Des pré-histoires
diverses :
- A la Villeneuve d'Ascq, les écoles ouvertes
ont obtenu, dès leur création, un statut d'école expérimentale
académique. Un stage de préparation de 3 mois a permis aux
enseignants d'élaborer un projet pédagogique spécifique
qui devait permettre A chacun des enfants d'aller le plus loin possible
dans tous les langages en fonction de son histoire, des conditions d'apprentissage
et A l'école de mettre en place les conditions d'apprentissage
pour ceux qui ne les connaissaient pas dans leur famille. Les maisons matières
ont remplacé les classes, les cycles ont supplanté les structures
annuelles et la polyvalence de l'équipe s'est substituée
A celle du maître. La lutte contre l'échec a très
vite amené une réflexion sur l'implication sociale de la
lecture et de l'école.
- " Une autre politique de la lecture pour lutter
contre l'échec scolaire avec un apprentissage différent de
la lecture, la mise en place d'une BCD, l'ouverture de l'école et
un fonctionnement coopératif A tous les niveaux" tels étaient
les points centraux de la charte élaborée au cours d'un stage
de 3 mois en formation continue A l'école normale de la Roche
Sur Yon en 1978 par un groupe d'enseignants militants pédagogiques
désirant travailler en équipe. Il ne leur restait plus qu'A
trouver une école et ce fut celle d'Aizenay, en milieu rural.
- "A ville nouvelle, école nouvelle" : A
Auxerre c'est la municipalité de J.P. Soisson qui a lancé
l'idée d'école ouverte sur un quartier neuf. Cette idée
a mobilisé un groupe de réflexion (35 instituteurs, un inspecteur,
les Francas) pendant un an. Les 16 instituteurs nommés sur une école,
pas encore construite, ont eu 3 mois de stage pour élaborer la charte
des écoles ouvertes d'Auxerre. Ces écoles s'organisaient
en étapes pédagogiques (actuels cycles) avec mise en place
de BCD.
- A la Villeneuve de Grenoble, école A
statut expérimental, le projet de charte prévoyait, dès
1972, l'ouverture et le partenariat avec un élargissement de l'équipe
éducative (cf. "Une voie communautaire" R. et R. Millot, 1978, Éditions
Casterman). La charte était issue d'une volonté militante
trouvant écho dans une frange de militants associatifs (notamment
la Confédération Syndicale des Familles), de militants pédagogiques,
d'enseignants stimulés par 68, de parents militants avec l'appui
du Recteur (contre celui de l'Académie...). Les habitants devaient
se l'approprier, le dialogue avec les parents a été un des
éléments des plus favorables. Mais comment éviter
que les valeurs culturelles et morales du projet ne restent pas celles
des classes dominantes ?
Le nécessaire travail en équipe
Le travail en équipe des enseignants est
une des caractéristiques fortes d'organisation de toutes ces écoles.
La fonction de direction correspond pour André
Béranger A l'animation d'une équipe. A l'école
des Charmes A la Villeneuve de Grenoble c'est un collègue
délégué qui assume cette animation par cycle. Pour
les tâches administratives, le fonctionnement est collégial,
il y a partage de toutes les tâches de direction.
A La Villeneuve d'Ascq, les directeurs ne sont
responsables que de l'administratif mais l'assurent en totalité,
ce qui permet aux autres collègues de se concentrer uniquement sur
le pédagogique. Mais ces directeurs peuvent être remerciés
par l'équipe si elle n'est pas d'accord (la situation s'est déjA
produite).
La direction collégiale, qui est aussi
la règle A Aizenay ou A Auxerre, est une suggestion
forte : la démocratie coopérative est gourmande en temps
de concertation (conseil des maîtres hebdomadaires dans chacune des
écoles). La répartition des tâches administratives
et relationnelles entraîne une plus large responsabilisation de chacun.
Mais la pérennité des équipes
se heurte aux conditions de renouvellement et de nomination des enseignants.
Les statuts spécifiques, expérimentaux (écoles ouvertes
de la Villeneuve de Grenoble), ou écoles A suggestions spéciales
(Villeneuve d'Ascq), nécessitent un mouvement spécifique.
La cooptation des enseignants est une des réponses apportées.
Ces statuts sont aujourd'hui remis en cause par la généralisation
des projets d'école (chaque projet étant spécifique
par définition).
Travailler en équipe permet de diversifier
les modes d'apprentissage en élargissant dans et hors de l'école
le réseau relationnel, d'élaborer un système cohérent
d'organisation et de gestion de l'école, d'inscrire ce système
dans un processus évolutif et durable.
A l'investissement militant des enseignants et
A leur fougue de départ succèdent parfois l'usure
et les régressions. Aux résistances administratives, A
la volonté de tout mettre au pas, de normaliser, d'harmoniser de
la "hiérarchie intermédiaire", s'ajoutent les résistances
syndicales ou celles des collègues. Tout est en permanence susceptible
d'être attaqué et il faut constamment justifier des pratiques
différentes, justifier des choix, prouver des résultats.
On se rend compte que les projets de ces écoles
expérimentales représentent un danger et une vraie force
d'opposition face A ceux qui voudraient conserver l'école
dans ce qu'elle a de pire : l'échec scolaire, la ségrégation...
Mais comme le rappelle Jean Pierre Bénichou
"il n'y a pas d'un côté des méchants et de l'autre
les bons : il y a des rapports de force qui continuent de s'instaurer et
qui fonctionnent sur le mode des avancées et des régressions,
comme tous les rapports de force".
L'équipe pédagogique reste un formidable
lieu de formation pour ceux qui y travaillent.
A l'évaluation par la hiérarchie
(un inspecteur peut-il être expérimental ? : comme le dit
Michel Violet, un inspecteur contrôle l'action d'un individu dans
le cadre d'une carrière qui ne doit rien au lieu où il travaille),
les équipes inventent d'autres alternatives : l'inspection d'équipe,
le stage d'équipe, ou encore le rôle des écrits comme
mémoire mais aussi comme outils d'évaluation.
Partenariat avec les parents :
Si l'on veut mettre les parents en capacité
d'être partie prenante de l'action éducative dans ce qui relève
de leur pouvoir et leur temps d'action, une information -aussi complète
soit-elle- ne suffit pas. Au delA d'une information sur ce que fait
l'école, ce qu'il faut savoir pour comprendre ses axes de travail
et ne pas se situer en contradiction avec elle, il y a de la place pour
une action spécifique de la part des parents autour de ce que la
vie génère d'activités, d'écrits.
Les parents peuvent être une force pour
lutter (la CSF A la Villeneuve de Grenoble en est un exemple). Mais
l'alliance avec les parents ne sert-elle pas A renforcer un consensus
qui en fait vise A garder l'école dans ce fonctionnement
telle qu'on l'a combattu ? Il y a cependant nécessité d'alliances
dans le corps social pour avoir des possibilités d'aller A
contre courant de ce qui est attendu par tout le monde du rôle de
l'école.
Mais "le rôle d'une équipe d'école
expérimentale pour se trouver des alliés qui peuvent objectivement
contrecarrer ce que l'école reproduit, est une opération
qui est laborieuse" souligne André Béranger.
"Sur les problèmes de lecture l'écart
est de plus en plus grand : on a plus qu'un rôle d'information vers
les parents. Je crois que le partenariat n'est pas possible quand il y
a des gens qui savent des choses qu'ils doivent transmettre A d'autres"
rappelle Yvanne Chenouf
Il faut apprendre A travailler ensemble,
c'est A nous enseignants d'apprendre A travailler en partenariat.
Et le partenariat ce n'est pas seulement faire des choses ensemble mais
c'est aussi penser des choses ensemble.
A l'école Jacques Prévert la charte
du parent intervenant fait plus appel au partage qu'A la formation.
Un petit livret est remis aux parents, la possibilité de venir passer
une demi-journée A l'école permet d'en comprendre
le fonctionnement qui est complexe. Des moments de réflexion de
6 heures sont organisés avec les parents volontaires sur les enjeux
politiques, économiques et culturels de l'écrit.
A Aizenay des cycles de formation sont organisés
pour les parents intervenants bénévolement en BCD. La Fête
du livre jeunesse annuelle est également un très bel exemple
du partenariat coopératif entre parents, enfants et enseignants.
A l'école du Lac le centre lecture repose
également sur ce partenariat avec les parents.
Les transformations :
Les premières BCD, le décloisonnement,
le journal scolaire, l'éducation A la citoyenneté,
la libre circulation, l'autodiscipline, l'éclatement des classes
spécialisées, le travail par cycles, une autre répartition
des élèves pour dégager un enseignant pour la BCD,
l'informatique au service de la lecture, ELMO, ELSA, la pédagogie
du projet, l'ouverture de l'école, l'hétérogénéité,
l'individualisation et la personnalisation des apprentissages, la participation
des enfants A la gestion de l'école et de leurs apprentissages,
la place fontamentale de l'écrit, les classes lecture... sont bien
issus des mouvements d'innovation pédagogique et se sont d'autant
plus imposés que le rapport de force a été fort.
Ces transformations n'ont pu se faire que parce
que dans ces écoles il s'est agit de créer une relation aux
enfants qui les respecte et les responsabilise. Ces pratiques nécessitent
pour l'enfant un statut qui le reconnaisse en tant qu'élément
de la communauté éducative.
Les innovations de ces dernières années
sont le fruit du travail des mouvements pédagogiques et des associations
périscolaires (AFL, mouvement Freinet, GFEN, Francas...). Ces avancées
se sont souvent faites dans l'indifférence de l'institution voire
parfois dans des relations conflictuelles avec elle.
Mais quels sont aujourd'hui les espaces d'innovation,
d'avancées possibles dans l'Education Nationale, la part de liberté,
de l'initiative personnelle ou collective pour que l'école puisse
continuer A avancer ?
"On ne comprend que ce que l'on transforme" (Brecht)
ou de l'innovation A l'impossible généralisation...
"Ce qui m'intéresse c'est l'avancée,
c'est que le système prenne de l'ampleur et que tous les enfants
aient droit A ce que mes enfants vivent" nous dit cette mère
d'élèves de La Villeneuve d'Ascq.
"On nous a mis sous une cloche" Ce qu'on a mis
en place est parfait, c'est extraordinaire, mais ce n'est pas généralisable,
intervient André Virengue.
"Il y a nécessité de réfléchir
au rôle des mouvements d'éducation nouvelle et au rôle
des écoles expérimentales. Quant au rôle de la recherche
c'est d'empêcher le système de coaguler : si on n'était
pas lA, ça attacherait au fond" rappelle Jean Foucambert.
A travers les écoles expérimentales,
les mouvements d'éducation, il y a des acquis scientifiques. Il
ne peut pas y avoir de recherche scientifique sans pratique de transformation,
les mouvements d'éducation ont un devoir qui est de transformer
le monde pour comprendre comment il fonctionne, ils jouent donc une sorte
de service scientifique. D'où l'importance de la recherche action.
"Mais l'espoir que c'est par les mouvements d'éducation
que se fera la transformation, est une illusion. S'il y a quelque chose
qui doit s'étendre ce sont les conditions d'innovation. Généraliser
une innovation en croyant que ça va donner les mêmes effets
que ce qu'ont obtenu les écoles qui l'ont expérimenté
est une erreur. On peut faire l'hypothèse que ce qui est la cause
de la réussite c'est l'engagement des gens dans la nécessité
de transformer et c'est ça qu'il faut partager. Le rôle des
mouvements d'éducation est de créer des possibles A
l'intérieur du système éducatif et de trouver les
alliés sociaux A l'extérieur qui ont objectivement
intérêt A ce que l'école se transforme. Tout
se joue entre des professionnels A l'intérieur de l'école
qui testent, essaient, préfigurent ce que pourrait être une
autre école. Mais il faut aussi passer des alliances avec des acteurs
sociaux". Jean Foucambert.
Selon Raymond Millot, ces 25 ans "d'expériences
montrent qu'on peut résister. Le volontarisme, quand il est réfléchi
et qu'il repose sur des nécessités profondes (même
si elles sont encore parfois masquées) n'est pas obligatoirement
voué A l'échec. Les îlots qui donnent corps
A "l'utopie" sont précieux pour la réflexion, la recherche.
Ils méritent d'être défendus, ils confortent nos raisons
d'agir".
Les mouvements pédagogiques n'attendent
pas des pouvoirs publics qu'ils reprennent A leur compte les innovations
forgées dans l'action militante pour les imposer A l'ensemble
du système. Aucun modèle ne peut être imposé
A aucune équipe. Nous n'avons rien d'autre A proposer
que des modèles de travail. Nos contributions entendent se situer
davantage dans la logique d'un laboratoire d'idées que dans celle
d'un bureau d'études.
Revendiquer pour tous le devoir d'innovation revient
A poser l'importante question du remodelage de la profession. L'enjeu
est lA. Il y a urgence A affirmer que le contrat a désormais
plusieurs composantes. Outre sa dimension didactique, il a aussi une dimension
culturelle et une dimension sociale. Tout enseignant est A la fois
un travailleur intellectuel, un médiateur du savoir, un agent du
développement social.
Des écoles expérimentales aux
écoles
des villes lecture du XXIème siècle...
L'exercice de ces lourdes obligations n'est possible
qu'en équipe, avec des moyens nouveaux, une grande capacité
d'autonomie, des contrôles diversifiés et surtout la possibilité
de disposer des aides méthodologiques et techniques nécessaires.
"Inscrire l'école dans une politique de
quartier et de ville et lui donner sa pleine capacité d'innover
sous contrôle, telle est l'ambition pour les années qui viennent.
" Comment l'expérience des écoles expérimentales peut
nous aider A construire une école qui s'insérerait
dans une ville lecture ?
- En apprenant A penser ensemble et en trouvant
des alliés d'origine multiple qui vont nous aider A penser
des choses en dehors de notre seul cercle.
- En utilisant d'avantage la prise de risque, en
créant des foyers d'innovations dans nos écoles et en trouvant
A l'extérieur des points d'appuis qui feraient contrepoids
aux barrages éventuels de notre institution.
- En construisant de nouvelles perspectives, en
trouvant de nouvelles conditions pour faire tomber les résistances
et en prenant A notre actif, positivement les avancées de
la recherche pour un nouvel engagement.
Joël Blanchard
(1) Cette table ronde réunissait
des représentants des écoles suivantes :
Ecole des Charmes, La Villeneuve de Grenoble (Isère)
: André Béranger
Ecole Jacques Prévert, La Villeneuve d'Ascq
(Nord) : André Virengue
Ecole Auxerre (Yonne) : André Mourey
(Ces 3 premières écoles étaient
"écoles expérimentales AFL")
Ecole Louis Buton, Aizenay (Vendée) : Anne
Valin