La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°61  mars 1998

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novembre 1997
3èmes Assises nationales de la Lecture

la lecture en réseau

L'expression "classe-lecture" semble passer facilement dans le langage courant, sans doute un peu selon l'habitude que nous avons de déduire des définitions des mots de construction similaire : classe verte, classe de découverte, classe patrimoine, classe-lecture. Les enseignants notamment, mais aussi les parents, tous conscients de l'enjeu de la maîtrise de la lecture, adhèrent rapidement à ce qu'ils supposent sous les mots "classes-lecture". Mais les mots ont-ils un tel pouvoir qu'ils se vident de leur conception pour recevoir d'autres acceptions ?

Quand le mot "classe" enferme dans "l'école"...

La table ronde consacrée, au sein de ces Assises, aux classes-lecture, et les effets qu'elle a eus sur la salle, ont montré combien le concept "classe-lecture" pouvait être réduit à un type de formation nouveau sans aucun doute, mais un type de formation "scolaire". Pourquoi confronter les non-enseignants de la salle à l'organisation de ces "stages" qui ne les concernent que très peu ?
L'atelier "Classes-lecture en Haute-Normandie" a rassemblé 6 personnes du monde enseignant, une bibliothécaire et une médiatrice du livre. Aucun élu n'était présent dans ce groupe ! Tous les participants étaient déjà directement impliqués par leur profession dans la maîtrise de la lecture.
Manuelle Dammame avait choisi de présenter son atelier selon un axe qui témoigne de la réflexion et du cheminement qu'elle a dû suivre pour essayer de limiter toute approche réductrice et élargir le cercle des acteurs sociaux concernés : Que faudrait-il dire à nos partenaires pour les informer de ce qu'est une classe-lecture ? Quels documents (1) leur proposer ? Elle a déjà réagi, dans sa région, à l'incompréhension que nous avons ressentie aux Assises et que nous rencontrons tous dans nos départements.

Il lui a fallu lutter contre deux risques ou dérives : conduire une action isolément alors que l'espace social où s'implique l'enjeu de savoir lire est large, conduire une action ponctuellement, alors que la maîtrise de la lecture se joue dans le temps. Au fil des années, le groupe local AFL s'est donné comme ambition d'entrer dans une politique de la ville et d'entrer dans une politique de l'Éducation Nationale. C'est un "programme régional de classes-lecture" qui est mis en place pour 1997/1998 (Le mot "programme" a de toute évidence une résonnance politique, même s'il appartient aussi au registre scolaire). Le dispositif "classe-lecture" - relire la définition en (1) - retrouve alors son statut d'OUTIL au service de la formation des citoyens. L'Éducation Nationale sert alors de CADRE pour une formation ouverte sur la place de l'écrit dans la vie/ville.

Quand les mots ne peuvent être abandonnés à eux-mêmes...

Informer (1) et former sont donc devenus les objectifs premiers, et les conditions d'utilisation de l'outil. Au sein du Bulletin Départemental de l'Inspection Académique, le groupe local AFL a pu insérer une définition du concept "classe-lecture", assortie d'une invitation à une réunion d'information. Puis un projet de stage a été proposé dans le plan départemental de formation, l'AFL étant explicitement annoncée comme origine du concept et intervenante dans le stage. Composante essentielle, les élus étaient invités à suivre la formation. C'est ainsi un projet de 15 classes-lecture qui a vu le jour, de la maternelle au collège.
Informer, c'est aussi alimenter la réflexion, relater des expériences, donner à relire. C'est l'objet du mensuel "Lire, écrire, c'est la classe" (voir Théo'Prat' n°5, à paraître), dont l'abonnement a été couplé à l'adhésion à l'AFL, afin que le dispositif "classe-lecture" ne soit pas dissocié des conceptions générales de l'Association.
Manuelle Dammame et le groupe local rouennais jouent un rôle très particulier : l'association ne représente aucune des parties (ni l'institution Éducation Nationale, ni les municipalités, ni aucun des organismes partenaires) ; elle a un rôle à la fois fédérateur et décentré. L'AFL, y compris l'équipe nationale, représente la garantie scientifique de l'opération auprès de l'ensemble des partenaires.
Cette présence très forte pose la question du devenir du concept "classe-lecture" là où l'association n'existe pas localement. Le regard "étranger" porté sur les classes-lecture lors de ces Assises ne renforce-t-il pas l'idée qu'il faut développer, si ce n'est continuer à diffuser, à l'instar du groupe rouennais, une information nationale ?

Quelques propositions ont été faites : écrire des argumentaires ciblés selon les partenaires ; créer des outils pour aider les partenaires à tenir le cap ; faire connaître les ressources documentaires et les ressources humaines ; définir un comité de pilotage de chaque classe-lecture (on retrouve l'un des principes des villes-lecture) ; essayer de limiter la part d'implicite (comme par exemple supposer que le lecteur de cet article a déjà lu la définition d'origine de la classe-lecture - (1)-). Constituer, avec cet ensemble, un dossier "classe-lecture" qui pourrait être distribué.

Quand les mots portent les idées...

Ces propos laisseraient-ils entendre que nous avons un dogme ou un modèle à défendre ? Dans la conception, oui, dans l'application, non. Et les participants à cet atelier l'ont clairement montré. À Rouen, 15 classes-lecture sont prévues pour 97/98. A Grenoble, au centre de classes-lecture, 6 auront lieu. Dans la première ville citée, chaque classe-lecture dure une semaine ("la capitalisation des compétences se fera grâce à l'action pluri-annuelle") ; dans la deuxième, un mois (Mais même après 5O classes-lecture en 8 ans, la municipalité ne cherche pas à prendre l'outil en compte dans le cadre d'une politique de lecture). Et la commande municipale n'existe pas à Grenoble alors qu'elle est passée à Rouen. Les dispositifs cherchent à évoluer, mais personne ne se trompe, les points positifs sont vite repérés : agir au sein de la commune, de concert avec la municipalité, est primordial. "Ce n'est pas une classe-lecture, c'est une classe-statut". Pris dans une dynamique sociale, chaque acteur de la classe-lecture (re)trouve (apprend) un lien et un lieu social qui lui ouvre des perspectives nouvelles. L'AFL a pensé l'outil "classe-lecture" comme un moment de formation, tremplin vers de nouvelles réflexions sociales. Il ressort que, tant que la lecture, comme l'école, sera une "affaire scolaire" juxtaposée aux affaires sociales, aux affaires culturelles et aux problèmes de l'emploi et de la ville, l'idée n'aura pas avancé. Les participants à l'atelier ont d'ailleurs insisté sur le type de partenariat qui peut déjà malgré tout exister ici ou là : le financement. S'il est effectivement la marque d'un engagement, est-ce vraiment une forme de co-action ?

Quand le mot "lecture" doit être compris comme un signe de vie sociale

La définition de la classe-lecture (1) insiste pourtant sur cette co-action et les exemples de projets aboutis montrent qu'ils sont inséparables des projets municipaux et des vies de quartiers. "Conduire des actions ..., en direction du quartier et de ses habitants" relève de l'objectif municipal, du rôle des services municipaux, des associations locales et de tout un chacun. Pourquoi les élus se sentent-ils souvent "étrangers" aux dispositifs initiés par "l'école" ? N'est-elle pas une composante essentielle de l'apprentissage de la citoyenneté ? Et la citoyenneté peut-elle s'exercer au sein de 4 murs en dehors des acteurs sociaux ? Le raisonnement a l'air si simple qu'il en devient simpliste... Est-ce donc le mot "lecture" qui est un domaine réservé ?

Les enseignants ont aussi un rôle à jouer : comprendre et faire comprendre aux parents et à tout l'environnement social que lire un écrit, c'est lire une vision du monde, et souhaiter écrire pour prendre le temps de réfléchir à sa propre vision du monde, et avoir des effets sur ce monde ; inscrire les apprentissages dans la réalité sociale par l'intermédiaire de projets, ce qui provoque une clarification des phases de conception et de réalisation, mais aussi, de découverte, de théorisation des apprentissages, et d'entraînement.

Pour conclure, je soumets à tous une piste de réflexion qui n'est pas apparue dans l'atelier, mais qui me semble un possible carrefour de réflexion pour désenclaver les idées des secteurs réservés. De nombreuses municipalités ont adhéré à l'idée de conseils municipaux enfants. Les outils lecture-écriture/pouvoir sur le vie-ville n'y sont pas au cœur des débats. Et un faible pourcentage d'enfants d'une ville sont alors impliqués. Les classes-lecture se proposent d'encadrer sur les voies de la réflexion sociale des groupes complets d'enfants et au-delà des établissements complets, en les engageant dans des projets qui concernent tous les habitants tant adultes qu'enfants. N'est-ce pas un dispositif moins artificiel et plus actif ?

Alors les expressions ville-lecture et classe-lecture ne sembleraient pas aussi éloignées... et gagneraient en efficacité. Le département de la Seine-Maritime semble l'avoir compris, et Manuelle Dammame traite maintenant, au-delà de la municipalité, avec le district !


notes
(1) Liste des documents disponibles auprès de Manuelle Dammame :

- Une classe-lecture, définition de l'action

Extrait : "Une classe-lecture, qu'est-ce que c'est ?
C'est, sur le modèle des classes transplantées, de une à trois semaines durant lesquels des enfants, leurs enseignants et des partenaires de l'école dans la ville (bibliothécaires, parents, travailleurs sociaux, animateurs...) suivent un stage intensif de lecture et apprennent à conduire des actions extérieures à l'école, en direction du quartier et de ses habitants.

Une classe-lecture, à qui ça s'adresse ?
Essentiellement à des municipalités qui veulent donner une formation commune à tous les acteurs de la ville responsables des questions de lecture, de la crèche aux centres de formation d'adultes."

- Projet de stage pour le plan départemental de formation continue
- Les différentes activités d'enseignement dans la classe-lecture
- Une classe-lecture, un projet institutionnel
- Aide à la mise en oeuvre du projet
- Liste des projets retenus
- Fiche de souhait pour l'encadrement des classes lecture (à destination des écrivains, ...)


(2) Actes de lecture n° 23

Annie Janicot