La revue de l'AFL
Les
actes de lecture n°64
décembre 1998
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Lire au cycle 2
Des textes et des enseignants
Incarner l'activité de lecture dans des traces, nouveaux matériaux de travail
Les textes proposés aux élèves dans les classes
sont actuellement et très massivement issus de la
littérature de jeunesse. De la maternelle au CM2, ils ont fait
leur entrée dans toutes les classes. La question A
l'ordre du jour n'est plus tant quels écrits que comment faire
avec ces écrits.
Comment faire pour les utiliser, les explorer sans trop les exploiter,
les faire entrer dans l'école sans trop les scolariser ? Comment
faire pour que cette littérature qui semblait réconcilier
bon nombre d'élèves avec la lecture A
l'école, n'écarte, par un effet inverse, ceux pour qui
l'école n'est pas un lieu de réussite.
Suivez les modes…
En fait, il y a encore une quinzaine d'années, seuls des
enseignants marginaux utilisaient des ouvrages de littérature de
jeunesse comme supports d'apprentissage dans leur classe. Ce sont les
romans qui ont d'abord fait leur entrée par séries
entières, en particulier dans les "grandes" classes où
l'on "étudiait", en lecture suivie, un roman dans son
intégralité. L'objectif prioritaire de l'enseignant
était de permettre aux élèves de lire " A
leur vitesse " un récit qui ne pouvait pas manquer de leur
plaire, soit parce qu'il était choisi en liaison avec les
projets de la classe, soit parce qu'il comportait certains
ingrédients qui plaisent aux enfants (humour, action…).
Ces choix ont souvent été relayés par les
bibliothèques municipales qui ont acheté des ouvrages en
multiples exemplaires A prêter aux écoles. Dans
certaines classes, on a ensuite abandonné le roman unique au
profit de 3 ou 4 ouvrages différents qui, en plus de tenir
compte des goûts divers des élèves, prenaient en
compte leurs compétences de lecteur.
Les enseignants qui s'essayaient A ces pratiques rendaient
compte A la fois du fort engouement des enfants qui prenaient
plaisir A lire et qui lisaient plus qu'auparavant, mais aussi de
leur grande inquiétude… On était passé du
"tout bruit", chaque enfant lisant A tour de rôle un
passage d'un court texte, au "tout silence", chaque enfant dans son
coin, le nez dans son livre. Dès lors, toute la question pour le
maître était d'évaluer ce que les
élèves savaient, ce qu'ils comprenaient de leur lecture
et même s'ils lisaient !
Après l'ère du "tout équipé"
Alors, Eurêka… on a trouvé, on a
équipé les romans, chapitre après chapitre, de
questionnaires. Dans le meilleur des cas, les enseignants soucieux ont
réfléchi A ces questionnaires, ils ont
veillé A proposer des questions très ouvertes et
des questions fermées, concernant la globalité du texte
ou des points de détail, portant sur l'explicite ou l'implicite
du texte… Mais, plus généralement, on a
proposé des questionnaires passe-partout, A choix
multiples, composés de dix questions, facilement
corrigées, facilement notées… L'avancée
dans le roman ne se faisait plus au rythme de la lecture mais au rythme
de l'écriture, d'une écriture qui n'était que la
réponse A des questions que le maître posait aux
élèves qui eux-mêmes n'avaient pas le loisir de
s'en poser. D'ailleurs, du livre on ne parlait guère puisque
chacun naviguait seul dans son coin, que souvent on pouvait même
s'auto-corriger… c'était, sur l'emploi du temps, le
moment de la "lecture silencieuse". Des éditeurs se sont
engouffrés dans ce créneau proposant des livres tout
"équipés", ce qui fait que le choix des enseignants s'est
davantage porté sur l'outil que sur le choix des textes…
Dès lors certains élèves se sont mis A
délaisser livres et fichiers, trouvant la tâche de
production trop fastidieuse.
On a focalisé sur les objets A lire et sur leur contenu,
on a multiplié les questions disparates sur les textes au
détriment des textes comme objets d'étude. On a
oublié de rechercher avec les élèves en quoi le
fonctionnement de la langue écrite pouvait permettre A un
auteur de faire passer un message plutôt qu'un autre, de
percevoir comment, sous les mots, se lisent des intentions et comment
les intentions se mettent en mots.
Mais, parallèlement A ces activités scolaires dans
les classes, des réflexions nombreuses sur la littérature
de jeunesse se menaient, en particulier parmi les équipes
désireuses d'installer une B.C.D. dans leur école. On a
lu, on s'est informé, les stages de formation se sont
multipliés, et, nombreux sont les enseignants qui, actuellement,
ont une bonne connaissance de la littérature de jeunesse et sont
en mesure de mettre en réseau des textes. Des actions se sont
engagées dans les B.C.D., dans ce lieu qui n'est pas la classe,
lA où papier et crayon sont souvent absents, où
l'on s'autorise A installer des complicités entre les
textes et les lecteurs, où l'on donne A entendre ses
impressions, ses préférences, où l'on
échange livres et points de vue, où le bouche A
oreille fonctionne. Actuellement, un certain nombre d'enseignants, dans
certaines écoles, organisent très
régulièrement, des comités de lecture, des
débats, font des présentations, veillent A
établir des liens, font résonner les textes, se lancent
des défis, bref font vivre les livres mais surtout permettent
A leurs élèves de développer leur sens
critique en leur proposant d'argumenter sur les idées mais aussi
sur des faits de langue, afin de dépasser le "j'aime, j'aime
pas". Ils sont encore trop peu nombreux.
Apprendre A enseigner la lecture littéraire des textes (*)
Que faire de ces échanges pour qu'ils ne restent pas dans le
champ de l'éphémère ? Quelles traces en garder,
traces qui seraient la mémoire d'un moment, mais aussi le
matériau sur lequel on pourrait revenir, qui pourrait faire
l'objet de nouvelles explorations. Si certains enseignants ont ce souci
de la trace écrite, c'est le plus souvent pour répondre
A un objectif du type "écrire pour communiquer", entendre
une voix, un point de vue, pour faire comprendre et partager. C'est
ainsi que sont écrites et diffusées des critiques de
livres dans les journaux d'école, c'est ainsi que sont
affichés sous les préaux des coups de cœur pour des
ouvrages, que des expositions sont organisées pour donner
A voir ce qui a été lu.
Un large consensus existe sur les objets A lire, le choix des
enseignants se porte résolument sur la littérature de
jeunesse parce qu'ils ont pris le temps d'en explorer le fonds, d'en
analyser les qualités. Ils sont massivement d'accord su le fait
que c'est dans les textes, les "bons" textes, ceux qui ménagent
des ouvertures vers d'autres lieux, d'autres cultures, ceux qui ouvrent
A des réflexions sur soi et sur les autres, que les
élèves auront le maximum de chances d'apprendre. Il est
A noter que la quasi totalité des manuels, aujourd'hui
sur le marché, font la part belle aux textes d'auteurs dans leur
intégralité ce qui est très
révélateur de la demande.
Il reste A repenser le rôle de l'enseignant : l'enfant
apprend soit, mais l'enseignant lui, que doit-il enseigner ? Quelles
situations doit-il mettre en place pour permettre A
l'élève de comprendre le fonctionnement de la langue
écrite ? On a misé sur le choix des textes, ceux dont on
a A dire et A apprendre, mais que peut faire l'enseignant
de ces écrits ? Quelle part doit-il accorder aux temps de
rencontres, de découvertes, d'échanges ? Quel travail
peut-il proposer pour aider A la formalisation ? Quelle place
doit-il accorder A l'entraînement, A la technique ?
De nombreuses questions qui reviennent et sur lesquelles il faut
avancer…
On a permis aux élèves de se plonger avec délice
dans la littérature de jeunesse, il faut maintenant intensifier
notre réflexion concernant l'usage que l'on peut en faire en
classe pour permettre aux élèves de se construire de
vraies connaissances en matière de langue écrite sans en
dénaturer la saveur. A
(*) Pour une lecture littéraire du littéraire A l'école, Catherine Tauveron in Lire des textes littéraires au cycle 3,
CRDP Auvergne, 1998. - (Coll. Documents, actes et rapports)