La revue de l'AFL
Les
actes de lecture n°62
juin 1998
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Les écoles expérimentales ont 20 ans.
Un pari hier, un enjeu aujourd'hui.
Leurs contributions A la promotion collective.
Qu'est-ce que la pédagogie ?
On peut
définir la pédagogie comme la politique adaptée
A l'individu en développement. Si la pédagogie a
pour objet principal le petit d'homme, dans la mesure où il a
tout A apprendre, elle a pour objet tout individu dont le champ
d'activité exige de nouveaux apprentissages. Bref la
pédagogie, partie intégrante de la politique, n'a pas de
limite d'âge. Qu'est-ce que la politique ? C'est la conscience
collective et individuelle des règles et des lois qui
régissent l'activité sociale dans sa complexité.
La politique est soumise A différents niveaux de
déterminations : les formes de la production, les formes de
l'échange, les reflets idéologiques que ces formes
impliquent. Aucune de ces déterminations ne peut être
considérée de façon indépendante ; c'est
leur unité même qui constitue le champ de la politique. Le
développement de la production industrielle ne peut être
séparé du développement du travail salarié
et des formes d'échange qu'il implique, les formes du travail
salarié ne peuvent se comprendre hors des formes
idéologiques (éthique politique) qui en reflètent
les contradictions : collectivisme/individualisme,
démocratie/domination, résistance/soumission… La
pédagogie est soumise aux même contradictions. Qu'est-ce
qu'apprendre ? C'est l'ensemble des actes par lesquels chaque individu
s'approprie au cours de son développement les différentes
déterminations sociales qui constituent la politique :
production, échange, reflets idéologiques.
L'apprentissage implique un double mouvement : la transformation des
individus qui s'approprient l'activité sociale, la
transformation de l'activité sociale au fur et A mesure
du développement des individus. C'est A
l'intérieur de ce double mouvement que la pédagogie
s'inscrit de part en part dans le champ de la politique : la
transformation sociale dépend du niveau d'appropriation de
l'activité sociale par l'ensemble des individus, le niveau de
développement des individus dépend des capacités
d'une société A se transformer. Cependant cette
réciprocité entre individus et société ne
risque-t-elle pas de nous faire retomber dans le traditionnel cercle
vicieux du débat pédagogique dont le rousseauisme
constitue le modèle : faut-il former un homme pour la
société (Emile) ? Faut-il fonder une
société pour l'homme (Du contrat social) ? Pour
échapper A ce cercle vicieux il s'agit de prendre pour
point de départ de la politique et partant de la
pédagogie ce qui en constitue la détermination
première : l'activité sociale de production. " Des
individus produisant en société - donc une production
d'individus socialement déterminée, tel est naturellement
le point de départ. "
De ces définitions, et en prenant pour point de départ
l'activité sociale comme détermination principale, on
peut tenter de mettre en cohérence un certain nombre de notions
qui pour être les lieux communs de la pensée
pédagogique contemporaine n'en reste pas moins l'enjeu d'un vrai
débat. Qu'en est-il du projet, de
l'hétérogénéité, de la
différenciation, de l'individualisation ? Bref qu'en est-il des
pédagogies actives qui sont l'âme des mouvements
pédagogiques ?
Le projet.
Projet de qui ? Projet de quoi et pourquoi faire ? Sauf A
être le moment de l'origine absolue, préalable
pensé A toute création (cf. La Genèse
biblique), un projet ne peut prendre corps que dans l'activité
sociale concrète existante et dans les productions qui en
résultent. Sauf A se condamner "A la situation de
la "Belle âme " qui dépérit dans la sphère
céleste de sa pure idéalité " , un projet doit se
concrétiser dans une production sociale qui fait retour
(réflexivité) aux agents de sa production. Cependant si
un projet ne peut s'abstraire des conditions de l'activité
sociale dans laquelle il prend corps, sa consistance politique et donc
pédagogique se mesure A la transformation qu'il effectue,
dans sa réalisation, tant sur les individus que sur
l'activité sociale elle-même. Ainsi il y a bien projet
A soumettre toute l'activité scolaire A
l'exécution des Instructions Officielles, mais ce projet
échappe aux individus (enseignants, élèves) qui se
réduisent alors A n'être que les exécutants
des volontés de l'Etat ; autre chose est le projet qui, tout en
acceptant les contraintes des Instructions Officielles, se donne pour
objectif l'appropriation réelle de ces contraintes (par exemple
en cycle II : savoir lire, écrire et compter) : il s'agit alors
de produire les transformations que l'apprentissage de la lecture, de
l'écriture, ne peuvent manquer d'effectuer dans le
développement de l'individu, réciproquement
l'accès massif des individus A la lecture, A la
pratique de l'écriture ne peut pas laisser indemne le corps
social dans la conscience qu'il a de lui-même (politique).
Dès lors il s'agit bien de distinguer projet pédagogique
de pédagogie de projet : une pédagogie de projet se donne
pour objet l'appropriation concrète de l'activité sociale
et de sa conscience par les individus ; en cela elle est projet
pédagogique dans la mesure où elle se donne pour
finalité la transformation du rapport social existant. On ne
peut méconnaître que la pédagogie traditionnelle
s'inscrit dans un projet pédagogique et politique : la
perpétuation des rapports sociaux dominants.
Hétérogénéité.
Si le projet pédagogique est bien projet politique de
l'appropriation par la masse des individus de la complexité de
l'activité sociale, de sa conscience et de sa transformation, il
en résulte nécessairement que la pédagogie de
projet qui sera mise en œuvre aura pour fondement l'analyse de
l'activité sociale concrète. C'est de cette analyse et de
la conscience sociale qu'elle suppose que dépendra la
consistance du projet et de son effectuation. Par nature l'unité
et l'homogénéité de l'activité sociale
supposent l'hétérogénéité des agents
sociaux qui la produisent : il s'agit de la division sociale du travail
qui est moteur du développement historique des
sociétés humaines. Toute activité sociale se
constitue d'une diversité d'actes et de fonctions
hétérogènes qui trouvent sens dans le projet
social de production et dans la production sociale effective. Seule
l'activité scolaire traditionnelle propose des actes et des
productions homogènes (tout le monde fait la même chose en
même temps) au détriment du sens de l'activité :
l'activité devient totalement hétérogène
(passage d'une séquence A une autre, passage d'une
discipline A une autre, où seule la soumission A
la discipline et A l'ordre moral (politique) peut faire accepter
ce non-sens). Si l'activité sociale concrète a pour
fondement l'hétérogénéité des
individus, la vaine demande d'homogénéité dans
l'activité scolaire a probablement pour fonction le tri et la
sélection des individus en vue de reproduire l'ordre social
dominant dans lequel la richesse de
l'hétérogénéité se réduit
A la pauvreté de l'inégalité des fonctions
sociales au sein de la division sociale du travail. En cela la
pédagogie traditionnelle s'inscrit bien dans un projet
pédagogique (politique : perpétuation de l'ordre social),
faute de se penser en pédagogie de projet. En effet
l'organisation capitaliste du travail tend A renverser le
rapport entre homogénéité et
hétérogénéité au sein de
l'activité. Si la production suppose toujours
l'hétérogénéité des individus
(division du travail) la production marchande impose, A un
pôle, une même tâche A certains individus,
avec les conséquences qui s'ensuivent : étroite
spécialisation, actes répétitifs, travail
contraint ; A l'autre pôle, le pouvoir de décision,
la connaissance de la totalité du processus de travail, le
pouvoir d'organisation de ce processus se concentrent sur d'autres
individus. Il en résulte bien une
homogénéité sociale des formes de la production,
des échanges et des reflets idéologiques ; mais il en
résulte aussi l'appauvrissement et de l'activité et des
individus. L'hétérogène se réduit alors
A la parcellisation des tâches, A la parcellisation
des échanges, A la parcellisation de la conscience
sociale qui ne peuvent que mutiler les individus.
Différenciation.
La différenciation fait écho au rapport entre
hétérogénéité et
homogénéité. Tout comme la recherche d'une
homogénéité des individus implique la reproduction
du rapport des classes sociales, la différenciation se
réduit trop souvent A justifier les
inégalités sociales. LA encore, deux conceptions
politiques et donc pédagogiques s'affrontent. Soit, on prend
pour point de départ l'individu et la différenciation
devient différence de capacités et d'aptitudes
(innée ?) c'est-A-dire inégalités
constitutives entre les individus (A chacun selon ses
capacités). Il en résulte la nécessité de
classer et de trier pour parvenir A des groupes homogènes
(classes sociales). Soit, la différenciation prend pour point de
départ l'activité réelle. La
différenciation est alors une question de fait ; A
l'intérieur d'une activité complexe chaque individu
mène un travail spécifique en vue d'une même fin :
la production sociale. Dans cette perspective la différenciation
suppose que chaque individu soit maître des fins de
l'activité (projet/conscience sociale
individualisée…) et de son organisation
(démocratie réelle). Le partage des tâches ne se
réduit plus alors A une simple parcellisation du travail
; au contraire il suppose la mise en commun permanente des objectifs de
production atteints, l'échange tant des fonctions, des
savoir-faire que de la conscience de
l'hétérogénéité de ces fonctions et
de ces savoir-faire. L'apprentissage est conçu alors comme
appropriation individualisée du rapport social : le
développement de l'activité implique la transformation de
chaque individu, le développement des individus implique la
transformation de l'activité.
Projet, hétérogénéité et
différenciation dans et par l'activité ont pour
conséquence le partage des savoirs et des savoir-faire
(apprentissage entre pairs), appropriation individualisée de la
pratique collective, individuation de la conscience collective. On
retrouve lA les trois grandes orientations des pédagogies
actives : développer les savoirs sociaux de chaque individu
A partir de ce que chacun sait déjA
(expérience des "techniques " Freinet), inscrire les
apprentissages dans les pratiques sociales réelles et
réduire l'écart entre savoirs scolaires/savoirs sociaux
(expérience de la colonie Gorki de Makarenko), développer
la vie démocratique du groupe et la conscience individuelle de
l'organisation collective (formalisation de Pédagogie
institutionnelle de Oury).