La revue de l'AFL
Les actes de lecture n°67 septembre 1999 ___________________ LU Apprendre A lire, bâtir une culture au CP : une année de lecture. J. Boussion, M. Schöttke, C. Tauveron, Hachette
éducation,
Alors que certains éditeurs osent encore sortir des manuels entièrement fondés sur la méthode syllabique (Coucou Lilou, Frisapla, pour ne citer que deux titres très récents), d'autres réfléchissent A la manière d'aider les jeunes enseignants, et les moins jeunes, A faire de leurs élèves des lecteurs de textes, et ainsi, fondamentalement, des lecteurs experts. Le sommaire de cet ouvrage attire très vite
l'attention : ce sont des titres de textes qui constituent les têtes
de chapitres, textes de fiction, textes documentaires, textes pour agir,
textes poétiques, BD, fables, textes mythologiques... Outre les
différents types de textes, apparaissent des préoccupations
telles que structure d'histoire, lecture de dialogues, parcours du personnage,
progression de l'information, organisation des documents, notion de point
de vue, lecture et chronologie, lecture comparée, autant d'éléments
de fonctionnement d’un texte, en vue d'une lecture interprétative.
On relève aussi l'attention portée aux stratégies
de lecture, puis au fonctionnement de la langue: les noms génériques
et leur référent, la syntaxe de la phrase, les groupes essentiels
dans la phrase, l'orthographe lexicale, etc. Enfin, la production d’écrit
est présente dans le prolongement de chaque étude de texte.
On retrouve, dans l'ensemble de cette approche, l'influence des travaux
de Catherine Tauveron sur le personnage et le texte littéraire.
Jean Foucambert regrettait la distinction en strates des compétences de base, approfondies et remarquables : «Quand se décidera-t-on A enseigner la lecture ?» (A.L. n°54, juin 96, p.66). L'introduction de ce livre propose une réponse positive : «Nous postulons, pour notre part, qu'on ne forme pas des lecteurs véritables en n'ayant d'autre visée que le développement de techniques de base et d'autres supports que des textes "transparents" qui dévalorisent leurs destinataires. Nous proposons donc, dès le début de l'apprentissage, des textes narratifs exigeants, d'accès non immédiat, riches symboliquement ou générant des conflits d'interprétation que seul le lecteur peut résoudre, non pour mettre l'enfant gratuitement en difficulté mais pour lui apprendre précisément A cheminer dès le départ dans cette difficulté et A adopter la posture de lecture adéquate.», d'aucuns auraient dit "la manière d'être lecteur"... La lecture de l'ensemble de l'ouvrage confirme une vigilance sur le choix des textes : ils sont parfois ambitieux (lecture d'un recueil poétique complet en novembre, étude comparative de l'écriture d'au moins 6 textes classiques et modernes autour du personnage de la grenouille, par exemple) ; parfois aussi, ils le sont moins (les textes documentaires sur les oiseaux), mais ils font, A chaque fois, l'objet d'un travail approfondi et leur enchaînement est réfléchi. On pourrait peut-être remarquer que ces textes tiennent les enfants éloignés d'une réflexion sur leur vie... A lire ce livre dans la peau d'un enseignant
"désireux d'apprendre A lire autrement qu'A l'aide
de manuels traditionnels", on peut être heureux des précautions
ou précisions apportées dans certaines formulations : jamais
il n'y a confusion sur le mot "écriture", réservé
A la production d'écrit, l'autre acception du mot est nommée
"calligraphie" et même, seconde précaution non des moindres,
"calligraphie accompagnée" ; d'autre part, les liens établis
vers les autres disciplines linguistiques sont explicites : «orthographe
porteuse de sens», lit-on, (on y verrait presque une redondance),
donc qu'on ne peut séparer de l'activité de lecture. Les
indications relatives A l'élaboration d'outils collectifs
vont également dans ce sens et montrent comment peuvent être
présentés rigoureusement les apprentissages linguistiques.
Puis se pose une question majeure : quelle représentation
de la lecture les enfants construisent-ils ? Nous avons beaucoup parlé
des préoccupations des auteurs relativement aux supports textuels.
Voyons un deuxième aspect. Comme Bernard Devanne, dans Conduire
un CP (Lire & écrire, des apprentissages culturels. 3. - Colin,
1997), les trois pédagogues clermontaises insistent sur l'association
lecture et culture (par les textes) et consacrent au code graphophonologique
l'extrême fin du livre, en l'occurrence les 15 dernières pages
sur 287 ! Elles soulignent, en effet, que la travail sur les graphies-phonies
n'est ni un préalable, (au contraire, elles sont préconisées
a posteriori), ni une activité de lecture !
Lorsque l'on imagine une semaine de lecture ainsi menée, on se prend A se demander si les enfants ne risquent pas de se focaliser sur le repérage des mots, perdant une grande partie de l'intérêt de l'approche textuelle. L'introduction de l'ouvrage laissait pourtant croire que la «spécificité scripturale» des textes rendait l'activité fine du lecteur primordiale. Quand se décidera-t-on A accepter que l'on peut apprendre A lire sans recourir au décodage ? Ce livre donne l'impression que l'on n'ose franchir le pas... Que l'on accepte aussi que l'on s'étonne de voir les premiers jours considérés comme un début, comme une entrée dans l'apprentissage de la lecture. Le CP n'est-il pas la deuxième année du cycle 2 ? Et le cycle 1 n'a-t-il pas joué son rôle en matière d'apprentissage de lecture et d'écriture ? Enfin, il me semble étonnant, mais ce n'est pas la première fois, qu'un tel livre nourri d'autant de références n'affiche aucune source autre que de rares indications ponctuelles sur des points techniques en bas de page ? Pas de bibliographie. Comment les auteurs ont-elles fondé leurs convictions ? |
Annie Janicot
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