La revue de l'AFL
Les
actes de lecture n°63
septembre 1998
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"Qu'est-ce que lire au cycle 1 ?"
ou
"Langages en formation"
"L'école maternelle, offre avenir",
un forum organisé par le SNUIPP
ou comment préparer les esprits A des changements A venir
Le SNUIPP a
organisé le 28 janvier 1998 un forum maternelle au cours duquel
des enseignants ont pu échanger sur l'état présent
et l'avenir de l'école maternelle, réfléchir aux
perspectives. Le compte rendu préparatoire qui nous en a
été communiqué fait ici l'objet d'une analyse. (1)
Cette rencontre, proche dans le temps de celle qui l'a
précédée A Lille, au congrès du
SNUIPP, sur la professionnalité des enseignants, manifeste une
volonté de ce syndicat : être un lieu de réflexion
des professionnels de l'enseignement, une réflexion
sûrement fédèratrice des enseignants
présents, une aide pour le syndicat A se forger des
orientations générales pour la défense ou la
transformation de l'école. Le syndicat s'aide lui-même
A construire ses lignes d'intervention sur le champ de
l'école maternelle en aidant les enseignants A
questionner leur métier.
En avril dernier A Lille, on s'était interrogé sur
la pertinence de la démarche : en demandant A la SOFRES
de réaliser un sondage d'opinion pour conduire le débat
sur la professionnnalité et orienter la réflexion des
enseignants sur ce qui les caractérise, le syndicat
n'introduisait-il pas une nouvelle manière de construire ses
orientations de politique générale ? Qui
précède quoi ? Quelle place cet état des lieux,
qui donne A entendre aux enseignants ce qu'ils « sont
» et ce qu'ils pourraient devenir si « les tendances
constatées » se confirmaient, aura-t-il dans
l'écriture d'une politique syndicale qui ne pourrait se suffire
d'être l'enregistrement de constats A (vague)
portée sociologique ?
I - Qui un syndicat invite-t-il pour intervenir dans un rassemblement d'enseignants de maternelle ?
5 universitaires, 3 universitaires/chercheurs dont les champs d'intervention sont les suivants :
- éducation, sciences de l'éducation, sociologie de
l'éducation, didactique et épistémologie des
sciences.
- mathématique et psychologie des processus cognitifs
- psychologie (2), psychanalyste, neurophysiologie et psychophysiologie, biologie
Par ailleurs, certains intervenants tiennent A compléter
leur identité et mentionnent leur engagement associatif (1) et leur action de formation en IUFM (1).
Les enseignants, actuellement en classe, associés A des
recherches ou porteurs d'expérimentation, ne monteront pas
A la tribune cette fois. Au-delA, des individus, des
mouvements pédagogiques – l'AfL, l'AGIEM, le mouvement
Freinet, le GFEN, …– auraient pu porter une voix
complémentaire. Un clivage statutaire d'autant plus
dérangeant ici, que l'ensemble des débats portera en
arrière-plan l'idée d'une école A part
entière A défendre. On pense aussi A la
place de certaines médiations (médiations politiques,
civiques, institutionnelles). On place ici une parole qui a le statut
de savoir (même si les intervenants l'interrogent en même
temps qu'ils le transmettent) face aux pédagogues qui le
reçoivent ; d'autres représentants qui ne sont pas
lA auraient pu avoir accès A la disputatio donc A la possibilité d'agir sur ce savoir.
II - Quelles sont les sources et matériaux sur lesquels s'appuient ces intervenants ?
De la même manière qu'on s'intéresse A
l'identité des intervenants et A la manière dont
on juge utile de se présenter dans de telles circonstances, il
nous semble utile de regarder ce que les intervenants disent de la
manière dont ils ont construit leurs savoirs. A quelles
sources se sont-ils alimentés ? Quel protocole de collecte
d'informations ont-ils construit ? Quelles procédures de
vérification, etc. ?
Les sources mentionnées appartiennent A 4 catégories :
1) les sources primaires :
- des textes gouvernementaux (1), enquêtes et études nationales (3) 2)
- une analyse sociologique de la population française (1)
- l'œuvre de fondateurs historiques en éducation (1) 3)
2) des études : (2)
- une analyse institutionnelle de l'accueil de la petite enfance : conditions comparées en France et en Allemagne
- une analyse des politiques de la petite enfance au niveau
international : études comparées sous l'angle historique
d'une part et financier d'autre part (budgets investis par la
collectivité dans l'école maternelle ; taux de
scolarisation)
3) des recherches : (3)
- une évaluation comparée des compétences
d'enfants ayant ou n'ayant pas été A
l'école A 2 ans complétée par
l'évaluation des effets de cette scolarisation sur leurs
apprentissages fondamentaux. Cette recherche repose sur une
étude de population de la Petite Section jusqu'au CE1et
distingue les acquisitions et compétences scolaires des enfants
scolarisés A 2 ou 3ans de celles des autres enfants.
- Une analyse de l'effet du comptage oral sur la capacité des
enfants A conceptualiser le nombre et l'élaboration de
pratiques pédagogiques différentes.
- Une étude des interactions langagières comme variables
didactiques dans les apprentissages premiers chez les enfants
scolarisés en ZEP.
4) des recherches-action (2)
- Un programme psycho pédagogique d'intervention dans des
circonscriptions volontaires s'est déroulé pendant 1 an
et s'appuyait sur "beaucoup de recherches nord-américaines et
françaises" montrant l'importance de la référence
et de l'explicitation du monde dans le développement de
l'enfant.
- Stage de formation avec des enseignants, ASEM, aides maternelles, personnels de crèche, etc.
Ces sources représentent le corpus visible –
nécessairement hétéroclite – des
intervenants s'inscrivant eux-mêmes sur de nombreux domaines
d'intervention. Ce souci d'aborder le sujet de manière
complémentaire et polyvalente met toutefois l'auditeur puis le
lecteur en charge de tisser les liens.
III- Quelles sont les questions posées ?
1 Pourquoi l'école A 2 ans et pour y faire quoi ?
Cette question n'évoque pas de remise en cause de l'école
maternelle mais pose la question d'une adaptation (nécessaire ?)
A l'arrivée, dans ses murs, d'enfants plus jeunes.
Nouvelles fonctions ? Nouveaux aménagements ? Nouvelles
pratiques ? Derrière les réponses, apparaîtront la
manière dont les auteurs appréhendent l'enfant, (et
l'enfant de 2 ans) et le statut qu'on lui confère A
l'école et dans la vie.
Cette question est aussi celle des enseignants, qui, interrogeant leur professionnalité, se demandent si leur
école maternelle constitue une réponse adéquate,
si la formation est adaptée. Mais qui sont les enfants de 2 ans
?
Les réponses confortent la scolarisation précoce en
même temps qu'elles attirent avec insistance les regards sur les
autres modes d'accueil, non pensés comme concurrents mais comme
porteurs d'autres modalités et procédures d'accueil
complémentaires. Et pourquoi pas pour imaginer des politiques
globales d'accueil de l'enfant ?
Éric Plaisance s'appuie sur les analyses sociologiques et
historiques pour poser la spécificité de la scolarisation
préélémentaire en France ainsi : " une
scolarisation préélémentaire ancienne et
aujourd'hui généralisée, une grande importance du
secteur public, une assimilation des personnels enseignants mais un
problème concret et politique se pose dans l'accueil des moins
de trois ans : quid d'une nouvelle réflexion d'ensemble sur les
politiques d'accueil de la petite enfance ne se limitant pas A
la scolarisation et qui intégrerait des innovations et des
collaborations de personnels aux statuts différents et aux
conditions de travail différentes, vers une formation continue
commune,…"
Agnès Florin fait état d'une recherche conduite pour le
compte de la direction des écoles sur "ce que la scolarisation
des deux ans peut apporter de spécifique par rapport A
d'autres conditions éducatives, sur le plan des apprentissages
fondamentaux ultérieurs" et qui fait suite A une
recherche fondatrice effectuée en 1980 et qui avait
démontré que "plus
les enfants sont allés longtemps A l'école
maternelle moins ils redoublent A l'école primaire et que
cette réduction d'échec est d'autant plus marquée
pour les enfants de milieu défavorisé".
D'étude en recherche, la scolarisation des 2 ans trouve des
justifications mais l'auteur tient A orienter la
réflexion sur la diversification des modes d'accueil de la
petite enfance (crèche, assistantes maternelles, garde A
la maison, etc.). L'école devrait, selon elle, procéder
A des aménagements (formations communes avec les autres
professionnels de la petite enfance, rythmes de vie, calendrier de
rentrée, individualisation, etc.) pour répondre A
la "spécificité" de l'enfant de deux ans. Qui est-il cet
enfant dont on dit plus loin qu'on passera 6 mois A l'apprivoiser en voulant dire "le conformer aux règles de la vie en société scolaire".
Connaître la diversité de cette offre, c'est ici faire
exister simultanément une offre de socialisation
réalisée différemment par des structures "en fonction des besoins de l'enfant dans son individualité."
Alors que l'auteur parle des stratégies parentales en
réponse A des contraintes matérielles (coût,
horaire, proximité,…), il y aurait brutalement
possibilité (liberté ?) pour chacun de connaître
les besoins de son enfant et par ailleurs de choisir les conditions de
son éducation sociale. Certes, il est aussi question
d'implications d'associations, de formations communes avec les parents
et les professionnels de la petite enfance, … sans qu'on sente
qu'il s'agisse des éléments objectifs d'une politique
globale et organisée. On la trouvera peut-être en germe
dans les propos de Jacques Lévine qui récuse
l'idée de "l'enfant de 2 ans" et ce qu'elle a
d'uniformisant. Si tous les contextes sociaux et culturels familiaux ne
mettent pas tous les enfants de deux ans en capacité de recevoir
également la scolarisation –ce qui reste vrai A
tout âge nous semble-t-il -, il s'agit d'alerter l'école
sur son devoir d'accompagnement de l'enfant en continuant de lui
proposer d'être en interlocution privilégiée et
structurante avec un adulte ainsi que sur son devoir d'accompagnement
de la famille par une politique d'accueil que ne peut envisager
l'école seule. Jacques Lévine propose aux acteurs de
"l'école A deux ans" de faire le premier pas du
partenariat : dire honnêtement ce qu'on sait faire.
2 Quels contenus d'enseignement : quelle définition de l'école maternelle ?
Cette question, construite autour du mot « enseignement »,
renvoie A la fonction attribuée A l'école
maternelle différente parfois de celle que les enseignants de
l'école maternelle se sont construite. L'école maternelle
comme lieu d'apprentissage au plein sens du terme ou
préparatoire A une autre étape,
considérée elle comme essentielle ? Apprentissage ou
enseignement comme la poursuite d'un modèle, celui de la «
grande école » où des savoirs scolaires se
délivrent d'en haut alors que l'école maternelle
travaille depuis des années A construire des conduites
sociales, reliés A des savoirs universels, via des
techniques élaborées (manuelles, intellectuelles,
artistiques, physiques, etc.)… Etrange question posée
sous l'influence du resserrement de l'école sur elle-même
et sur une fonction référentielle dans la tradition du
couple réussite scolaire/réussite sociale.
De Jacques Lévine A Roland Goigoux, on voit se poser des
éléments de compréhension d'une école
maternelle dont on ne croit pas qu'ils soient toujours compatibles.
Parce que l'un incarne un regard sur l'enfant en tant que personne en
construction et détermine les interventions de l'école
dans un essai de prise en compte la plus globalisante possible de ce
développement en cours, cherche A y percevoir les
interventions distinctes et complémentaires des enseignants, des
autres enfants, des parents et les interactions des ces actes
portés par des histoires individuelles, collectives,
symboliques. Parce que l'autre met la définition de
l'école maternelle au service d'une réussite des
apprentissages scolaires élémentaires et situe l'enfant
dans un projet d'enseignement qui veut rompre, malgré des
précautions oratoires sur le caractère caricatural de
l'exposé, avec ce qui socialement, pèse et fait pression
sur un individu, pouvant lui interdire l'appropriation de savoirs
abstraits.
Le premier articule son observation critique de l'école
maternelle sur la capacité de celle-ci A répondre
aux marges de la moyenne section, son projet central. Autrement dit,
comment l'école maternelle répond-elle lorsqu'on
l'interpelle avant l'heure, c'est-A-dire A 2 ans ? et
comment répond-elle lorsqu'au bout de sa course, elle est
sommée de préparer au CP ? Jacques Lévine pense
l'école maternelle comme l'école des 4 langages : celui
des actions de réalisation collective et individuelle, celui de
la réflexion sur les relations (individus, objets), celui de
l'émergence des curiosités et talents personnels et enfin
celui du cognitif. Quatre axes pour que l'individu se construise dans
un collectif par agencements, compléments, transformations,
ajouts, reports,… et qui structurent la vision vivifiante et
engageante du rôle de l'enseignant : "
il faut créer chez l'enfant une vitalisation première qui
lui donne l'envie de s'auto-vitaliser, de s'attribuer du Moi, du corps,
de l'identité sexuelle, des compétences…"
Le second se construit autour de 7 malentendus observés entre
l'enfant et l'enseignant qui s'appuient sur une critique des fondements
de la pédagogie de projet A la lumière des
insuffisances qu'a connu sa mise en place. Combien de théories
et de principes jetés quand il faudrait faire le procès
des conditions de leur détournement ou falsification !
Construire les conditions qui donneront des raisons d'apprendre
disons-nous ! Motivation intrinsèque de l'enfant face A
la tâche répond Roland Goigoux s'appuyant sur (les
dérives de) la motivation extrinsèque pour condamner les
artifices construits par l'enseignant de la pédagogie A
thème qui " enjolive les situations d'enseignement pour les rendre plus motivantes". Pour construire cette motivation intrinsèque de l'élève, il faut, poursuit Roland Goigoux, "présenter
les activités scolaires aux élèves avec le souci
permanent de les aider A repérer ce qu'ils sont en train
d'apprendre" et " privilégier des supports plus
épurés et plus familiers qui mettent objectivement
l'élève, sans stratagème, face A la notion
au travail." Il faut encore, pour favoriser l'attention des élèves " introduire
plutôt que de la variété, de la stabilité
dans la présentation des modalités didactiques." Et
ne pas sacrifier au vertige de la multiplicité de l'offre ni
A celui d'activité compris comme agitation ou
manipulation, comme activisme : " L'important n'est pas de faire faire mais de faire comprendre."
3 Formation : quels enjeux pour l'avenir de l'école maternelle ?
Où la boucle se boucle. Le renforcement de la
professionnalité des enseignants de maternelle consolidera
l'existence de l'école maternelle et précisera les
remises en cause. Parlera-t-on d'une professionnalité
spécifique aux enseignants de maternelle ou d'une affirmation de
leur égalité de statut, au regard de l'équivalence
des formations, avec leurs collègues de l'école primaire
?
La plupart des propos s'éloignent alors d'une formation qui
serait spécifique pour analyser la formation en
général : en creux on y voit un attachement A
l'appartenance statutaire A un même corps professionnel
qui fait aussi l'essence du système éducatif
français. Les propositions font état d'un regard critique
sur l'IUFM et la formation initiale ou continue. Roland Goigoux se
prononce pour une intensification des relations entre théorie et
pratique par la mise en place de la logique de la formation par
alternance, par l'inscription au budget de modalités de suivi et
leur corrolaire : un travail assidu entre enseignants et chercheurs. En
contradiction avec cette première proposition qui suppose la
mise A l'épreuve des théories A l'aune des
pratiques, il est ensuite question de compter sur le rapprochement
entre enseignants et chercheurs pour développer des recherches
instrumentales : les recherches centrées sur l'exercice, sur la
pratique du métier (les objets professionnels, les gestes
professionnels, la manière dont la profession structure ses
propres questions et pas en terme d'application d'un certain nombre de
préalables théoriques). Une question brûle alors
les lèvres mais ailleurs, André Giordan la posera : Si
l'on n'est pas au clair sur la nature des savoirs théoriques,
leur place dans l'exercice de l'activité, comment peut-on alors
discriminer l'activité professionnelle et l'activité de
la mère de famille ou de la puéricultrice ?
Et puis les chercheurs parlent d'autodidaxie et en viennent A souffler aux enseignants que "l'on ne peut pas tout attendre de la formation initiale"
et que les enseignants peuvent beaucoup pour eux-mêmes s'ils
enclenchent une dynamique qui les conduira vers le travail
d'équipe, les groupes d'échanges et de savoirs, le
travail partagé avec des spécialistes ou des chercheurs,
etc. S'agirait-il de recherche-action ou de corps intermédiaires
dont les enseignants se doteraient pour travailler dans l'expertise ?
Mais de telles questions qui exigeraient une interaction entre les
intervenants et les participants ne trouvera pas ici de réponse
en raison de la forme donnée A cette journée.
Métier de référence parce qu'il manipule le
savoir, l'organise et organise les conditions de sa rencontre, parce
qu'il place le savoir des sociétés dans des
catégories disciplinaires. Métier de
référence par ce qu'il représente auprès
des usagers de l'école, parents et enfants. Porteurs de la
référence, les enseignants sont peut-être
eux-mêmes portés par la notion de référence
et par l'attitude de révérence qu'on se doit d'avoir par
rapport A celui qui détient le savoir. Quelle relation
instaure-t-on entre l'enfant et le savoir quand on s'inscrit
soi-même dans cette révérence aux détenteurs
du savoir ? A
Notes
1) Ce compte rendu a fait, depuis, l'objet d'une édition disponible auprès du SNUIPP sous le titre :
Maternelle offre avenir / SNUIPP. Bernadette
Groison, coord. – (Actes) supplément A
Fenêtres sur cours n°155 – juin 1998. 25F A
l'adresse suivante : 128 boulevard Blanqui 75013 Paris
2) sur la scolarisation par le MEN 1980, idem 1990 ; 1992 ; 1997 ; DEP et IG 1997
3) Pauline Kergomard citée par Éric Plaisance