La revue de l'AFL
Les
Actes de Lecture n°61
mars 1998
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novembre 1997
3èmes Assises nationales de la Lecture
table ronde
la production des écrits
Introduction
Qu'est-ce qui motive ce phénomène des ateliers
d'écriture qui sont devenus une véritable " industrie "?
demande Nelly Déchery pour introduire le débat. Il est
certain " qu'on en fait parce que tout le monde en fait " sans
forcément s'interroger sur les motivations profondes. Cela
permet de se donner l'image dynamique nécessaire à toute
bonne communication, d'afficher vers l'extérieur une politique
culturelle. Ils servent aussi peut-être à changer les
représentations sur l'écrivain, ou parfois à
valoriser le fonds des bibliothèques. Au-delà de ces
rôles de surface, quel sens donner à cette pratique ?
Quels sont les différents types d'ateliers d'écriture ?
Quelle place donnée aux écrivains amateurs ? Quel est le
destin social de ce qui s'y écrit ?
Du côté de l'école
Jean Foucambert pose les questions mises à jour par la recherche
INRP-AFL effectuée à partir du logiciel Genèse du
texte et des pratiques d'écriture à l'école.
Lorsqu'un expert de l'écriture écrit, rien ne
préexiste à ce qu'il va produire. L'écriture fait
naître ce à partir de quoi va être possible le
travail d'écriture. Or, à l'école a du mal
à accepter une " pédagogie du brouillon ". Alors qu'un
écrivain écrit entre 300 et 500 mots à l'heure, un
enfant en classe est toujours plus proche des 10 000 mots à
l'heure de la transcription. Voilà qui aboutit à un
double paradoxe : plus l'écriture est experte plus elle est
laborieuse et plus elle " débute " plus elle est facile et
rapide. Le diagnostic est clair : d'une part on n'apprend pas à
utiliser l'écriture comme un outil de pensée ; d'autre
part les enseignants ne parviennent pas à franchir le cap de la
réécriture, ne parviennent pas à manipuler
l'écrit de l'enfant. Impossible pour eux de prendre le brouillon
de l'enfant comme autre chose qu'un " grognement ", c'est à dire
l'expression première d'une parole en devenir, qu'on ne devrait
pas considérer comme un achèvement.
Écriture et monde ouvrier
(On lira l'intervention de Bernard Pudal Quelques remarques sur les offres d'écriture)
Les ateliers d'écriture : quelle authenticité sociale ?
Christian Bruel aborde la question du point de vue de
l'authenticité de l'écriture : comme il existe une
littérature pour enfants dont certains éditeurs affirme
qu'on y joue plutôt qu'on y lit, la pratique d'atelier
d'écriture est aussi menacée par le " déclassement
" des enfants ou des adultes qui y participent. Un auteur qui s'occupe
de ce type d'activité doit avant tout mettre en place des "
légitimismes ". Puisqu'on lui demande de conduire un atelier
d'écriture, puisqu'il s'agit d'éviter l'écueil de
l'" écriture pour de faux ", il lui faut mettre en place un
dispositif d'écriture dont la qualité va pouvoir
être mesurée par un critère : le destin de
l'écrit est-il prévu dès la mise en place de
départ ? Autrement dit, les participants sont-ils
associés dès le départ au projet de production ?
L'écrivain dit-il d'où il travaille, quel statut il
occupe, quel est son rapport personnel au pouvoir ? Il est capital de
gérer les rapports entre les candidats à
l'écriture et l'expert qui ne peut pas faire comme si son statut
n'avait pas d'importance. Aujourd'hui, quelques ateliers seulement
s'interrogent sur le destin de l'écrit mais seulement du point
de vue technique de l'édition, ce qui ressemble plus à
une " initiation au marché ", qu'on ne peut accepter,
qu'à un véritable recherche de production collective.
L'atelier d'écriture est-il un lieu social authentique
d'échange et de production ? Les ateliers d'écriture
posent la question de la co-présence : quand on y écrit,
à qui s'adresse-t-on ? Il semble que la norme soit de
s'écrire " entre soi ", privant ainsi les rédacteurs de
la notion de " destinataire potentiel ". Il est pourtant important de
réfléchir dans les ateliers d'écriture à ce
destinataire potentiel afin d'éviter d'écrire à
partir d'une demande complaisante. Penser au lecteur potentiel, c'est
se donner les moyens de sortir des circuits domestiques ou
pédagogiques. Au-delà du premier jet spontané
à partir duquel on peut dire : " On a réussi ça,
c'est rassurant… Maintenant on va écrire. ", il faut
envisager sérieusement un écrit qui puisse quitter son
lieu de production. C'est alors là qu'il va devenir subversif.
Il existe en effet un cadre légal et social dont les enfants et
tout candidat à l'écriture dépendent. Les conduire
à des productions liées à des pratiques sociales
tournées vers l'extérieur, c'est cela qui est subversif,
même si ces écrits sont intimes…- et
peut-être surtout s'ils sont intimes. Parce qu'on dénie
aux enfants la possibilité d'agir sur le monde et leur
vécu, c'est en les conduisant à nommer le réel
qu'on fait naître la subversion. Le risque de la démagogie
naît à partir du moment où on voudrait faire croire
qu'il existerait une possibilité d'écrire en dehors de
tout cadre social. L'atelier d'écriture doit au contraire
être un cadre précis et authentique de demande
d'écriture. Il doit devenir ce que Pierre Bergougnoux
désigne comme la fonction de l'écriture : " un facteur de résistance à l'oppression mentale
". Si l'expert a un peu de sens social et de morale c'est ce type de
rapport au monde qu'il doit créer. Cette réflexion
rejoint celle du rôle de l'artiste. Comme lui, l'expert doit
être " créateur du temps et de l'espace qui nous font défaut ". C'est là-dessus qu'il doit interroger l'écrit.
Se posent alors un certains nombre de questions. Il y a celle du type
d'écriture : il faut prendre conscience de l'impérialisme
clandestin qu'exerce la littérature en faisant écrire de
façon un peu systématique de la fiction, des nouvelles,
de la poésie. Il y a ensuite celle de l'apprentissage : pourquoi
est-on dans un système qui fait croire que l'écriture de
fiction est un don ? Écrire s'apprend et il serait opportun de
songer à créer dans des communes, dans les
syndicats… des conservatoires d'écriture qui feraient de
l'écriture un métier dont on enseignerait certaines
techniques. Il y a aussi la question d'Internet. Les textes
écrits en circuits-courts si chers à l'AFL pourraient y
apporter beaucoup.
Toutes les pistes de réflexion évoquées dans cette
table ronde ont des chances d'interpeller bon nombre de pratiques
d'écriture collectives et personnelles. Entre la fonction
sociale de l'écrit et son utilisation intime, quelle place les
ateliers d'écriture peuvent-ils prendre ? Est-il encore possible
de leur rendre un sens global et leur trouver des raisons d'être
au-delà du fait qu'ils existent pendant quelques jours, qu'ils
permettent de se réunir et d'écrire ensemble ? Revenir
à une pratique authentiquement collective de l'écriture,
renoncer à " l'illusion " d'être auteur, accepter de
perdre une partie de soi au bénéfice d'un collectif,
considérer le texte comme le lieu de croisement de multiples "
je ", débarrassés du poids de leur individualisme…
La transformation du rapport personnel à l'écrit s'expose
depuis longtemps déjà à de profondes
résistances. À l'heure de la crise des identités,
il semble paradoxale de désigner une forme d'anonymat comme un
gage de réussite. Il s'agit pourtant bien de cela :
écrire pour savoir à quel foule on appartient,
écrire pour grossir la multitude des sans-voix. Les ateliers
d'écriture en sont-ils capables ?