La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°66  juin 1999

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UN PARCOURS AU CYCLE 2 COMME POINT D'APPUI  
POUR TRAVAILLER A
VEC DES CYCLES 3

Dominique Saitour est enseignante en cycle 3 depuis deux ans ; elle participe aux recherches conduites par l'AFL et l'INRP sur l'enseignement de la lecture au cycle 2 par la voie directe. Munie de cette expérience, elle revient sur ce que représente pour elle, le cycle 3. Que devient un corpus organisé de pratiques pédagogiques lorsque des paramètres essentiels de la situation changent : des textes mais quels textes, une autonomie face aux textes revue et A redéfinir, la place renégociée de l'enseignant comme aide, et des parents présents différemment.
 

 
 
 
 "Les remarques d'ensemble formulées pour les apprentissages fondamentaux en français gardent toute leur valeur au cycle d'approfondissement"Ce cycle présente toutefois une spécificité affirmée dans la mesure où il s'inscrit dans une double continuité : avec le cycle des apprentissages fondamentaux d'une part, avec le collège d'autre part". (Programmes de l'école primaire. CRDP) 
 

Les mêmes valeurs qu'au cycle 2. 

Travailler en "leçon de lecture" pendant des années en cycle 2 laisse des traces : choix du texte, prise de notes, théorisation, systématisation ou entraînement, mise en réseau, production d'écrits. Un enchaînement qui a montré un chemin différent pour l'apprentissage de la langue écrite, celui de la voie directe. Cet enchaînement est-il reproductible A l'identique pour le cycle des approfondissements ?  

Depuis 2 ans je travaille en classe de cycle 3 dans une école où les élèves n'ont pas appris A agir en voie directe. Leur étonnement des premiers jours venait-il du questionnement que je proposais A la classe ou de l'inconnue que j'étais ? En tout cas, au début, ça a été dur, dur...! Dans le sens de la démarche proposée en "leçon de lecture", l'écriture d'un texte par l'enseignant pour les enfants et le circuit court hebdomadaire m'ont servi de points d'appui pour démarrer la classe.Dès le deuxième jour de classe, j'ai proposé aux élèves un texte que j'avais écrit pour eux sur la première journée passée ensemble. C'était la base de ce que je voulais construire avec eux : la mise en pratique du tissage d'idées, de mots, de syntaxes pour penser autrement ce qui est vécu, se donner de l'espace et du temps pour réfléchir sur des écrits différents Ils étaient accoutumés A la demande d'écriture, mais jamais enseignant n'avait écrit pour eux, et sur eux Avec la présence du circuit court, l'engagement de leurs camarades et l'ancrage dans leur quotidien se révéla plus porteur d'exploration et d'approfondissement. 

Pour le choix du texte, la pratique en cycle 2 apprend A trouver des écrits dans la littérature jeunesse : ceux qui aident A construire l'identité de l'enfant, qui ouvrent A un patrimoine culturel, ceux qui servent aux projets. Des auteurs qui écrivent pour les plus jeunes et pour les adultes ne sont pas très nombreux, mais c'est une entrée en littérature qui me semble intéressante. Prendre des textes dans des albums, et dans des livres pour adultes, les observer, les scruter, les sonder, en bref "approfondir" la langue écrite. Donner A tous ces écrits le même traitement en classe.  

Philippe Delerm dans La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules (L'arpenteur. Gallimard) reprend le procédé du livre qu'il A écrit pour les enfants Surtout ne rien faire (Zanzibar. Milan). Dans le livre pour adulte, comme dans celui pour enfant, un des écrits A le même titre : Mouiller ses espadrilles. Ici, la mise en réseau est évidente. Le jeu de correspondance, d'écho entre les livres d'un même auteur donne accès A une lecture critique " résistance aux évidences ", elle permet " d'observer en profondeur ce qui ne tombe pas sous le sens, mais le crée " (1). Ce qui réunit et éloigne les univers des petits plaisirs d'enfants et d'adultes, et qui fait passer de l'enfant A l'adolescent, est rendu presque transparent par le jeu de l'écriture. Ces mêmes bonheurs différés dans le temps, certains trouvant leur origine dans l'existence des autres. 

Avec Jonathan Livingston le goéland (Richard Bach, Castor Poche), on est en présence d'un classique du cycle 3, roman initiatique, il a toutes les caractéristiques institutionnelles. C'est un "vrai" livre, épais, il est peu illustré, le vocabulaire est soutenu, le thème porteur de construction de l'homme en marche. Yakouba (Thierry Dedieu, Seuil) en tant qu'album, n'a pas une place reconnue dans les textes travaillés en cycle 3. Court, les illustrations occupent une place de choix et de qualité. C'est peut-être lA qu'il y a le plus matière A approfondissement. 

La guerre, même quand elle ne fait pas la une de l'actualité est toujours d'actualité. Comment s'y prennent les auteurs quand ils décident d'écrire A son sujet ? Comment nous la révèlent-ils sans héroïsme patriotique ? 

Flon-Flon et Musette (Elzbieta, Ec. des Loisirs) est un album. A qui est-il destiné ? "Les enfants sont trop petits pour réveiller la guerre" mais certainement pas pour en parler, en lire et tenter de comprendre. Au dos du livre L'étrange guerre des fourmis (Hubert Nyssen, Actes Sud Junior), l'éditeur indique dès 8 ans mais pour Les Misérables de Hugo, indiqua-t-il l'âge auquel nous devions lire Waterloo ? Ces quelques exemples de choix de textes pour tenter de faire des liens entre les enfants de fin d'école élémentaire : la compréhension d'un texte aide A la compréhension de l'autre, on ne cantonne pas les écrits dans des ghettos, on les fait se répondre A des niveaux de lecture exigeants. 

De la "leçon de lecture", on retient aussi la prise de notes. Ce moment où, stylo et surligneur en main, les lecteurs se confrontent au texte, l'approfondissent, en notant, sans la médiation de l'enseignant, les champs culturels dans lesquels ils les inscrivent, les domaines grammaticaux ou lexicaux qui en sont les fondements.Des pratiques de cycle 3 retiennent souvent la théorisation comme point de départ du travail d'entraînement, confondant au passage enseignement de la théorie et action de théoriser A propos d'un écrit rencontré dans un contexte précis et défini. 

Spécificité du cycle 3 

L'approfondissement
Mais dans ce cycle dit des approfondissements, de quel côté se placent les approfondissements ? Du côté des textes ? Doivent-ils avoir plus d'implicite A découvrir ? Doivent-ils être plus longs, plus nombreux, leur syntaxe et leur lexique plus élaborés, le réseau culturel A exploiter plus vaste ? Ou du côté du lecteur ? Celui-ci doit-il être plus performant, quel que soit le type de texte, plus rapide dans sa compréhension, doit-il avoir une autre attitude A développer, pour se préparer A la 6ème, ou pour être lecteur même en 6ème ? Les compétences pour la lecture en 6ème sont ainsi définies:

Compétences de base : saisir l'explicite d'un texte, comprendre de qui ou de quoi on parle, tirer des informations ponctuelles d'un écrit. 

Compétences approfondies : reconstituer l''organisation de l'explicite, retrouver l'enchaînement logique du texte, maîtriser les règles principales du code écrit, utiliser les ressources du contextes. 

Compétences remarquables : découvrir l'implicite, mettre en relation deux informations, dégager le présupposé d'un énoncé. (D.E.P. - Evaluation A l'entrée en 6ème)) 

Les parents
Dégagés, souvent, de la préoccupation de la méthode d'apprentissage de la lecture, les parents de cycle 3 sont plus sereins qu'en cycle 2, du moins jusqu'en début de CM2. Alors une petite angoisse, teintée de réserve sur les compétences de l'enseignant A mener A terme la préparation de leur enfant pour le collège, revient troubler l'accalmie des années CE2 et CM1. Le travail en classe de cycle n'est pas lA pour les rassurer. Il semble qu'ils vivent ces classes comme une surcharge inutile de travail pour l'enseignant pour un hypothétique " mieux apprendre " pour leur enfant. 

Des outils
ELSA joue un rôle important dans l'aide aux enseignants par le traitement que ce logiciel donne aux écrits. L'entraînement systématique avec ELSA, apporte aux élèves une cohérence entre le travail en groupe multi-âge, de la classe entière et l'individualisation pratiquée avec le logiciel. Certains exercices du logiciel sont repris de façon quasi systématique pour les textes étudiés par la classe, en particulier la série D. L'indexation d'un écrit renforce sa compréhension, permet de lui trouver sa place dans un ensemble plus vaste de livres ou d'écrits.  

Ecrits et autonomie
L'implication de l'élève dans la recherche de textes et d'écrits en général, est facilement activée par la fréquentation des bibliothèques municipales, de la BCD de l'école ou des abonnements aux revues en général qu'ils soient individuels ou collectifs. Le recours A ces ressources, en y incluant le rôle documentaire des Cédéroms et d'Internet, est un accès A une autonomie face aux écrits. Ces écrits apportés par les élèves doivent avoir le même traitement que ceux choisis par l'enseignant. Pour cela, des critères sont élaborés au cours des leçons de lecture. A quelles conditions peut-on trouver qu'un texte va être l'objet d'un travail de la classe entière ? Qu'apporte-t-il pour l'ensemble des élèves ? 

La présentation de livres par un adulte ne peut être aussi régulière qu'en cycle 2. Sans être remplacée, elle est secondée par une pratique d'échanges de présentations. Autour d'un lot de livres lus par les élèves, l'enseignant prend la parole pour présenter un des ouvrages. Un élève prend le relais A partir d'un élément comparable du livre lu : auteur, illustrateur, thème, écriture, statut de lecteur. Il s'instaure alors un réseau d'échanges autour de livres ou d'écrits présentés.  

La finalité des productions écrites est déterminée dès le début de l'année. Des écrits sont commandés par le travail nécessaire d'entraînement, rangés dans le classeur par ordre chronologique d'apparition, ils ont le même statut que les exercices. Chaque trimestre, un travail de comptes-rendus de projets est destiné au journal de l'école, vitrine de ce qui se passe en milieu scolaire. Des écrits de commande pour le circuit court trouvent leur place chaque semaine dans celui-ci, ils doivent engager leurs auteurs qui s'exposent A la lecture de leurs camarades. Des écrits de réactions A ces textes sont également publiés dans le circuit court. Enfin, des écrits de fiction, assez longs, bien structurés, avec un enchaînement logique du récit sont édités sous forme de mini-livres, tirés A cinq exemplaires, ils sont donnés A leurs auteurs qui pourront en faire profiter leurs proches.  

Rencontre avec la sixième
Des rencontres avec les collègues de collèges et plus particulièrement ceux en charge de 6ème montrent que le clivage n'est pas entre enseignants d'école et enseignants de collège mais bien dans la représentation de l'acte lexique que chacun en a. Le "refus d'un changement... et le maintien de pratiques anciennes par certains parallèlement A leur abandon par d'autres contribuent A désorienter des élèves et des parents..." (2). La validation de l'apprentissage par un système souvent très élaboré de notes, bonifications et coefficients se maintient alors que dans le même temps les évaluations de 6ème sont peu regardées ou considérées comme une surcharge de travail. Il y a un nécessaire travail de collaboration entre professeurs travaillant avec des classes différentes mais aussi avec les partenaires de l'école, au sens où les définit la Charte du XXIè siècle. "Et si former un tout pour cette Charte cela avait été d'affirmer que les changements annoncés dans l'école doivent s'entendre comme la modification profonde de la participation et de l'intervention des acteurs... sur un mode de travail commun encore jamais pensé ?" (3)  

(1) Tout se lit avant six ans. Yvanne Chenouf, A.L. n°65, mars 99, pp. 40-46 

(2) Le collège et les enjeux de sa fermeture. Michel Peyroux, A.L. n°65, mars 99, pp 77-81 

(3) La Charte du XXIè siècle : l'école libératrice face au libéralisme. N. Bois, J. Louis Briand, A. Mahé, A.L. n°65, mars 99, pp. 69-73. 
 

 
Dominique Saitour