La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°64  décembre 1998

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Les classes-lecture comme outil de formation des maîtres


Un collectif de quatre personnes (issues de deux institutions partenaires : l'IUFM de Versailles et l'INRP) a pris la responsabilité de la recherche conduite sur le thème Evaluation et suivi des centres classes-lecture entre 1995 et 1998. L'objectif était double : se doter d'un instrument d'observation et d'analyse des pratiques en cours dans les centres associés A la recherche : Dunkerque, Roubaix, Grenoble, Nice, Nanterre.et disposer d'outils de régulation pour permettre A chaque centre de piloter sa propre évolution.
Jean Foucambert (Les pratiques pédagogiques), Bernard Lété (Les effets sur les acquisitions des enfants), Daniel Denis (Socio-genèse de l'innovation pédagogique), J.Pierre Bénichou avec la contribution de Nathalie Bois (La formation des maîtres) ont pris la responsabilité de coordonner les travaux conduits dans les quatre axes de travail retenus : chaque équipe a formulé ses propres sous-hypothèses, sa méthodologie, son plan de travail (*). Le 4 juin 98, une séance de présentation a été organisée A Versailles A l'intention des formateurs de l'IUFM. Elle a permis de rendre compte de l'essentiel des travaux A l'occasion d'une séance consacrée A l'étude des recherches conduites par l'IUFM ces deux dernières années.
On trouvera ci-après le compte rendu des travaux conduits sur le thème de la formation des maîtres. Les trois autres comptes-rendus seront publiés dans les numéros suivants des A.L.



Ce volet de la recherche est consacré A la formation des adultes. Le traitement de la question repose sur des choix et des objectifs qu'on retrouve dans les trois autres volets qui la composent :
- cette recherche serait menée, autant que faire se pourrait, avec les équipes des centres de classes-lecture
- cette recherche porteuse d'observations, d'analyses, d'outils de questionnement ou d'interprétation alimenterait les centres de classes-lecture dans leur démarche de suivi et d'évaluation permanent de leurs pratiques
- cette recherche viserait A consolider un réseau potentiel d'acteurs permanents des centres de classes-lecture et A amorcer un travail régulier d'échanges sur des pratiques communes

Sur ces bases, les différents centres se sont déterminés librement par rapport A leur implication dans un ou plusieurs volets de la recherche : Dunkerque, Grenoble, Nanterre, Nice, Roubaix.

LES HYPOTHESES
Il nous fallait chercher si la classe-lecture agit comme une situation de formation pour les enseignants qui la vivent avec leurs élèves. Pour cela, quelques questions ont été posées :

- quelle perception les adultes et les élèves ont-ils, quel rôle et quelle fonction s'attribuent-ils ? Comment une classe-lecture agit-elle sur ces manières de voir, de se voir, de se voir apprendre et enseigner ?
- quelle organisation prévaut dans une classe pour atteindre des objectifs communs : enseigner, transmettre et recevoir des savoirs, apprendre et construire des savoirs ? Comment la "division du travail" s'opère entre adultes et enfants ? Comment la délégation aux enfants de responsabilités et de fonctions A la hauteur du statut qu'on leur confère intervient-elle et quel rôle la classe-lecture remplit-elle ?
- quelle place de l'école dans la société transparaît dans les pratiques pédagogiques et comment est-elle imaginée et réalisée dans son environnement ? Comment la classe-lecture agit-elle sur ces conceptions et permet-elle une mise en œuvre ?
- quelles sont les représentations des enseignants et des élèves sur leurs pratiques éducatives ? Dans quelle mesure une classe-lecture favorise-t-elle une mise A distance, une analyse de pratiques ? En quoi l'écrit est-il un outil de cette théorisation ?

LA METHODE
Pour porter l'ensemble de ces questions tout au long de l'étude, nous avons fait le choix de cumuler deux sources d'information :

- les prélèvements d'écrits de classe comme données matérielles brutes de la nature des écrits et de leur circulation en classe d'une part,
- les représentations des enseignants sur les lieux, forces et procédures de formation A travers des entretiens d'autre part. Pour mesurer les effets qu'opéreraient les classes-lecture sur les pratiques de classe, nous avons comparé les positions et les pratiques de deux types d'enseignants, ceux qui ont suivi une classe-lecture (**) et les autres (considérés dans un premier temps selon deux catégories : ceux qui, candidats A une classe-lecture n'ont pu être retenus pour l'effectuer et ceux qui ont été choisis par tirage au sort).

LA MISE EN ŒUVRE
Nous avons fait l'hypothèse que les écrits auxquels un groupe social a recours dans sa vie quotidienne révèlent la nature de ses pratiques, son degré d'implication dans la vie sociale, sa conception de l'écrit (nature et usages), et que les représentations des maîtres sur leur formation n'étaient pas sans effet sur leurs pratiques. Dans cet esprit :

- La grille d'analyse a été construite A partir du texte "les 7 propositions", qui constitue une sorte de charte commune aux classes-lecture, aux villes lecture et aux stagiaires de classe-lecture. Ce texte propose un ensemble cohérent d'objectifs A conduire simultanément pour qui veut impulser et soutenir une politique globale de lecture. Deux points d'observation ont été retenus principalement : ce que sont les écrits (leur quantité, leur lisibilité, leur nature : diversité, ouverture A d'autres, leur genre …) et ce que les écrits disent de la classe (les équilibres entre construction du savoir, entraînement, théorisation)
- Les entretiens semi-directifs ont été conçus en complément du prélèvement des écrits et avaient pour fonction de faire apparaître des représentations sur la manière dont les enseignants se représentent leur formation professionnelle et la manière dont, en ce qui concerne la population expérimentale, la classe-lecture trouve sa place dans ce parcours, "savoir comment, auprès de qui, par quelle démarche, en suivant quel parcours l'enseignant s'est formé". Comment l'enseignant en est-il venu A faire ses choix pédagogiques, A choisir ses modèles ? Il s'est agi de chercher A comprendre la logique de fonctionnement, de formation de l'enseignant, son parcours.

La collecte des matériaux a été réalisée entre janvier 1997 et juin 1997 par une équipe de 11 personnes, chacune étant associée A l'un des 6 centres de classe-lecture engagés dans ce travail. Un séminaire d'entraînement A la conduite d'entretien les a réunis pendant deux jours A Antony. On a ainsi pu disposer au terme de cette étape de dossiers (entendus comme la somme des écrits collectés, l'analyse de ces écrits, l'analyse des entretiens) ainsi répartis :

- 15 dossiers pour la population expérimentale / 35 sélectionnés
- 14 dossiers pour la population aléatoire / 18 sélectionnés
- 7 dossiers pour la population candidate /17 sélectionnés Les écrits de classe ont été prélevés dans toutes les classes concernées du 13 au 27 janvier 1997 en réponse A la consigne de prélèvement suivante : Rassemblez un exemplaire de chaque texte produit ou introduit dans votre classe au cours de cette période et dont les élèves et les adultes sont soit destinataires soit émetteurs.
On entend par texte :
- tout écrit produit par un (ou des) individu(s), enfant ou adulte, existant physiquement dans la salle de classe et que son auteur considère comme achevé.
- tout écrit introduit par un (ou des) individu(s), enfant ou adulte, extérieur A la salle de classe, que son auteur considère comme achevé et en relation avec la vie collective de la classe.
Les entretiens ont été conduits avec les enseignants qui avaient fait parvenir les écrits de classe et généralement avec le correspondant local du centre lecture dont ils "dépendaient" géographiquement entre les mois de mars et juin 1997. Toutes les rencontres ont débuté par un compte rendu de l'analyse des écrits de classe reçus.
L'entretien proprement dit avait une durée de 30 minutes minimum A 60 minutes maximum. Après transcription, ils ont fait l'objet d'une analyse de contenus qui conduit A faire apparaître 6 thèmes.

CE QUI RESSORT DE L'ETUDE
Les 876 écrits collectés pendant la période concernée par le prélèvement se répartissent quantitativement entre les populations de manière sensiblement égale (population aléatoire : 30 écrits en moyenne par classe, population candidate A une classe-lecture : 37 par classe, population après classe-lecture : 30,2 par classe). Il n'y a donc pas d'effet classe lecture d'un point de vue quantitatif.
L'analyse de ces écrits conduit aux interprétations suivantes :

- Le passage par une classe-lecture sensibilise A la qualité technique et graphique des documents qu'on propose aux élèves. L'examen graphique des écrits montre, en effet, qu'un intérêt différent est porté par l'enseignant A la visibilité et A la lisibilité des textes par les élèves. Le corollaire de cet intérêt est l'investissement technique sensible A l'observation des écrits produits par l'enseignant (fiches par exemple). Associée au recul des manuels et A l'usage des fiches une place éminente est laissée A la reproduction (photocopie) de documents, d'extraits, etc.
- Les enseignants de la population expérimentale utilisent plus que leurs collègues des documents enrichis d'illustrations et ils recourent plus massivement aussi A la reproduction de documents. Peut-on en conclure qu'une double tendance s'instaure qui consiste, après une classe-lecture, A introduire assez massivement dans sa classe des documents individualisés ou collectifs avec lesquels les élèves travaillent directement sans recourir A des copies, des ouvrages directement consultables et simultanément A développer la reproduction d'extraits, de documents fabriqués par l'enseignant ou la classe ? Le fait que peu de documents soient saisis et mis en page et, par ailleurs, la part élevée de textes manuscrits invite, en fait, A nuancer le constat.
- Toutes populations confondues, ce sont les écrits scolaires qui sont le plus présents. Parmi les écrits de fiction et les documentaires, qui, rassemblés, constituent le deuxième "bloc" de textes, la population expérimentale recourt le plus massivement aux textes de fiction. Dans cette population, la part des documentaires est très faible.
- Les écrits scolaires issus des classes de la population expérimentale témoignent d'un double recul quantitatif, celui de l'enseignant en tant que producteur des écrits scolaires et celui des manuels. Simultanément, les élèves, individuellement et en groupes de travail, apparaissent dans l'élaboration des écrits scolaires A destination des autres élèves de leur classe. Le rapport entre écrits de littérature jeunesse et documentaires est différent dans les corpus issus des classes-lecture : l'équilibre se fait nettement en faveur des écrits de la littérature jeunesse aux dépens des documentaires.
- L'activité technique en BCD et celle des présentations de livres, notamment, qui constituent un temps fort de la classe-lecture conduit davantage les enseignants A introduire dans leur classe la production littéraire jeunesse.
- Toutes populations confondues, l'enseignant est très minoritairement auteur des textes introduits dans sa classe quand il s'agit de fiction. Après une classe-lecture, on constate un léger renforcement de cette position. L'enseignant des populations témoin est plus prompt A produire des textes de fiction ou A caractère documentaire ; il y a régression de cet engagement après une classe-lecture. Cette évolution pourrait correspondre A une introduction massive et compensatrice des ouvrages puisés dans la BCD. La différence entre population expérimentale et population témoin repose sur l'introduction d'un travail sur l'écriture de fiction dans les classes après une classe-lecture.
- Concernant la production de textes A caractère fictionnel, ce flux concernant la production individuelle d'un élève montre une différence assez nette entre classe de population expérimentale et classe de la population témoin : dans les classes n'ayant pas fait de classe-lecture, le destinataire de ces écrits personnels est très massivement et presque exclusivement l'enseignant, alors que dans les classes des enseignants ayant participé A une classe-lecture, les destinataires se répartissent entre l'enseignant et les élèves de la classe
- Concernant la production d'écrits A caractère documentaire: l'élève est auteur de texte A caractère documentaire beaucoup plus massivement après une classe-lecture. L'examen des destinataires de ces écrits montre qu'il s'agit de textes écrits pour la classe ou un groupe dans la classe.
- Moins que les quantités ou types d'écrits, les effets d'une classe-lecture s'expriment plus en termes de renforcement de la production d'écrits par les élèves d'une part, de diversification et d'enrichissement de la chaîne sources/destinataires des écrits, d'autre part.
- On ne constate pas d'écart quantitatif fort concernant les écrits sociaux. D'une population A l'autre, les deux principales sources d'écrits sociaux sont identiques et dans des proportions très proches. Une donnée distingue la population ayant fait une classe-lecture : la présence, parmi les destinataires, de partenaires. Les contenus des écrits de classe confirment, lorsque l'enseignant a vécu une classe-lecture, cette relation plus nourrie entre la classe et le réel A travers les écrits abordant la vie interne du groupe, de l'école, l'actualité.
- La manière dont les savoirs disciplinaires et les savoirs sociaux sont abordés apparaissent A travers les items "produire, construire et créer" et "se cultiver, s'informer". Ils permettent de distinguer d'une part les populations n'ayant pas fait de classes-lecture, de la population expérimentale. Dans ce dernier groupe en effet, on voit apparaître un équilibre d'une autre nature entre deux items : les écrits qui rendent compte d'une action de production, de création, de construction s'affirment plus nettement aux dépens de l'item "se cultiver, s'informer". On peut y voir la marque du projet A commande sociale porté par les classes-lecture et la prégnance de l'inscription dans le réel d'une action, d'une relation engageante A des partenaires extérieurs, d'une affirmation de la participation de tous, etc.
- Dans les trois groupes représentés, l'activité de théorisation est la plus faible. La population expérimentale se distingue par la présence plus marquée d'écrits porteurs d'une activité réflexive.


Un des effets de la classe-lecture consisterait donc A développer la production d'écrits soutenant une activité intellectuelle susceptible d'analyser, de comprendre, d'interpréter les processus d'apprentissages, l'activité réflexive des élèves. Le rôle, dans les classes-lecture, des phases et des activités de théorisation associées A la conduite des projets ainsi que celles qui accompagnent les temps d'entraînement n'est pas niable.


L'analyse du contenu des 36 entretiens exploités a débuté lors du séminaire de Cahors en juillet 96. Les entretiens ayant été décryptés auparavant, ils ont fait l'objet d'une lecture approfondie par les participants au séminaire. Une thématique en 6 catégories a été repérée. L'une d'elles a fait l'objet d'une exploitation en commun des données recueillies. Le travail en commun a servi d'exercice préparatoire et a permis la rédaction des 6 paragraphes qui figurent dans le document rendant compte de manière complète de la recherche. Ici, on s'est contenté de dégager très sommairement les grandes lignes des entretiens.

Thème n°1 : quels présupposés de la lecture ?
La lecture occupe désormais une place centrale dans la formation des maîtres du 1er degré au point que les représentations sur la formation croisent celles qui portent sur l'acte lexique.
Les entretiens fourmillent d'indications qui en attestent : il faut faire autrement, inventer d'autres dispositifs.
On observe toutefois des différences notables dans la manière de dire les choses d'une catégorie A l'autre. Dans beaucoup d'entretiens conduits auprès d'anciens stagiaires, on pressent que le séjour en classe-lecture a été un temps fort pour approfondir la réflexion sur une organisation de la classe qui donne du sens A l'activité des enfants. Mais on comprend, en même temps, qu'il ne suffit pas de se reconnaître dans la pédagogie de projet et qu'il faut se donner les moyens de la mettre en œuvre. Beaucoup de ces maîtres enfin ont conscience de l'investissement personnel que cela suppose et se disent prêts A y consentir. Ils y posent une condition : bénéficier A leur retour en classe A l'issue du séjour en classe-lecture d'un environnement favorable. Parmi les autres maîtres, n'ayant jamais participé A une classe-lecture, le moyen du changement passe par un surcroît de moyens, par un surcroît de formation, une formation octroyée plus qu'assumée.

Thème n°2 : Les classes-lecture, un modèle idéal de formation ?
Certains mots, expressions ou formules ont acquis ces dernières années un statut particulier. On pourrait dire un destin particulier. Projet, enfant-au-cœur-du-dispositif, pédagogie différenciée, travail par groupes… sont de ceux-lA. Les maîtres interrogés ont eu si largement recours A ces mots qu'il a semblé utile de se demander si ces derniers renvoyaient A des visions idéales de la formation et si oui lesquelles.
La figure quasi héroïque de Freinet plane dans la majorité des discours. Mais nul ne va jusqu'A vouloir "faire du Freinet jusqu'au bout".
Pour ceux qui ont participé A une classe-lecture, la grande affaire, au retour, c'est la gestion des activités dans l'esprit de ce qu'on a vu. Un peu comme pour Freinet, la classe-lecture prend l'allure d'un mythe mais on veut garder son "quant-A-soi" et on voit dans l'isolement traditionnel du maître un obstacle majeur A l'action.
Pour les autres, le besoin de changement n'est pas moins vif mais on prend ses modèles, outre chez les grands ancêtres, dans les pratiques de l'école maternelle ou dans l'idée d'un travail en équipe. Pour tous, le besoin de changement est vif. Le modèle idéal ? Certes pas des recettes. Mais, comme le dit ce maître : "une formation idéale devrait se situer dans les écoles…" Toutes les personnes interrogées, mais de façon encore plus marquée celles qui n'ont pas participé A une classe-lecture, ont une même attente : ce qui les intéresse, c'est la pratique. Lorsqu'on a séjourné en classe-lecture, on a, en plus, l'obligation de consentir A l'effort d'analyse des pratiques.
D'une manière générale, alors que dans la population expérimentale, le discours se fait technicien, il prend un tour plus idéologique au sein du groupe témoin.

Thème n°3 : les maîtres, entre rigidité et mobilité
Le changement dans les pratiques, chez les enseignants qui ne sont pas candidats A une classe-lecture, a, selon leurs propos, deux origines :

- la pratique elle-même ; ils apprennent A faire, en faisant. .
- le temps (toute évolution est nécessairement lente, va de soi, c'est la solution qu'on donne A un problème qui se pose dans la durée). Ce sentiment est plus net encore quand on n'a bénéficié d'aucune formation initiale.
Il ne s'agit pas d'une juxtaposition de raisons mais d'une véritable interaction entre elles. La pratique - dont on ne dira jamais assez ici l'importance qui lui est accordée comme outil de changement - ne prend son sens que lentement (c'est ce qui n'est arrivé que plus tard, deux ou trois ans après), après l'entrée dans la carrière de ce maître qui n'avait pas reçu de formation initiale. Les stages eux-mêmes nécessitent du temps (le stage… une petite graine). Ce n'est pas qu'on récuse les apports théoriques mais on les veut A proximité de la réalité du terrain. Les maîtres qui sont candidats A une classe-lecture mais sont encore en liste d'attente expriment globalement un même point de vue mais ils le font en précisant que le séjour en classe-lecture n'a qu'une visée : améliorer les performances de leurs élèves. Pour eux, parler de formation, c'est parler des enfants. Ils ne s'estiment pas concernés par cet aspect des choses. Ils préfèrent décrire leur propre évolution comme résultant de la pratique, de l'aide des collègues (rôle majeur) de celle des conseillers et inspecteurs, de l'apport des stages (effets différés), de leurs lectures, de l'influence (lointaine) exercée par les mouvements pédagogiques …
Très majoritairement, les maîtres du groupe expérimental se déclarent acquis A cette manière d'organiser la classe : pour eux ce qui se passe en classe-lecture prend valeur exemplaire. Les leviers du changement sont décrits avec précision :
- la mise en application immédiate avec de vrais élèves des modalités d'organisation de la classe-lecture
- les temps de formation qui permettent un retour réflexif sur ces pratiques
- la participation (dans certains centres seulement) de parents comme acteurs pendant le déroulement de la classe
- la diversités des activités proposées (littérature de jeunesse, la production d'écrits, la publication d'un journal)
- la gestion de la classe par les enfants (planification des activités, régulation... )
- l'utilisation d'outils
Pour autant, ces maîtres font l'inventaire des obstacles au changement. Beaucoup de ces obstacles sont identiques A ceux décrits par ailleurs : l'institution, les parents, les moyens…

Thème n°4 : classe-lecture et statut de l'enfant
Les maîtres qui ont fréquenté une classe-lecture pressentent que l'essentiel se joue dans la réponse A cette question. Ils le disent avec des mots forts qui sont ceux de la conviction. De leur côté, les autres maîtres accordent eux aussi une certaine importance, dans leur discours, A la place de l'enfant dans le pacte d'éducation, prolongeant ainsi la formule désormais célèbre contenue dans la loi d'orientation. C'est probablement dans ce domaine que les acquis de la classe-lecture sont le plus A discuter. D'un côté, on constate que beaucoup de maîtres ont acquis une autre opinion de l'enfant et de ses capacités A agir de manière responsable, autre opinion qui les pousse A affirmer, par exemple, ceci : "la classe-lecture m'a aidée A regarder l'enfant… et A ne pas gérer (la classe) par la loi verticale de l'adulte qui tranche". Quand tel est le cas, cette prise en compte nouvelle d'un statut de l'enfant est présentée comme fondamentale, elle a valeur d'engagement. Mais il arrive aussi que, le modèle dominant agissant avec une forte prégnance, les pratiques décrites révèlent que l'essentiel des gages de modernité consentis au cours des entretiens vont au jeu et A l'étude du milieu et beaucoup moins A des productions utiles pour le groupe. Dans ces conditions l'affirmation d'une évolution du statut de l'enfant en direction d'une autonomie renforcée ne peut être entendue, chez beaucoup de maîtres ayant participé A une classe-lecture, que comme l'expression d'un souhait. Au fil des entretiens, on mesure, en effet, A quel point les avancées dans le domaine de la pédagogie de projet restent fragiles.

Thème n°5 : Le projet et la technique
En quoi acquérir des savoir-faire aide-t-il A constituer (ou A renforcer) une identité professionnelle clairement affirmée ? Cette question a conduit A examiner l'articulation entre les intentions globales de l'enseignant (sa vision d'ensemble, l'idée qu'il se fait de sa tâche A la fois dans ses objectifs et dans sa conception de la classe, du statut de l'enfant de son rôle, le poids de l'environnement…) et les moyens qu'il emploie pour y parvenir (ou plus exactement comment il parle des instruments qu'il utilise, comment il les choisit, les construit éventuellement, les fait évoluer…).
Le séjour en classe-lecture a eu pour effet de relancer la plupart des maîtres sur les aspects techniques. A la question "quoi de neuf A votre retour ?", ils répondent majoritairement en énonçant toutes les innovations techniques introduites : la BCD (les livres), l'ordinateur (l'entraînement) et le journal sont les trois fleurons qu'on ramène du stage. Mais pour parler de ces acquis, ils citent abondamment la technique. Ainsi, on ne se contente pas de parler de littérature de jeunesse, on décrit la technique de la présentation de livres en réseau, on ne se contente pas non plus d'annoncer qu'on consacre du temps A la systématisation des apprentissages, on fait référence A ELMO et A la manière de s'en servir… Les mots utilisés pour le dire sont ceux de l'artisan : outil (très présent dans le discours), technique, savoir-faire, instrument, fonctionnement, maniement…
D'un entretien A l'autre, et quel que soit le statut de celui qui parle (ancien stagiaire ou non), on s'intéresse aux aspects matériels et aux questions d'organisation. Mais dans beaucoup d'entretiens conduits avec des maîtres du groupe expérimental, le mot outil vient immédiatement derrière le mot projet comme pour signifier leur articulation. Le recours A la technique ne traduit alors aucune rigidité et l'ensemble du propos décrit une grande détermination A garder le projet comme ligne d'horizon. Ce choix n'exclut pas celui de la rigueur et donc de l'exigence méthodologique : on le voit au savoir accumulé dans le domaine de la bibliothéconomie par exemple. A contrario - et cela est surtout le fait de collègues n'ayant participé A aucune classe-lecture - la foi dans les grandes figures du moment tient lieu de technique. Les maîtres ayant fréquenté une classe-lecture semblent davantage influencés par les aspects techniques (bien que pensés dans une logique de projet) que par l'engagement dans la voie d'une pédagogie résolument tournée vers la production.

Thème n°6 : Les sources de l'inspiration
Pour tous les maîtres interrogés, la place jouée par le terrain est considérable. Il arrive très souvent que des propos élogieux sur l'IUFM ("LA, c'est vrai que j'ai beaucoup appris…") servent d'introduction A l'affirmation du rôle majeur joué par le terrain ("j'ai beaucoup appris parce que je suis venue dans cette école et j'étais remplaçante de maître d'application…"). On attendait qu'une place importante fût faite A la formation continue. Il n'en est rien. La raison avancée est généralement celle-ci : "les professeurs d'E.N. n'avaient aucune expérience de ce qui se passait en fait A l'école… ils ne connaissaient pas l'école.".. Au total, formation initiale et formation continue confondues, le jugement sur l'EN ou sur l'IUFM n'est pas absolument négatif : on reconnaît A l'institution un rôle dans l'ouverture d'esprit. En revanche, le lien avec le milieu professionnel est jugé nettement insuffisant.
Et l'université ? Elle est citée dans 20 % des cas. Le plus souvent, il s'agit de poursuite d'études supérieures mais comme elles sont généralement conduites dans le domaine des sciences de l'éducation, les retombées dans la pratique pédagogique sont jugées appréciables : "j'ai eu des apports théoriques que j'ai pu croiser avec ce que je faisais régulièrement dans ma classe".
Les autres sources de l'inspiration sont, dans l'ordre d'importance, les mouvements pédagogiques (le plus souvent cités par les maîtres ayant participé A une classe-lecture), les inspecteurs et conseillers pédagogiques, et enfin "les têtes d'affiche". Freinet, on l'a vu plus haut, occupe la toute première place dans le palmarès. Le modèle est irrécusable… mais il reste quasiment inaccessible. D'autres noms sont cités. Pour n'en oublier aucun ici, on se contentera d'indiquer que la liste est chargée et qu'elle est constituée d'auteurs dont quelques uns sont considérés comme des praticiens.
La valeur sûre "c'est le terrain". Pour le coup, il devient important de se demander comment les maîtres qui ont fréquenté une classe-lecture parlent de leur séjour et de son éventuelle influence sur les pratiques. Peu importent les mots utilisés pour le faire (tournant, virage, changement…), douze entretiens sur quinze font explicitement référence au séjour comme d'un moment important voire décisif. On en a retiré non seulement des "idées", mais l'occasion "d'aborder les textes d'une autre façon", "d'utiliser davantage les livres de bibliothèque", d'assurer "l'autonomie des élèves", et surtout de regarder "autrement les enfants". Plus important encore, l'apport des classe-lecture semble se situer au plan des projets. Désormais la classe n'est plus vécue comme une succession de leçons mais comme une série d'activités articulées autour d'un même axe et la lecture prend tout son sens comme outil de pensée et de communication. Enfin, et ce n'est pas le moindre acquis, pour les maîtres concernés, le fait le plus notable, c'est l'amélioration effective de leurs compétences. Ils accèdent A davantage de maîtrise. Ils deviennent plus professionnels.

Les maîtres de cet échantillon (du groupe témoin et du groupe expérimental) défendent massivement l'idée selon laquelle une formation réussie, c'est une formation qui fait toute sa place A la pratique. De manière plus spécifique : · les enseignants qui se sont impliqués dans les classes-lecture sont, en général, ceux qui avaient bénéficié d'une formation initiale et qui l'ont poursuivie par des cursus de type universitaire ou des lectures multiples. Leur participation A une classe-lecture (qui s'explique probablement par un accord préalable avec les présupposés de son organisation) renforce leur adhésion au modèle d'une formation en situation professionnelle en leur fournissant des réponses techniques qui donnent davantage de consistance A leurs pratiques pédagogiques sans pour autant que des avancées significatives aient été réalisées en direction d'une pédagogie de projet · les enseignants du groupe témoin (par manque de formation initiale ?) semblent moins portés A la lecture d'ouvrages théoriques. Ils s'appuient beaucoup sur les pratiques professionnelles de leurs pairs dans un système d'échange de pratiques très développé au sein de leur école, en dehors des contraintes institutionnelles, dans le prolongement de leur histoire individuelle. A

(*) Pour plus de détails, lire Une recherche en cours, J.Pierre Benichou, A.L. n°57, mars 97, pp. 28-31. (**) A partir des réponses de enseignants A un questionnaire d'identité et d'opinion utilisé dans le cadre d'une recherche INRP conduite en 1983, sur les BCD, 35 enseignants ont été désignés comme étant représentatifs de cette population et ont constitué la "population expérimentale".
Jean-Pierre BENICHOU & Nathalie BOIS