La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°63  septembre 1998

___________________

note de lecture

L'homme pluriel. Les ressorts de l'action.
Bernard Lahire.M.E.N.
Nathan.1998.


Pour le lecteur familier des écrits sociologiques ayant pour objet les pratiques de lecture et d'écriture ou l'analyse des difficultés scolaires, Bernard Lahire est un auteur désormais incontournable. Deux titres en guise de repères bibliographiques : Culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de l'"échec scolaire" A l'école primaire (Presses Universitaires de Lyon. 1993) et Tableaux de familles. Heurs et malheurs scolaires en milieux populaires (Gallimard/Seuil 1995). (Cf. A.L. n°51, sept.95, p.10)

Avec sa dernière contribution A la recherche, L'homme pluriel, Bernard Lahire tente d'élargir le champ de sa réflexion et d'en diversifier les angles d'approche sur le plan méthodologique et conceptuel, tout en s'appuyant principalement sur des exemples extraits de ses propres investigations. Il s'agit de proposer " l'esquisse d'une théorie de l'acteur pluriel... (où) les réflexions sur les différentes formes de réflexivité dans l'action, sur la pluralité des logiques d'action, sur les formes de l'incorporation du social et la place du langage dans l'étude de l'action et des processus d'intériorisation (...) ont été élaborées avec le souci constant de ne pas garder un seul type d'action en tête et de le théoriser par généralisation abusive, mais au contraire de faire varier systématiquement les cas du possible..."
Les domaines explorés sont nombreux et variés : philosophiques, psychologiques, psychanalytiques, littéraires, linguistiques, anthropologiques, sociologiques... Le chantier est donc vaste. Et puisque cet essai a pour but de redynamiser les termes du débat et de la critique dans le champ de la recherche sociologique concernant les théories de l'action, l'auteur ne cache pas les implications sociopolitiques d'un tel projet : "Selon que l'on comprend de telle ou telle manière les ressorts de l'action, les manières de transformer ou de maintenir en l'état l'ordre des choses existant, de modifier ou de conserver les comportements, peuvent être très différentes. Les théories de l'action sont donc, au fond, toujours des théories politiques : en répondant ˆ la question "Qu'est-ce qu'agir ?", elles préparent le terrain aux réformes des manières d'agir."

Quant A la méthode de travail, elle est, comme toujours chez Lahire, impitoyablement, méticuleusement, pragmatique et rigoureuse. Au cours des années soixante-dix, la sociologie a allègrement emprunté A la psychologie (notamment piagétienne) des concepts tels que les schèmes, les processus de transfert, d'analogie, de systématisation... De même en philosophie. Le sociologue invite A revisiter les dits concepts et A en examiner lucidement la pertinence et les limites d'emploi dans un certain nombre de contextes contemporains. La critique est vive et peut même parfois inciter A une relecture attentive de certains auteurs tant certaines remarques sont incisives et fortes. Il en va ainsi pour Pierre Bourdieu, particulièrement visé et cité A comparaître A de nombreuses reprises : "La manière dont Pierre Bourdieu conçoit la place de sa théorie du social dans le champ sociologique (et, plus largement , des sciences sociales) est proche de la position épistémologique que nous soumettons A critique ici."

Même si le lecteur non-spécialiste ne peut guère que tenter d'apprécier les échanges sans pour autant pouvoir distribuer les points, les termes du débat sont posés d'une manière suffisamment claire et précise pour qu'il comprenne aisément que les deux modèles s'opposent sans doute de façon inconciliable : celui d'une sociologie... sociologique pour l'un, alors que Bernard Lahire plaide pour une sociologie psychologique. Le vrai débat est sans doute lA et ce n'est pas le moindre intérêt du livre, d'autant que la bibliographie est particulièrement fournie. A
Jean Louis BRIAND
AL63LU3
 

La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°63  septembre 1998

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note de lecture

L'homme pluriel. Les ressorts de l'action.
Bernard Lahire.M.E.N.
Nathan.1998.


Pour le lecteur familier des écrits sociologiques ayant pour objet les pratiques de lecture et d'écriture ou l'analyse des difficultés scolaires, Bernard Lahire est un auteur désormais incontournable. Deux titres en guise de repères bibliographiques : Culture écrite et inégalités scolaires. Sociologie de l'"échec scolaire" A l'école primaire (Presses Universitaires de Lyon. 1993) et Tableaux de familles. Heurs et malheurs scolaires en milieux populaires (Gallimard/Seuil 1995). (Cf. A.L. n°51, sept.95, p.10)

Avec sa dernière contribution A la recherche, L'homme pluriel, Bernard Lahire tente d'élargir le champ de sa réflexion et d'en diversifier les angles d'approche sur le plan méthodologique et conceptuel, tout en s'appuyant principalement sur des exemples extraits de ses propres investigations. Il s'agit de proposer " l'esquisse d'une théorie de l'acteur pluriel... (où) les réflexions sur les différentes formes de réflexivité dans l'action, sur la pluralité des logiques d'action, sur les formes de l'incorporation du social et la place du langage dans l'étude de l'action et des processus d'intériorisation (...) ont été élaborées avec le souci constant de ne pas garder un seul type d'action en tête et de le théoriser par généralisation abusive, mais au contraire de faire varier systématiquement les cas du possible..."
Les domaines explorés sont nombreux et variés : philosophiques, psychologiques, psychanalytiques, littéraires, linguistiques, anthropologiques, sociologiques... Le chantier est donc vaste. Et puisque cet essai a pour but de redynamiser les termes du débat et de la critique dans le champ de la recherche sociologique concernant les théories de l'action, l'auteur ne cache pas les implications sociopolitiques d'un tel projet : "Selon que l'on comprend de telle ou telle manière les ressorts de l'action, les manières de transformer ou de maintenir en l'état l'ordre des choses existant, de modifier ou de conserver les comportements, peuvent être très différentes. Les théories de l'action sont donc, au fond, toujours des théories politiques : en répondant ˆ la question "Qu'est-ce qu'agir ?", elles préparent le terrain aux réformes des manières d'agir."

Quant A la méthode de travail, elle est, comme toujours chez Lahire, impitoyablement, méticuleusement, pragmatique et rigoureuse. Au cours des années soixante-dix, la sociologie a allègrement emprunté A la psychologie (notamment piagétienne) des concepts tels que les schèmes, les processus de transfert, d'analogie, de systématisation... De même en philosophie. Le sociologue invite A revisiter les dits concepts et A en examiner lucidement la pertinence et les limites d'emploi dans un certain nombre de contextes contemporains. La critique est vive et peut même parfois inciter A une relecture attentive de certains auteurs tant certaines remarques sont incisives et fortes. Il en va ainsi pour Pierre Bourdieu, particulièrement visé et cité A comparaître A de nombreuses reprises : "La manière dont Pierre Bourdieu conçoit la place de sa théorie du social dans le champ sociologique (et, plus largement , des sciences sociales) est proche de la position épistémologique que nous soumettons A critique ici."

Même si le lecteur non-spécialiste ne peut guère que tenter d'apprécier les échanges sans pour autant pouvoir distribuer les points, les termes du débat sont posés d'une manière suffisamment claire et précise pour qu'il comprenne aisément que les deux modèles s'opposent sans doute de façon inconciliable : celui d'une sociologie... sociologique pour l'un, alors que Bernard Lahire plaide pour une sociologie psychologique. Le vrai débat est sans doute lA et ce n'est pas le moindre intérêt du livre, d'autant que la bibliographie est particulièrement fournie. A
Jean Louis BRIAND