La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°62  juin 1998

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note de lecture

Une histoire de la lecture
Alberto Manguel
Actes Sud. 1998.

Connaître le passé pour comprendre le présent... Qui prétend oeuvrer en faveur de la lecture, de son apprentissage À ses pratiques les plus diverses, ne peut ignorer l'histoire du livre et de la lecture. C'est pourquoi nous nous efforçons dans ces colonnes de rendre compte des ouvrages traitant de ces sujets. Actes de colloques, contributions de spécialistes, bilans de recherches, il s'agit généralement d'ouvrages d'universitaires, d'historiens ou de sociologues dont Roger Chartier est en France un représentant éminent, particulièrement attaché À faire connaître par de nombreuses publications les résultats des travaux dans un champ de recherche ayant maintenant acquis sa spécificité et son autonomie.

Supposez qu'un romancier, lecteur impénitent, comme c'est le cas d'Alberto Manguel, écrive une histoire de la lecture et vous imaginez bien que vous aurez un ouvrage différent de ceux évoqués plus haut. L'auteur y célèbre en effet sa passion, relate son histoire personnelle de grand lecteur, parsème son livre de digressions et de réflexions, parle avec ferveur de son amour des livres et de son plaisir de lire. On a affaire À une œuvre d'une toute autre facture, pleine d'anecdotes et de détours, dont la lecture s'apparente assez À celle d'un roman.

Et pourtant... ce livre dont l'auteur précise qu'il est « une » histoire de la lecture et non l'histoire de la lecture, qui n'hésite pas À se mettre en scène et À faire part de ses souvenirs, est l'œuvre d'un romancier certes, mais aussi d'un essayiste connu, d'un critique littéraire et d'un traducteur célèbre, né en Argentine mais ayant vécu en Italie, en France, en Angleterre, À Tahiti et au Canada, et pour finir bien évidemment polyglotte. L'érudition d'Alberto Manguel, sa culture véritablement encyclopédique font de son ouvrage plein de ferveur, écrit « du côté du plaisir et de la gourmandise » pour reprendre les termes de l'éditeur, une véritable somme et un livre savant. L'importance des notes bibliographiques et de l'index (50 pages en corps 8) qui terminent le livre suffirait À en convaincre. Son histoire de lecteur est une histoire des lecteurs et une étude sociologique et politique depuis leurs origines des manières de lire, de la lecture, de l'écriture, de leurs supports, de leurs enseignements, de leurs fonctions, de leurs statuts et on se surprend au fil des pages et des innombrables citations et références littéraires, troublé par le plaisir inattendu qu'on prend aux informations qu'il donne et À la manière qu'il a de les donner, À guetter – mais en vain - si ce que l'on a pu apprendre d'ouvrages plus académiques et plus ardus sur tel ou tel aspect abordé, n'est pas omis ou contredit.

Alberto Manguel a atteint son but qui était d'écrire un livre « dans un style amical, accessible et néanmoins érudit, riche en renseignements et aussi en réflexion » qui mettrait « en présence de cette vénérable famille des lecteurs, dont certains sont célèbres et beaucoup obscurs (...) qui, portaient en eux le pouvoir de transformer des signes morts en mémoire vivante » et qui aiderait À « comprendre mieux qui je suis, moi, lecteur. »

Un livre À lire pour cette gageure réussie de persuader qu'en le lisant on partage avec l'auteur et tous ceux qu'il évoque « les gestes, le savoir-faire, la responsabilité et le pouvoir que procure la lecture ».
Michel Violet