La revue de l'AFL
Les
actes de lecture n°62
juin 1998
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Les écoles expérimentales ont 20 ans.
Un pari hier, un enjeu aujourd'hui.
Leurs contributions A la promotion collective.
Pédagogie de projet
Hypothèses
Se référant A une théorie
considérant l'apprentissage comme le résultat de
l'interaction du sujet avec l'ensemble du milieu physique dans lequel
il vit, des actions se sont multipliées partant de
l'école pour aller vers le quartier, la ville. Dans les
années 70, deux courants semblaient dominer la vie scolaire des
écoles expérimentales: la prise en compte de l'enfant en
tant que « sujet citoyen » et en tant que sujet apprenant.
Françoise Dolto était assez représentative du
premier courant : « les
enfants devraient être invités A s'adresser dans
les cités urbaines A des responsables capables dans
chaque secteur de leur distribuer de nombreuses tâches utiles
A tous où ils auraient A temps contractuel
librement choisi des responsabilités et où toutes leurs
suggestions seraient accueillies, discutées et où leurs
initiatives seraient soutenues quand le bien-fondé en serait
reconnu… On se met A faire soi-même quelque chose,
A comprendre le sens de la vie civique… » (1)
L'autre courant s'intéressait aux théories de
l'apprentissage et prenaient souvent leurs sources dans un domaine
apparemment éloigné du développement des savoirs
dits de base, A savoir l'éducation physique et sportive :
« C'est
dans cette perspective qui cherche A conserver A
l'activité d'apprentissage la structure fondamentale de
l'activité visée que se situe la notion de « holon
». (…) Un holon est une activité «
réduite », plus simple et plus facile que
l'activité-but, mais qui en garde les caractéristiques. » (2)
L'hypothèse existait que les savoirs construits A partir
de situations complexes et fonctionnelles étaient plus fiables
et moins discriminants socialement. On pensait dans le réseau
des écoles expérimentales que l'enfant devenu agent
social au sens où l'entend Pierre Bourdieu, c'est-A-dire
qui est agi (de l'intérieur) autant qu'il agit (sur
l'extérieur), perçoit le monde avec son
expérience, A partir de la manière qu'il a eu
d'intérioriser un certain nombre d'attitudes, d'inclinaisons
A sentir, faire et penser dans son milieu d'origine. Cette
perception qu'il utilise, pas forcément dans la
répétition mais selon une certaine logique et de
manière inconsciente, conditionne son regard sur le monde et sa
façon de s'approprier les outils nécessaires A son
insertion.
Les projets d'action sur le milieu, rassemblant des enfants
d'âges différents, d'expériences
différentes, devaient permettre de révéler ces
« équipements personnels », les faire exister dans
leurs contradictions, en justifier la validité en fonction de
normes autres que scolaires. De lA se décidaient les
enseignements A venir.
Mais le projet était aussi au centre d'une organisation scolaire
propice au développement de méthodes de travail
réfléchies et adoptées par les enfants. Le projet
avait des effets émancipateurs ce que Jean-Pierre Boutinet
décrit ainsi :
« - le projet doit tenir compte des données
contradictoires, ce qui amène A gérer
l'incertitude et la complexité des situations,
- le projet incite les personnes concernées A
développer leurs capacités A devenir des
acteurs-auteurs,
- le projet conduit l'acteur A penser la situation en termes d'innovation et de création,
- le projet se fonde sur une logique de l'interaction et de la
négociation ; en ce sens, il s'inscrit dans une logique de
recomposition du lien social,
- le projet favorise une action plus efficace grâce A un temps d'anticipation et de conception,
- le projet permet d'expliciter les intentions et donc de clarifier la
pensée en l'aidant A concrétiser les
possibilités qu'elle recèle,
- le projet conduit A se poser des problèmes de sens au
regard de l'action A entreprendre : sens-direction A
prendre, sens-signification A dégager, sens-sensation
A manifester. Ces questions favorisent le confort existentiel de
l'acteur lui-même. » (3)
Limites
La pédagogie du projet dont les bases viennent d'être
sommairement tracées présentait des obstacles
d'organisation, de conduite de séquences, de gestion du temps et
d'évaluation. Cette logique se heurtait A la logique de
l'enseignement traditionnel et les acquis, difficilement mesurables,
étaient en décalage avec ce qu'obtenaient les
écoles plus classiques. Les enseignants étaient
obligés de se former dans l'action et avaient parfois recours
A des techniques traditionnelles plaquées sur des
pratiques pédagogiques d'un tout autre ordre.
Question
Comment penser la pédagogie de projet aujourd'hui pour qu'elle
favorise des apprentissages non coupés des
réalités sociales, pour qu'elle ne dévalue pas les
savoirs mais les multiplie, le diversifie au regard des besoins d'une
société en crise et comment « apprendre A
apprendre » pour que la formation initiale ne soit plus une
étape A subir mais un avant-goût d'une existence
où les énergies intellectuelles resteront en éveil
?
notes
(1) DOLTO F., Solitude, Le livre de poche, 1989
(2) PINON B., Intervention au colloque national organisé par l'AFL en 1981, Cinq contributions pour comprendre la lecture.
(3) BOUTINET J-P., « Les multiples facettes du projet », Sciences Humaines n° 39, mai 1994