La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°62  juin 1998

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note de lecture

Cent ans de méthodes de lecture
Christine Juanéda-Albarède
Albin Michel Éducation, Coll. Richaudeau, 1997

Christiane Juanéda-Albarède avait bien voulu présenter dans notre revue l'essentiel de sa thèse intitulée L'enfant et l'apprentissage de la lecture en France au 19ème siècle (*). Le livre qu'elle vient de publier présente les résultats de son travail d'historienne et de pédagogue que la richesse d'un sujet en définitive peu connu l'avait incitée À poursuivre.

Étonnant 19ème siècle ! 596 méthodes de lecture conçues pendant ce siècle par 404 auteurs ont pu être répertoriées... mais c'est probablement d'un millier de méthodes dont il faudrait parler si on tient compte de celles d'auteurs cités mais dont on ne retrouve aucune trace et des manuels, livrets, tableaux muraux, alphabets, abécédaires et instruments de toutes sortes qui ont été publiés. Ces nombres donnent déjA idée de l'importance d'un phénomène qu'Antoine Prost qualifiait de « véritable révolution ». Car tout ce foisonnement de propositions bouleversera la pédagogie de la lecture alors en vigueur en s'efforçant d'introduire dans un enseignement qui se généralise les techniques novatrices que quelques précepteurs du siècle précédent réservaient À leurs élèves.

Car on en est encore au début de ce 19ème siècle, en matière d'enseignement de la lecture - alors que pour des raisons politiques, religieuses et socio-économiques le nombre d'enfants scolarisés ne cesse d'augmenter – À la pratique de l'épellation et À une mémorisation mécanique et sans rationalité des lettres et de leurs assemblages avant tout accès aux mots et aux textes. L'appellation phonétique et l'introduction du français À la place du latin ont encore bien du mal À s'imposer dans un enseignement qui ne se soucie pas de la signification et, on le comprendrait À moins, décourage bon nombre d'enfants.

À travers ses commentaires d'une sélection représentative des auteurs de méthodes, Christiane Juanéda-Albarède montre que tous les efforts de ces pédagogues innovateurs du 19ème siècle porteront d'une part sur une organisation plus rigoureuse de la scolarité et des modes d'enseignement et, d'autre part, sur l'invention de matériels didactiques et de véritables méthodes de lecture qui tiennent compte des intérêts et de l'intelligence des enfants et de la signification de l'écrit qu'on étudie. Efforts qui aboutiront, au terme de beaucoup de résistances et avec plus ou moins de bonheur, À des acquis sur lesquels reposent aujourd'hui encore le fonctionnement de l'école et la pédagogie de la lecture et dont notre système scolaire, dans des circonstances radicalement différentes et face À d'autres nécessités, a bien du mal À se défaire.

Sans trop simplifier et pour reprendre la terminologie actuelle, on peut avancer qu'au cours d'un siècle, des précurseurs À Javal ou Kergomard, des artisans obscurs aux théoriciens qui ont eu leurs heures de notoriété, grâce aux idées avancées, aux recherches entreprises, aux méthodes proposées, aux procédés et aux matériels imaginés, on assiste À l'élaboration et À la mise au point progressives d'un enseignement de la «combinatoire» au sein d'une école organisée dans ce but. L'école de Jules Ferry recueillera les fruits de cette abondance et pourra ainsi réussir l'alphabétisation de masse dont on la chargera.

Méthodes synthétiques, mixtes, analytiques... enseignement individuel, mutuel, simultané... abécédaires, tableaux muraux, caractères mobiles, vignettes et gravures, lettres en couleurs... techniques et accessoires prêtant À sourire ou témoignant au contraire d'une clairvoyance étonnante... il semble que tout ait été inventé, pressenti, essayé pour extirper l'apprentissage de la lecture du carcan d'une tradition faisant fi de la signification de l'écrit et de la psychologie enfantine. Aussi ne faut-il pas s'étonner que naissent dans cette instauration multiforme des techniques d'alphabétisation, des tentatives – certes marginales mais néanmoins présentes tout au long du siècle - d'introduire des démarches «analytiques» qualifiées de « méthodes de mots entiers » et écartant dès le début de l'apprentissage la présentation de lettres et de syllabes. Les concepteurs de ces méthodes, peu écoutés parce qu'allant À l'encontre de la généralisation des méthodes synthétiques, n'en ont pas moins été des précurseurs témoignant d'une rare perspicacité sur la nature de l'écrit, sur la lecture et sur les conditions de son apprentissage et des partisans d'une éducation pour tous réellement émancipatrice.

Ce livre sur une histoire insuffisamment connue apprend décidément beaucoup sur les combats d'hier – et d'aujourd'hui – À propos de la lecture et de sa pédagogie.

(1) Les méthodes de lecture au 19ème siècle. Christiane Juanéda-Albarède. À.L. n°37, mars 92, p.44 À 53 et n°38, juin 92, p.22 À 31.
Michel Violet