La revue de l'AFL
Les actes de lecture n°67 septembre 1999 ___________________ |
PRATIQUES ET CONCEPTIONS DE L'ENSEIGNEMENT DE LA LECTURE En
réponse A un appel d’offre lancé par le ministère
de l’Education nationale, de la Recherche et de la Technologie, Roland
Goigoux et Serge Thomazet, maîtres de conférence A
l’IUFM de Clermont-Ferrand, ont étudié durant une année
scolaire «l’action des enseignements adaptés dans la prise
en charge et le traitement des difficultés d’apprentissage des élèves
des Sections d’Enseignement Général et Professionnel Adapté» (S.E.G.P.A. – collège). Dans cet article, ils se limitent A
une analyse du travail des enseignants et A une réflexion
sur l’adéquation des pratiques pédagogiques avec les caractéristiques
des élèves. Le lecteur intéressé par ces éléments
pourra se reporter au rapport de recherche intégral (Cf. bibliographie).
Outre un développement des analyses résumées ici,
il y trouvera la présentation des résultats relatifs aux
progrès des élèves durant leur scolarité au
collège et A l’identification de leurs difficultés
en lecture.
PRÉSENTATION DE L’ETUDE Cette étude (Cf. convention d’étude
et de recherche DLC C1 n°97 1184) a été réalisée
auprès de 650 jeunes scolarisés dans 10 collèges d’un
même département et encadrés par 20 professeurs spécialisés
expérimentés chargés de leur enseigner le français.
Le bilan que nous avons
tiré de l’analyse
des performances des élèves est nuancé dans la
mesure
où il décrit de réels progrès mais
également
des performances moyennes assez faibles et un potentiel
d’apprentissage
en partie inexploité. Nous chercherons donc, A travers
cet
article, A expliquer comment les SEGPA parviennent A
aider
les élèves A améliorer leurs
compétences
de lecteur et quelles sont les pratiques qui freinent
éventuellement
ces progrès. Nous évoquerons l’ensemble des
professeurs en
insistant sur leurs caractéristiques communes, mais nous
prendrons
garde A ne pas sous-estimer l’importante
hétérogénéité de leurs pratiques et
de leurs conceptions professionnelles.
LES PRATIQUES D’ENSEIGNEMENT Nous avons analysé le travail des enseignants en les observant dans leurs salles de classe (35 observations) et en prenant le temps d’écouter préalablement ce qu’ils disaient spontanément de leur activité quotidienne. Seize d’entre eux ont accepté de nous accueillir et d’échanger avec nous A l’issue des séquences enregistrées en vidéo. Un questionnaire renseigné par les 20 professeurs a également été utile. Notre analyse tente d’intégrer deux approches complémentaires qui sont tantôt le reflet des préoccupations des professeurs, tantôt celui de nos propres interrogations. La première approche cherche A cerner
le point de vue intrinsèque des enseignants : quels sont leurs véritables
objets de travail, quelle cohérence sous-tend leurs pratiques, quelles
valeurs les guident ? Comment les professeurs répondent-ils, en
actes, aux questions qu’ils se posent ?
La seconde approche, extrinsèque, correspond
A la problématique initiale de la recherche, c’est-A-dire
A l’étude de l’adéquation des pratiques enseignantes
aux capacités des élèves. Les pratiques des enseignants
visent-elles explicitement A remédier aux difficultés
inventoriées : faiblesse des processus d’identification des mots,
insuffisante capacité générale de compréhension
du langage, manque de clarté cognitive et de régulation de
l’activité de lecture ?
HYPOTHESES SUR LES FONDEMENTS DE LA REUSSITE DES SEGPA w Les pratiques éducatives
Sur un autre plan, l’absentéisme des élèves, considéré comme un indicateur du désintérêt ou de la difficulté scolaire, fait l’objet d’une grande vigilance (en particulier grâce aux directeurs des SEGPA qui assurent sur ce plan un rôle habituellement dévolu aux C.P.E.). Alors que le collège ordinaire perd parfois tout contact avec une partie des familles des «absentéistes», on peut constater une réelle proximité de l’équipe SEGPA avec les familles (parents, fratrie ou substituts parentaux) même si c’est parfois au prix de véritables injonctions éducatives. LA où le collège laisse parfois s’installer un relatif anonymat, la SEGPA cultive une connaissance personnelle approfondie des élèves. w Les pratiques
didactiques
Les textes sont choisis en fonction des thèmes traités afin d’être proches des intérêts des élèves. Ce sont surtout des extraits de textes, rarement des oeuvres complètes, et le plus souvent des textes documentaires ou des textes fonctionnels au sens large. L’ambition des professeurs est de «motiver» les élèves et de rendre la classe vivante ou, tout du moins, vivable. La plupart des enseignants cherchent également A apporter aux élèves de nouvelles connaissances encyclopédiques et de nouvelles ouvertures culturelles. A l’occasion des séquences de lecture, ils choisissent de développer des explications ou d’apporter des informations sur les objets du monde dont parlent les textes (la vie animale, la technologie, la vie quotidienne, l’histoire, la géographie ...). Chaque texte est le vecteur de nouvelles acquisitions lexicales ou de nouvelles réflexions sur les choses de la vie (les relations sociales, la place des femmes dans la société, les sentiments, etc.). La lecture est d’abord considérée par les enseignants comme un outil, comme un moyen d’accéder A des connaissances. Mais si cet outil ne marche pas bien, on en cherche un autre (l’oral) plutôt que de s’attacher A l’améliorer. Autrement dit, les professeurs s’intéressent plus aux contenus des textes qu’A l’activité de lecture elle-même. La préparation aux examens est un autre facteur qui semble aider les professeurs A structurer leur activité d’enseignement. Dès la classe de 4ème, une remobilisation des élèves s’opère dans la perspective de la préparation du C.F.G. et/ou du C.A.P. Les référentiels de compétences sont présents dans toutes les classes, les annales des examens conditionnent les activités d’enseignement et les évaluations sommatives. Les professeurs s’attachent A donner des points de repères aux élèves et A définir avec eux les termes d’un nouveau contrat. Nous pensons que les progrès constatés A l’issue de la classe de 4ème (alors que les performances des élèves avaient stagné durant l’année de 5ème) peuvent être interprétés comme le fruit de cette nouvelle structuration de l’enseignement. Les aides que les professeurs apportent aux élèves sont nombreuses (aides A la finalisation, A l'intégration sémantique, au traitement des données linguistiques assurant la cohésion textuelle et appels A l'inférence) mais elles restent totalement implicites et ne font l’objet d’aucune prise de conscience de la part des élèves : en conséquence, lorsque les professeurs se retirent, les élèves sont incapables de réutiliser seuls les procédures mises en œuvre. Ces aides, de plus, sont très variables d’un professeur A l’autre. Ce constat est confirmé par les analyses factorielles réalisées sur la base des réponses au questionnaire écrit. Ces analyses permettent de distinguer les professeurs qui guident de très près la compréhension des élèves de ceux qui leur proposent des situations plus ouvertes. Les premiers visent le plus souvent une compréhension littérale du texte alors que les seconds privilégient une compréhension plus globale. Elles opposent également les professeurs qui semblent les plus attentifs aux prescriptions institutionnelles (référentiels, examens, indications de manuels), A ceux qui déclarent être les plus centrés sur les élèves (dans le choix des textes, la réponse A leurs interrogations, leurs motivations). Ces oppositions recoupent aussi les contrastes observés sur le plan de la différenciation pédagogique et de l’importance accordée aux activités métalinguistiques. Notons enfin que plusieurs professeurs qui avouent avoir renoncé A travailler la langue écrite déploient en revanche beaucoup d’énergie en langue orale, notamment dans le domaine du lexique et des compétences argumentatives. On ne peut exclure l’hypothèse selon laquelle une partie des progrès enregistrés A l’écrit découlerait indirectement des efforts engagés A l’oral (dans la mesure précisément où le travail sur la compréhension A l’oral est connu comme l’un des moyens d’améliorer la compréhension A l’écrit). w Maintenir de
fragiles équilibres
En d’autres termes, il nous semble qu’en SEGPA
les enseignants s’attachent avant tout A maintenir un certain niveau
d’activité en classe, A maintenir la classe «en vie».
Des décisions sont prises qui semblent avoir pour ambition première
d’inciter les élèves A rester engagés dans
un travail, quel qu’il soit, c’est-A-dire le plus souvent au détriment
d’une stricte cohérence didactique. Mais cela ne signifie pas pour
autant qu’une simple rénovation didactique conduirait A une
meilleure efficacité de l’enseignement, notamment si elle ne prenait
pas en compte les fragiles équilibres pédagogiques construits
par les professeurs.
HYPOTHESES SUR LES INSUFFISANCES DES SEGPA w Les malentendus
sur la nature de l’activité de lecture
Les malentendus sur la nature de l’activité de lecture sont nombreux dans l’esprit des élèves et il nous apparaît que la plupart des enseignants, loin de lever ces malentendus, les renforcent en accentuant la dichotomie entre identification des mots et compréhension de texte, en privilégiant le traitement littéral de courts segments de textes et en ne permettant pas aux élèves de développer un contrôle interne de leur propre compréhension. Les réponses et les comportements des élèves que nous avons observés ne peuvent pas être considérés comme le fruit d’un développement spontané. Ils sont le résultat d’une construction sociale et, A ce titre, sont influencés de façon majeure par les pratiques pédagogiques dont ces élèves ont bénéficié au cours de leur scolarité. C’est en classe, tout au long de leur scolarité primaire puis en SEGPA, que certains élèves ont été confortés dans l’idée que la compréhension n’était pas le fruit d’un processus autonome (auto-contôlé) mais qu’elle était sous la dépendance d’une tutelle externe (les questions du professeur). C’est en classe, probablement dès le cycle 2, qu’ils ont appris A scinder l’activité de lecture en deux temps distincts, l’identification des mots et la compréhension du texte. En SEGPA, nous avons pu observer un important déséquilibre entre les activités de questionnement (interrogations orales ou écrites conduites par les professeurs A propos des textes) et les activités de reformulation, au détriment de ces dernières (paraphrase, résumé, traduction des idées du texte dans les propres mots des élèves, etc.). Ce questionnement est conduit en présence du texte, rarement en son absence : il sollicite très peu l’effort d’organisation en mémoire des principales informations durant la lecture. Les professeurs, de surcroît, ont tendance A ne pas adresser les mêmes questions A tous les élèves. Ils posent plus de questions littérales aux élèves les plus en difficulté : ils obtiennent ainsi plus facilement de bonnes réponses mais contribuent également A renforcer leurs conceptions erronées sur la lecture. L’abondance de questions littérales encourage en effet les stratégies qui consistent simplement A localiser et A recopier un segment du texte contenant une partie des mots utilisés dans la question. Ces stratégies sont évidemment totalement inadaptées A des questions de compréhension globale ou inférentielle. Une conception trop étroite d’une certaine «pédagogie de la réussite» peut ainsi accroître les malentendus en accentuant les clivages entre compréhension littérale et compréhension inférentielle, entre déchiffrage et compréhension, entre questionnement et reformulation ou bien entre contrôle externe et auto-contrôle. w Le travail prescrit
et les tâches redéfinies
La grande majorité des professeurs avec lesquels nous avons travaillé considèrent les référentiels de français publiés en 1990 comme leurs textes de référence. Or ces documents affichent pour la fin de la scolarité adaptée des objectifs beaucoup plus modestes que les actuels programmes de la classe de 6ème, voire même que les programmes de l’école primaire. Ils considèrent que la compréhension inférentielle relève d’une lecture savante, guère accessible aux élèves de l’enseignement adapté. Cette conception, relayée par les différentes évaluations nationales ministérielles (CE2/6ème), renvoient sans cesse A plus tard la prise de conscience des élèves sur leur nécessaire coopération avec l’écrit. Le texte, redisons-le, est un mécanisme paresseux qui a besoin du lecteur pour fonctionner : que celui-ci soit au cours élémentaire ou en SEGPA ne change rien A l’affaire et il serait illusoire de croire qu’une première étape de l’apprentissage pourrait viser une compréhension littérale avant de s’attacher ultérieurement A une compréhension inférentielle. Toutefois, les prescriptions pédagogiques de l’institution scolaire sont assez générales et peu opérationnelles. Ce sont les enseignants qui les transforment en intentions d’action, qui les spécifient et qui les rendent évaluables. Ce sont eux qui interprètent les prescriptions en fonction des moyens et des ressources dont ils disposent et des contraintes qu’ils se fixent (ou qu’on leur fixe). Les tâches ainsi redéfinies apparaissent étroitement dépendantes des formes des examens terminaux. Les exercices réalisés en classe, par exemple, sont souvent similaires A ceux du CFG : la compréhension fine des textes est délaissée au profit de la compréhension globale («capacité B») et de la recherche sélective d’informations («capacité C»). Il n’est pas exagéré parfois de parler de «bachotage» au sens où la préparation des examens renforce la place déjA hégémonique des questionnaires de compréhension et lamine les autres pratiques d’enseignement de la lecture. En résumé, la question centrale, mal résolue par les professeurs de leur propre aveu, concerne la redéfinition des contenus et des objectifs de l’enseignement de la lecture. Quelles procédures, quelles stratégies, quelles postures, quels genres textuels, quelle grammaire textuelle, quel lexique enseigner ? Même les enseignants qui sont A l’affût de nouveaux objets d’enseignement se perdent parfois dans un foisonnement d’activités sans véritable cohérence d’ensemble. Les autres semblent considérer que la pratique régulière de la lecture en classe peut assurer A elle seule le développement des compétences des élèves. w La faiblesse
des instruments professionnels
Les progressions d’enseignement sont très lacunaires et font parfois totalement défaut. Entre les maîtres qui déclarent ne pas en suivre et ceux pour qui elles «dépendent de la vie de la classe», rares sont les professeurs qui peuvent présenter un véritable outil de pilotage (ou de planification) de leur pédagogie de la lecture. Les professeurs ont abandonné les manuels de cours élémentaire qui ont longtemps été leur outil de base, emblème d’un enseignement «spécialisé» dépassé, aujourd’hui remplacé par l’enseignement «adapté». Mais les outils professionnels et la formation des enseignants n’ont pas accompagné cette mutation, notamment en lecture où l’absence de lignes directrices d’un enseignement de la compréhension se fait cruellement sentir. Les enseignants avec lesquels nous avons travaillé ne disposent pas non plus d’outils d’évaluation diagnostique. Ils utilisent essentiellement des évaluations sommatives, inspirées des épreuves proposées aux examens (CFG, CAP). Les tâches proposées recouvrent des intentions de lecture peu variées : il est rare par exemple qu’on demande aux élèves de rappeler ou de résumer les idées d’un texte, de hiérarchiser des informations, d’exécuter des consignes ou des procédures, de détecter des incohérences ou des erreurs, etc. Les évaluations portent sur la compréhension littérale, plus rarement sur la compréhension globale, quasiment jamais sur la compréhension fine. Les textes supports A l’enseignement de
la lecture révèlent peu d’ambitions culturelles.
w La différenciation
pédagogique
Perdus dans des tâches qui les dépassent, ces élèves ne peuvent bénéficier d’aides de même nature que les autres. Ils ne sont pas oubliés pour autant par les professeurs qui les sollicitent, mais le plus souvent dans le seul but de leur permettre de «suivre le groupe», c’est-A-dire de ne pas être socialement marginalisés. En d’autres termes, on peut dire que les professeurs incitent les élèves A être attentifs, A rester mobilisés sur la tâche mais sans véritablement parvenir A les rendre actifs dans les registres cognitifs pertinents. Au delA d’un certain seuil d’hétérogénéité (et les classes de l’enseignement adapté sont extrêmement hétérogènes comme nous l’avons montré), les enseignants ne parviennent pas A gérer les situations didactiques au profit de chaque élève. Quelques uns organisent néanmoins cette différenciation lors de la construction de leurs situations d’enseignement (c’est-A-dire durant le temps de préparation de la classe) alors que le plus grand nombre se contente de moduler ses interventions en cours de réalisation, «A chaud» dans la salle de classe, en fonction des performances des élèves. Les maîtres les plus différenciateurs, et peut-être aussi les plus habiles, sont ceux qui ont prévu A l’avance de moduler, non seulement la longueur ou la complexité d’une tâche, mais leurs modalités de guidage ou même leurs objectifs en fonction des compétences des élèves. w Le temps de
travail des élèves
LES CONCEPTIONS DES MAITRES SUR L’ORIGINE DES DIFFICULTES DES ELEVES L’analyse de l’activité de travail des professeurs nous a conduit A mieux cerner les buts et les contraintes qu’ils se donnent A eux-mêmes dans l’exercice de leur métier. Cette redéfinition du travail A accomplir dépend principalement des problèmes qu’ils identifient, c’est-A-dire essentiellement des caractéristiques qu’ils attribuent A la population scolaire dont ils ont la charge. Ces problèmes ne sont pas, aux yeux de la majorité des enseignants interrogés, des problèmes spécifiques A l’apprentissage continué de la lecture. Ils ne relèvent donc pas, selon eux, d’un traitement didactique (au sens où la didactique est spécifique A un domaine de savoir) mais plutôt d’un traitement pédagogique mobilisant leur capacité globale A «conduire la classe». Pour être plus précis, les choix et les pratiques pédagogiques des professeurs apparaissent dépendants de leur analyse, explicite ou implicite, des déficits des élèves. Nous avons identifié, dans leurs discours et dans leurs actes, cinq grands types de difficultés des élèves qui mobilisent l’essentiel de leur attention. w Un comportement
d’élève inadéquat
w Un déficit
d’expérience
w Une insuffisante
motivation
w Un déficit
cognitif
w Une faible estime
de soi
NOTRE ANALYSE DES CONCEPTIONS DES PROFESSEURS Au terme de cette étude, nous pensons que toutes les hypothèses émises par les professeurs sur la nature des difficultés des élèves ne sont pas également pertinentes. Certaines les conduisent A mettre en œuvre des pratiques éducatives que nous considérons comme potentiellement contre-productives du point de vue du développement intellectuel, de l’acquisition de connaissances spécifiques et de la réussite scolaire parce qu’elles ne prennent pas en charge les difficultés fonctionnelles des élèves les moins performants. w Un comportement
d’élève inadéquat ?
Les élèves, placés systématiquement dans des situations hors de portée de leur prise de conscience, adoptent progressivement une posture scolaire très inadéquate, plus attentifs aux exigences de leur professeur qu’A celles de l’activité intellectuelle. Quand les compétences A mettre en œuvre pour la résolution d’un problème de lecture dépassent ses capacités, l’élève devient incapable de contrôler son fonctionnement. Il va donc centrer son attention sur le contrôle de son comportement : rester plus ou moins calme, écouter le professeur, le regarder, respecter les règles scolairement normées, dans le meilleur des cas ; centrer son attention sur l’environnement (les copains surtout) ou éviter la tâche, dans le pire des cas. Confrontés A des élèves qui ne sont pas auto régulés, les enseignants ont tendance A contrôler eux-mêmes, pas A pas, l’attention et le comportement de ces élèves : soit en les rappelant A l’ordre, soit en les encourageant A rester attentifs, A participer aux rites du groupe, y compris en faisant seulement semblant de travailler. Or, plus l’élève se sent contrôlé de l’extérieur, plus la motivation intrinsèque diminue et plus les performances chutent. S’il considère en effet que le contrôle de ses actions ne dépend pas de lui mais de l’adulte, il risque de s’installer dans une dépendance permanente, de ne plus initier aucune conduite qui présente une difficulté cognitive et qui le conduirait A échouer. Laissé seul, il va avoir tendance A privilégier l’exécution de tâches faciles, peu risquées et peu coûteuses qu’il sait pouvoir réussir mais desquelles il ne peut abstraire aucun apprentissage. C’est précisément ce que nous avons observé auprès des faibles lecteurs, incapables d’initier une construction sémantique sans l’aide des interrogations du maître. On peut se demander alors si les enseignants ne transmettent pas implicitement des représentations erronées sur les attitudes intellectuelles efficaces en situation d’apprentissage. Lorsque l’élève respecte les exigences comportementales du maître, lorsqu’il se conforme aux représentations erronées qu’il s’est forgé du « bon apprenant » (être discipliné, écouter le professeur), il ne peut pas, en cas d’échec, comprendre comment et pourquoi il n’a pas réussi puisqu’il pense avoir fait tout ce qui était en son pouvoir. Il ressent alors un sentiment d’injustice, de découragement, voire de ressentiment vis A vis de l’institution scolaire qui, A ses yeux, ne tient pas ses promesses. w Un déficit
d’expérience ?
Confrontés A des élèves qui ne réussissent pas, les enseignants vont avoir tendance A modifier les tâches en les simplifiant. En agissant de la sorte, ils changent, souvent A leur insu, la situation de départ de telle sorte que celle-ci ne permet plus de travailler la compétence visée mais permet seulement A l’élève d’être en règle avec une exigence scolaire. w Une insuffisante
motivation ?
On peut éveiller l’intérêt des élèves et susciter leur étonnement grâce A une grande variété d’actes pédagogiques différents mais tous n’offrent pas les mêmes gains développementaux et cognitifs. Si certaines options didactiques permettent effectivement d’attirer l’attention de l’élève sur la tâche et remplissent bien une fonction «d’enrôlement», elles se révèlent contre-productives pour maintenir longtemps cette attention et s’opposent alors au développement d’une motivation A caractère intrinsèque. Lorsque la pédagogie cherche A tout
prix A être riche et variée, elle s’expose A deux risques majeurs :
Or, les élèves les moins performants ont particulièrement besoin de stabilité dans les modalités de présentation et de réalisation des activités. Les formats d’interaction doivent être suffisamment réguliers pour que se développent les schèmes cognitifs facilitant les anticipations des élèves, leur contrôle et leur exploration des situations en toute sécurité. C’est lorsque les situations deviennent prévisibles que les élèves peuvent devenir sensibles aux variations didactiques introduites par l’enseignant. Le problème de motivation, si souvent incriminé, n’est pas toujours A attribuer A un manque de motivation en général mais souvent A une centration externe de l’attention : les élèves sont plus vigilants A ce que les autres vont penser d’eux et aux feed-back du professeur qu’A réfléchir A l’activité elle-même. A trop se centrer sur l’extérieur, il ne reste que peu de ressources attentionnelles A accorder A la situation scolaire, dans ce qu’elle permet d’apprendre ou de comprendre. En bref, nous ne nions pas l’importance que revêt la socialisation, mais nous contestons l’idée qu’elle puisse être considérée comme un pré-requis A de nouveaux apprentissages. Nous pensons au contraire que les apprentissages scolaires et professionnels sont le moyen privilégié dont disposent les SEGPA pour permettre aux élèves d’éprouver leur autonomie, leur capacité A penser, et, par conséquent, pour favoriser la socialisation, qui n’est pas seulement un problème de relation aux autres mais également une question de relation A soi-même. w Déficit
cognitif et faible estime de soi.
Au cours de notre étude, nous avons pu vérifier A quel point les élèves avaient besoin en permanence de la présence de l’enseignant pour valider leur activité intellectuelle. (Cela les pousse A répondre le plus vite possible car les professeurs arrêtent le questionnement dès que la bonne réponse a été trouvée). Ils accordent peu de confiance A leurs capacités, convaincus que s’ils réussissent, c’est parce que la tâche est facile ou que le professeur est gentil. Rares sont ceux qui pensent que c’est grâce A la mobilisation d’une compétence appropriée. Paradoxalement, ces mêmes élèves pensent qu’ils sont totalement responsables de leurs échecs (attribution interne). Les élèves qui ont pris en classe
l’habitude de rechercher la réussite et la performance immédiate,
supportent mal d’être mis face A la moindre difficulté,
et mettent en œuvre tous les comportements de défense pour éviter
de se trouver confrontés A l’échec. Ils appellent
fréquemment A l’aide, recherchent un contrôle externe,
copient sur le voisin, refusent de travailler, agressent le professeur…
Les enseignants multiplient alors les tâches faciles, stéréotypées
et accrocheuses qui n’exigent, pour être résolues qu’un faible
degré d’investissement. Et c’est ainsi que ces comportements, nuisibles
aux apprentissages cognitifs, se trouvent cautionnés et renforcés.
CONCLUSION
Nous savons que, par le passé, de nombreuses
recommandations ou injonctions didactiques sont restées lettre morte
parce qu’elles n’étaient pas adaptées aux conceptions et
aux compétences présentes des enseignants. Si les circulaires
ministérielles et les centres de formation veulent marquer des ruptures
avec certaines pratiques pédagogiques jugées peu efficaces,
ils devront aider les professeurs A identifier les continuités
entre pratiques anciennes et pratiques innovantes mais également
A comprendre les raisons de l’inadéquation de certaines de
leurs pratiques aux difficultés des élèves. Ils devront
aussi démontrer que le prix A payer, en termes de travail
supplémentaire et de formation, est raisonnable au regard des bénéfices
obtenus (ou escomptés) auprès des élèves. Ils
devront enfin distinguer les évolutions qui ne remettent pas en
cause les conceptions des professeurs et les transformations plus radicales
qui impliquent au contraire une redéfinition des objectifs poursuivis.
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