Cette
confiance se consolide par la mise en place effective d'un module, par
son évaluation et la communication des résultats (1). Il
était important de traduire l'énergie et la confiance
réciproque investie dans cette expérimentation en une
sorte de retour à l'institution. Finalement, les rôles se
sont inversés et l'institution nous a dit : "pourquoi pas
ça en maternelle ?" Néanmoins, si l'on veut que la
classe-lecture s'inscrive dans une politique locale de lecture, il ne
faut pas laisser s'installer cette récupération
institutionnelle par l'Education Nationale. Ainsi, les inspections
académiques de Seine-Maritime et de l'Eure ont accepté de
mettre en place un stage départemental (2) de quinze jours sur
les classes-lecture de manière que l'Education Nationale assume
bien la responsabilité et que, au titre de ses
compétences spécifiques, l'AFL exprime l'ensemble de ses
présupposés théoriques, de ses objectifs afin
qu'on ne dérive pas vers un outil pédagogique qui
oublierait l'implication sociale.
… et former des relais : les conseillers pédagogiques, la MAFPEN
Un stage paraît maintenant nécessaire aux conseillers
pédagogiques qui, s'ils veulent assurer le relais, doivent
pouvoir participer et ne pas seulement délivrer un discours.
Chacun a à s'investir dans une pratique. La MAFPEN, elle aussi,
a voulu relayer les classes-lecture en collège par la mise en
place d'un dispositif de stage sur site. Une formatrice MAFPEN,
adhérente de l'AFL, intervient et aide les équipes de
collèges à créer des classes- lecture avec un
stage de formation de 4 ou 5 jours. Le problème des
collèges est crucial : très peu implantés dans
leur quartier ou dans la ville, la dimension partenariale et sociale
est très fragile, la notion de commande et de production sociale
reçue de l'extérieur pénètre si peu qu'on
voit souvent s'y développer des thèmes d'étude sur
l'antiquité et l'Egypte. À l'occasion on ira
jusqu'à « environnement et citoyenneté » sans
que la logique change.
Nous avons pour cela besoin d'outil d'information sur les objectifs et
les enjeux. Un organe mensuel de diffusion a été
créé : Lire, écrire, c'est la classe (3) rend
compte de toutes les initiatives de nos partenaires hors des supports
administratifs existants.
3 - un réseau
Nous en sommes aujourd'hui, via le projet de création d'une
centre de classe lecture dans l'Eure, à voir une perspective
d'officialisation : la mobilisation de ces forces diverses, les
municipalités, le district, les écrivains, les
bibliothèques, la DRAC, le Rectorat, les IA, mobilisées
séparément pourrait constituer, autour de ce lieu
ressource, un réseau inter-institutionnel attaché
à éviter la dérive que nous avons connue pour les
BCD.
De la formation des maîtres à la formation des acteurs sociaux. : Une hypothèse fragile de transfert de modèles de formation (Nathalie Bois)
Une recherche conduite par l'INRP et l'IUFM (4) s'est appliqué
à évaluer les classes-lecture entre 1995 et 1997. Il
s'est agi de conduire l'étude sous 4 aspects (les effets des
classes-lecture sur les compétences en lecture des
élèves - les pratiques de 4 centres - les logiques
institutionnelles qui font naître et exister des Centres dans un
territoire institutionnel, politique, professionnel – la
classe-lecture comme outil de formation). On s'appuiera ici sur le
4ème volet qui pose la question suivante : la classe-lecture
est-elle un outil de formation des maîtres ? Sur quoi agit-elle
et que transforme-t-elle ? D'emblée, un problème se pose
: les Assises nationales de la lecture ne sont pas réunies pour
penser la transformation de la formation des enseignants ; les acteurs
des politiques de lecture doivent sans doute néanmoins
considérer la formation commune des acteurs locaux comme une
priorité. Il faut donc faire le pari que, à partir des
éléments tirés d'une observation faite sur une
population enseignante, on peut élaborer quelques lignes de
force pour les formations communes aux acteurs locaux qu'on envisage
pour les villes lecture.
La classe
|
La ville
|
Point de départ :
ð capter les
écrits qui circulent dans une classe pendant une période
donnée afin de dégager une photographie des usages mais
des usages de l'écrit dans cette classe - et non pas ce qui s'y
passe - |
En 1992, on imaginait construire un outil
d'appréciation du rapport à l'écrit qui
permettrait d'évaluer les politiques municipales de lecture (5).
Quels indices faudrait-il prélever des écrits
diffusés dans une ville pour se représenter la nature des
recours à l'écrit des citoyens ? |
Hypothèse :
ð les écrits
parlent de ce qui se passe dans cette classe, de la manière dont
les écrits y circulent, de la manière dont ils sont
produits, à qui ils sont destinés, qui les émet et
ce qu'ils abordent et traitent vraiment. |
Dans le service Espaces verts d'un département d'Ile
de France, une revue de presse est réalisée
quotidiennement. Du directeur départemental au surveillant de
parc, les écrits que chacun reçoit résulte du tri
effectué successivement par chaque responsable de service que le
système a muni d'une fonction de prescripteur. Tous les 15
jours, en « bout de chaîne », le surveillant du parc
reçoit 1 texte. C'est le système qui le fait non lecteur.
|
La démarche :
ð 6 centres de CL, 40
enseignants pour trois types de populations (enseignants ayant fait des
CL, enseignants candidats à une CL et enseignants
étrangers à cette formation.)
ð 2 étapes de
travail : analyse des écrits collectés, entretien pour
savoir comment s'est construit le modèle pédagogique
éclairé par les écrits qui circulent dans sa
classe ?
ð 2 axes d'observation
prioritaires : les modes d'organisation de la classe, le statut de
l'élève et de l'enseignant |
ð Des axes de travail en formation d'adultes
ð Conduire des analyses
des écrits utilisés dans les divers lieux sociaux, de
production : la nature des écrits, qui produit ? ,
ð quelle organisation de classe, qu'est-ce qu'on traite dans ces écrits, …(6)
|
Plus que des enseignements,…
ð Diversité des types de textes et densité des circuits de circulation
ð Documentaire/fiction et part des documents authentiques vs documents photocopiés
ð Écrits sociaux
en relation avec une chaîne de production qui conduit à
des partenaires extérieurs authentiques vs des écrits
sociaux scolarisés
ð Accompagnement
technique de l'écrit (saisie, illustration, mise en page,
diffusion de qualité) vs traitement approximatif organisation de
la classe qui intègre de nouveaux modes de travail (le travail
en groupe classe, degré d'autonomie des groupes, objectifs
simultanément différents, diversité des
intérêts, des conduites de travail et des organisations) |
…des pistes d'observation
ð Qui écrit en direction de qui ?
ð Quel statut confère-t-on à l'écrit ?
|