La revue de l'AFL
Les actes de lecture n°67 septembre 1999 ___________________ |
SEMAINE DE LA POÉSIE A CLERMONT FERRAND Depuis
douze ans la poésie circule dans les établissements scolaires
et les bibliothèques du département du Puy-de-Dôme.
Jean-Pierre Siméon, A l’origine de la manifestation, est
poète et également professeur A l’IUFM. C’est cette
double identité qui l’a incité A construire petitement
une manifestation A destination des élèves et des
enseignants, et par extension au grand public.
Cette manifestation a pris de l’ampleur au fil des ans et a nécessité la constitution d’une équipe (essentiellement des enseignants, une poignée de bénévoles) et un engagement des ministères de l’Éducation Nationale (deux enseignants partiellement déchargés), de la Culture ainsi que des collectivités locales. La manifestation est rendue possible du fait de l’engagement régulier d’une vingtaine de partenaires. L’équipe installée au sein de l’IUFM d’Auvergne, impulse, coordonne, programme et gère la manifestation printanière. Elle intervient également tout au long de l’année en termes d’information, conseil et formation. La semaine de la poésie s’est déroulée
du 15 au 20 mars 1999. Vingt poètes français et étrangers
(Écosse, Grèce, Maroc et berbère) et quatre comédiens
ont rencontré 111 classes de maternelle et primaire, 29 classes
de collège, 16 classes de lycée, un groupe d’enseignants
en formation continue et 8 bibliothèques, centres sociaux et autres.
Pour que fonctionne au mieux la rencontre entre une classe et un poète, le travail de programmation s’enclenche en septembre ou même juin de l’année scolaire précédente : nous sollicitons des poètes, tous édités, parfois dans des éditions jeunesse, dont la poésie est de notre point de vue un regard poétique sur le monde, porteur d’une humanité dont on fait le pari qu’elle parlera aux enseignants et par la suite aux élèves. w En novembre les établissements scolaires de l’ensemble du département, reçoivent par voie officielle l’information concernant les dates de la manifestation. Les enseignants intéressés font une demande pour accueillir un poète en énonçant lA où ils en sont de la pédagogie de la poésie : souhait d’une découverte ou bien projet d’activité pour lequel ils évoquent les grandes lignes. w En décembre nous disposons des souhaits des établissements scolaires et d’une liste de poètes qui s’engagent A venir et A suivre le travail. Nous répartissons en prenant en compte de nombreux paramètres : adéquation des jours, répartition géographique, équilibre premier degré/second degré, thématiques communes ou souhaits particuliers,… Environ 2/3 des demandes sont «servies». w En janvier les enseignants ont connaissance du poète qui leur a été attribué, ainsi que la bibliographie de celui-ci, avec une incitation A une correspondance pour construire au mieux la rencontre. Les livres sont en vente dans plusieurs librairies de Clermont-Ferrand pour l’essentiel, avec une incitation pour consulter les recueils du poète. Une journée d’information est programmée, avec la participation d’un ou deux poètes pour aider les enseignants A penser et bâtir la rencontre. w Entre janvier et mars le travail se fait du côté des classes et du bureau du poète… Des engagements différents, des correspondances inégales, des inquiétudes auxquelles nous essayons de répondre, des engouements,… Ce qui amène au mois de mars, des rencontres toutes singulières. Des classes présentent des mises en voix de poèmes, d’autres une exposition de peintures où l’écriture du poète a pris place, d’autres des essais d’écriture, et puis toujours des curiosités devant l’Homme qui a porté en lui et écrit des textes souvent ardus, complexes. Les poètes ont avec eux un bagage : un manuscrit tout chargé de ratures, la photo de leur bureau, des recueils de poètes qui ont porté leur écriture, des racines collectées au cours d’une marche… Jusqu’en juin des correspondances existent. La plupart de ces rencontres laissent des traces fortes du côté des enfants et des enseignants, mais aussi du côté des écrivains. VoilA qui suit, un texte rédigé
par Alain Freixe, après son passage A Clermont, dans plusieurs
écoles d’une ZEP, où des enseignants participent régulièrement
A la manifestation.
?
Françoise Lalot
L'heure des
étoiles
Vendredi 27 mars… Me reste le souvenir de l’immense tristesse qui s’est abattue sur moi alors que nous longions les usines Michelin. Ou plutôt ce qu’il en reste, soit A la fois tout et rien : vitres cassées, fenêtres béantes, murs lépreux d’abandon, charpentes métalliques ne supportant plus le vide et dont le fil rouillé découpait le ciel. Et c’est la mort que je voyais A l’œuvre. La mort dressée lA, et qui mangeait. Insatiable, des pans de murs. Des pans de vie. La voiture roulait suffisamment vite, accélérant, décélérant, s’arrêtant, repartant, pour que s’impose comme en un clip, volumes, couleurs et lignes, ce petit matin avec pas mal de noir dans le blanc laiteux du jour qui lève. On imagine dans quel état j’abordais cette
journée d’intervention. J’ai dit tristesse, mais j’aimerais qu’on
entende sous ce vocable non seulement l’affect qu’il désigne traditionnellement
mais aussi la tonalité dans laquelle s’enfonçait mon musement
(1), ensemble de qualités qui allait colorer ma
rencontre avec les enfants de la ZEP La Charme (2), ceux-lA
même de ces écoles qui loin d’être écrasées
par les hautes tours qui les enserrent, comme le croit le regard aveugle
de l’arrivant, sont – je puis le dire aujourd’hui – par l’accueil et le
travail qui s’y développe, le lieu A partir duquel ce haut
des tours cesse d’être écrasant pour devenir ce qui force
le regard A lever les yeux. Premier arrachement. Première
liberté (3).
Pourtant.
Les enfants du-pied-des-tours m’avaient rejoint dans mon musement. Ils l’avaient accompagné. Et pour tout dire, partagé. Mais ils avaient fait plus, ils l’avaient lesté de cette dimension jubilatoire de vie présente, jeune et joueuse par quoi il prenait non son poids mais toute son intensité. C’est lA, A mon sens, l’immense mérite de cette manifestation : donner, pendant une semaine, chance A la rencontre. A mon sens, seule la rencontre est fécondante. Elle ne se résume ni dans la présence du poète, cet intervenant extérieur supposé en savoir plus que les autres sur ce dont il s’agit, dans une classe. Ni dans la manière dont cette classe a été préparée par l’enseignant. Encore que pour se rencontrer, il convient que l’on se soit donné rendez-vous et quelque peu apprivoisé, et en ce sens le travail de l'enseignant est tout A fait important - Dirais-je qu’au cours de mes six interventions il n’a pratiquement jamais été pris en défaut ? - Il lui appartient de préparer la venue du poète, de soigner cette attente, de la nourrir et la creuser d’interrogations, de lectures, etc. Mais, ce qui importe ce n’est pas encore cela.
Ce qui importe ce n’est ni le poète, ni la classe elle-même,
mais leur rencontre, soit cet entre deux, cette dimension A chaque
fois neuve et inouïe d’un je et d’un tu, cet espace tiers entre un
toi et un moi, espace autre par où passer est possible.
C’est dans cette rencontre que je définirais volontiers par ses qualités - timbre, tons, résonances, couleurs… - que se joue la transmission. Et n’est-ce pas de cela dont il s’agit dans cette Semaine de la Poésie ? Ne s’agit-il pas d’être des passeurs de poésie ? Transmettre, on le sait, c’est mettre au-delA, soit envoyer. Ainsi, dans toute la transmission, il y a l’idée de trajet, de passage, de traversée - Pensons A la mer et A ses écueils ! - Différencions bien la transmission elle-même de ses objets. Longtemps, j’ai cru n’avoir rien A dire
aux enfants, moi qui n’écrivais pas de la poésie en pensant
A eux. Longtemps, je me suis trompé. Mais comme continuent
de se tromper ceux qui croient être proches d’eux en leur proposant
des textes où il leur semble qu’ils peuvent plus facilement s’identifier,
projet qui, en se contentant de les renvoyer A eux-mêmes,
ne concourt qu’A les bloquer sur eux-mêmes.
Aujourd’hui, j’ai plutôt le sentiment que
si ce sont des poèmes qu’on leur lit, il les faut habités
par une présence autre, une voix autre. Dans le peu que je crois
savoir des enfants, il y a ce fait qu’ils m’ont toujours semblé
avoir un rapport plus aisé A l’étrangeté -
fut-elle inquiétante ! - que nous qui sommes encombrés de
tellement de certitudes, nos soucis. Et que si c’est A leurs questions
que l’on se prête, c’est moins tout ce que l’on pourra dire au sujet
de cette chose que l’on appelle encore poésie et de nos activités
qui gravitent autour d’elle, que l’amour qu’on lui porte que nous pourrons
leur transmettre. Car c’est cela qui fait vivre notre visage, anime notre
corps quand on se risque face A eux A quelques réponses.
Je crois me souvenir qu’Yves Bonnefoy hasardait quelque chose d’approchant
quand il disait que, finalement, on n’avait pas besoin d’une langue entièrement
partagée pour communiquer, tant c’était le désir de
communiquer qui était déjA en soi une éloquence.
De cela, le retour que je viens d’avoir de la classe de CE1 de l’école
Mercoeur où j’ai longuement répondu A de très
nombreuses questions, où je me suis repris, parfois, cherchant mes
mots, où j’ai dû donc traîner, me perdre, revenir, tourner
autour, etc. - Certains me le reprochent, gentiment ! - où je me
suis risqué A leur lire des extraits d’un travail en cours
sur les premiers mots, ces ardoises fines du poème (5),
texte difficile que certains évoquent encore, m’en a porté
témoignage. Comme il me confirme dans l’idée qu’il n’y a
pas A écrire A tout prix pour semer un désir
d’écrire. Ici, A Mercoeur, nous n’avons pas écrit
mais nous avons eu du mal A nous quitter. Que la maîtresse
m’apprenne que tous ont eu, après mon départ, ont toujours
un extrême désir d’écrire, et je n’en suis pas plus
étonné que cela. La suite est A abandonner A
la chance.
J’ai parlé de rencontre. Et toute rencontre
est amoureuse. Ici, on s’en doute, personne n’est en jeu. Mais la poésie,
soit cela même qui échappe comme échappe toute parole
visant A produire un effet d’altérité. C’est ce rien
lA qui fait que ça passe. C’est lui qui remet du jeu dans
les limites où chacun jusque lA se cramponnait, crispé
sur son narcissisme. C’est lui qui permet que ça résonne,
que ça vibre, que ça rayonne, qu’il y ait de la lumière,
de la musique, de la danse. De la vie.
?
Alain Freixe
Bibliographie Comme des pas qui s’éloignent Ed. de L’Amourier 1999 Premiers mots, Ardoises fines, livre d’artiste, en collaboration avec Martin Miguel, Ed. de L’Amourier 1999 (A paraître août 99) La semaine des poète, livre d’artistes : gravures de Gérard Secrée, poème de Michel Butor, Daniel Biga, Alain Freixe,… 1998 A jour perdu, Éditions Encres Vives, (collection
«Lieu»), 1995
Ailes, quand on la détourne, Cahiers Froissart, 1981, épuisé Partage orphelin, Cahiers Froissart, 1981, épuisé
(1) J’aime A désigner par ce mot cette «rêverie» où «l’on pense tant qu’A la fin l’on s’oublie». Et retrouver lA les mots de Chrétien de Troyes A propos de son Perceval quand celui-ci «muse», rouge sur blanc, sur trois fois rien que «trois gouttes de sang sur la neige». (2) Ce genre de coïncidence ne saurait s’inventer ! Comment les poèmes - ces charmes ! J’ai même rencontré des enfants de la clad de l’école Jean de La Fontaine qui appelaient leur maîtresse, «sorcière» ! - ne trouveraient-ils pas lA un de leurs lieux privilégiés, ce que la fête de la poésie qui s’y préparait me confirma. (3) Une maîtresse A qui je parlais de la nature toute proche, des premières pentes des premiers volcans, m’apprit que les enfants, ici, ne quittaient jamais le bas des tours. Excepté pour leur sous-sol ! C’est depuis que je les nomme les enfants du-pied-des-tours. Les tirets y font chaînes. (4) Il faudra qu’un jour je dise quelques mots de ce risque-lA : mener une tentative d’écriture collective directement au tableau : notant, fléchant, raturant, effaçant, guidant vers certains passages, reculant, proposant, refusant, etc. risque de l’écoute non de l’autre mais d’un entre les autres, risque du peu de mots, risque de l’échec. (5) Alain Freixe, Premiers mots, Ardoises fines, en collaboration avec Martin Miguel, Livre d’artiste, A paraître aux éditions de l’Amourier, route du col Saint-Roch, 06390 Coaraze. (*) Extraits de A jour perdu, Éditions Encres Vives, Collection «Lieu», 1995. |