La revue de l'AFL
Les
actes de lecture n°62
juin 1998
___________________
A propos de la lecture experte
Denis Foucambert a lu Apprendre A lire récemment
publié par l'Observatoire National de la Lecture. Il
s'étonne de certaines affirmations figurant dans ce document et
notamment de celles faisant incomplètement ou de manière
sélective référence aux recherches sur les
processus de lecture.
L'introduction du document de l'Observatoire national de la lecture Apprendre A lire (1)
débute bien prudemment par une mise en garde contre la confusion
hâtive que feraient certains entre les comportements d'un lecteur
expert et l'apprentissage de ces comportements. Pourtant, ses auteurs
et avec eux nombre de "spécialistes" de l'apprentissage de la
lecture ne se privent pas de faire référence A des
travaux scientifiques qui affinent notre connaissance des processus de
lecture, et de se gausser de certaines conceptions qui leur paraissent
au mieux valables dans les années 60 au pire complètement
farfelues. Je voudrais ici prendre trois points qui posent
véritablement problème dans la conception que l'on peut
se faire du lecteur habile, et essayer d'anticiper sur ce que serait ce
comportement de lecteur expert :
1. L'identification des mots fait-elle appel au contexte ?
2. Les mouvements oculaires et les points de fixations.
3. L'analyse grammaticale au cours de la lecture
I. L'IDENTIFICATION DES MOTS FAIT-ELLE APPEL AU CONTEXTE ?
Un certain nombre de psychologues cognitivistes postulent de
manière très claire que le contexte joue un rôle
pour le moins secondaire dans l'identification des mots. Ils
considèrent même que faire appel au contexte est la
manière de faire des mauvais lecteurs. Ainsi, Liliane
Sprenger-Charolles déclare : "Ce
qui différencie les bons des moins bons, c'est
l'efficacité des procédures d'identification des mots
largement indépendante du contexte" (2). En cela, elle se différencie nettement de Goodman (3)
dont elle réduit le plus souvent l'apport A
l'assimilation de la lecture A un prétendu jeu de
devinettes. Stanovitch, va exactement dans le même sens en
déclarant : "… la question centrale [est de décider] si
la supériorité en matière de reconnaissance de
mots est due A une supériorité du fonctionnement
de processus bottom-up (décodage phonographique et
reconnaissance visuelle directe) ou A une
supériorité du fonctionnement de processus top-down
(production d'hypothèses et prédiction contextuelle). Les
données disponibles sont maintenant largement en faveur de la
première hypothèse : les mauvais lecteurs sont nettement
moins bons dans les tâches de reconnaissance de mots (bottom-up)
mais semblent relativement compétents lorsqu'il s'agit
d'utiliser des processus top-down pour faciliter le décodage. » (4)
On remarquera, en passant, que pour ces auteurs, c'est soit l'un, soit
l'autre : que les mauvais lecteurs soient médiocres dans les
tâches de reconnaisance de mots, c'est probable, en revanche il
est peu vraisemblable que les bons lecteurs soient mauvais dans les
tâches où le contexte est requis ; c'est même le
contraire que nos propres recherches ont montré de
manière très significative pour des enfants de CM2 (5).
Mais le dogme est bien que les processus de reconnaissance des mots
sont peu tributaires du contexte pour les bons lecteurs. Inutile d'en
rajouter, la liste pourrait être longue des chercheurs qui
professent ces dires, et tous ont l'avantage de se citer mutuellement :
Perfetti, Alegria, Morais…
Pourtant, qui lit les travaux de psychologie ne peut qu'être
frappé par l'occultation systématique de tous les travaux
qui expriment une idée inverse. Qui plus est, ces derniers sont,
de beaucoup, plus nombreux que ceux qui professent
l'indépendance contexte/reconnaissance et ils portent plus
souvent sur ce qui se passe dans des situations de lecture de phrases
ou de textes par des lecteurs adultes. Nous allons maintenant
présenter une recherche qui fait date sur ce problème :
Dopkins (6) a travaillé sur la
lecture de phrases contenant des mots-cibles ambigus possédant
un sens dominant et un sens secondaire. Ces mots sont
précédés de contextes antérieurs "positifs"
(qui influenceraient la sélection du sens secondaire d'un mot,
sans rendre impossible le sens dominant), "négatifs" (qui
empêcheraient la sélection du sens dominant) ou encore
"neutres" (sans influence possible sur la sélection du sens). Il
a fait suivre ces mots-cibles de séquences levant
l'ambiguïté mais n'autorisant toujours que la
sélection de la signification secondaire du mot-cible. Dans le
cas du contexte antérieur positif, les tenants de
l'indépendance reconnaissance/contexte prévoient que le
"processeur" intégrera le sens dominant du mot-cible, sans
recourir au sens secondaire, puis continuera la lecture du reste de la
phrase. Rencontrant la séquence désambiguïsant le
mot-cible, le "processeur" réalisera sa faute et recalculera le
sens du mot. Dans le cas du contexte négatif, le contexte
précédant le mot-cible interdira au "processeur"
d'intégrer le sens dominant et attendra que le processus
d'accès lexical lui propose le sens secondaire. Du coup, le
matériel linguistique suivant le mot-cible ne jouera plus son
rôle désambiguïsant.
En conséquence, la proposition de l'indépendance entre le
contexte et la reconnaissance du mot conduit A prévoir :
- des temps de travail sur les mots ambigus plus longs pour les
contextes antérieurs négatifs que positifs ou neutres
(parce que le "processeur" devra y faire une pause pour attendre que le
sens secondaire soit activé)
- des temps de travail plus longs sur des contextes postérieurs
de mots ambigus dans des situations antérieures positives ou
neutres (parce qu'il y sera fait le recalcul de sens du mot ambigu)
En revanche, un modèle incluant le rôle du contexte dans
le reconnaissance du mot prévoit que le contexte
précédant le mot-cible aura un effet sur l'accès
initial A la signification en cas de contexte positif, mais pas
si le contexte est négatif ou neutre. Dans le contexte positif,
le matériel linguistique contient des informations qui
influencent le choix du sens secondaire, favorisant donc sa
sélection première, avant de se mouvoir sur la suite de
la phrase. Dans les conditions négatives et neutres, le contexte
ne permettra pas de "pré-lever" le sens secondaire et l'on se
retrouverait proche du problème décrit plus haut. Dans le
contexte négatif, le sens dominant ne devrait pas être
sélectionné, mais le modèle prévoit plus de
bénéfices positifs que négatifs. En effet, si le
modèle permettait des incrémentations négatives,
il deviendrait impossible de prendre des décisions dans un
contexte discursif complet, tant les mots recèlent de sens
cachés et donc inappropriés A un contexte
particulier. Ce modèle prévoit donc :
- un temps de travail sur les mots ambigus plus long pour les contextes négatifs que pour les contextes neutres.
- un temps de travail sur les séquences
désambiguïsant les contextes positifs et négatifs
plus court que pour les contextes neutres (il n'est pas
nécessaire de recalculer le sens parce que le contexte l'a
"pré-levé").
Un point important reste en suspens dans ce modèle : que se
passe-t-il pour les mots ambigus en contexte positif ? Dans ce cas, le
contexte précédent va influer sur la sélection du
sens secondaire, de sorte que la signification sera accessible plus
tôt. Il est impossible de prédire le gain exact dans ce
cas. Soit le sens secondaire est activé en même temps que
le sens dominant et les deux significations sont en concurrence, soit
le sens secondaire est accessible avant le sens dominant, car le
contexte le fera devenir temporairement dominant. Malgré tout,
dans ce cas, la résolution du dilemme se fera avant de continuer
la lecture. On est ici devant un cas exemplaire de la question de la
force de l'interaction. Soit elle est faible et les deux sens sont en
compétition et le contexte résout le problème,
soit elle est forte et elle l'a résolu avant, en modifiant de
façon temporaire la représentation dominante du mot
ambigu.
Dopkins, Morris et Rayner ont montré que le temps de fixation
sur les mots ambigus (comprenant le premier passage et les retours
éventuels sur ces mots) était significativement
inférieur pour les contextes positifs et négatifs. En
conséquence, il semble bien exister un effet de contexte sur les
processus d'identification des mots, amenant ces auteurs A
déclarer « ces
résultats sont incompatibles avec le modèle modulariste
et suggèrent que le contexte influence l'accès au lexique. »
Bien entendu, derrière ces expériences se trouvent des
conceptions du fonctionnement cérébral. Dire que le
contexte n'influence pas la reconnaissance des mots dans la lecture
d'énoncé (par un lecteur habile), c'est rester
fidèle A l'approche modulariste du fonctionnement
cérébral. On y conçoit un mode de travail
séquentiel, certes très rapide, mais toujours très
proche du type de fonctionnement d'un ordinateur. Si un temps, on a cru
pouvoir modéliser un certain nombre de fonctions
cérébrales supérieures, aujourd'hui le propos est
certainement de souligner les différences essentielles de
comportement entre un cerveau et un ordinateur (7, 8).
II. LES MOUVEMENTS OCULAIRES ET LES POINTS DE FIXATIONS.
Les mêmes psychologues qui nous enseignent les méthodes de
lecture stipulent également la relative adéquation entre
l'empan de lecture et le mot. Ainsi on apprend dans la document de
l'Observatoire national de la lecture que « lorsque,
au début des années 70, Franck Smith a popularisé
cette idée [de passer directement des traits visuels A la
signification du texte] (il disait qu'on lisait un mot sur 4, voire 1
sur 10), on ne disposait pas encore des techniques informatisées
d'examen des mouvements oculaires pendant la lecture et des
méthodologies expérimentales de manipulations de texte en
fonction du comportement du lecteur qui allaient montrer que, dans un
texte lu pour sa compréhension, les lecteurs traitent en fait
tous les mots, essentiellement de manière séquentielle,
et toutes les lettres d'un mot, essentiellement de manière
simultanée. » (1). De la même manière, Stanovitch rappelle que « les
lecteurs ne pratiquent pas les sauts massifs qui sont parfois
sous-entendus dans les présentations de modèles top-down
» (4). Une des études parmi les plus citées en ce
domaine, même si elle date un peu, est celle de Just et
Carpenter. Ces auteurs déclarent que les lecteurs fixent chacun
des mots du texte, « et ne font pas deux ou trois points de fixations par ligne de texte. » (9)
On y examine les mouvements oculaires d'une population de 14
étudiants devant lire normalement (ni pour mémoriser ni
pour étudier) 15 courts textes (130 mots) extraits de magazines.
La vitesse moyenne de lecture de ces individus a été
évaluée A 13 500 mots par heure. On comprend tout
de suite le travers d'une telle étude. 13 500 mots/heures est
sans conteste une vitesse qu'on peut observer fréquemment chez
des adultes, mais pourquoi n'introduit-on pas ici la notion de lecteurs
rapides ou lents. Alors que dans le cas de l'étude du contexte,
on supposait bien une différence de stratégie entre un
bon et un moins bon lecteur, ici, cette discrimination disparaît.
Pourtant des études existent qui montrent les différences
de largeurs d'empans suivant les types de lecteurs.
Cette différence se retrouve aussi dans l'analyse des
résultats des enfants de CM2 (5). La vitesse moyenne de lecture
de l'ensemble des enfants étaient de 12 000 mots A
l'heure. Mais les 10 enfants les plus lents lisait A 4 000
mots/heure, alors que les 10 les plus rapides avaient une vitesse de
lecture de 24 500 mots/heure (un point de fixation correspond environ
A trois mots).
Enfin, un malentendu existe certainement quand on parle de ce sujet :
un grand nombre de travaux de recherche dans le domaine des mouvements
oculaires s'intéressent A ce qui se passe quand
l'œil se fixe sur un mot, aux informations qui vont
accélérer (ou retarder) le traitement du mot. Il est bien
clair que vont être exclues des observations les données
où le mot n'est pas fixé (ceci est d'ailleurs
explicitement exprimé dans les méthodologies de
recherche). Et parfois, on observe que pour donner du poids A
cette affirmation erronée de l'adéquation quasi
systématique du point de fixation et d'un mot, on convoquait les
articles exposant ce qui se passe quand on fixe un mot.
Mais il faut parfois chercher des données en dehors des
disciplines où l'on stagne. Et d'autres chercheurs
s'intéressent aux mouvements oculaires, que ce soit les
déplacements oculaires devant une image, ou devant un texte.
Ainsi, une recherche récente conduite A l'INSERM U305 de
Toulouse sur la coordination binoculaire chez de jeunes lecteurs
apporte de nouvelles précisions. Ces chercheurs tiennent
notamment compte de la vitesse de lecture des sujets. « L'amplitude
de la saccade de progression détermine la plage de lecture. Plus
celle-ci est étendue, plus le nombre de fixations est
réduit et plus la lecture est rapide. Les lecteurs lents
(vitesse de lecture inférieure A 9 000 mots/heure) font
des saccades de progression de faible amplitude par rapport aux
lecteurs rapides (2°39' vs 4°23). » (10, 11)
Cette amplitude est donnée ici en degrés d'arc mesurant
l'angle visuel ; dans leur protocole de recherche, une ligne de texte
est vue sous un angle de 21°10' et, par exemple, le mot "les"
affiché A l'écran est vu sous un angle de
1°08'. Si une saccade moyenne chez un lecteur lent (2°39')
dépasse déjA la longueur moyenne d'un mot (entre 5
et 6 caractères), c'est plus du double chez un enfant de 10 ans
bon lecteur, soit en moyenne 3 mots, ce qui ne signifie pas non plus
une amplitude régulière et mécanique des empans
mais invalide complètement l'existence d'une fixation par mot.
Notons que les meilleurs lecteurs que nous avons pu voir lisaient
A des vitesses supérieures A 60 000 mots/heure,
soit environ 100 signes par seconde. A cette vitesse-lA,
nous arrivons A, en moyenne, des empans de 25 signes soit
d'environ 6 mots. De ce rapide calcul, nous pouvons déduire que
la taille de l'empan de lecture pour un lecteur véritablement
expert est d'environ 10° (soit environ 2 points de fixations par
ligne…).
Enfin, pour rajouter un peu de complexité A ces
mouvements oculaires, notons que ce type de recherche montre une
meilleure structuration des saccades de l'œil gauche que de
l'œil droit, peut être due au sens de lecture, de gauche
A droite. L'œil droit est sujet A des
phénomènes de « micro-vague », c'est A
dire de très légers déplacements/retours vers la
droite ; des interprétations sont A trouver pour
expliquer les raisons de ces mouvements. Sont-ils de simples
réglages de la vision binoculaire, ou participent-ils d'une
pré-investigation du texte ?
Quoiqu'il en soit, on comprend bien que les études de
psychologie ne tiennent pas compte de ce qui se passe ordinairement
chez un lecteur expert en situation de lecture. En particulier, si
l'empan de lecture augmente de façon aussi considérable,
cela nous oblige A considérer les performances
intrinsèques de notre œil, et aussi A examiner les
caractéristiques de la vision parafovéale.
III. L'ANALYSE GRAMMATICALE AU COURS DE LA LECTURE
L'ouvrage récent intitulé Apprentissage de la lecture et compréhension d'énoncés
commence lui aussi par une description des processus que les lecteurs
experts mettent en œuvre pour « parvenir A la
compréhension d'un texte ». La première
étape est sans surprise : il s'agit de l'accès au lexique
mental et de l'identification des mots. La deuxième phase est
constituée par « L'analyse syntaxique (parsing)
« on-line » des séquences de mots ainsi
identifiés [par le point 1] et l'élaboration de la
structure syntaxique des différents constituants puis de
l'énoncé. Cette analyse s'effectue au fur et A
mesure que les mots sont identifiés. » (12)
Le propos est encore une fois classique ; on associe un contenu lexical
A la forme graphique (les cheminements pourraient, bien
sûr, être discutés), puis on y associe une
référence syntaxique, pour enfin, A la fin de la
structure, parvenir A élaborer l'analyse syntaxique
complète. De la même façon, dans le document de
l'ONL, il est déclaré : «… il est clair
que ce n'est pas l'appréhension de la phrase qui
précède l'identification des mots, mais l'identification
des mots qui conduit, moyennant d'autres capacités
supplémentaires telles que les capacités d'analyse
syntaxique et d'intégration sémantique, A
l'appréhension de la phrase » (1).
Cette façon de procéder est présentée sans
que l'ombre d'un doute soit introduit ; de toutes évidences, le
lecteur expert procède de cette manière
séquentielle.
Encore une fois, des pans entiers des recherches sur les processus de
lecture sont systématiquement oubliés. En particulier,
existe une hypothèse reposant sur le « modèle
structural de la lecture ». A partir d'observation sur des
phénomènes de repérage (ou d'oubli) de lettre dans
des mots dont la position varie dans la phrase, on pense que la
catégorie grammaticale ou/et la fonction du mot serait
anticipée avant que de le lire. Dès le début de la
lecture d'une phrase, un modèle syntaxique serait
élaboré, lequel se trouverait constamment
réévalué par le déplacement au sein du
matériau phrastique. Une grande place est faite au rôle
des mots outils, autours desquels se structurerait la conscience de la
phrase, de manière très rapide, et permettrait
d'intégrer les informations sémantiques, dans un second
temps, et sur les mots lexicaux. « Dans
cette organisation, les éléments qui convoient la
structure de la phrase, jouent le rôle de squelette cognitif qui
supporte et organise les éléments sémantiquement
riches ». (13). Les résultats de
ces chercheurs montrent clairement une indépendance entre les
contributions structurales et les facteurs sémantiques : «
cette organisation [syntaxique] peut être extraite de manière relativement indépendante de la signification ».
Cette activation très rapide d'une structure dans laquelle va
s'organiser le sens du propos, est probablement facilitée par
une une pré-vision parafovéale du texte. Décrire
plus avant les expériences ne peut se faire maintenant, mais il
semble assez évident, au regard des travaux engagés, que
même si la structure de la phrase reste largement transparente au
lecteur, elle fait partie prenante du sens et de la
compréhension. Et ce non de manière postérieure
A une activation lexicale du mot, mais bien avant, dès le
début du traitement de la phrase.
CONCLUSION
La lecture, considérée comme une activité
cérébrale supérieure, est traversée par les
courants philosophiques qui s'affrontent lorsqu'on étudie les
comportements humains. Soit le cerveau est considéré
comme un super ordinateur qui traite de manière
séquentielle les informations perçues par son
système sensoriel (en essayant de réduire ces
informations en unités plus petites pour pouvoir les traiter par
des modules séparés), soit le cerveau est
appréhendé comme une entité « pro-active
» (7),
c'est A dire, qui prévoit, qui joue A l'avance ce
qui va se passer et sélectionne de manière volontaire les
informations que son système nerveux lui rend disponible pour
invalider ou conforter le modèle qu'il construit de la situation
qui se déroule. On est donc soit esclave des informations qui
arrivent, soit on en est maître parce qu'on les organise en
fonction d'un enjeu provisoire.
Etre contraint d'appréhender et de traiter les mots de
manière séquentielle, successive, en extraire leur
signification de manière isolée, sans faire
référence A la situation en cours, construire le
modèle syntaxique après en avoir isolé les
différents constituants est un exemple superbe d'une conception
binaire du fonctionnement cérébral. Dans cette optique,
le seul progrès qu'on peut espérer faire, c'est
réduire les temps de traitement des mots, « automatiser
» ce traitement. Et réaliser une action de manière
automatique, c'est, physiologiquement, agir sans intervention du
système nerveux central…
A l'inverse, anticiper, construire des
modèles, évaluer où on va prendre l'information
pour mener A bien la tâche en cours, moduler ses prises
d'informations en fonction de l'action entreprise, des
difficultés locales, sont des modes de fonctionnement plus
proches de ceux que développe un cerveau humain (7, 8). Ce type
de comportement semble bien être celui des lecteurs experts en
situation de lecture de textes. Il s'intègre parfaitement dans
les théories les plus récentes sur le cerveau, qui le
considère comme « une machine proactive, qui projette sur
le monde ses interrogations » (7) et les traite de manière
extrêmement rapide, dynamique, en simulant des actions pour en
prédire les conséquences et choisir la plus
appropriée.
notes
(1) Observatoire National de la Lecture. (1998). Apprendre A lire. Paris. Éd. Odile Jacob.
(2) Sprenger-Charolles, L., Béchennec, D., & Lacert, P.
1998. Place et rôle de la médiation phonologique dans
l'acquisition de la lecture/écriture en français.
Résultats d'une étude longitudinale. Revue Française de Pédagogie, 122, 51-67.
(3) Goodman, K. 1967. Reading : a psycholinguistic guessing game. Journal of the Reading Specialist, 6, 126-135.
(4) Stanovitch, K. (1989). L'évolution des modèles de la
lecture et de l'apprentissage de la lecture. In L. Rieben & C.
Perfetti (Eds.), L'apprenti-lecteur. Recherches empiriques et implications pédagogiques. (pp. 43-59).
(5) Foucambert, D. (1997). Conscience graphique et performance en
lecture : Étude statistique sur un échantillon d'enfants
de onze ans. Université de Caen.
(6) Dopkins, S., Morris, R., & Rayner, K. 1992. Lexical ambiguity
and eye fixations in reading : a test of competing models of lexical
ambiguity resolution. Journal of memory and language, 31, 461-476.
(7) Berthoz, A. (1997). Le sens du mouvement. Paris. Éd. Odile Jacob.
(8) Varela, F. 1998. Le cerveau n'est pas un ordinateur. La recherche, 308, 109-113.
(9) Carpenter, P., & Just, M. (1983). What your eyes do while your mind is reading. In K. Rayner (Ed.), Eye movements in reading : perceptual and language processes. (pp. 275-307). New York: Academic Press.
(10) F. Satow & B. Gatherer. Binocular Vision and reading performance. United Kingdom Reading Association, 1991; 182 p.
(11) Bassou, L., Granié, M., Pugh, A.K., & Morucci, J. (1992). L'œil et la lecture. Voies Livres, 59 : 1-25.
(12) Lecocq, P., Leuwers, C., Casalis, S., & Watteau, N. 1996. Apprentissage de la lecture et compréhension d'énoncés. Lille : Presses universitaires du septentrion.
(13) Koriat, A., & Greenberg, S. 1996. The Enhancement Effect in
Letter Detection : Further Evidence for the structural Model of Reading
.
, 22, 1184-1195.