La revue de l'AFL
Les actes de lecture n°65 mars 1999 ___________________ |
La Charte du XXIème siècle :
l'école "libératrice" face au libéralisme ? Nathalie Bois, Jean-Louis Briand, Anne Mahé L' annonce de la Charte du XXième siècle n'a pas bouleversé l'AFL. Néanmoins, nous sommes quelques-uns A y être allés voir. Comme on regarde un texte historique en cherchant A comprendre ses modes de fonctionnement et de relation avec la réalité historique qu'il entend transformer. Quand les écoles expérimentales se dotaient d'une organisation générale de l'école reposant sur les principes d'ouverture et de partenariat, d'hétérogénéité, de gestion des groupes, de pédagogie de projet et d'individualisation, le corps social - avide de transformation - négociait avec l'école un pacte allant de l'attente bienveillante A la coopération assidue. Aujourd'hui, quels rapports de délégation sont A l'œuvre entre l'école et la société dans ce texte ? Forts de l'analyse d'une expérience de 20 ans dans les " écoles expérimentales " et porteurs depuis 9 ans du projet des villes-lecture, nous étions munis d'une grille de lecture sur le caractère réformateur de ce projet pour l'école du XXIème siècle. Nous, trois adhérents de l'AFL, sans qu'on puisse y voir la volonté de dire UNE " position de l'AFL " sur ce texte.
Un texte pour cadrer l'avenir
: La charte porte en elle le discours sur la charte : dit ce qu'elle
doit être, comment elle doit être reçue et comprise.
Le texte se veut un élément d'une pensée d'ensemble
sur l'école. Sa fonction est de " définir les principes qui
doivent inspirer l'évolution de l'enseignement primaire ", il sera
"une référence". Et d'emblée, comme on cherche la
valeur innovante de ses contenus, on découvre rapidement qu'il s'agit
" d'adapter l'école A un contexte existant " ce qui précise
l'identité réelle de ce texte : un enregistrement des ajustements
rendus (ou jugés) nécessaires et imposés par l'évolution
de données contextuelles davantage qu'une réelle une vision
anticipatrice pour l'avenir. Elle porte en elle les modalités d'un
fonctionnement politique : on y trouve les traces d'une pensée politique
globale qui s'annonce - tous secteurs confondus - comme étant la
logique d'action gouvernementale : aussi, " la charte forme un tout " pour
dire qu'elle concerne le présent et l'avenir, qu'elle intègre
des logiques d'actions dans les classes et celles de la recherche, qu'enfin
elle s'appuie sur la connaissance des expériences passées
dans ce pays et ailleurs en Europe. Et si " former un tout " pour cette
charte cela avait été d'affirmer que les changements annoncés
dans l'école doivent s'entendre comme la modification profonde de
la participation et de l'intervention des acteurs (enseignants, élèves,
parents, éducateurs de tous statuts, intervenants professionnels
extérieurs A l'école, professionnels de la santé,
etc.) sur un mode de travail commun encore jamais pensé ? Penser
l'école ensemble.
C'est le 3ème texte sur la recherche qui
nous renseigne. Les écoles dont auront besoin les chercheurs de
l'INRP pour mener leurs travaux constituent " un échantillon représentatif
des écoles qui se seront portées candidates selon deux séries
de critères : la diversité des situations et de l'environnement
des écoles, la diversité des modes d'organisation du travail
des élèves et des équipes pédagogiques..."
Autrement dit, les écoles chartées ne conduiront pas d'expérimentations
spéciales, particulièrement observées, analysées
pour être diffusées et généralisées,
elles constitueront le groupe témoin d'un groupe plus vaste illimité
en expérimentation permanente, "libre" de l'accompagnement des chercheurs.
Penser que ce groupe de parangons, par la présence A leurs
côtés de la recherche pédagogique ne tardera pas A
s'écarter de sa population d'origine et qu'il devienne un groupe
expérimental aura pour effet - n'en doutons pas - de valider la
thèse du rapprochement massif entre chercheurs et terrains...
L'école d'un lendemain adapté
A aujourd'hui.
- les programmes : conformément A
la formule inspiratrice de l'ensemble du texte ("évoluer sans se
renier"), les programmes restent les programmes et la pédagogie
par objectifs reste... l'objectif, dans le cadre d'un recentrage sur les
apprentissages de base (parler, lire, écrire, compter). Il est donc
envisagé de réaménager les contenus d'enseignement
du primaire au collège (soit de 2 A 16 ans) et d'en évaluer
les effets dans le cadre d'une recherche confiée A l'INRP.
L'AFL, dont les travaux portent essentiellement sur le lire/écrire,
est également liée fortement A l'INRP ; il paraît
difficile dans ces conditions d'imaginer une non-participation A
cette dynamique qui se veut novatrice. Même si le mode d'entrée
programmatique n'est guère en phase avec une approche globale et
fonctionnaliste, c'est seulement dans l'action qu'il serait éventuellement
possible de peser pour que le processus d'innovation pédagogique
annoncé en préambule favorise une généralisation
de la dynamique novatrice. Et il en va de même pour la recherche
INRP, si l'on souhaite que se développent avant tout des recherches-actions
qui théorisent les pratiques de terrain et non pas uniquement des
recherches universitaires.
- les rythmes de vie scolaires et périscolaires
: c'est comparativement la partie du texte la plus développée
; est-ce A dire la plus importante dans l'esprit des auteurs ? C'est
en tout cas la plus controversée par ceux qui ont donné leur
avis sur le projet. Si les problèmes d'organisation des apprentissages
préoccupent depuis longtemps l'AFL, il s'agit manifestement ici
d'autre chose : comment mieux gérer la journée scolaire ?
où répartir les charges de travail, les pauses, les aides
personnalisées ? comment se partager le travail d'accompagnement
péri-scolaire entre les différents partenaires de l'école
(parents, associations, services municipaux ...) ? L'AFL peut-elle contribuer
A faire évoluer favorablement la réflexion et les
pratiques éducatives en matière d'accompagnement scolaire
? L'affaire semble bien mal engagée (comment l'école peut-elle
"être son propre recours" sans tomber dans les excès d'une
sur-scolarisation et d'une médicalisation des échecs ?).
Mais l'expérience accumulée en classe-lecture ou en centre
de vacances-lecture n'est-elle pas A même de proposer des
exemples stimulants et convaincants, démontrant qu'il est possible
de faire autrement, qu'il faut déscolariser les approches, parce
que trop d'école tue l'école ? En outre, puisque les Contrats
Educatifs Locaux (C.E.L) seront négociés de façon
concertée avec les collectivités locales, ne serait-il pas
opportun de faire avancer A cette occasion le concept de ville-lecture,
en tentant d'y introduire (au minimum) cet état d'esprit dans la
démarche ?
- l'évolution du métier :
enseignant et coordonnateur au sein d'une équipe, c'est le double
rôle désormais assigné au professeur des écoles.
LA aussi la contestation va bon train, chez les partenaires syndicaux
en particulier. Les enseignants ayant participé A l'expérimentation
sur l'organisation de l'école élémentaire au cours
des années 70/80 ont été conduits tout naturellement
A travailler en équipe élargie et A inventer
de nouvelles formes d'organisation, de concertation, de formation. S'agit-il
fondamentalement d'autre chose aujourd'hui ? Ne suffirait-il pas alors
de savoir intégrer, aux côtés des parents, les intervenants
extérieurs et ces nouveaux venus que sont les aides-éducateurs
? Dans ce domaine du travail d'équipe et de l'ouverture de l'école,
l'AFL a notoirement capitalisé de l'expérience et c'est même
peut-être sur cet axe de la professionnalisation que la dynamique
de recherche-action, fortement "dopée" par une énergie militante,
est le plus en phase avec les objectifs de la Charte. Le "Tout" que cette
charte est censée former se situe peut-être dans cette articulation
entre l'aménagement du temps et la transformation du métier.
Tout se passe comme si LA réforme, c'était le deuxième
élément de la proposition : devenu professeur des écoles,
il s'agit de transformer l'instituteur en coordonnateur et pilote de l'ensemble
de ce que vit l'enfant et qui peut contribuer A son éducation.
Tout se passe comme si l'aménagement du temps de l'enfant était
alors un instrument au service de ce changement majeur. Imaginons une pyramide
; plaçons A sa pointe un principe général,
une valeur du sens commun... " l'égalité des chances ". A
sa base, un autre principe opératoire celui-lA, "l'école
son propre recours". Les moyens de construire la politique de ces principes
c'est de répondre aux attentes sociales, de contrer les inégalités
sociales par compensation d'accès aux pratiques culturelles et sociales
confisquées de l'élite ou de la classe moyenne et enfin de
répondre A la pression parentale et électorale des
parents qui travaillent. C'est ici que nous avons besoin du concept d'aménagement
du temps de l'enfant : pour globaliser les interventions des acteurs actuels.
Globaliser, c'est-A-dire aider les professionnels A travailler
dans la cohérence, A concevoir ensemble leurs politiques
sectorielles et les interactions entre elles ? Souhaitons-le. On peut cependant
remarquer que pour que l'école puisse A tout moment répondre
de ce qu'elle est "son propre recours", cette globalisation se fait sur
le mode du pilotage et du contrôle par l'enseignant et par l'Ecole.
Un fossé nous sépare du partenariat. Cheville ouvrière
de cette opération, l'enseignant "dont le rôle est désormais
double... : dispenser l'enseignement et participer A la coordination
d'une équipe" qu'il risque de dominer d'emblée du fait de
son statut qui lui confère légitimité savante et permanence
qui le distingueront des autres intervenants, souvent encore en quête
d'identité et de garantie professionnelle (les aides éducateurs,
les intervenants villes ou associatifs). C'est dans cette définition
d'un nouveau métier et dans la manière de mettre l'acteur
enseignant en relation avec les autres acteurs de l'éducation que
s'éloigne la perspective d'une politique éducative globale,
concertée, travaillée.
Charte et Ville-lecture
2. Viennent alors les hommes et les femmes, les parents qui travaillent et qui représentent " les attentes de la société ". Ceux qu'on nommerait co-éducateurs dans une ville imaginée sont ici porteurs d'une attente d'accueil, de prise en charge de leur enfant. Plus loin, le professeur des école responsable de l'équipe éducative sera chargé d' " informer les parents pour leur permettre d'être A même d'accompagner, en toutes circonstances la scolarité de leur enfant ". Prendre la charte dans son esprit c'est le risque d'un maintien du pilotage par l'école seule et d'un discours prescriptif A l'attention des parents. Prendre la charte et en contourner la lettre, c'est associer les parents en travaillant A comprendre les logiques d'apprentissages ainsi que les pratiques pédagogiques choisies, c'est travailler ensemble A cerner l'apport des pratiques familiales et sociales dans les processus d'apprentissage et non mettre en place le dispositif de répétition scolaire A l'extérieur de l'école. (2) 3. Par la voie des contrats éducatifs locaux
et des intervenants professionnels extérieurs A l'école,
le territoire et sa représentation municipale font leur entrée.
Le texte constate la multiplication des cadres et des modes d'intervention,
leur foisonnement et affirme le besoin de coordonner et d'y voir clair.
Les villes sont ici des financeurs. Depuis 1982, puis 1989 certaines villes
se sont organisées (les cités éducatrices), se sont
dotées de bulletin d'échanges, ... se sont donné les
moyens de passer de la gestion des équipements éducatifs
A l'affirmation d'une politique éducative locale (3).
Tout se passe comme si la charte renvoyait cette dimension de politique
locale A la mention des CEL et réduisait cette action politique
- qui peut, dans certains cas, être une politique pensée globalement
A l'échelle de la ville - A une intervention sectorielle
dont le ministère mesure les effets sous l'angle de l'expérimentation
locale (l'aménagement du temps de l'enfant et les modifications
de calendriers annuels ou hebdomadaires par exemple). C'est donc décidément
dans un rapport de soumission de l'école A la société
que les enseignants voient se projeter l'école de demain. C'est
bien dans la marge, hors de l'esprit du texte et en travaillant la lettre
de certaines propositions que les enseignants réussiront A
convertir cette charte en projet de transformation. Cette réforme
ne lèvent pas les inquiétudes relatives A la hiérarchisation
des disciplines et A un déssaisissement du service public.
Des humoristes (par ailleurs fins analystes de l'actualité politique)
avaient caractérisé, avec beaucoup d'(im)pertinence, les
deux principaux programmes électoraux au deuxième tour des
dernières présidentielles. En définitive disaient-ils,
il s'agit de choisir entre la "groite" et la "drauche". La Charte du XXIème
siècle, ça ressemble A cela : un projet d'école
de drauche pour un avenir de groite... D'où notre embarras.
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Nathalie Bois,
Jean-Louis Briand,
Anne Mahé
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