Les actes de lecture n°65 mars 1999
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SOCIO-GENESE D'UNE
INNOVATION INSTITUTIONNELLE. Dans le numéro précédent (A.L. n°64, déc.98, pp.26-32) nous avons publié un résumé des travaux concernant l'axe " formation des maîtres " de la recherche INRP- IUFM de Versailles intitulée Evaluation et suivi des centres de classes-lecture (*). On lira ci-après les comptes-rendus des travaux concernant deux autres axes de cette même recherche conduits, le premier sous la responsabilité de Daniel Denis sur le thème " socio-génèse d'une innovation " et l'autre sur " les effets sur les élèves " sous la responsabilité de Bernard Lété. (*) pour plus de détails, lire Une recherche en cours, J.Pierre Bénichou, A.L. n°57, mars 97, pp.28-31. Le texte qui suit est construit autour d'une " entrée " (les objectifs de la recherche et sa méthodologie) et d'une " sortie ", (la conclusion de la recherche). I. L'introduction . L'objet. Disons-le d'emblée : j'ai été
conduit A m'intéresser A la création des "Centres
Lecture" dans la mesure où l'on trouve A l'origine une référence
explicite et constante A la pratique des classes transplantées.
Cela excitait ma curiosité de comprendre comment et pourquoi la
pédagogie de la lecture pouvait prendre place dans une généalogie
réformatrice conçue A l'origine pour donner un sens
et une noblesse A... l'activité physique. Dans l'esprit des
promoteurs du dispositif de la transplantation, il s'agit en effet d'instituer
la mise en jeu du corps au principe d'un mouvement vers les choses, c'est
A dire vers les connaissances acquises A l'occasion de "pratiques
de terrain". Cette volonté de rompre avec le formalisme de la tradition
scolaire qui triomphe dans la classe vise aussi A valoriser des
disciplines longtemps tenues pour accessoires (la géographie, les
sciences physiques et naturelles en particulier) (1).
Un fil rouge court, en effet, des premières préconisations
de "caravanes scolaires" (2) A
la généralisation des classes transplantées qui se
banaliseront près d'un siècle plus tard : recourir A
une pédagogie du dehors pour légitimer de nouveaux savoirs
qui trouvent difficilement leur place au dedans, dans les cursus et dans
les salles de classe (3)
Il est dès lors assez surprenant de voir la discipline la plus fondamentalement scolaire (la lecture) suivre le parcours emprunté depuis un siècle par des activités marginales cherchant A légitimer leur entrée dans l'enseignement par le recours au déplacement, imposant le dehors pour changer le dedans. D'autant que ces dispositions dont la portée institutionnelle est circonscrite tant qu'elles s'appliquent en dehors de la classe A propos d'activités marquées du sceau toujours un peu péjoratif de "l'extra-scolaire" sont bien sûr susceptibles d'un plus grand retentissement s'agissant de prétendre y soumettre la lecture, objet traditionnellement central du dispositif académique, discipline scolaire A proprement parler consubstantielle A l'Institution... Que signifie donc la création des Centres Lecture, au regard de la topologie que nous venons d'esquisser brièvement ? D'une assimilation, d'une intériorisation, d'une légitimation par l'Institution de méthodes qui - ayant fait leurs preuves dans des domaines marginaux - mériteraient de s'expérimenter au centre de la fonction historique de l'Ecole ou, au contraire, le signe d'une appropriation, d'une volonté de conquête par cet extérieur d'une fonction autrefois intouchable, sorte de sanctuaire ? Autrement dit, cette innovation est-elle le symbole d'une transformation pédagogique assumée par l'Institution, ou bien est-ce, au contraire, l'esquisse d'un transfert de souveraineté au profit d'instances extérieures A l'école, c'est A dire la perte d'un pouvoir de l'institution sur le domaine scolaire qui est A son fondement ? . La méthode : ayant énoncé le mobile de ma curiosité, dans les termes mêmes qui furent livrés aux acteurs des centres dans la phase préliminaire de la recherche - je dois évoquer maintenant mon souci de vigilance face au risque de ma propre volonté de démonstration socio-historique : celle-ci pouvait conduire A des généralisations abusives A partir de continuités trop hâtivement "restaurées" et d'analogies superficielles dont on pouvait avoir l'intuition A partir de la commande qui était passée par l'INRP. C'est pourquoi je n'ai pas cherché A analyser les textes théoriques fondateurs qui auraient permis de retracer les filiations qui m'intéressaient A la manière d'une histoire des idées. J'ai au contraire privilégié une enquête empirique auprès des acteurs qui ont participé effectivement A la mise en place en tant qu'institutrices et instituteurs chargés d'une classe. C'était nécessaire, car les Centres-lecture constituent un mouvement en cours, encore très hésitant, tout A fait contemporain et il importait de ne pas projeter sur des réalisations A peine esquissées des discours convenus. Je me suis donc enquis des conditions concrètes de la naissance des centres et tenté d'accéder aux idéaux pratiques mobilisés par les acteurs au quotidien. Les entretiens conduits avec chacun d'eux se sont
construits A partir de questions très simples :
1.- où ? quand ? qui ? (Il s'agit de s'entendre sur la mise en place historique, les dates, les personnes, les circonstances)
Dernière précision : le choix s'est porté sur 3 centres. Pourquoi trois ? Pour bien marquer qu'il ne s'agit pas d'une investigation psycho-sociologique, c'est A dire d'une enquête qui privilégierait le rôle des personnes et la dynamique de leurs relations individuelles mais d'un effort de construction socio-historique visant A identifier une éventuelle configuration susceptible de donner un sens commun A des initiatives diverses ; c'est A dire qu'au-delA de l'histoire propre A chaque aventure de fondation du centre, nous souhaitons dégager une trame commune. Pourquoi dans le Nord ? S'il participe d'un mouvement
général de création de "centres de lecture" en France,
le dynamisme du processus engagé dans le département du Nord
retient l'attention. Sur une période très courte, trois centres
ont en effet été créés dans des communes limitrophes
: Roubaix (en 1989), Tourcoing (en 1991), Hem (en 1994). C'était
une situation favorable pour explorer les liens entre une innovation pédagogique
et son environnement social dans un contexte de crise profonde.
II. Conclusion. Rappelons notre questionnement préalable : nous voulions déterminer si l'innovation du Centre Lecture était le symbole d'une transformation pédagogique voulue et assumée par l'Institution, ou bien - au contraire - l'esquisse d'un transfert de souveraineté au profit d'instances extérieures A l'école, c'est A dire la perte d'un pouvoir de l'institution sur un domaine (la lecture) qui est, depuis toujours, A son principe. Au terme du parcours, on peut conclure A
coup sûr qu'il ne s'agit pas de la seconde hypothèse puisque
l'enquête fait apparaître une absence presque totale des instances
du "champ social" susceptibles de convoiter localement un droit d'influence
sur les contenus et les méthodes de l'Institution. Est-ce A
dire pour autant que la première hypothèse s'en trouve vérifiée
? En aucun cas. Au fond la seule caractéristique signifiante qui
soit vraiment commune aux 3 lieux, c'est que l'innovation du Centre Lecture
recycle les moyens d'une innovation plus ancienne, qu'elle se love dans
un dispositif qui précédait dans le temps. Ce n'est qu'en
se substituant A une structure existante que l'invention nouvelle
a pu trouver sa place. Dans deux cas, on a pu suggérer que la transformation
accompagne et sanctionne des changements culturels qui se traduisent par
un passage de l'hygiénisme A l'illettrisme, afin de faire
durer une institution objectivement menacée. Dans le troisième
cas, il s'agit concrètement de mettre en question l'autonomie d'un
dispositif conçu pour valoriser la discrimination positive, c'est
A dire pour opérer la rupture du principe d'égalité
A celui d'équité (ZEP).
Je crois que c'est l'essentiel de ce que nous livre
ici l'enquête empirique et, au moment de conclure, s'il n'y avait
qu'une leçon A tirer, ce serait donc celle-lA : nous
semblons condamnés A transformer la transformation précédente,
c'est A dire A la reproduire, jusque dans ses errements.
Et si l'on travaillait collectivement cette hypothèse - qui exige
de conjuguer sociologie et histoire - le soupçon qui pèse
sur la conclusion de cette enquête -"On se demande même si
vous ne faites pas l'autopsie"- n'aurait pas de sens. L'analyse critique
de la genèse d'une invention éducative serait un temps de
son développement dans la société et ne pourrait pas
être assimilée A une œuvre de sociologie médico-légale.
Daniel DENISMaître de conférence
A l'IUFM de Versailles
(1) D. Denis, L'activité
physique dans le dictionnaire pédagogique de Ferdinand Buisson,
un révélateur des contradictions de l'école républicaine
? in A quoi sert l'E.P.S. ? Sous la direction de B. X. René. Dossier
n°29, Éditions EPS, Paris, 1996.
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Daniel DENIS
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