Lire au cycle 2
Nouveaux enseignants de la voie directe
Une nouvelle recherche INRP/AFL commence. Elle a pour titre : Les usages experts de l'écrit au cycle II
et repose sur une problématique de transfert et de
généralisation des conditions d'un apprentissage de
l'écrit au cycle 2 élaboré par des enseignants et
des chercheurs depuis 1972 et l'expérimentation sur
l'organisation générale de l'école. Réunis
en université d'été, de nouveaux enseignants ont
fait leur entrée dans la recherche-action et ont
été A la rencontre de pratiques constitutives de
la voie directe.
Au terme de cette rencontre, les bilans ont fait l'objet d'une analyse lexicale. Manière d'éclairer les
positions actuelles d'enseignants sur la recherche-action et l'apprentissage par la voie directe.
Cette analyse est limitée A une investigation globale
dans le lexique comme s'il provenait d'un auteur unique, le groupe des
participants de l'université d'été, A
l'exclusion des membres de la recherche précédente.
Rappelons que la consigne d'écriture de ces bilans était
: "A l'issue de l'université d'été, faites état de
ce qui, au plan pédagogique, vous semble la caractériser positivement et négativement."
L'ensemble de la soixantaine de textes produits représente
environ 8 400 mots, donc des textes individuels brefs, en moyenne 140
mots, de quoi aller A l'essentiel… En retirant les mots
outils, il reste environ 4 500 mots dont 1 230 différents, soit
une apparition moyenne de 3.6 occurrences. Sachant que le plus
fréquent est répété 83 fois (le nom pratique), que 81 mots sont
répétés au moins 10 fois, on ne s'étonnera
pas du nombre important de mots qui n'ont qu'une occurrence, donc qui
caractérisent la seule personne qui les a employés. On
voit ainsi qu'on pourrait identifier les participants A partir
du ou des mots qu'ils sont les seuls A avoir utilisés et
étudier alors quels emplois sont associés aux diverses
variables (ancienneté, formation, type d'école et de
classe, fonctionnement de l'équipe, pratiques
pédagogiques antérieures, etc.) décrivant par
ailleurs les stagiaires. Inversement, les participants pourraient
être décrits par les mots très fréquents
dans l'ensemble et dont l'absence ou la présence seraient
estimées significatives, etc.
L'observation globale du lexique donne d'autres informations, cette
fois sur le groupe de stagiaires considéré ici dans son
homogénéité. On ne s'étonnera pas que les
champs analogiques (1) les plus activés regroupent, au-delA
de ceux très contextuels d'enseignement et d'université, les mots activant les idées de permettre
(l'émergence d'une nouvelle pratique pédagogique ne
demande maintenant qu'A trouver son terrain d'application pour
se construire), de temps (nous ne savons pas où nous allons, ce que l'on sait c'est que le voyage va durer au moins 3 ans et que nous
agirons tous pour chercher), de changer
(s'engager A faire évoluer sa pratique pédagogique
en s'associant A une ré flexion collective), de réalité (il n'existe pas de bonne théorie sans pratique et pas de bonne pratique sans théorie),
d'utile (je prends ce stage comme une étape nécessaire A l'exercice de ma profession), de connaissance (j'ai découvert
aussi que la recherche-action n'avait rien A voir avec une simple application de théorie en laboratoire), de donner
(ce stage a largement rempli mes espoirs en m'apportant quelques
réponses mais surtout en m'ouvrant A de nouvelles
pratiques), de commencer (poursuivre mon travail de
compréhension de ce qui est pour moi une nouvelle conception de
l'enseignement de la lecture, d'un nouveau statut accordé
A l'écrit et du dispositif pédagogique qui peut en
découler), d'estimer (cette recherche a le mérite incomparable de mettre l'enseignante que je suis en situation de recherche),
de métier (mise A disposition d'outils performants), de fonction (l'ambiance générale dans l'écoute et la communication
a enrichi ma vision du travail en équipe, ce qui me paraît essentiel dans mon métier).
Tous ces champs renvoient bien A l'axe d'une action de formation
préparant A une recherche-action dont l'objectif est de
changer la réalité d'une pratique professionnelle. Mais
ce qui peut étonner, c'est qu'ils activent la
problématique générale d'un changement de
l'organisation générale d'un mode de fonctionnement
professionnel et pas le domaine de ces changements, en l'occurrence ici
le rapport A l'écrit et la lecture dans l'apprentissage
de ses techniques ou la rencontre de ses contenus (notamment
littéraires), comme si tout cela n'était qu'un
prétexte. Ce que nous signalons ici est un fait massivement
significatif et pas du tout une légère tendance ou une
impression vague. On peut ensuite chercher des explications dont la
fragilité ne doit pas amoindrir le constat proprement dit. Pour
notre part, nous ébaucherons une hypothèse sans
l'argumenter : il existe une cohérence très forte entre
une organisation de classe et le déroulement des enseignements
qui y sont donnés ; contrairement A ce qu'on imagine,
dans un contexte scolaire donné, il n'y a pas tellement de choix
pédagogiques ; et donc l'intention d'aborder la lecture, par
exemple, comme un apprentissage linguistique se heurte A la
transformation du contexte de l'apprentissage, en terme de cycles,
d'hétérogénéité,
d'individualisation, de travail de groupe, de fonctionnement de
services généraux (tels que la BCD), de statut de
l'enfant, de projets de production, etc. En bref, l'organisation
traditionnelle de l'école est bien faite pour
alphabétiser ; penser en terme de lecturisation, c'est mettre en
question cette organisation traditionnelle et penser A une autre
école et non A la même qui aurait choisi de faire
autre chose. Ainsi, peut-on considérer comme un critère
positif d'évaluation de l'université d'été
A partir d'une analyse de discours (2) le fait que le lexique relève des champs analogiques propres A la transformation de l'organisation
générale de l'école plutôt que de ceux de la pédagogie de la lecture.
Nous ne commenterons pas la liste des mots les plus fréquents
présents dans ces bilans. Nous présentons les 36 premiers
(sur les 1 230 mots différents recensés) dans l'ordre
décroissant de 83 A 13 occurrences : pratique,
recherche (ou recherche-action), université (ou université d'été), permettre, lecture, réflexion, faire, travail,
pouvoir (en tant que verbe), pédagogique,
stage, apprentissage, nouveau, temps, écrit, question,
théorique, classe, démarche, groupe, apport, entrer,
échange, voie directe, pratiquer, théorie, enseignant,
phase, mise en place, enfant, organisation. On voit combien A partir de ces mots
les plus fréquents, il est facile de proposer un
résumé probable des bilans : cette université
d'été est une phase d'une recherche action qui permet un
échange entre théorie et pratique portant sur
l'organisation de la classe afin de mettre en place l'apprentissage de
la lecture par la voie directe, etc.
Pour terminer, nous regarderons ce qu'apporte une investigation du
côté des cooccurrences de certains mots. La
démarche consiste A rechercher quels mots sont
présents dans les phrases où un mot particulier est
employé. Par exemple, quels sont les mots qui se retrouvent le
plus fréquemment dans les phrases où l'expression la voie directe est présente ? On
constate que les mots les plus fréquents sont, dans l'ordre : lecture, apprentissage, permettre, écrit, université
d'été, approche, différent, recherche.
Mais certains de ces mots sont aussi les mots les plus fréquents
du lexique général des bilans et il n'est donc pas
étonnant (significatif) qu'ils se retrouvent aussi dans les
phrases où l'expression la voie directe
est présente. Finalement, si on retire ces mots les plus
fréquents d'une manière générale, ne
restent comme spécifiques A ces phrases les 2 mots approche et différent
qui vont d'ailleurs sans doute ensemble et témoignent de ce que
les stagiaires ressentent l'apprentissage de l'écrit par la voie
directe qui a été présentée A cette
université d'été comme une approche différente. Ce qui attirera de notre part peu de commentaires !
Une seule exploration de ces cooccurrences se révèle assez fructueuse, celle qui concerne l'emploi du mot apprentissage.
On lui retrouve en effet fréquemment associés des mots par ailleurs moins fréquents tels que : linguistique, voie directe,
système d'écriture (du) français, aspect, façon, lire, nouveau, découvrir, approfondir, interrogation, comment,
etc. Donc un environnement varié de mots spécifiques dont
on voit bien qu'ils dessinent un programme de travail que les
participants se donnent dans une vraie perspective de recherche, faite
de plus de questions que de certitudes. Ce qui pour une conclusion
d'université d'été est un bon point de
départ… A
(1) Ce traitement a été fait avec le logiciel Analyse de textes qui prend notamment appui sur le dictionnaire analogique du Robert.
(2) qui cherche A objectiver ce qui
est dit A partir des formes utilisées (lexique, types de
phrases, etc.) plutôt qu'A analyser le contenu.