La revue de l'AFL
Les
actes de lecture n°62
juin 1998
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Les écoles expérimentales ont 20 ans.
Un pari hier, un enjeu aujourd'hui.
Leurs contributions A la promotion collective.
Délégation
Avec quelle légitimité, les agents d'une institution
peuvent-ils, unilatéralement, décider de modifier les
missions institutionnelles attendues par le corps social ? Sur quel
mandat et dans quelle alliance ?
A contrario, l'absence de délégation consentie A
l'école pour changer conduit A questionner la
délégation ordinaire qui lui est faite et A mieux
cerner la difficulté qui surgit dans les époques
où on attendrait d'elle autre chose qu'une reproduction A
l'identique des savoirs actifs A un moment donné. Il est
en effet globalement acquis que les savoirs qui ont produit au
quotidien (et non seulement permis) la révolution industrielle
du 19ème siècle n'ont pas été initialement
et préalablement produits par l'école (y compris le lire,
écrire, compter auquel s'est résumée ensuite
l'alphabétisation pour le peuple) et que, A l'inverse,
c'est l'école sous la forme que nous lui connaissons qui est le
fruit de cette révolution. Ce qui obligerait A
questionner, mais c'est une autre affaire, les politiques structurelles
en matière scolaire imposées aux pays dits
émergents. En d'autres termes, l'école de Jules Ferry est
née de cette délégation (plus ou moins
acceptée par le mouvement ouvrier) faite A une
institution (rendue pour cela gratuite et obligatoire) d'avoir A
transmettre aux futurs producteurs ce qu'il n'est pas permis d'ignorer,
c'est-A-dire ce qui est A l'œuvre, A un
moment donné, dans la force de travail, ce que les adultes (donc
aussi les parents) savent ou, du moins, dont ils se représentent
la fonction et la nécessité.
L'efficacité de l'école de la 3ème
République réside dans cette délégation
A une institution consentie par chaque génération
afin de reproduire dans la nouvelle, en les actualisant, les savoirs
qu'elle possède ou qu'elle pressent. Mais c'est aussi ce qui
rend compte, dans le même temps, des effets
ségrégatifs de ce système scolaire qu'on
découvre seulement dans ce moment singulier où
l'école n'est plus mandatée pour reproduire mais pour
transformer, dans cette grande affaire qu'aura été la
généralisation des études secondaires pour tous
les enfants dont, en moyenne, les parents ne dépassaient pas le
niveau, encore en 1970, du Certificat d'études primaires. Le
principe de délégation est rompu, le système en
crise et les agents injustement accusés. C'est que
l'école ne produit pas les savoirs qu'elle transmet, elle ne les
transpose pas davantage des sources du savoir savant, elle assure le
passage, le placement, la reproduction de ce qui est A
l'œuvre dans les pratiques sociales et donc, pour chaque
individu, de ce qui se joue dans son environnement. Quelle que soit la
vélocité pédagogique des enseignants, le
système scolaire n'a pas le pouvoir de créer dans les
nouvelles classes d'âge des rapports A l'écrit
sensiblement différents de ceux qui ont cours dans le
système social et productif. Le principe de
délégation qui a conféré A
l'école ses modes de fonctionnement se retourne ici. Autant
l'école est un outil socialement et économiquement
efficace lorsqu'il s'agit de reproduire l'existant, autant elle
échoue A produire ce qui n'existe pas encore. Il y faut
d'autres cheminements et notamment que la délégation
cesse puisque les pratiques sociales retardent globalement sur ce que
les nouvelles générations doivent et peuvent
développer. L'élévation globale des performances
dépend alors de l'investissement communautaire dans
l'évolution directe, au quotidien et non sur le mode du futur,
des pratiques sociales.