La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°61  mars 1998

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novembre 1997
3èmes Assises nationales de la Lecture

Autour de la relation BCD/Bibliothèque Municipale
Les histoires de vie



Des livres écrits pour les enfants par des parents d’origine étrangère qui évoquent leur enfance par le biais d’interviews destinés à être retravaillés par d’autres partenaires, des collégiens sans doute.

Un projet fort : une prise de risque, des possibilités d’échec.
150 familles dans l’école, 30 nationalités, 17 familles retenues et finalement 5 engagées dans ce projet (l’idée étant qu’il était intéressant mais sans doute difficile de retenir des familles connaissant de forts problèmes d’identité).

Dans cette école maternelle de Bobigny, les parents affirment une présence forte, résistent et gardent la tête haute malgré nombre de vicissitudes.
L’école refuse la normalisation et prouve chaque jour qu’il y a matière à construire des apprentissages.
La volonté est marquée de tendre entre les personnes un fil qui entraîne vers la connaissance de ce que chacun porte en soi.
Fort est le sentiment que les incertitudes dans l’aboutissement d’un tel projet sont mobilisatrices, qu’il y a un prix à payer certes et que le travail est en réalité le projet qui se construit pas à pas.

Quand se pose concrètement la question du travail de transcription, les réactions sont diverses et significatives. De quelle tâche précisément parle-t-on ? De quelque chose de besogneux mais de nécessaire relevant d’un simple décryptage ou du besoin de prendre ces textes à bras le corps et de les faire «réagir» au sens chimique ? Des contacts entre les enseignants locaux se révélant décevants, on suggère une piste du côté du collège de Saint Ambroix dans le Gard jadis partenaire de premier plan des séjours de classes-lecture à Bessèges. L’enseignante concernée prend les choses d’une manière généreuse, à savoir se saisit avec ses élèves de ce matériau vivant qu’est l’expression directe de ces parents en le confrontant à d’autres personnes ayant un vécu et une sensibilité bien éloignés et fait en sorte qu’il y ait résonances, que les voix et les sons se répondent...

Si plusieurs classes du collège de Saint Ambroix travaillent sur les entretiens enregistrés, c’est une classe de cinquième qui prendra en charge la réécriture. Pour l’enseignante, c’est là l’occasion en situation réelle de faire toucher du doigt aux élèves la spécificité des codes écrit/oral, de travailler sur la narration, la description.
L’écoute des textes en direct crée une proximité bien supérieure à celle de la seule lecture différée de l’entretien. Les élèves vivent alors des questions touchant à l’acte d’écriture. L’investissement affectif s’exerce de manière forte car ces textes renvoient à des interrogations sur une communauté d’expériences ou au contraire sur une diversité mais chacun se sent personnellement concerné. La parole d’un(e) autre permet de se dire par une forme de détour. Le jeu distance/proximité aide sans doute un peu à une forme de construction personnelle.
On se demande alors si le détour géographique par le Gard n’était pas opportun pour mieux arriver à Bobigny. On imagine aisément que la personne interviewée réagira elle aussi aux écrits reçus, sorte de seconde vie de ses propos.
Des apprentissages sont vécus, exercés en situation réelle et tendent à produire un objet véritable : l’écrit.

Il devient à ce moment là naturel de penser à une mise ne réseau des textes. des écrivains ont mis en mots leur enfance vraie ou fantasmée et l’on fera appel aux personnes-ressources que sont les bibliothécaires pour fournir des références. Un constat fait lors de cette expérience : chacun ne lit qsue ce qui le concerne de près. Cela peut sembler une évidence. La force des prescriptions parentales et scolaires fait en douter. A travers la transcription/réécriture attendue de ces interviews, certains élèves ont parlé d’eux, d’autres ont utilisé la double énonciation, parlant à Mme Gomez, l’interviewée, et à leur professeur.
Des dicussions animées ont eu lieu sur la notion de «dérive» du projet initial. Pour d’autres encore, cette activité a permis une entrée dans la dynamique de la classe. Clin d’oeil au titre du colloque de l’AFL auquel nous participions précisément : Identité et écrit.
L’impatience est grande de voir comment les écritures vont encore se croiser. Les transcriptions ont acquis un statut particulier par rapport au texte fourni, sans jamais nier leur identité propre.

Il y a eu projet de production et l’on a produit quelque chose que l’on ne connaissait pas encore, ce qui oblige à gérer l’incertitude mais évite la reproduction de ce que l’on sait déjà faire. Occasion de mesurer la distance entre incertitude et improvisation. L’activité présentée est une action improbable mais elle se déroule dans un cadre rigoureux de recherche-action qui permet de gérer cet improbable.
D’autres enseignements sont à tirer de cette expérience, sur la notion de partenariat notamment. Les politiques de transformation appellent des partenaires non convenus d’avance et une recherche-action met ne œuvre des compétences spécifiques et une transversalité nécessaire.

Nous ne pouvons douter de l’utilité sociale de l’activité qui est aussi une occasion de réfléchir sur la fonction des lieux de mémoire et sur la fonction de l’écrit. Toute convaincante qu’elle soit, elle ne doit tout de même pas nous faire oublier que 5 parents seulement sont au cœur de l’action et parmi eux un ressortissant des Antilles très concerné par les questions de promotion de la langue créole. Que sont les autres parents devenus ? Autre réserve : les douces tentations de la nostalgie qui guettent tout récit d’enfance et qui plus est, quand il s’agit d’enfances passées dans un ailleurs lointain.

On retiendra de cette expérience en cours qu’écrire est un véritable outil de pensée et qu’il faut créer, encore et toujours, les conditions qui permettent cet acte.

Sylviane TEILLARD