La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°64  décembre 1998

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Lire au cycle 2
Nouveaux enseignants de la voie directe


Une nouvelle recherche INRP/AFL commence. Elle a pour titre : Les usages experts de l'écrit au cycle II et repose sur une problématique de transfert et de généralisation des conditions d'un apprentissage de l'écrit au cycle 2 élaboré par des enseignants et des chercheurs depuis 1972 et l'expérimentation sur l'organisation générale de l'école. Réunis en université d'été, de nouveaux enseignants ont fait leur entrée dans la recherche-action et ont été A la rencontre de pratiques constitutives de la voie directe.

Au terme de cette rencontre, les bilans ont fait l'objet d'une analyse lexicale. Manière d'éclairer les positions actuelles d'enseignants sur la recherche-action et l'apprentissage par la voie directe.
Cette analyse est limitée A une investigation globale dans le lexique comme s'il provenait d'un auteur unique, le groupe des participants de l'université d'été, A l'exclusion des membres de la recherche précédente. Rappelons que la consigne d'écriture de ces bilans était : "A l'issue de l'université d'été, faites état de ce qui, au plan pédagogique, vous semble la caractériser positivement et négativement."

L'ensemble de la soixantaine de textes produits représente environ 8 400 mots, donc des textes individuels brefs, en moyenne 140 mots, de quoi aller A l'essentiel… En retirant les mots outils, il reste environ 4 500 mots dont 1 230 différents, soit une apparition moyenne de 3.6 occurrences. Sachant que le plus fréquent est répété 83 fois (le nom pratique), que 81 mots sont répétés au moins 10 fois, on ne s'étonnera pas du nombre important de mots qui n'ont qu'une occurrence, donc qui caractérisent la seule personne qui les a employés. On voit ainsi qu'on pourrait identifier les participants A partir du ou des mots qu'ils sont les seuls A avoir utilisés et étudier alors quels emplois sont associés aux diverses variables (ancienneté, formation, type d'école et de classe, fonctionnement de l'équipe, pratiques pédagogiques antérieures, etc.) décrivant par ailleurs les stagiaires. Inversement, les participants pourraient être décrits par les mots très fréquents dans l'ensemble et dont l'absence ou la présence seraient estimées significatives, etc.

L'observation globale du lexique donne d'autres informations, cette fois sur le groupe de stagiaires considéré ici dans son homogénéité. On ne s'étonnera pas que les champs analogiques (1) les plus activés regroupent, au-delA de ceux très contextuels d'enseignement et d'université, les mots activant les idées de permettre (l'émergence d'une nouvelle pratique pédagogique ne demande maintenant qu'A trouver son terrain d'application pour se construire), de temps (nous ne savons pas où nous allons, ce que l'on sait c'est que le voyage va durer au moins 3 ans et que nous agirons tous pour chercher), de changer (s'engager A faire évoluer sa pratique pédagogique en s'associant A une ré flexion collective), de réalité (il n'existe pas de bonne théorie sans pratique et pas de bonne pratique sans théorie), d'utile (je prends ce stage comme une étape nécessaire A l'exercice de ma profession), de connaissance (j'ai découvert aussi que la recherche-action n'avait rien A voir avec une simple application de théorie en laboratoire), de donner (ce stage a largement rempli mes espoirs en m'apportant quelques réponses mais surtout en m'ouvrant A de nouvelles pratiques), de commencer (poursuivre mon travail de compréhension de ce qui est pour moi une nouvelle conception de l'enseignement de la lecture, d'un nouveau statut accordé A l'écrit et du dispositif pédagogique qui peut en découler), d'estimer (cette recherche a le mérite incomparable de mettre l'enseignante que je suis en situation de recherche), de métier (mise A disposition d'outils performants), de fonction (l'ambiance générale dans l'écoute et la communication a enrichi ma vision du travail en équipe, ce qui me paraît essentiel dans mon métier).

Tous ces champs renvoient bien A l'axe d'une action de formation préparant A une recherche-action dont l'objectif est de changer la réalité d'une pratique professionnelle. Mais ce qui peut étonner, c'est qu'ils activent la problématique générale d'un changement de l'organisation générale d'un mode de fonctionnement professionnel et pas le domaine de ces changements, en l'occurrence ici le rapport A l'écrit et la lecture dans l'apprentissage de ses techniques ou la rencontre de ses contenus (notamment littéraires), comme si tout cela n'était qu'un prétexte. Ce que nous signalons ici est un fait massivement significatif et pas du tout une légère tendance ou une impression vague. On peut ensuite chercher des explications dont la fragilité ne doit pas amoindrir le constat proprement dit. Pour notre part, nous ébaucherons une hypothèse sans l'argumenter : il existe une cohérence très forte entre une organisation de classe et le déroulement des enseignements qui y sont donnés ; contrairement A ce qu'on imagine, dans un contexte scolaire donné, il n'y a pas tellement de choix pédagogiques ; et donc l'intention d'aborder la lecture, par exemple, comme un apprentissage linguistique se heurte A la transformation du contexte de l'apprentissage, en terme de cycles, d'hétérogénéité, d'individualisation, de travail de groupe, de fonctionnement de services généraux (tels que la BCD), de statut de l'enfant, de projets de production, etc. En bref, l'organisation traditionnelle de l'école est bien faite pour alphabétiser ; penser en terme de lecturisation, c'est mettre en question cette organisation traditionnelle et penser A une autre école et non A la même qui aurait choisi de faire autre chose. Ainsi, peut-on considérer comme un critère positif d'évaluation de l'université d'été A partir d'une analyse de discours (2) le fait que le lexique relève des champs analogiques propres A la transformation de l'organisation générale de l'école plutôt que de ceux de la pédagogie de la lecture.

Nous ne commenterons pas la liste des mots les plus fréquents présents dans ces bilans. Nous présentons les 36 premiers (sur les 1 230 mots différents recensés) dans l'ordre décroissant de 83 A 13 occurrences : pratique, recherche (ou recherche-action), université (ou université d'été), permettre, lecture, réflexion, faire, travail, pouvoir (en tant que verbe), pédagogique, stage, apprentissage, nouveau, temps, écrit, question, théorique, classe, démarche, groupe, apport, entrer, échange, voie directe, pratiquer, théorie, enseignant, phase, mise en place, enfant, organisation. On voit combien A partir de ces mots les plus fréquents, il est facile de proposer un résumé probable des bilans : cette université d'été est une phase d'une recherche action qui permet un échange entre théorie et pratique portant sur l'organisation de la classe afin de mettre en place l'apprentissage de la lecture par la voie directe, etc.

Pour terminer, nous regarderons ce qu'apporte une investigation du côté des cooccurrences de certains mots. La démarche consiste A rechercher quels mots sont présents dans les phrases où un mot particulier est employé. Par exemple, quels sont les mots qui se retrouvent le plus fréquemment dans les phrases où l'expression la voie directe est présente ? On constate que les mots les plus fréquents sont, dans l'ordre : lecture, apprentissage, permettre, écrit, université d'été, approche, différent, recherche. Mais certains de ces mots sont aussi les mots les plus fréquents du lexique général des bilans et il n'est donc pas étonnant (significatif) qu'ils se retrouvent aussi dans les phrases où l'expression la voie directe est présente. Finalement, si on retire ces mots les plus fréquents d'une manière générale, ne restent comme spécifiques A ces phrases les 2 mots approche et différent qui vont d'ailleurs sans doute ensemble et témoignent de ce que les stagiaires ressentent l'apprentissage de l'écrit par la voie directe qui a été présentée A cette université d'été comme une approche différente. Ce qui attirera de notre part peu de commentaires !

Une seule exploration de ces cooccurrences se révèle assez fructueuse, celle qui concerne l'emploi du mot apprentissage. On lui retrouve en effet fréquemment associés des mots par ailleurs moins fréquents tels que : linguistique, voie directe, système d'écriture (du) français, aspect, façon, lire, nouveau, découvrir, approfondir, interrogation, comment, etc. Donc un environnement varié de mots spécifiques dont on voit bien qu'ils dessinent un programme de travail que les participants se donnent dans une vraie perspective de recherche, faite de plus de questions que de certitudes. Ce qui pour une conclusion d'université d'été est un bon point de départ… A


(1) Ce traitement a été fait avec le logiciel Analyse de textes qui prend notamment appui sur le dictionnaire analogique du Robert.

(2) qui cherche A objectiver ce qui est dit A partir des formes utilisées (lexique, types de phrases, etc.) plutôt qu'A analyser le contenu.

Denis et Jean Foucambert