La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°65  mars 1999

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L'autodicdactie 

Rappeler sans cesse, comme nous le faisons, l'importance de la lecture et la nécessité de lui donner priorité, ce n'est pas prêcher pour notre paroisse, c'est dire que le fait de lire vite et bien est la condition de l'autodidactie elle-même indispensable dans toute action de formation, qu'elle soit initiale ou continue. Mais il semblerait que l'autodidactie (l'autodidaxie ? quelle orthographe donner A ce néologisme ?) n'ait pas bonne presse et son absence après autodidacte dans les dictionnaires de la langue française - pourtant bien pourvue en mots dotés du préfixe " auto " - en serait un signe.

Pourtant, on peut tenir pour assuré qu'aucune institution, qu'aucun organisme, ne pourra jamais accorder le temps et l'argent nécessaires A des actions de formation continue et professionnelle conçues comme des périodes d'enseignement magistral et de dispensiation de savoirs. De lA, des stages toujours estimés trop courts. Et l'obligation, pour les formateurs, de donner au début ou en fin de stage les classiques bibliographies... de convier les stagiaires, faute d'avoir le temps de les informer totalement, A s'informer eux-mêmes... A recourir A l'autodidactie...

Et faudrait-il la déplorer, cette obligation de donner A lire si une lecture efficace était le lot de chacun ? Ne pourrait-on imaginer les temps de formation autrement que comme des successions de plages horaires consacrées A l'exposé et A la diffusion d'informations qu'on sait par ailleurs contenues dans des livres, facilement et plus rapidement accessibles ? Libérés de cette contrainte, les formateurs pourraient alors avoir un autre rôle et leur temps en présence des stagiaires prendre une autre forme. Paradoxalement, confier A la lecture personnelle une part plus importante dans l'information des " formés " contribuerait A rendre la formation moins livresque. Du temps serait en effet disponible pour la découverte approfondie des réalités techniques, institutionnelles, sociales et politiques du monde du travail, constitutive de toute nouvelle qualification. Disponible pour des activités de production - dont on sait aussi l'importance pour la formation intellectuelle - permettant l'acquisition et la systématisation de savoir-faire, de pratiques ou de gestes professionnels. Disponible pour des séances d'explicitations, d'échanges, de réflexion et de théorisation et pour une assistance individualisée, en un mot pour un enseignement conçu alors comme l'ensemble des aides extérieures nécessaires A tout apprentissage et donc A l'autodidactie.

Et ceci ne vaut pas que pour les adultes. Si tout n'est pas dans les livres, ne pas dire et répéter ce qui est dans les livres mais aider A le lire (avec tout ce que suppose ce terme d'" aide ") devrait éviter que les heures de cours aient pour une bonne part ce qu'il faut bien appeler un caractère redondant par rapport aux manuels et aux livres. Un bon enseignant est quelqu'un qui favorise l'autonomie de ses élèves et sait se rendre progressivement inutile ! A l'école, au collège, au lycée, l'auto-information, l'utilisation personnelle du livre, du manuel, du polycopié, voire du document, n'ont pas la fonction qu'elles pourraient avoir de manière croissante avec l'âge des élèves. Dans des disciplines telles que l'histoire, la géographie, les sciences pour lesquelles les données factuelles sont premières, mais pas seulement dans ces disciplines, l'enseignant pourrait être un " maître de lecture " aidant A une meilleure intégration de ce qui a été lu et A la compréhension de ce qui sera A lire.

Les résultats actuels en lecture et les écarts dans les performances des élèves A tous les niveaux de la scolarité tels qu'ils apparaissent dans les évaluations n'encouragent évidemment pas cette pratique de l'autodidactie qui risque en effet d'être un facteur supplémentaire d'échec pour beaucoup. A l'école élémentaire, au collège, des équipes enseignantes, dont tous les membres A quelque niveau et quelque discipline qu'ils enseignent se sont sentis concernés par les problèmes de lecture, ont osé pour cette raison donner priorité A la lecture. Ne se contentant pas d'actions ponctuelles - certes utiles - de soutien aux plus faibles, ils n'ont pas craint de se lancer dans un projet de grande envergure A destination de tous les élèves. Le temps consacré ainsi A une politique globale de lecture regroupant, préalablement A toute autre préoccupation, toutes les forces et toutes les compétences disponibles, n'a pas été du temps perdu bien au contraire. Nous renvoyons, pour preuve, nos lecteurs aux comptes-rendus et aux évaluations des effets des classes-lecture ou de l'expérience du collège de Saint Ambroix, exemples d'actions en faveur de la lecture pendant lesquelles la totalité de l'horaire d'enseignement leur est réservée pendant une période suffisamment longue (1). La réunion dans de telles actions de la totalité des conditions nécessaires au traitement en profondeur d'un problème primordial et A l'évidence prioritaire permet une amélioration du savoir-lire qui va du perfectionnement des stratégies de lecture A l'aisance dans l'utilisation des équipements. Mais l'effet le plus notable de cette familiarité des élèves avec le monde de l'écrit est A l'évidence la modification de leurs comportements, leur capacité d'autonomie, la possibilité justement de recourir A l'autodidactie. (2)
 
  Michel Violet
 

(1)Cf. la série d'articles présentant les résultats d'une recherche sur les centres-lecture (A.L. n°64 et suivants) et les dossiers sur l'expérience du collège de St Ambroix (A.L. n°31, sept.90, pp.43-116. n°33, mars 91, pp.32-37 et n° 44, déc.93 , p.35).

(2) Les professeurs du collège de Saint Ambroix, dans le bilan qu'ils font de l'expérience, insistent sur la capacité des élèves A travailler seuls et plus rapidement. 

 
Michel Violet