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La revue de l'AFL
Les
actes de lecture n°62
juin 1998
___________________
La dissonance cognitive :
quelques pistes pour l'enseignement du français
en contexte multiculturel
Pour des allophones, mais pas seulement pour eux, la forme et les
normes d'utilisation du français sont sources de
difficultés auxquelles on ne songe pas. Dany Crutzen,
chargée de recherche au Centre Interdisciplinaire de Formation
de Formateurs de l'Université de Liège (CIFFUL –
Sart Tilman – B5. B4000 Liège.), auteur d'un ouvrage
intitulé Objectif lecture ! Pratiques de lecture en classe multiculturelle
A paraître aux Éditions De Boeck, montre en quoi le
concept de « dissonance culturelle » peut aider A
développer des stratégies pédagogiques qui
tiennent compte des difficultés des élèves
d'origine culturelle et linguistique étrangère.
« Pour continuer de remettre en question la notion
et l'utilisation de « représentation mentale », une
conclusion en forme de « poire A docte » : ce que
je dis n'épuise jamais ce que je sais de ce sur quoi
je dis, et pourtant je me construis ce que je sais en le disant. »
Alain Miossec (1)
« L'inadaptation est le fait de l'école, de l'institution,
qui impose aux enfants un changement d'identité
sociale quand elle refuse leur langage d'origine. » (2)
LA DIMENSION LINGUISTIQUE N'EST PAS NEUTRE :
évident, diront certains, mais encore…
Il semble que certaines difficultés linguistiques vécues
par les élèves allophones immergés en culture
francophone s'appuient sur des dissonances cognitives provoquées
par les normes d'utilisation de la langue française. En ce cas,
le concept de dissonance cognitive (3)
peut-il nous aider A développer des stratégies
pédagogiques qui tiennent davantage compte de l'origine
culturelle et linguistique des élèves ?
« Dans les écoles, les enseignants ignorent que
suivant leur groupe d'appartenance, les enfants ont été
« accueillis » A la naissance de façons
diverses et qu'ils ont été bercés dans une langue
qui les structure de la même façon que les autres membres
de l'ethnie, différente de celle de l'ethnie voisine et de la
nôtre. Cette langue, celle de l'ethnie dans laquelle l'enfant
naît, a une structure propre qui constitue le premier
système logique dans lequel l'enfant doit entrer (s'il n'y entre
pas, il devient autiste). Dès que l'enfant entend et parle, la
langue lui apporte des éléments qui ne sont pas
immédiatement accessibles mais qui serviront plus tard. A
travers les mots, se glisse A l'insu du groupe (et A
celui de l'enfant) un sens philosophique propre A chaque langue.
L'enfant, en apprenant ces différents mots, comprend leur
différents sens et ne pourra jamais s'en défaire : il est
contraint par la langue que sa naissance lui a imposé. Il est
tout aussi contraint par les différentes règles
grammaticales, ou bien par l'ordre des mots. » (4)
Ce constat, frictionné A l'observation du comportement
scolaire en classe multiculturelle, nous servira de point de
départ pour envisager les obstacles A l'apprentissage,
mais avant d'entrer dans les aspects proprement linguistiques de la
question, il nous paraît nécessaire de situer la
réflexion dans un cadre plus global et de préciser en
quoi l'identification de dissonances cognitives peut nous être
utile.
I. QUELQUES PRÉALABLES
L'intérêt d'une telle question n'est pas de « mettre
en boîte » une fois de plus des comportements
stéréotypés, mais de débusquer quelques portes d'entrée
opérantes pour faciliter les apprentissages. Les exemples
développés dans cet article vont dans le sens d'une
méthodologie de l'écoute et de l'observation de
l'autre/de soi : nous partons de l'hypothèse que les dissonances
identifiées peuvent devenir des leviers d'action (5) pour réduire les tensions et stimuler les apprentissages.
Ici plus qu'ailleurs, il faudrait tout écrire au conditionnel
pour tenter de respecter la fluidité et l'intangibilité
des phénomènes décrits. Pas de
généralisation donc, ni de « méthode en kit
» A resservir en classe ! Comme souvent – ce que
ça peut être agaçant ! – nous nous
contenterons d'une série de questions et de pistes de travail
A soumettre au regard étonné, fouineur et critique du « cas par cas ».
Une balise importante guidera toutes nos hypothèses : la non-spécificité culturelle des difficultés identifiées.
- Le statut d'«étranger» ne prédispose en
rien A subir les aléas de la dissonance cognitive.
L'autochtone – l'enseignant en particulier – les vit au
contact de l'«autre» de façon similaire ; il les
réduit sans doute plus facilement en raison de sa position
dominante : en quelque sorte, il peut compter sur la force du groupe
majoritaire pour éliminer ce qui lui est trop insupportablement
dissonant, sauf dans les cas où il est lui-même
minorisé. Le témoignage des enseignants autochtones
«immergés en classe multiculturelle» est, A
cet égard, très éclairant.
- Dans la relation pédagogique, et dans l'interaction sociale en
général, nous sommes tous concernés par les
multiples dissonances qui ébranlent et transforment nos paysages
mentaux. A une vitesse exponentielle, le multiculturalisme ambiant
– et pas uniquement multiethnique – force le passage d'une
espèce de confort culturel, de l'ordre du « OU BIEN c'est noir » / « OU BIEN c'est blanc »,
A une réalité plus paradoxale, A la fois
plus inconfortable et plus riche, de l'ordre du « c'est ET blanc, ET noir, ET encore jaune et vert et bleu…
». Cette négociation des normes et des
vérités, du statut même de la
réalité, devient un paradigme de la pensée et du
comportement : l'adaptation paradoxale s'impose A tous les
humains «mondialisés», même A ceux dont
la migration n'est pas géographique.
- Les difficultés que nous observons sont beaucoup plus
déterminées par les origines socio-économiques ou
socioculturelles des élèves que par leur origine
ethnique. Autrement dit, dans le cadre scolaire et linguistique, la
composante ethnique de la dissonance culturelle existe, mais n'est pas
prépondérante. C'est un élément qui
mérite une attention particulière, en tant qu'obstacle
et/ou ressource potentiels pour l'apprentissage, mais qui ne suffit pas
A expliquer la relation difficile aux normes scolaires.
Le propos de cette recherche est donc de nous inviter, au jour le jour,
A découvrir – avec horreur et délice !
– A quel point nos plus solides évidences sont
caduques dès qu'elles quittent le giron douillet de la
«mono-pensée». Et de nous renvoyer A
l'éternelle négociation entre identité et
changement, aussi inconfortable que dynamique.
II. LA DISSONANCE COGNITIVE
Par dissonance cognitive, on entend un
état pénible pour l'être humain, une sorte de
malaise psychologique résultant de croyances ou d'attitudes
impliquées simultanément bien qu'elles soient
incompatibles, ou d'une incompatibilité subjective entre
croyance et comportement. Cet inconfort pousse l'individu A
réduire la dissonance ou A éviter les situations
et les informations qui peuvent augmenter la dissonance entre deux
NOTIONS, c'est-A-dire entre deux éléments
cognitifs constituant nos représentations mentales conscientes.
Les notions (en anglais, « cognitions ») sont « toute
connaissance, opinion, croyance, relatives au milieu, A
soi-même ou A sa propre conduite ». « Certains
de ces éléments représentent des connaissances
relatives A soi : ce que je pense, ce que j'éprouve, ce
que je veux ou désire, ce que je suis… Les autres
éléments de connaissance concernent le monde où
l'on vit : la situation des objets, ce qui y amène, ce qui est
satisfaisant ou pénible, ou négligeable ou
important… » (6)
Pour faire simple, disons que deux notions sont dites consonantes
lorsque l'une d'elles implique logiquement ou psychologiquement l'autre
(par exemple : je suis énervé ð
je fume une cigarette) ; elles sont dites dissonantes lorsque, pour le
sujet, A implique non-B (par exemple : je sais que le tabac nuit
gravement A la santé ð
ne pas fumer; mais je fume tout de même!). La dissonance peut
être produite par une incohérence logique, mais aussi par
une friction entre normes culturelles ou encore par une
incompatibilité entre un fait présent et les
expériences passées…
Sans entrer dans le débat sur la pertinence scientifique du concept, ce qui nous paraît
A la fois intéressant et opératoire dans les
hypothèses posées par cette théorie, c'est le
postulat d'un besoin interne de COHERENCE COGNITIVE, qui serait
inhérent au psychisme humain : l'organisation cognitive
exigerait de maintenir la plus grande consonance possible entre les
notions en présence ; la dissonance susciterait des
réactions d'approche et d'évitement des
éléments dissonants, jusqu'A disparition de la
tension.
En particulier, la tension ou le conflit plus ou moins intense que
suscite toute situation de choix produirait ce jeu
d'approche/évitement - disons entre A et B -, jusqu'A ce
qu'une décision tombe. Cependant, A la tension
antérieure A la décision succéderait une
autre tension, liée cette fois A la dissonance cognitive
produite par la décision elle-même : le sujet se retrouve
en effet en consonance avec les avantages de A et l'évitement
des inconvénients de B, mais dans le même temps, en
dissonance avec les inconvénients de A et la perte des avantages
de B. Dans tous les cas de conflit ou de choix, il y aurait donc un
travail A faire sur la dissonance qui suit la décision, et partant, sur la panoplie de stratégies qui permettent d'y faire face.
Si l'on replace ces explications dans le contexte du choc culturel, on pourrait décrire la réaction en chaîne suivante :
CHOC CULTUREL
F CONFLIT - DISSONANCE 1
F CHOIX-DÉCISION (7)
F DISSONANCE 2
F RÉDUCTION-CHANGEMENT
La dissonance 2 a, comme la dissonance 1, des composantes affectives et
cognitives. Cependant, nous proposons d'essayer de l'aborder d'un point
de vue cognitif, en travaillant sur des NOTIONS qui peuvent être
identifiées et verbalisées.
Prenons un exemple banal de choc culturel.
CHOC CULTUREL : Isabelle, choquée par le comportement des étudiants marocains de l'Université, « qui considèrent les filles belges comme de la marchandise A consommer, sans aucun respect pour leurs sentiments » ; se sent grugée.
CONFLIT : après une expérience malheureuse qu'elle
partage avec une copine, elle tombe pourtant amoureuse d'un
étudiant marocain.
CHOIX-DÉCISION : elle décide de ne plus fréquenter
les étudiants marocains ; le risque d'être encore
blessée lui est insupportable et elle développe un
préjugé « anti-Marocains ».
DISSONANCE COGNITIVE : Isabelle est intelligente, elle sait que ses
arguments ne tiennent pas vraiment la route et ses sentiments
s'accommodent assez mal de la décision prise; elle rencontre par
ailleurs une jeune femme qui vit maritalement avec un étudiant
marocain depuis cinq ans.
RÉDUCTION-CHANGEMENT : Un psychologue marocain explique A
Isabelle la façon très différente de gérer
les interdits sexuels dans la société maghrébine
et dans la société occidentale. En résumé (8),
l'Islam imposerait le respect des règles sexuelles par des
modalités plutôt externes (conduites
ségrégationnistes, port du voile… =
extériorité), tandis que l'Occident chrétien
procéderait essentiellement par une forte intériorisation
des interdits sexuels dans le processus de socialisation (intériorité). Deux éléments d'analyse lui sont proposés pour décrypter son choc culturel :
- l'interdit moral est moins intériorisé dans la
société maghrébine ; la sensualité et la
tentation seraient plus fortes dans les relations hommes/femmes
lorsqu'elles ne sont pas gérées par des règles
précises de comportement ;
- dans la société musulmane, l'espace public étant
traditionnellement un espace masculin, le comportement public de la
femme occidentale, dont l'interprétation
stéréotypée est renforcée
négativement par certains médias, pourrait la transformer
en « femme publique ».
Sortir des stéréotypes, sans devoir choisir d'accepter ou
d'exclure totalement, ce sera pour Isabelle changer le regard qu'elle
porte sur le comportement en question. Elle va sortir d'une logique
stigmatisée de groupe pour entamer un dialogue particulier avec
la personne concernée. En raccourci : elle peut être et
femme occidentale dans un espace public et femme respectable ; il peut
être et musulman maghrébin et respectueux d'une femme
occidentale ; la relation de couple dit « mixte » - comme
si tous les couples ne l'étaient pas…- peut être et
un risque accru d'incompréhension et une opportunité
accrue de sain dialogue…
Partant de ce contexte très général, ce qui nous
intéresse d'un point de vue pédagogique, ce sont les
effets de la dissonance 2 et la nécessité de changement
qui s'ensuit. Dans de nombreux cas, on pressent que les
choix-décisions résultant du choc culturel se sont
cristallisés dans une position défensive, productrice
d'une dissonance larvée, insidieuse car non dicible : nous
faisons l'hypothèse que cette position défensive, non
seulement produit de la dissonance, mais en entrave la
réduction, pourtant nécessaire A
l'équilibre psychique. Elle peut donc être un puissant frein A l'apprentissage, mais elle est aussi une ressource particulière A ne pas manquer pour construire le sens de l'apprentissage et le changement (9).
Un processus pertinent devrait pouvoir faciliter ce changement dans le
sens d'un plus grand confort psychologique et cognitif : comment faire pour articuler des notions contradictoires (ET) ? comment faire pour légitimer cette articulation ?
L'interaction pédagogique et sociale est ici A
considérer A la fois comme un risque de création
de dissonance cognitive, et comme un moyen de la réduire. Par
une méthodologie d'écoute de l'autre/de soi, on peut
favoriser l'émergence consciente des représentations et
tenter d'y débusquer ces éventuelles dissonances. Le fait
de les « mettre A plat » ne les neutralise pas
automatiquement, mais produit au moins deux effets
bénéfiques :
- l'enseignant prend conscience de la difficulté et peut en tenir compte ;
- l'élève identifie et exprime les termes du malaise ; il
est reconnu dans ce qu'il vit et invité A envisager
positivement les changements qu'il mettra en œuvre pour
réduire la tension.
« La représentation peut être
considérée, au sens large, comme une façon
d'organiser notre connaissance de la réalité,
elle-même construite socialement. Une telle connaissance
s'élabore A partir de nos propres codes
d'interprétation, culturellement marqués, et elle
constitue en ce sens un phénomène social en soi…
»(10)
Les représentations mentales opposent au changement une grande
résistance, et dans bien des cas, peuvent demeurer intactes,
même après un processus d'apprentissage apparemment
performant. Elles sont la structure et la substance du «
DÉJA LA », la trame – consciente ou
inconsciente – qui décode les perceptions et les
informations données par l'environnement. Elles constituent un filtre
A tout apprentissage et un point de départ obligé
: elles ne doivent cependant pas être envisagées
uniquement comme des freins, mais au contraire, être
valorisées dans ce qu'elles peuvent apporter au processus
d'apprentissage. Certains comparent cette structure interne A
une sorte d'iceberg, dont l'essentiel est invisible : l'idée
d'émergence se réfère A cette image,
postulant que l'on peut, en partie, amener A la surface des
modèles mentaux immergés. D'autres suggèrent que le chemin apparaît au fur et A mesure de la marche,
émergeant donc de façon dynamique, en même temps
que l'action. Ce qui est certain, c'est que ces images ou
représentations, anodines en apparence, interrogent A
bien des égards la conception habituelle des tâches
scolaires.
En classe, on sera, par exemple, particulièrement attentif
A tout ce qui émerge d'inattendu : les décalages
qui interpellent, les étonnements, sont autant de
symptômes d'un écart important entre les
représentations de l'élève et les conceptions de
l'enseignant. C'est précisément A cet endroit
qu'il est intéressant de s'arrêter, en tant que
révélateur potentiel d'un obstacle cognitif.
On propose donc A l'élève une aide
méthodologique pour sortir d'une POSITION DEFENSIVE qui entrave
ses apprentissages. Si l'identité est concrètement
reconnue dans le quotidien de la classe, en ce qu'elle est A la
fois légitime, continue et mouvante, apte A s'adapter
sans se perdre, elle peut cesser d'être un jardin secret ou
bafoué qu'il faut défendre bec et ongles, pour devenir
une terre fertile où les semences nouvelles trouveront A
germer.
Pourtant, par simple injonction et en toute inconscience,
l'école place souvent l'élève en situation d'agir
en contradiction flagrante avec son identité et ses convictions
profondes. Si la dissonance est importante et récurrente, on
s'aperçoit qu'elle génère des mécanismes de
défense quasi permanents : la défense identitaire risque
de s'installer comme une entrave systématique A
l'apprentissage scolaire.
Exemple :
Un élève arménien est amené A
réaliser un travail de groupe avec des élèves
kurdes et turcs. Il peut considérer qu'il est en présence
d'«ennemis», mais est contraint d'agir selon la consigne
scolaire. Si cette situation n'est pas déminée,
l'élève a le choix entre l'agression, la fuite ou la
soumission. L'enseignant ne peut ni casser la représentation
«ennemis» (modèle résultant d'une situation
objective sur le terrain), ni renoncer A son objectif
pédagogique (se référant A un modèle
de citoyenneté égalitaire). Il ne peut que cadrer chacun
des modèles en fonction du contexte, afin de permettre leur
cohabitation. Nous avons tenté, par exemple, une articulation du
type : « sur le terrain, l'ortie pique ; mélangée
A d'autres ingrédients dans un potage, elle devient
bénéfique …»
Cependant, sans une approche émergente, l'enseignant peut
jusqu'A ignorer qu'il existe un problème ; sur papier,
tous ces élèves sont Turcs. Pour interpréter les
réactions «surprenantes» de ses
élèves, l'enseignant ignore une donnée essentielle
: son propre déni – involontaire – de
l'identité de l'autre. Il s'agit lA, malheureusement,
d'une «violence scolaire» courante.
A la décharge des uns et des autres, il faut bien dire
que les notions qui produisent ici les dissonances ne sont ni
vérifiables ni falsifiables en dehors du consensus qui les
fonde, il n'est pas question de simplement confronter des
réalités sociales ou des croyances A un
«modèle scientifique ou universel» qui mettrait tout
le monde d'accord (comme on peut le faire pour une expérience
physique, par exemple).
Les enjeux sont souvent considérables, autant pour
l'«étranger» que pour l '«autochtone» :
un individu ne peut ainsi changer d'opinion ou récuser une
opinion du groupe auquel il appartient, sans modifier les relations
qu'il entretient avec les personnes qui la tiennent pour vraie. Et plus
la dissonance s'attaque A la pertinence des finalités
même du groupe ou du système, plus elle est importante et
génère de la résistance. Si l'individu ne peut
«faire changer» les autres, il sera peut-être
contraint de quitter son groupe d'appartenance pour satisfaire A
son besoin de consonance. Les conséquences d'une telle
démarche sont loin d'être anodines…
Le travail sur l'émergence des représentations et
l'identification des dissonances demande donc de la part de
l'enseignant et de l'école une grande faculté de
«lâcher-prise» sur le résultat du processus.
C'est l'élève qui négocie la sortie du malaise :
c'est lui qui passe d'une réalité binaire
(OU…OU…) A une représentation plus complexe
et plus paradoxale (ET…ET…) ; c'est lui qui trace la
troisième voie, créative et dynamique pour son psychisme,
son identité, ses apprentissages. Le temps nécessaire
A ce processus lui est donc propre.
Pour résumer la démarche, on pourrait dire qu'il n'y a de
conflit ou de dissonance réels que si les termes du choix sont
mutuellement exclusifs : il n'y a pas de dissonance si A et B peuvent
coexister, même sous une forme modifiée, dans une
troisième voie (ou voix). La fonction même du dispositif
pédagogique est de permettre que la possibilité du
« ET » ne soit pas exclue. Dans ce cas, l'individu ne
devrait pas être soumis A un quelconque « bricolage
identitaire A tout vent » ; il apprend qu'il est un acteur
comme les autres, sur le chemin d'une identité plurielle, qui
devient la norme pour tous les citoyens en culture humaniste. A
notre sens, il vaut mieux double ou multiple appartenance, que double
ou multiple non-appartenance.
Encore une fois, cette approche n'est pas spécifique au
multiculturalisme ethnique : elle répond A une
complexité beaucoup plus générale, qui oblige la
pensée contemporaine A accepter la cohabitation de
notions apparemment contradictoires. Cette contrainte, sans doute
vécue de façon plus aiguë en classe multiculturelle,
donne peut-être A ceux qui s'y frottent une longueur
d'avance sur les autres, mais révèle surtout un
défi majeur pour notre rapport au savoir et aux normes : TOUTE
CULTURE EST INTERCULTURELLE PAR NATURE et nous n'avons donc d'autre
choix que de renoncer aux illusions de la mono-définition et de
la mono-appartenance. L'identité culturelle est un patchwork
multicolore et mouvant, sur fond de permanence ; identité et
changement sont indissolublement liés par le paradoxe du vivant.
III. LES RÉSISTANCES A LA RÉDUCTION DE LA DISSONANCE.
REACTANCE (11)
« Decrease in the attractiveness of an activity, behavior, or
attitude as a result of having been forced or induced by external
sources to engage in the activity or behavior, or to maintain the
attitude. Such reactions may appear as emotional dissatisfaction,
involvement and performance decrements, or negative attitude ».
Bien que n'étant pas neuf, ce concept décrit bien le
genre de réaction négative que nous nous efforçons
de prévenir. Comment pouvons-nous désamorcer les
conséquences désastreuses provoquées par les
injonctions aveugles et uniformes du système scolaire ? Comment
pouvons-nous diminuer l'occurrence des situations où
l'élève est contraint et forcé d'adopter un
comportement ou une attitude contraire A son système de
représentation de la réalité ? Comment
pouvons-nous le faire sans renoncer pour autant A nos propres
valeurs et représentations, sans renoncer A tout contenu
normatif, pourtant incontournable ?
ð La systémique nous
suggère une première piste de travail : la
réduction de la dissonance par passage A la limite.
Selon J.P. Poitou : « Pour réduire la dissonance
qu'il éprouve, un individu cherche des informations susceptibles
de réduire la grandeur de la dissonance, et évite celles
susceptibles de l'augmenter, et cela d'autant plus que la grandeur
initiale de la dissonance est élevée. » (12)
Ce mode de résistance au changement consiste donc A
rechercher activement des informations consonantes par rapport au choix
qu'on a fait et A éviter activement toutes les
informations dissonantes : ce qu'en langage courant, on appellera
«la sourde oreille» ou la «mauvaise foi».
Mais il semble que les tendances s'inversent lorsque la dissonance est
poussée aux limites : lorsque les informations consonantes ne
suffisent pas A produire une réduction assez importante
de la dissonance, l'individu cesse de chercher A la
réduire et se met A chercher des informations qui vont
l'accroître. Il peut ainsi en arriver, de proche en proche,
A transformer chacune de ses notions de départ en son
contraire, c'est-A-dire A changer complètement
d'opinion.
Si l'on ajoute A cela que la réduction de la dissonance
semble plus efficace lorsqu'elle a été
précédée par un conflit fort, il faut sans doute
entendre que la confrontation culturelle, le conflit socio-cognitif,
l'audace de la limite, sont autant d'outils et de leviers d'action que
l'apprentissage ne doit pas craindre.
ð La surévaluation du
choix que l'on vient de faire est une autre stratégie pour
protéger l'individu des assauts trop violents de la dissonance.
En choisissant A, l'individu peut se convaincre que A est très
supérieur A B ; il minimise les avantages de ce qu'il
abandonne et les inconvénients de ce qu'il choisit.
Exemple :
Dimitri est fils d'immigré grec. Il a choisi une forme
d'assimilation pure et dure dans le système culturel et social
majoritaire d'une petite ville bourgeoise de province. Ses opinions sur
sa communauté d'origine rejoignent, de façon très
affirmée, les stéréotypes dévalorisants
véhiculés par la nébuleuse autochtone. Il a choisi
«belge» contre «grec» : il surévalue le
A choisi et dévalue le B rejeté. On peut cependant
supposer que la dissonance persistera insidieusement, dans la mesure
où il ne peut dévaloriser une partie de son
identité sans porter atteinte A sa propre estime de soi.
On notera qu'en laboratoire, ce type de réévaluation
subjective ne se produit que lorsque le sujet a la certitude que A et B
sont mutuellement exclusifs : c'est apparemment le caractère
irrévocable du choix qui est déterminant dans ce
changement d'évaluation. « Lorsque,
après avoir exprimé leur préférence entre
deux éventualités qui s'excluent mutuellement, les sujets
doivent exprimer la valeur subjective qu'ils attribuent A ces
éventualités, ils le font de façon A
confirmer le bien-fondé de leur choix. En d'autres termes, ils
modifient leur échelle de valeurs subjectives de manière
que la décision prise apparaisse aussi rationnelle que possible.
» (13) L'approche
systémique proposerait ici aussi de légitimer
l'articulation paradoxale entre des termes apparemment contradictoires
: l'interaction pédagogique peut soutenir les individus dans la
construction d'une troisième voie qui n'exige ni la
négation des normes scolaires et sociales autochtones, ni la
négation des normes d'appartenance A un autre
système de références.
ð Récuser le choix qu'on
a fait en l'attribuant A une pression externe est une autre
stratégie courante pour résister au changement. On peut
toujours se réfugier derrière le fait qu'on a
été contraint dans son choix, et ainsi ne pas en endosser
la responsabilité. Ce confort apparent place néanmoins
l'individu dans une position de victime, dont les aléas vont
provoquer d'autres dissonances.
Le changement consisterait ici A sortir de la position
défensive pour endosser au mieux la responsabilité des
choix d'adaptation que chaque acteur est amené A faire.
On peut aussi reconnaître explicitement la difficulté pour
chacun de négocier son identité entre des exigences
ontologiques et des exigences pragmatiques : il s'agit d'entendre que
permanence et changement sont aussi contradictoires que concomitants.
En fait, la dynamique identitaire serait ce paradoxe même.
ð L'organisation cognitive en tant que telle est un autre frein au changement.
En effet, changer un élément qui est consonant avec
beaucoup d'autres va créer des dissonances en chaîne,
éventuellement dangereuses pour l'équilibre cognitif et
affectif. La systémique proposera dès lors de respecter
l'intensité de la résistance jusqu'A ce que le
système soit mûr pour un changement en profondeur.
On renoncera, en ce cas, A entrer dans la dissonance de
façon fracassante, par la grande porte, et on se contentera
d'accompagner le processus de maturation, par exemple en agissant sur
un autre élément dissonant moins résistant.
Ne perdons pas de vue que la consonance est un besoin interne A
chaque individu : ce n'est pas la médiation pédagogique
qui crée la nécessité de réduire la
dissonance; elle s'appuie sur cette dissonance pour faciliter le
changement dans le sens d'une dynamique positive pour l'apprentissage
et le développement global de la personne.
Exemple :
En formation A la pédagogie interculturelle, des
enseignants motivés cherchent A comprendre ce qui se
passe dans une série de chocs culturels qu'ils ont vécus
en classe. En tant que formatrice, je suis particulièrement
agacée par les emballements émotionnels
répétitifs qui se cristallisent autour de deux
thèmes :
- le foulard islamique et la peur irrationnelle de l'Islam ;
- la difficulté du groupe A considérer
l'élève de milieu «défavorisé»
comme un acteur porteur d'histoire et de projet, propriétaire de
ses ressources.
La grande porte. Les personnes ont vécu des
conflits, ont fait des choix et pris des décisions sur leur
terrain, mais demeurent dans l'inconfort : stigmatiser l'Islam est en
contradiction avec leur conviction éthique et leur
honnêteté intellectuelle, mais l'émotion s'accroche
aux stéréotypes. La résistance est maximale : on
tourne en rond, d'autant que le groupe est exclusivement autochtone.
La petite porte. L'Islam est momentanément rangé au placard pour entamer un travail sur la notion plus neutre de TEMPS(14).
Après une phase d'identification de nos propres
représentations du temps, nous les confrontons aux travaux de
E.T. Hall sur le temps culturel, et A ceux de L. Colles sur le
temps en culture maghrébine. Après une journée de
travail, nous pourrons aborder sereinement toutes sortes d'aspects de
l'Islam, sans tomber dans les pièges initiaux. Il semble que le
temps était un terrain vierge où la différence a
pu être entendue sans qu'on se sente menacé.
L'étonnement a suffi A provoquer une réaction en
chaîne entraînant dans sa chute résistances les plus
fortes.
ð Lorsque la dissonance est
provoquée par l'un de nos comportements, le changement se heurte
fréquemment A la difficulté de le modifier
concrètement. Ainsi, pour prendre un exemple très simple,
il ne suffit pas d'être convaincu que le tabac nuit A la
santé pour arrêter de fumer.
La systémique nous invite A ne pas «lutter
contre» ces comportements, qui ne peuvent disparaître tant
qu'ils sont les porte-parole d'une réalité plus complexe.
Ainsi, il semble que nous tenions paradoxalement A nos impasses
et A nos habitudes – même inconfortables ou
souffrantes : la dissonance qu'elles provoquent est inférieure
A la consonance qu'elles assurent sur un autre plan, souvent
inconscient. Elles seraient ainsi au service de finalités
essentielles pour notre psychisme individuel ou pour l'inconscient
collectif d'un groupe. En d'autres termes, elles auraient un sens
caché, avec lequel il faut faire.
En contexte multiculturel, nous touchons souvent A des
défenses identitaires, d'autant plus puissantes qu'elles puisent
dans un contexte – objectif ou subjectif –
d'insécurité. Les accompagner sans les prendre de front,
c'est respecter leur sens, et par lA, cesser de les alimenter.
Rappelons qu'accompagner un processus de changement, c'est lâcher
prise sur son résultat et prendre le risque d'en sortir
modifié soi-même : par exemple, être amené
A réévaluer ce qui est urgent et ce qui peut
attendre, A réviser son jugement sur ce qui est bien ou
mal...
Trois règles d'or s'imposent au regard posé sur la différence culturelle :
- Les changements ne sont pas linéaires, notamment entre
«modernité» et «tradition» : les
identités ne se réduisent pas A du tout ou rien,
A des choix entiers et définitifs.
- L'ethnocentrisme nous pousse A assimiler modernisation et
occidentalisation : nos jugements – par ailleurs
inévitables – sont A considérer avec
circonspection.
- Nos propres conflits et dissonances influencent nos perceptions de la
différence culturelle : les sujets brûlants, comme la
condition de la femme par exemple, exigent une grande discipline de
décentration.
En d'autres termes, le changement doit rester la
propriété de celui qui le vit : il nous renvoie aux
limites de l'interaction sociale et pédagogique. JUSQU'OÙ
FAUT-IL POUSSER LES GENS A ABANDONNER CE QUI LES
DIFFÉRENCIE ?
IV. LES DISSONANCES COGNITIVES COMME OBSTACLES A L'APPRENTISSAGE DE LA LANGUE FRANÇAISE.
T. Nathan : « La langue est le bien le plus
spécifique d'un groupe social et contient son âme, sa
dynamique, sa créativité. De la même
manière, pour un individu, sa langue maternelle est le lieu
d'où diffuse continuellement son sentiment d'identité. » (15)
Y. Johannot : « Rien n'est neutre dans la façon
dont on transmet une connaissance. Ni le choix de cette connaissance,
ni la place qui lui est attribuée par rapport A
l'ensemble du savoir, ni la valeur symbolique qui lui est reconnue par
la culture légitime. Celle-ci va déterminer l'importance
que revêtira son acquisition, pour l'enseignant aussi bien que
pour l'apprenant. » (16)
Greffer des objectifs scolaires formels sur une identité floue,
ou sur un conflit d'identité, ne peut que générer
l'incompréhension : le renforcement identitaire n'est donc pas
l'ennemi, mais bien l'allié d'une intégration
harmonieuse. Nous sommes, en effet, persuadés que l'école
doit chercher A comprendre le terrain sur lequel elle travaille
et relativiser son illusion d'universalité. Nos
représentations du monde étant, pour la plupart,
inconscientes, mettre les nôtres «en sourdine», pour
permettre l'émergence et la découverte de celles de
l'autre, est un exercice difficile, mais primordial pour la dynamique
interculturelle. C'est A partir de lA que l'école
pourra rejoindre ses objectifs d'universalité, et travailler
plus sereinement : bien qu'enseignant toujours A partir des
préjugés dominants, elle devient plus consciente du sens
qu'elle se donne.
Le contexte socio-linguistique.
Le niveau de maîtrise de la langue maternelle et les
caractéristiques socioculturelles de la famille sont
prépondérants : le fils d'un diplomate sri lankais ou
marocain ne rencontre pas les problèmes de l'immigré de
deuxième génération en milieu populaire (17)
; par contre, les élèves de milieux populaires,
autochtones ou non, ont en commun la plupart de leurs
difficultés avec l'écrit.
Cependant, comme le souligne J. Fijalkow « …les
caractéristiques culturelles des enfants de milieu populaire ne
constituent pas en soi des freins ou des gênes pour
l'apprentissage, (mais bien) dans les conditions culturelles
habituelles de l'enseignement. » (18)
Quelles sont-elles ces conditions culturelles habituelles qui entrent en dissonance avec la culture populaire ?
- Prédominance de l'écrit sur tous les autres médias.
- Parallèlement, transmission orale de contenus
théoriques structurés, dont la forme et le fond
reflètent les normes bourgeoises cultivées.
- Prédominance du rationnel sur l'affectif ; de la reproduction sur l'expression ; de l'abstrait sur le concret.
- Formalisme encore largement majoritaire : le sens des tâches
scolaires est posé en prérequis ; le contexte est peu ou
pas du tout signifiant pour les milieux populaires.
La langue en milieu populaire serait plutôt utilitaire et
affective. Elle utiliserait peu l'abstraction et ignorerait la plupart
des règles propres au code écrit. Autochtone
ou non, l'élève de milieu populaire se retrouve en terre
étrangère A l'école : son premier défi sera de comprendre tout simplement ce qu'on lui veut.
Pour beaucoup de familles, l'enjeu identitaire pèse lourd :
quelle langue va dominer l'autre ? quand les enfants parlent une autre
langue, que deviennent les parents qui ne les comprennent plus ? Autant
de questions sans réponse qui font pression sur l'enfant
A qui l'on demande de choisir entre sa famille et l'école.
Le contentieux historique.
Le passé colonial de la langue française lui
confère, par ailleurs, aux yeux des anciens colonisés
toute une série de valeurs symboliques, pas toujours des plus
positives.
Dans le cas du monde arabe ou de l'Afrique noire, il est évident
que les stéréotypes dévalorisants subis
actuellement par les populations immigrées ne peuvent que faire
écho aux attitudes racistes vécues historiquement. Dans
ce contexte, le rapport A la « langue dominante » peut provoquer des réactions négatives subtiles.
Exemples :
- Au Liban, le français est fortement associé A la
minorité chrétienne, que le système politique
confessionnel, mis au point par le colonisateur, a longtemps
placée en position dominante. Les classes aisées placent
leurs enfants dans des écoles privées, où le
français est enseigné par des professeurs natifs : langue
des salons, celui-ci devient une marque symbolique de l'attachement
historique A l'Occident et A la chrétienté,
ainsi qu'aux privilèges qui s'y rattachent.
Dans les école publiques, particulièrement dans les
secteurs musulmans de la société, l'anglais est souvent
considéré comme plus pragmatique et le français
devient secondaire. Le fait de bien parler le français est
presque synonyme de snobisme, ou du moins, d'une attitude
dévalorisante A l'égard de la culture arabe
musulmane.
Ainsi, lorsqu'on est contraint de parler le français en exil,
continuer A rouler les « r » est une façon
subtile, mais très symboliquement chargée, de
préserver une part inviolable de son identité, de ne pas
se soumettre totalement A la loi du plus fort.
- Certains pays arabes enseignent les mathématiques en arabe,
d'autres en français. En Syrie, par exemple, on revendique
l'apport considérable de la culture arabe au monde des
mathématiques : l'arabe devrait s'imposer en cette
matière comme l'anglais dans les affaires. Pour un
étudiant syrien, utiliser le français en
mathématique n'est pas seulement une affaire de code.
- Les « Robin des Bois » de banlieues vivent parfois les
contraintes de la langue française comme un symbole de leur
exclusion socio-économique de la société
bourgeoise autochtone. Se soumettre aux règles de l'orthographe,
de la grammaire, du code écrit, ce serait en quelque sorte
accepter l'ordre établi qui les exclut.
Le paradigme cartésien.
La logique cartésienne, dont la plupart d'entre nous
s'imprègnent dès le sein maternel, est très
culturellement marquée dans la langue française. Beaucoup
d'autres cultures ont une approche plus syncrétique de la réalité et de la langue.
Exemples :
- L'arabe, beaucoup plus affectif et suggestif que le français,
a tendance A juxtaposer des concepts, sans forcément
expliciter les liens logiques de la syntaxe. C'est d'ailleurs ce qui
fait sa richesse poétique incomparable et intraduisible, car ses
possibilités connotatives nous sont inaccessibles.
- Le turc parlé a aussi tendance A juxtaposer les
idées, avec très peu de coordination. Souvent, la
proposition subordonnée est sans verbe : il n'y a donc ni
concordance des temps, ni conjonctions assurant les liens logiques.
- Selon l'expérience de E.T. Hall (19),
la tradition japonaise se caractérise par un mode de
communication riche en contexte : les Japonais ne vont pas au fait
très rapidement. «Ils tournent autour de l'essentiel,
et pensent que des individus intelligents devraient être capables
de deviner précisément de quoi on parle en fonction du
contexte qu'ils s'attachent A définir avec
circonspection… La culture occidentale, dont les origines
remontent A Platon, Socrate et Aristote, a intégré
des postulats selon lesquels le seul moyen naturel et efficace de
présenter des idées est une invention grecque
appelée « logique ». Les Japonais voient en notre
méthode syllogistique et son raisonnement déductif une
tentative de pénétrer leur esprit et de penser A
leur place. »
- Pour les cultures théocentriques, le simple fait de
prôner le doute critique comme la seule démarche
intellectuelle valide, entre en dissonance avec l'évidence de la
vérité de Dieu.
Le statut de la langue et de l'écrit.
A tout occidental, il paraît évident que la langue
est un outil au service de l'homme : on y reconnaît bien une
dimension poétique, mais ses fonctions sont essentiellement
profanes et pragmatiques. Cette représentation
standardisée entre également en dissonance avec d'autres
valeurs symboliques de la langue.
Exemples :
- L'arabe est, d'abord et avant tout, la langue sacrée du Coran.
L'association entre l'affiliation religieuse et l'écriture est
très forte en culture musulmane. Entre les courants
laïcisants contemporains (dans le monde arabe comme dans les
milieux de l'immigration) et le retour aux sources islamiques
(notamment dans les écoles coraniques), l'investissement
religieux et social de la langue arabe peut avoir comme corollaire une
dévalorisation de la langue française profane. Celle-ci
devient le vecteur de tous les dangers que représentent la
société de consommation, les médias…, mais
aussi certains contenus scolaires comme les romans, les écrits
philosophiques…
- Au Bénin, le système langagier est organisé en
domaines cloisonnés et ritualisés : le fon, langue
véhiculaire, sert pour les choses simples et techniques de la
vie quotidienne ; le nagô est requis pour interroger quelqu'un
sur sa vie ; le yoruba est parlé pour soigner une personne
malade ; si elle est très malade, le thérapeute utilisera
le yoruba ancien (20)…
Par ailleurs, les Fon parlent de l'« accouchement de la parole
qui est dans le ventre ». Ce serait une conception qu'on retrouve
un peu partout en Afrique : le discours s'élaborerait dans les
organes du corps, siège des principes spirituels. En raison de
la puissance des mots, les enfants Fon sont d'ailleurs mis en garde
contre les dangers de la parole : ils doivent se taire et
écouter parler les adultes ; seuls les Anciens sont
sensés maîtriser les codes stylistiques très
complexes de la langue.
Cela implique aussi une méfiance vis-A-vis de l'écriture :« Beaucoup
d'Africains pensent encore aujourd'hui que l'écriture «
fige » la parole et lui ôte sa force. Elle a de plus
l'inconvénient de divulguer des paroles qui devraient rester
secrètes et réservées A certains
initiés. C'est tout l'aspect « initiatique » de la
parole, la révélation progressive de la connaissance au
fur et A mesure de la maturation de la personnalité, qui
sont remis en cause par l'écriture. Dans les
sociétés traditionnelles, c'est ce qui est transmis par
la parole et consigné dans la mémoire qui est
assuré de durer et de conserver son efficacité. » (21)
La dimension culturelle du temps.
Outre les notions de polychronie et monochronie développées par E.T. Hall (22),
la façon dont les langues expriment leur rapport au temps est
une source permanente de diversité et d'étonnement.
Notre culture scolaire considère comme universel le temps
linéaire, orienté vers le progrès. Elle le
perçoit essentiellement comme une dimension non
réversible, presque tangible, dont l'intériorisation
psychologique et sociale permet notamment d'organiser et de planifier
toutes les activités : l'horaire est en quelque sorte dans notre
surmoi. Le temps est cloisonné pour définir des
priorités, il peut être saucissonné… Il est
aussi ce réservoir vide qu'il faut A tout prix remplir :
le temps se gagne, se perd, est gaspillé…
Les cultures méditerranéennes ont, en revanche, un
rapport au temps beaucoup plus souple. S'apparentant plus A
« un point dans l'ici et maintenant » qu'A une
route, il a beaucoup moins d'importance en terme d'organisation et est
soumis aux priorités relationnelles. Il est moins
cloisonné ; on y fait volontiers plusieurs choses A la
fois… Cette perception plus globale s'accommode ainsi fort bien
de ce qui nous paraît désordre.
La représentation culturelle du temps nous amène
forcément A interroger ses conséquences
linguistiques.
Exemples :
- La concordance des temps.
Ni le turc ni l'arabe ne se préoccupe de ce genre de logique linguistique.
- La conjugaison.
Le turc conjugue des formes de base combinées avec le verbe « être » : son système comprend 32 formes verbales au total, réparties en 10 classes.
Il est A peu près impossible de traduire
littéralement les formes turques en français, car elles
ne correspondent pas A nos divisions temporelles. D'autres
notions que la linéarité entrent en jeu : par exemple, un
temps qui exprime l'ouï-dire...
L'arabe préfère A la notion de temps, celle d'accompli/inaccompli, et ce indépendamment de la position du locuteur (23).
La conjugaison utilise en outre beaucoup de particules et les temps se
construisent différemment du français. Par exemple,
l'imparfait est un temps composé (accompli du verbe «
être » + présent du verbe A conjuguer) ; le
conditionnel n'existe pas (la condition s'exprime par une particule).
FRANCAIS
|
ARABE
|
1. Situation chronologique : passé – présent - futur.
2. Aspect achevé/inachevé : le
passé composé exprime l'achevé, l'imparfait ne le
précise pas.
3. Situation du locuteur, qui est plus oumoins
relié au moment de l'énonciation : le passé
composé exprime un lien, le passé simple non.
|
L'accompli recouvre plus ou moins le passé et l'inaccompli plus ou moins le futur.
MAIS
Le degré de certitude prime sur le temps et sur la situation de
l'objet. L'accompli exprime un accomplissement réel ;
l'inaccompli représente un accomplis-sement pas encore
réel. Un accompli définitif peut dès lors
s'exprimer dans le futur : par exemple, dans une description de
l'au-delA, de la résurrection, du paradis…, ou
lorsqu'un fait implique un fait futur inéluctable (une
promesse…).
|
Dimension non négligeable, on notera que, dans un cas, c'est
l'homme qui est au centre du système (position du locuteur),
dans l'autre, c'est la transcendance divine qui prime.
|
- La flèche du temps.
Le temps musulman est davantage tourné vers l'origine que vers l'avenir : en fait, l'avenir est son origine. « Selon
l'interprétation traditionaliste, la Révélation
coranique est le fondement du temps et de l'histoire, elle en est le
commencement. Aussi la Révélation n'est-elle pas
seulement le temps passé mais le temps dans sa totalité :
l'hier, l'aujourd'hui et le demain. …L'avenir constitue moins
une dimension de découverte qu'une opportunité de
conservation et de reprise : il n'est pas une instance de changement,
mais un simple instrument d'agencement et de réagencement de ce
qui a déjA été donné tout entier. » (24)
Très concrètement, Luc Colles cite ces remarquables exemples où le PASSÉ et le DEVANT peuvent être conceptuellement réunis dans la langue (25) : «
La racine QDM dont dérive qadam, le pied, exprime l'idée
de « devant » (quddâm) dans l'espace, mais aussi
celle du passé (qaduma, qidam, qadîm, etc). Or, le cas
n'est pas unique : la poitrine (sadr) est elle aussi liée
A la notion de commencement, d'origine (sadara'an) dans le temps
(sadr al-nahâr, sadr al-Islâm) ainsi qu'A la
position antérieure dans un lieu (sadr al-makân) et de
préséance en dignité. Ce qui réunit
passé et « devant », c'est le fait que les deux sont
assurés, établis et bien connus. Nous ne percevons en
effet dans l'espace que ce qui est devant nous, ce qui est
derrière nous n'étant connu que par analogie ou A
l'aide de notre mémoire. De plus, toute connaissance est
fondée sur l'expérience, donc sur le passé. »
- La description faite par E.T. Hall du système temporel des
Indiens Hopi nous offre aussi quelques exemples intéressants.
Notamment : «Dans
la langue hopi, les verbes ne se conjuguent ni au passé, ni au
présent, ni au futur. Ils n'ont pas de temps, mais indiquent la
validité d'une affirmation – la nature de la relation
entre celui qui parle et sa connaissance ou son expérience de ce
dont il parle. Quand un Hopi dit : « Il a plu cette nuit »,
l'auditeur sait comment cet interlocuteur hopi a su qu'il avait plu :
ou il était dehors et la pluie l'a mouillé, ou il a
regardé dehors et il a vu qu'il pleuvait, ou bien quelqu'un est
entré chez lui et lui a dit qu'il pleuvait, ou encore, il a
constaté, en se réveillant le matin, que le sol
était mouillé, et il en a déduit qu'il avait plu. » (26)
Les verbes ÊTRE et AVOIR.
Plusieurs dissonances aussi flagrantes que généralement
méconnues constituent des obstacles majeurs A
l'utilisation correctes des verbes « être » et
« avoir », par les élèves d'origine arabe et
turque, par exemple. A cet égard, le désespoir -
parfois franchement irrité ! - des enseignants est
éloquent : comment est-il possible qu'après quatre, cinq
ou six années de scolarité, certains élèves
ne parviennent pas A conjuguer correctement ces verbes, sans
parler de leur utilisation en tant qu'auxiliaires ?
Le mystère s'éclaire lorsqu'on se réfère aux langues maternelles respectives.
En arabe, le verbe « être » est peu utilisé ; il n'a pas de présent : on dira « toi gentil » pour « tu es gentil », par exemple. Le verbe avoir n'existe pas
; on utilise la préposition « chez » ou « avec
» suivie d'un pronom personnel ou d'un nom : on dira « avec
moi cent francs » pour « j'ai cent francs » ou
« chez vous un chien » pour « vous avez un chien
».
En turc, le verbe « être » est très complexe.
En général, c'est un suffixe qui varie selon le temps, le
mode et la personne. Il ne s'emploie pas A la troisième
personne et n'existe qu'au présent, A deux temps du
passé, ainsi qu'A deux temps se rapprochant du
conditionnel (un temps exprimant l'ouï-dire et un temps dit
« suppositif »). Pour les autres formes, il existe un verbe
équivalent au verbe « devenir ». Le verbe être
sert d'unique auxiliaire.
Le verbe avoir n'existe pas. Il y a une expression
équivalente, correspondant A « est existant pour
moi » ou « il y a pour moi ». L'élève a
tendance A utiliser « il y a » ou A remplacer
« avoir » par « être ».
Dans nos classes, peu d'enseignants ont conscience du caractère
non-universel des formes verbales ETRE et AVOIR : elles sont
enseignées techniquement comme une évidence, alors
qu'elles représentent une construction complexe, sans
équivalent dans les langues d'origine. Le simple fait de les
présenter A la forme infinitive pose problème : en
arabe, l'infinitif n'existe pas…
L'ordre syntaxique.
LA aussi, les dissonances peuvent être importantes et
totalement ignorées par la logique scolaire : l'ordre syntaxique
est analysé A partir de la troisième primaire,
mais n'est pas enseigné en tant que tel. Au départ de
langues comme le turc, l'arabe, le hongrois…(27), l'exercice représente pourtant une savante gymnastique.
Exemples :
- Le turc est une langue agglutinante, c'est-A-dire que son
système a pour fondement la suffixation : de nombreux liens
syntaxiques sont donc exprimés par des suffixes.
En outre, la structure de base de la phrase est la suivante :
S – COMPL. DE TEMPS – COMPL. DE LIEU – OBJET INDIRECT – OBJET DIRECT – VERBE.
Le complément déterminatif se trouve avant le nom
(complément déterminatif + nom avec un
élément indiquant la possession). On dira « de ma
sœur le manteau » pour « le manteau de ma sœur
», induisant en français des erreurs du type « le
directeur de son fils » pour « le fils du directeur
». Lorsqu'il y a double détermination,
l'élève ne sait quel élément mettre avant
l'autre : « la voiture de l'ami de ma sœur » est
équivalent A « la voiture de la sœur de mon
ami ». En turc, on dirait quelque chose comme « ami(suffixe
mon) sœur(suffixe sa) voiture(suffixe d'elle) ».
Non seulement le verbe se retrouve systématiquement en fin de
phrase, mais on peut dire que le passage d'une syntaxe A l'autre
ressemble A un véritable retournement de
chaussette… L'élève doit tout penser A
l'envers, ou mieux, apprendre A penser différemment selon
la langue qu'il utilise.
- En arabe, la proposition relative n'existe pas : on utilise des
propositions coordonnées par une particule. Le complément
déterminatif se marque par la simple juxtaposition de deux
éléments : « la chaise le directeur »
équivaut A « la chaise du directeur ». La
proposition subordonnée est toujours introduite par une
expression invariable suivie d'un verbe conjugué. La proposition
infinitive n'existe pas : elle est remplacée par la coordination
ou la juxtaposition de deux propositions. L'interrogation s'exprime par
une particule, sans inversion du sujet par rapport au verbe.
Les accords en genre et en nombre.
Outre le fait évident que les mots n'ont pas forcément la
même identité masculine ou féminine (un serpent
sera, par exemple, féminin en espagnol et en arabe), des
dissonances apparaissent également dans l'expression
grammaticale du genre et du nombre.
Exemples :
- Le turc ne connaît pas la notion de genre. L'article n'existe
pas. Il n'y a pas de pluriel irrégulier : le mot au pluriel se
transforme par addition d'un suffixe, qui se prononce. L'adjectif
qualificatif est invariable. L'adjectif démonstratif est un mot
indépendant, précédant toujours le mot qu'il
détermine ; il n'a pas de pluriel. L'adjectif possessif est un
suffixe invariable. Les adjectifs indéfini et interrogatif ne
s'accordent pas.
- En arabe, tous les noms sont masculins, sauf ceux des personnes ou
des animaux de sexe féminin, ainsi que les noms terminés
par « a ». Le pluriel est un changement interne au mot : le
mot singulier ressemble très peu au mot pluriel. Il existe un
duel (pluriel de ce qui va naturellement par deux, comme les yeux, les
parents…) : l'élève a tendance A
l'expliciter en français, par exemple en disant « j'ai mal
aux deux oreilles ».
Il n'existe qu'un seul article défini « al »,
intégré au nom qu'il détermine. L'article
indéfini singulier s'exprime par un numéral cardinal +
« al » + le nom. En outre, l'élève distingue
phonétiquement mal la différence entre « le »
et « les », entre « un » et « une ».
L'adjectif qualificatif se place après le nom, en
répétant l'article défini : « le chien le
grand » = « le grand chien ».
Ce qui ressemble le plus A l'adjectif possessif français
est un pronom personnel (équivalent de « A toi
», « A moi »….), placé en
suffixe A la fin du nom : « darak » (A toi) =
« ta maison ».
L'adjectif démonstratif est une particule invariable (particule
+ « al » + le nom) : l'élève a tendance
A utiliser toujours le même démonstratif en
français.
V. EN GUISE DE CONCLUSION.
De l'ensemble de ces considérations, on retiendra l'ABSENCE DE
CONCEPTS COMMUNS comme fil rouge de la démarche
pédagogique. Si l'on ajoute aux exemples choisis les
difficultés particulières liées A
l'utilisation des pronoms (en particulier les pronoms personnels), il
nous semble primordial d'inclure dans la formation des enseignants les techniques propres au Français Langue Etrangère et au Français Langue Seconde, notamment pour expliciter et exercer au mieux les difficultés suivants :
ETRE et AVOIR
conjugaison et valeurs des temps
PRONOMS (personnels, possessifs, indéfinis)
ACCORDS GRAMMATICAUX et SYNTAXIQUES
SUBORDINATION et CONCORDANCE DES TEMPS
COORDINATION et LIENS LOGIQUES
Ces techniques peuvent en effet aider l'enseignant A se
décentrer par rapport A ses évidences
linguistiques et au fonctionnement « instinctif » de sa
propre langue.
Utiliser l'écriture comme outil d'apprentissage de la langue et de la lecture
est une autre piste de travail. Plus un enfant est en difficulté
par rapport A la norme scolaire, plus il est pertinent
d'utiliser l'écriture pour médiatiser l'apprentissage. Ce
que l'élève accepte de mettre sur papier,
c'est-A-dire de livrer de lui-même, est un moyen
privilégié de reconnaissance et d'identification des
représentations, mais aussi une façon de
démystifier l'écrit.
En valorisant le quotidien, l'apprentissage s'ancre dans du vécu
: l'écriture sert de pont entre un code proche – le
langage parlé – et un code moins familier – le
langage écrit. L'élève découvre
progressivement les contraintes de l'écrit (par exemple, la
compréhensibilité par le destinataire) dans l'expression
de ses propres préoccupations.
L'écriture est en outre un comportement actif.
L'élève est acteur et sujet dans une dynamique qui l'aide
A réduire l'écart entre l'école et la vie.
Même lorsqu'un élève ne parle pas du tout le
français, on peut faire traduire son récit de vie :
l'enseignant – ou le groupe – devient le secrétaire
de celui qui raconte. Ainsi ancré dans l'affectif, ce genre de
récit donne du sens A la lecture. On peut parler de soi
en JE ou en NOUS, de ce qu'on vit… On peut aussi – de
façon moins personnelle – écrire des histoires
qu'on a entendues, qu'on invente…
Enfin, la langue maternelle des élèves doit être réhabilitée
: elle devrait être valorisée et enseignée dans le
cadre même de l'école, non pas comme un gadget folklorique
ou nostalgique, mais comme un outil de développement
linguistique et un vecteur de reconnaissance identitaire. La
négociation paradoxale (ET…ET…) entre les divers
référents culturels ne peut trouver sainement sa voie que
dans une société qui assumerait son multiculturalisme de
fait et qui prendrait les mesures nécessaires pour juguler la
paranoïa assimilationniste de nos institutions. Nous sommes loin
du compte !
Plus les fondations identitaires, culturelles et linguistiques seront
légitimées et fortes, plus le code commun sera sainement
approprié et enrichi. Un être sans racine ne s'assimile
pas et n'assimile rien. Pensons A ces enfants
réfugiés, dont la culture est niée ou
assassinée dans le pays d'origine, niée une seconde ou
une énième fois dans la société d'accueil.
Comme dans l'univers de L. Carroll, le déraciné se perd A la quête d'un être indicible (28) :
« Personnage dessiné tout en négatif, (il) en
vient A s'oublier lui-même A force d'oublier les
choses. Son être est d'effacement comme l'espace blanc qui
subsiste quand on supprime d'une carte de géographie tous les
repères possibles. Et pourtant, le manque d'être est ici
compensé par un excès d'être sans que cette
compensation parvienne A nous faire oublier le vide originel :
que de noms, en effet, pour un personnage qui a perdu le sien ! »
L'ennemi n'est pas la culture de l'autre, mais bien sa négation
protectionniste et ethnocentrique – n'ayons pas peur des mots,
l'ignorance…
notes
(1) In N. DE SMET et N. RASSON, A l'école de l'interculturel. Bruxelles, CGE-Vie Ouvrière, 1993, p.18.
(2) Institut Coopératif de l'École Moderne, Pour une méthode naturelle de lecture. Casterman, 1980, p.41.
(3) voir A la source, L. FESTINGER, A theory of cognitive dissonance. Stanford University Press, 1957.
(4) C. MESMIN, M. BA, La médiation interculturelle en langue, in Psychothérapie des enfants migrants. Grenoble, Éd. La Pensée Sauvage, 1995, p.25.
(5) Cet article se réfère, dans son ensemble, au
paradigme systémique développé par l'école
de Palo Alto.
(6) L. FESTINGER, op. cit., p.3 et 9.
(7) Voir notamment les stratégies identitaires. C. CAMILLERI, Enjeux, mécanismes et stratégies identitaires dans les contextes pluriculturels, in Les hommes, leurs espaces et leurs aspirations. Ouvrage collectif ; Paris, L'Harmattan, 1994, pp. 291-298.
(8) Voir, par exemple, A ce propos : L. Colles, Littérature comparée et reconnaissance interculturelle. Bruxelles, De Boeck-Duculot, 1994, pp.53-60.
(9) P. WATZLAWICK dirait le « changement 2 ».
(10) G.N. FISCHER, Les concepts fondamentaux de la psychologie sociale. Dunod-Bordas, 1987, p.116.
(11) Voir J.W. BREHM, A theory of psychological reactance.
New York-London, Academic Press, 1966. « Diminution de l'attrait
pour une activité, un comportement ou une attitude,
résultant du fait d'avoir été forcé ou
induit par des agents externes A s'engager dans
l'activité ou le comportement, ou A maintenir l'attitude.
De telles réactions peuvent se manifester sous forme
d'insatisfaction émotionnelle, de diminution de l'implication et
du rendement, ou d'attitude négative. »
(12) J.P. POITOU, La dissonance cognitive. Armand Colin, 1974, p.32.
(13) J.P. POITOU, op.cit., p.30.
(14) Voir plus loin dans cet article, la dimension culturelle du temps.
(15) T. NATHAN, A qui appartient l'enfant ? Nouvelle Revue d'Ethnopsychiatrie, n°21. Grenoble, Éditions La Pensée Sauvage, 1993, pp.13-22.
(16) Y. JOHANNOT, La représentation de l'écrit dans notre culture, in C. BARRE DE MINIAC – C. LETE, L'illettrisme. Bruxelles, De Boeck et Larcier, 1997, p.23.
(17) Ainsi, nos élèves marocains, par exemple, parlent
généralement A la maison, un dialecte qui ne
reflète pas du tout la complexité de la langue arabe
classique.
(18) J. DOWNING, J. FIJALKOW, Lire et raisonner. Privat, 1990.
.
(19) E.T. HALL, La danse de la vie. Paris, Seuil, 1984, pp.77-78.
(20) C. MESMIN, M. BA, op.cit., p.26.
(21) G. CALAME-GRIAULE, in J. POIRIER, Histoire des moeurs. Paris, Gallimard-La Pléiade, 1990-92. Tome II, pp.68-72.
(22) E.T. HALL, op.cit..
(23) Voir L. COLLES, op.cit., p.125.
(24) ADONIS, Le fixe et le mouvant, in La prière et l'épée. Essais sur la culture arabe. Traduit de l'arabe par Leïla KHATIB et Anne WADE MINKOWSKI. Paris, Mercure de France, 1993, p.12.
(25) L. COLLES, ibid, p.126.
(26) E.T. HALL, op.cit., pp.48-49.
(27) L'arabe appartient au groupe chamito-sémitique ; le turc au
groupe ouralo-altaïque ; le hongrois forme un groupe A part
avec le finnois, le lapon, l'estonien et quelques langues de
Sibérie. Ces systèmes sont particulièrement
éloignés de la plupart des langues
indo-européennes. Pour la petite histoire, on notera que
l'arménien, le berbère et probablement le kurde ont en
revanche des origines indo-européennes.
(28) SAMI-ALI, L'espace imaginaire. Paris, Gallimard, 1974, p.230.
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