La revue de l'AFL
Les
actes de lecture n°64
décembre 1998
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note de lecture
Illettrisme : de l'enjeu social A l'enjeu citoyen.
GPLI. Coordination Christiane EL HAYEK
La Documentation Française. Coll. : En toutes lettres. 1998
Composé d'une quarantaine de contributions, ce livre fait le
point sur l'évolution des politiques et des pratiques de lutte
contre l'illettrisme en France de 1984, année où le
gouvernement prend acte de l'existence de l'illettrisme, A 1998
date de la 2ème université d'été
organisée par le GPLI. C'est dire si ce livre est une
"mosaïque", pour reprendre le terme employé par
Véronique Espérandieu, secrétaire
générale du GPLI, dans sa préface. Car,
rappelle-t-elle, pendant cette période, la mobilisation s'est
heurtée A une mosaïque de définitions du
phénomène, de publics concernés, d'attentes des
acteurs, de politiques officielles, d'organismes de prises en charge,
d'actions et de pratiques sur le terrain...
Dans
un premier texte. Anne Vivérier, responsable de l'AFFIC, un
organisme de formation de formateurs, rappelle sur un ton quelque peu
désabusé les différentes phases par lesquelles est
passée la lutte contre l'illettrisme : l'action militante des
premiers temps, la dissimulation puis la reconnaissance officielles,
l'intense mais éphémère médiatisation,
l'augmentation et la professionnalisation des acteurs dans le cadre des
financements des politiques gouvernementales de traitement social du
chômage, la réduction des crédits et la
précarisation des organismes et de leurs salariés... Le
défi reste A relever, pense Anne Vivérier, ce qui
ne laisse pas d'étonner après tant d'années. "Un cap est A franchir" et "ça passera ou ça cassera"
écrit-elle. Ca passera A condition qu'on ne renouvelle
pas indéfiniment la phase de sensibilisation (en effet,
après 15 ans !), qu'on introduise une cohérence dans
cette diversité de stages et d'actions dispersées, qu'on
ne réduise pas la lutte contre l'illettrisme au traitement du
chômage qui en évince les dimensions culturelles et
citoyennes, qu'on simplifie et augmente les financements.
Il n'est pas question ici de présenter l'ensemble des
contributions. Contentons-nous de dire qu'elles illustrent,
involontairement en quelque sorte, ce que signalent Véronique
Espérandieu et Anne Vivérier dans les deux premiers
textes qui sont donnés A lire. A savoir, une grande
diversité des points de vue dans une première partie qui
se propose d' "interroger les visées et les modèles",
diversité des dispositifs et des programmes d'actions dans les
chapitres suivants. Au niveau des moyens et des compétences, du
rôle des institutions telles que les bibliothèques ou
l'Education nationale, quelques témoignages font état
d'ébauches encore timides de partenariats, de politiques
concertées, d'insertions des actions dans le cadre plus large de
politiques de développement local. On mesure aussi A la
lecture des chapitres présentant les outils
élaborés ici ou lA et les méthodes mises en
œuvre, les difficultés auxquelles se heurte une
pédagogie de la lecture et de l'écriture destinée,
dans le cadre de stages toujours trop courts, A des adolescents
et des adultes échoués scolaires pour qui il n'est pas
question de reconduire les schémas pédagogiques
classiques et de "recommencer comme A l'école". Gestion
mentale, méthode naturelle, remédiation cognitive,
ateliers de raisonnement logique, atelier Ecler (1), démarche
Dialogue, etc.. Mosaïque, lA aussi ! Difficultés de
la tâche et efforts méritoires dans des conditions peu
favorables, certes, mais aussi règne de l'empirisme, des effets
de mode, sans réel bilan ni validation alors qu'il y faudrait
réflexion, formation, concertation, partenariat,
répartition des tâches, continuité.
Conséquences des désaccords sur la définition de
l'illettrisme, de ses causes et de ses effets, et reflets des querelles
d'écoles. On ne remédie pas A la même chose
et de la même manière selon qu'on "médicalise" en
insistant sur les divers handicaps - causes ou effets, peu importe -
dont seraient affectés les illettrés ou qu'on a une
approche socio-politique faisant de l'illettrisme un problème
autrement plus vaste.
Ce
livre, qui se veut tableau d'ensemble, nous semble refléter ce
qui a caractérisé la lutte contre l'illettrisme : une
absence de doctrine et de projet homogènes qui auraient permis
de mobiliser acteurs et moyens dans une stratégie claire. En
d'autres termes, d'un projet politique plus qu'humanitaire, assez
incompatible avec celui qu'imposent les règles du Grand
Marché. Aussi bien la militance revendicative des "pionniers"
que les préoccupations économiques liées A
l'emploi qui l'ont suivie étaient semblablement inspirées
par une représentation du fonctionnement social bien dans l'air
du temps qui substituait A l'analyse des rapports de classes le
thème consensuel de l'exclusion. En outre, l'illettrisme n'est
plus A l'évidence une préoccupation prioritaire
des responsables et dans l'opinion (qu'en est-il, par exemple, du
programme présenté en 1996 par Pierre Lequiller,
Président du GPLI (2), malgré les engagements du candidat
Chirac ?) parce qu'on ne croit plus aux possibilités d'insertion
dans le monde du travail grâce A une "requalification"
alors que des "jeunes diplômés" sont au chômage. Le
souhait exprimé en filigrane dans ce livre d'une "action globale
et cohérente" ayant pour but non plus de strictes
compétences professionnelles mais une autonomie d'accès
au savoir et que crédibiliserait une "approche culturelle et citoyenne"
gagnerait A être précisé tant les termes, et
notamment celui de citoyenneté, nous paraissent
galvaudés. Et puis, faute de volonté politique locale et
A l'échelon national... A
(1) L'atelier ECLER. Noël Ferrand. A.L. n°48, déc.94, p.24.
(2) Voir A.L. 54, juin 96, p.53.